Questions de parents : inquiétudes, interrogations, questionnements pédagogiques

Bertrand Gaufryau, chef d'établisement, tout au long de l'année, répond aux parents d'élèves... et parle aussi aux enseignants

15 mars 2008 : Un projet d'orientation compromis ?

Les résultats de mon fils qui est classe de seconde sont en baisse ce trimestre et son projet d’orientation est aujourd’hui compromis. Est-il encore temps de réagir et comment ? »

Cette période de l’année scolaire est souvent délicate, le second trimestre traduisant souvent une réalité parfois « masquée » du premier trimestre. Si le jeune a réalisé une bonne année de troisième, les acquis du collège permettent souvent, avec un volume de travail que l’on peut qualifier de minimum pour un élève de lycée, de faire « illusion ». Les résultats sont souvent moyens lors du premier trimestre, et il est parfois délicat de se faire une idée exacte de la réalité pour les parents. La qualité du dialogue avec le jeune constitue en tous les cas la pierre angulaire d’une ébauche de solution et permet d’identifier les difficultés, les éventuels blocages, les insuffisances en terme de travail, ou bien le délicat « saut » entre collège et lycée.

En tous les cas, les échanges avec son enfant permettent aussi de mesurer sa capacité à aller vers une plus grande autonomie dans l’organisation de son travail personnel, autonomie qui n’est pas un laisser-faire ou une forme d’abandon, mais une démarche pédagogique d’accompagnement approprié. A cet effet, la rencontre avec le professeur principal ou/et le conseiller principal d’éducation dès le premier trimestre constitue un temps incontournable pour pouvoir mesurer la distance entre les capacités cognitives, formatives, l’horizon d’un projet d’orientation avec la mise en œuvre des moyens adéquats et la réalité de ce dernier.

Une fois ces nœuds identifiés, l’articulation entre temps scolaire et travail personnel devient le point que l’on peut identifier à un pont qu’il faut traverser à l’élève afin de se mettre en situation de réussite scolaire en vue de faire de son projet d’orientation non pas un mirage ou un miracle, mais un premier objectif intermédiaire.

Si les résultats de ce deuxième trimestre ont été évalués et vécus comme insatisfaisants, tant par vous-même, l’équipe éducative et votre fils, le constat partagé est une base de départ toutefois solide pour faire en sorte que le projet d’orientation compromis à cette époque de l’année, ne soit pas la fin de l’histoire. En effet, les difficultés rencontrées par l’élève peuvent être telles que le projet d’orientation envisagé est en trop grand décalage avec des capacités spécifiques. Alors, commencera tout un travail collectif (parents, jeune, équipe éducative) afin de faire en sorte de proposer au jeune un autre chemin qui ne soit pas vécu comme une situation d’échec ou de nouvel aiguillage au rabais, mais comme un nouveau projet mettant en valeur le meilleur de ses qualités.

Par contre, si le point d’achoppement identifié est lié à un volume de travail insuffisant, c’est probablement une mauvaise appréciation de la démarche d’autonomie ou d’accompagnement du jeune qui est en cause. Il n’est jamais trop tard pour faire en sorte que cet accompagnement adapté puisse être à nouveau « calibré », adapté à la personnalité du jeune, mais aussi aux capacités identifiées. Ainsi, il faut aussi bien intégrer l’idée selon laquelle l’appréciation de l’équipe pédagogique, l’incertitude sur le projet d’orientation peuvent jouer un rôle d’électrochoc et faire en sorte que le jeune perçoive l’accompagnement de ses parents ou parfois d’un tiers vise à lui permettre de mettre les moyens au service de son projet.

Tout ceci ne dispense pas de garder en arrière plan l’idée selon laquelle votre fils se trouve au cœur de ce temps qu’est l’adolescence, charriant ses questionnements sur le rapport au corps, ses incertitudes face à un avenir aujourd’hui tellement sombre qu’il peut avoir des incidences sur la motivation, ses rapports de confiance/défiance face au monde des adultes, les conflits inévitables…

Rien n’est à négliger dans ces temps familiaux et scolaires car rien n’est anodin. Tout mérite une attention de chaque instant pour aider le jeune adolescent à se construire, à bâtir un projet avec confiance et dans le respect de ce qu’il est. Alors, au-delà du projet précis d’orientation (parfois davantage celui des parents que du jeune lui-même) et de « l’écume des jours », il s’agit certainement pour les adultes de relever un défi majeur, exigeant, celui d’une éducation sereine, parce que reposant sur une démarche d’accompagnement au-delà de leurs propres projections. Parents et éducateurs ont ceci en commun, d’être les bâtisseurs de « cathédrales » de ce siècle…


Le 25 janvier 2009 : Manque de motivation

Ma fille n’est plus motivée et souhaite arrêter sa scolarité en Bac Pro ! Je pense qu’elle fait une erreur. Comment la remotiver et lui faire comprendre l’intérêt de poursuivre sa formation ?

