Chroniques d'un chef d'établissement

"Quand éducation rime avec passion", par Bertrand Gaufryau

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2 juillet 2007

Première rencontre…

Qui est le plus fébrile en ce premier mercredi d’avril ? Julie, cette jeune fille de 15 ans, au parcours scolaire incertain, au cheminement familial compliqué ? Ses parents dont le regard reflète les mille inquiétudes que l’on peut avoir lorsqu’on a en charge l’éducation d’une enfant pour laquelle la vie n’a pas été tendre ? Ou bien moi qui vais avoir le privilège de rencontrer cette famille pour la première fois et dont je ne connais que peu de choses, ce premier rendez-vous de l’année scolaire qui s’ouvrira en septembre prochain ? En vérité, je ne le sais pas vraiment.

Nos regards se croisent et les premiers sourires échangés visent à détendre une atmosphère chargée d’un passé scolaire, familial et social lourd à porter. Chacun prend place autour de cette table ronde, installée dans ce bureau de direction qui reflète une « zénitude » attitude visant à dédramatiser ces rencontres. L’école, ce n’a pas été tout rose pour nous, m’expliquent les parents de Julie. D’ailleurs, si nous n’avons pas fait d’études, pourquoi lui en vouloir si ses résultats actuels ne peuvent l’amener que vers un CAP ! D’ailleurs, elle a plein de qualités, notre Julie ! Elle est douce, patiente, attentionnée avec les enfants. D’ailleurs, son stage de découverte a été formidable ! Elle a participé à une animation avec les enfants du CP de notre école de quartier. Tout le monde a été très satisfait d’elle…Et comme si je ne pouvais les croire sur parole, sa maman me dépose sous les yeux le bilan de stage et les appréciations.

Julie n’a pas encore dit un mot. Je saisis l’occasion de la lecture de ce bilan pour engager le dialogue et m’adressant à elle, je lui demande : qu’est-ce que l’école peut faire pour toi ? Et doucement, avec un peu de retenue, l’échange prend forme. Nous parlons des matières, de ses projets professionnels, de la vie de l’établissement, bref du quotidien de Julie et de son avenir ! Projets, scolarité et au détour d’une phrase, d’un mot lâché dans le cadre d’un début de relation de confiance, une blessure…Un frère, handicapé mental et des parents qui s’en occupent tellement qu’ils n’ont plus de temps pour elle ! C’est un fardeau, mais voilà ! Ici, on travaille un projet de classe en animation socio-culturelle avec le foyer de personnes handicapées ! Alors, je pourrai y participer ? Je pourrai expliquer ? Et mon petit frère, il pourra s’y impliquer ? Pourquoi pas, chiche, lui dis-je…Et voilà comment, accueillant, ouvert et porteur de sens, l’établissement et sa communauté éducative permettront à Julie de dépasser cette phase « compliquée », de peur, d’enfermement. En tous les cas, c’est un pari sur l’avenir, un pari éducatif. Et quoi de plus sain et enthousiasmant qu’un engagement de fond sur de l’humain, alors que notre société ne privilégie que les paillettes et l’immédiateté ? Voilà, nous nous quittons provisoirement. Julie sera présente le 4 septembre. Ses parents l’accompagneront. Peut-être son petit frère sera-t-il là…Quel privilège de rencontrer ces familles et jeunes ! Je me remémore aussi cette belle phrase : « nous sommes le produit de nos rencontres ». Aujourd’hui, c’est encore plus vrai que jamais.

Mais sur cette fin d’année, d’autres temps forts m’attendent : à commencer par la gestion des emplois et derrière elle celle de départs à la retraite, l’organisation de la rentrée mais aussi et surtout ce temps de bilan partagé qui va aider chaque membre de la communauté éducative à avancer…


9 juillet 2007

Passage de témoin….

Une année se termine avant qu’une autre ne recommence ! Rien que de très classique dans la vie d’un établissement scolaire. Des élèves nous quittent pour laisser la place à de nouveaux visages. L’image de notre nouvelle communauté se forme peu à peu ! Cela me fait penser au visage du nouveau Président de la République qui se dessine au soir des élections. Mais le nouveau visage de cette communauté éducative, c’est aussi la mosaïque formée par les adultes qui composeront l’équipe éducative à la rentrée. Et cette année, deux départs en retraite, comme on le dit simplement, compensés par l’arrivée de deux nouveaux enseignants. Quel meilleur moment que notre rencontre de fin d’année pour permettre une transition en douceur, un passage de témoin ! Je trouve cette image tellement parlante, que ce sont les premiers qui me viennent à l’esprit au moment d’accueillir ces deux « nouveaux professionnels de l’éducation ». Mireille et Isabelle ont tant donné depuis de longues années. Au moment de leur souhaiter le meilleur pour ce moment de vie nouvelle qui va s’ouvrir pour elle, je n’ai voulu retracer leur carrière avec les passages obligés : arrivée dans l’établissement, ah ! ces moments de lassitude, de découragement ou d’enthousiasme ; d’échanges parfois vifs mais toujours respectueux entre collègues ou bien de sourires, rires de bon cœur, fort heureusement.   