Cette question n’est malheureusement pas isolée et constitue certainement l’interrogation la plus fréquente mais aussi à laquelle il est fort difficile d’apporter une réponse satisfaisante. Des efforts notables ont été faits afin de mettre en avant la voie professionnelle auprès des jeunes et de leurs familles. Mais ils ont pour l’essentiel concerné la communication et non la valorisation des filières, de leurs contenus et des projets que cette voie pouvait permettre de réaliser tant sur le plan de l’insertion professionnelle que sociale.

Le contexte est plutôt morose et les perspectives d’emplois qui permettent de ne pas vivre la précarité se font plus ténues. Pour autant, cette vision de court terme qui ne doit pas être niée dans le dialogue avec les élèves lorsque nous les rencontrons, doit aussi laisser la place à une démarche à double détente. Ainsi, la plupart des élèves s’inscrivant en voie professionnelle, disposent comme supports, d’outils extrêmement performants, une alternance de périodes de stages, mises en situation et rencontres sur le terrain, et de cours. Acquérir un passeport pour la vie professionnelle ou aussi davantage chaque jour pour la poursuite d’études post-bac constitue un des atouts principaux de cette voie. D’ailleurs les taux d’insertion professionnelle sont en tout point excellents, la progression dans la maturité des jeunes parcourant cette voie est elle-même remarquable.

D’ailleurs, pourquoi ne pas demander aux professeurs de votre fille, si cela n’est déjà fait, de lui faire rencontrer à travers une séquence de cours, d’anciens élèves qui ont vécu le même parcours ? Pourquoi aussi, dans le cadre des périodes de stages, ne pas orienter les jeunes en formation, vers des structures (entreprises, collectivités, écoles, maisons de retraites…) dans lesquelles des anciens élèves sont aujourd’hui pleinement intégrés ? Ce sont à la fois les pratiques pédagogiques et la qualité des relations avec les adultes référents qui sont questionnées.

Re-motiver votre fille par la preuve que mettre fin à sa scolarité ne lui permettrait pas de pouvoir pleinement réaliser ses projets, se réaliser elle-même, par le dialogue entre jeunes, avec un enseignant tuteur, un ou une ancienne élève, sans nier les difficultés de s’insérer dans la vie sociale pourrait lui permettre de voir sa scolarité d’un autre œil.

Peut-être aussi votre fille a-t-elle émis le souhait de « décrocher » car elle vit des difficultés scolaires ou bien d’autres formes, faisant que sa scolarité n’est pas la priorité ? Les parents ne sont alors pas, momentanément, les interlocuteurs privilégiés et s’il existe un point écoute, un centre de santé mentale permettant la rencontre de psychologues ou bien une conseillère économique et familiale, peut-être ne faut-il pas avoir peur d’échanger avec elle et se positionner ainsi ?

En tout état de cause, une telle interrogation nécessite un accompagnement minutieux, tant humain que « technique », considérant l’élève comme une personne à part entière et donc un citoyen de main. Le dialogue permanent, l’écoute attentive peuvent permettre de prévenir ces situations d’échec/rupture programmées.


Le 25 octobre : Devoirs de vacances

Souvent, durant les vacances, ma fille me dit qu’elle n’a pas de travail spécifique à faire. Je suis inquiète car j’ai peur qu’elle perde pied rapidement au retour au collège. Quels conseils pourriez-vous me donner ?

Il est vrai que vacances, au sens étymologique du terme, peut signifier suspension des activités habituelles, ou bien, dans le cas présent, temps de repos accordé aux personnes qui travaillent. Je crois, en effet, important de reconnaître que le temps scolaire doit être considéré comme un travail, au sens noble du terme. C’est, à la fois, la construction de la personne, l’acquisition de savoirs,  au sens large du terme, lors de séquences d’apprentissages. Ce sont des journées souvent bien remplies, longues, parfois mal équilibrées, nécessitant la reprise de nouvelles notions à la maison, la réalisation d’exercices, des révisions en vue de contrôles.

Bref, même si il est habituellement considéré que la période de l’adolescence est certainement celle où les capacités de découvertes mais aussi d’assimilation sont conséquentes, nous avons aussi, comme adultes, le recul nécessaire pour reconnaître que nos jeunes ont aussi besoin de prendre du temps, de prendre le temps. Si, alors, nous sommes d’accord pour considérer que ce qui est demandé à l’élève nécessite des efforts, certes plus ou moins intenses, mais continus, alors cette question des « vacances » devient aussi un maillon essentiel de la vie du collégien ou lycéen.

Combien de fois ne me suis-je interrogé sur cette propension des adultes, entre le repas de midi et la reprise des cours, à vouloir, à tout prix, organiser des activités afin que les jeunes puissent se retrouver autrement en dehors des cours, évitant l’oisiveté. Je me suis peu à peu rendu compte de la nécessité pour les jeunes, certes de se retrouver, mais aussi de prendre pour eux un peu de temps, de souffler, de disposer de manière autonome de ces une à deux heures afin retrouver un espace personnel. Comment ne pas y souscrire alors que nous, adultes travaillant au sein d’établissements scolaires, souhaitons disposer d’espaces où pouvoir faire cette pause dans la journée ?

Pour les vacances, il me semble que l’essence même de ce qui vaut pour cette coupure quotidienne peut s’appliquer ici. En effet, pour ces vacances de la Toussaint par exemple, il s’agit de construire avec votre fille, une forme de parcours, qui permette d’articuler des temps de révision, de partage en famille et d’autonomie laissé au libre choix du jeune, ce qui n’exclut aucunement une forme de coopération vous permettant de l’aider dans cette démarche.

Oui, réviser en faisant le point par matière, sur les acquis et les points qui méritent davantage d’attention, est indispensable afin de permettre de redémarre dans de bonnes conditions et de repartir sur une vraie trajectoire de confiance. Pour cela, un travail individuel mais aussi en petit groupe avec des camarades de classe peut permettre de faire le lien avec des activités qui permettront aux jeunes de sortir de schéma habituel. Ainsi, ce temps de révision naturellement suivi de sorties, d’activités partagées et ludiques, donne du sens à ces deux moments indissociables. Peut-être votre rôle sera de montrer à votre fille en quoi prendre le temps nécessaire de réviser, ne pas bâcler ce dernier, lui permettra de mieux vivre celui qui sera son espace, celui qu’elle aura construit pour elle.

Ce temps de vacances est aussi propice à « l’arrêt sur image ». Même si le temps de vacances de votre fille ne coïncide pas avec le vôtre, il est aussi une possibilité privilégiée de revivifier les liens avec votre fille. Peut-être est-ce le moment de multiplier les activités partagées qui peuvent aller aussi bien de courses que vous faites habituellement seule, à la visite d’un musée, en passant par la préparation d’un repas, la partage d’une séance de cinéma ?

Ainsi, vous pourrez ainsi faire découvrir à votre fille que le temps des vacances n’est pas celui de l’oisiveté, mais, peut-être aussi, un équilibre à trouver entre révisions, activités ludiques, temps partagé en famille. A ses yeux, vous serez aussi comme adulte, celui ou celle qui l’accompagnera en coopérant, et ne la délaissera pas faussement sous un prétexte fallacieux d’autonomie, mais ne fera pas de l’autoritarisme le seul moyen de vous construire comme adulte responsable.

Le programme de ces vacances est aussi ambitieux pour votre fille que pour vous ! Bonnes vacances…


Le 19 septembre : Mobiliser ses enfants sur les apprentissages

Comment être des parents motivants ou plutôt comment peut-on donner envie à nos enfants ? Envie d'apprendre, envie d'aller vers les autres, envie de donner le meilleur d'eux-mêmes ?

Cette interrogation  autour de la motivation est effectivement récurrente. Le début de l’année scolaire est un temps propice pour évoquer cette question, tant avec les jeunes, les familles qu’avec les équipes éducatives dans les établissements. La question de la motivation constitue le cœur de la rencontre avec le jeune et sa famille lorsque se pose celle du choix de s’investir dans une nouvelle formation. Souvent, c’est un concept considéré comme le sésame pour faire pencher la balance du bon côté et faire valider une inscription ! « Je suis motivé, mon fil ou ma fille se sent très motivé(e) pour entreprendre cette formation… » Quelques semaines après, les premiers bilans en équipes montrent souvent un écart important entre les espoirs et les engagements de départ et les premières semaines d’école.

Que se passe-t-il pour que ce « cap » soit aussi important, que la perception des différents acteurs soit à ce point différente qu’elle se traduise la plupart du temps par des murs d’incompréhension qu’il nous faut à un moment ou à un autre faire tomber ? Comment donner envie à nos enfants envie, tout simplement ? L’école est le lieu par excellence de l’apprentissage, des apprentissages. Cela nécessite des efforts, des remises en question, des changements de cap de la part de tous les acteurs qui sont en lien ici ! L’école est inscrite dans un projet collectif immergé dans un océan sociétal où le chacun pour soi est dominant, la compétition et la concurrence exacerbée les valeurs suprêmes, l’émulation reléguée au rang des reliques.

La motivation est le produit de la rencontre entre des parents pleinement impliqués dans la démarche éducative, des enseignants et éducateurs conscients que la pédagogie et la recherche ne sont pas des composantes « figées » mais des outils au service des apprentissages. Alors, dans un environnement ainsi constitué, l’essence même de ce qui constitue la motivation de l’élève, sa volonté de devenir acteur de son propre projet en lien avec les adultes, pourra constituer le début d’une réponse à cette question qui ne doit jamais être déconnectée du projet de société que nous construisons. C’est aussi le vivre ensemble et sa nature qui doivent constituer une nouvelle frontière pour les jeunes de nos établissements.

Parce que nous sommes co-acteurs et donc co-responsables de l’éducation des jeunes et de la substance de la société que nous voulons construire ensemble, nous ne pouvons pas renvoyer le manque de motivation en boomerang aux seuls jeunes qui sont le produit de ce que nous leur proposons comme projet collectif.


Le 13 septembre : Difficile arrivée dans un nouveau lycée

Ma fille vient d’entrer dans un nouveau lycée. Elle ne se sent pas à l’aise et souhaite retourner dans l’établissement dans lequel elle était l’année dernière…Son inquiétude et la notre comme parents est très forte. 

Voilà bien une question récurrente de chaque début d’année scolaire ! Laura a passé quatre années dans un collège et espérait bien pouvoir poursuivre sa scolarité dans l’établissement adossé au lycée d’enseignement général. Seulement l’option qu’elle souhaitait suivre n’était pas offerte dans ce lycée et elle a donc été affectée dans l’établissement voisin, distant de quelques kilomètres !

Perte de repères, nouveaux visages, fonctionnement et règles de vie différentes, bref Laura, à l’heure de la société de zapping est plutôt dans une démarche de stabilité. Est-ce excessif ? N’est-il pas sain à un moment ou un autre de sa scolarité de faire preuve d’un minimum de mobilité qui favorise une forme de mixité sociale et personnelle qui l’aidera à grandir ?

Certes, le lycée, son lycée a représenté pour Laura les années d’adolescence, celles où le corps se transforme et le rapport à l’adulte devient à la fois plus complexe, mais aussi un témoin de la capacité à se projeter dans l’avenir avec plus ou moins de facilité, à assumer sa propre personnalité et sa capacité à conquérir un début d’autonomie.

La relation avec ses parents, ses frères et sœurs plus jeunes, s’est construite dans une cadre et périmètre réduit où le confort de la scolarisation dans l’établissement distant de quelques dizaines de mètres de la maison était le principal atout de ce lieu. Au-delà de la pédagogie, de l’accompagnement éducatif, la proximité a joué le rôle de moteur de la scolarité de Laura.

Pourtant aujourd’hui, il s’agit d’une autre question me semble-t-il de fond. Doit-on renoncer à un projet auquel on croit pour poursuivre une scolarité dans un lieu qui n’offre pas le parcours souhaité ou l’option désirée ?

On peut effectivement s’interroger sur la saignée que subit l’éducation nationale en terme d’offre de formation, donc d’options et sa répartition sur le territoire et combattre avec vigueur les orientations actuelles qui conduisent avec les réformes – peut-on parler de réformes – de suppression de carte scolaire comme moteur de l’accroissement de l’inégalité des chances.

Pour autant, tenir ce discours clair n’exclut pas de dire à Laura et à ses parents que l’inquiétude ne doit pas conduire à renoncer à un projet et que la relation avec ses parents doit être apaisante, constructive et rassurante. Peut-être est-il nécessaire que Laura rencontre avec ses parents un responsable de l’établissement ou un enseignant afin que le dialogue permette de mettre en avant l’essentiel : la construction du projet personnel de l’élève. Les parents de Laura pourront être rassurés, et Laura, dans un contexte plus serein pourra identifier ce qui constitue le sel de son parcours scolaire : l’accompagnement éducatif et la découverte d’options qu’elle a choisies. Elle sera ainsi mieux à même de partager un projet commun avec ses camarades de classe, les enseignants et éducateurs de son nouvel établissement. Le retour dans son ancien établissement serait à moyen terme une forme d’échec pour tous.

L’apprentissage de la découverte, la recherche de nouveaux repères est un beau défi pour Laura, mais aussi quelque part pour ses parents. Si le zapping incessant est destructeur, l’absence de mobilité l’est aussi. Bonne chance à Laura dans son nouvel environnement éducatif !