Ma préférence est allée vers des mots simples derrière lesquels chacun peut comprendre que la mission d’enseigner devenue passion d’éduquer a transcendé leur chemin sur lequel Mireille et Isabelle ont rencontré tant de jeunes. L’une, Isabelle a enseigné les matières scientifiques – tiens, doubles, triples compétences…mais c’est le propre de l’enseignement agricole – l’autre, Mireille, l’éducation socio-culturelle, cette bouffée d’oxygène de nos formations professionnelles ! Combien de fois n’ai-je entendu qu’ « en maths, je ne suis pas bon, et même nul…De toutes les façons, çà ne changera jamais ! » Mais combien de fois aussi, à la fin du cycle de baccalauréat professionnel, des élèves sont venus me rencontrer avant leur départ pour me dire : « finalement, j’ai bien progressé en maths, vous avez vu ? » avec une lueur dans le regard et une forme de rébellion contenue au meilleur sens du terme. Quel bonheur de partager cela avec une enseignante dont l’investissement pédagogique n’a pas été vain.

« Et l’éducation socio-culturelle, c’est quoi cette matière ? » Lorsqu’on a réalisé son projet d’utilité sociale, effectué une animation dans une école, une maison de retraite, le tout en travaillant en petit groupe ou avec toute la classe, on ne regrette pas un instant de s’être investi comme élève dans cette voie ! Oxygène, disais-je ? Oxygène permettant à chaque jeune de développer des capacités artistiques, de faire marcher son imagination sans limitation…Ce fut aussi pour Mireille la chance de découvrir des potentialités immenses, des trésors enfouis chez des jeunes « en échec scolaire » ! Ce fut l’occasion parfois de faire basculer l’issu, lors d’un conseil de classe, le sort d’un jeune, parce que son comportement responsable nous autorisait tous les espoirs !

Qu’ont du se dire Serge, qui va prendre le relais d’Isabelle et Françoise, le témoin des mains de Mireille ? La tâche est immense, la responsabilité écrasante, mais l’horizon est largement dégagé ! Parce-que ce qui scelle les relations professionnelles et amicales des membres de notre communauté éducative est solide ! Alors, notre combat pour l’éducation ne sera pas vain, même si dix fois, cent fois nous devons remettre le métier sur l’ouvrage. Et aussi parce que de nouveaux venus dans l’équipe éducative prendront la suite de ces anciens pour le meilleur ! Parce que l’éducation est ce qui nous reste d’ambition collective lorsque la société de l’immédiateté et du chacun pour soi tente de prendre le dessus…

Merci Isabelle et Mireille et bienvenue à Françoise et Serge….Rien n’est plus enthousiasmant qu’un passage de témoin réussi…Je n’ai aucun doute à ce sujet. Et comment ne pas être fier de ce travail d’éducation qu’au-delà des limites du lycée, nous sommes encore nombreux à partager ? En fermant la porte de mon bureau, ce vendredi soir, j’étais un chef d’établissement  apaisé, serein et confiant…pour ces générations de jeunes que j’espère accompagner sur les chemins de la vie.


15 juillet 2007

Interne ? La chance de Benoît !

Durant les temps éducatifs où nous accompagnons les jeunes, collégiens ou lycées, nous sommes tous plus ou moins performants. En tous les cas, nos établissements, en fonction de leur histoire, du type de formations proposées ou bien du rattachement à un Ministère de Tutelle différent, vivent des traditions spécifiques. L’accueil et qui plus l’internat çà ne s’improvise pas ! Non seulement, ce n’est pas une fonction annexe, mais c’est un point central du projet d’établissement. C’est tout sauf une excroissance liée à une évolution subite des besoins de la société. Alors, ce matin, c’est le 80 ième interne que je vais accueillir, accompagné de sa famille. Notre capacité d’accueil n’est pas extensible, et c’est un choix. Au-delà, « nous ne saurions pas faire » comme nous l’exprimons entre nous, lors de réunions pédagogiques. Et, recevoir UN élève interne, le septième seulement, dans un établissement accueillant 95% de filles, ce n’est ni banal, ni simple. C’est un défi et c’est ainsi que je me prépare à recevoir Benoît et ses parents, ses deux petits frères et sœur. Benoît a 15 ans et souhaite – c’est un bien grand mot - entrer en 3ème de l’enseignement agricole, chez nous ! « Voilà, nous habitons à 5 kilomètres du lycée. Cela peut vous surprendre, mais nous souhaiterions que Benoît soit interne ». Je sens de la gêne dans le regard, une expression maladroite. Une certaine honte dans cette façon de se tenir autour de la table ronde autour de laquelle nous sommes installés. Alors que les enfants jouent avec le jardin zen et le petit râteau, je prends le parti de faire prendre un tour positif à notre dialogue.

Parce que c’est essentiel pour Benoît. C’est vital pour ses parents. L’internat, ce n’est pas un échec, ni une punition, leur dis-je en leur adressant un sourire que je souhaite sincèrement bienveillant. « C’est une chance pour toi, Benoît. D’après ce que je comprends, tu ne disposes pas de la place suffisante pour faire tes devoirs à la maison et papa et maman, à la fin de la journée ont aussi beaucoup à faire avec tes frères et sœurs, tu ne crois pas ? » Et là, c’est presque gagné ! Le papa entre dans le jeu en prenant la parole : « vous savez, dit-il, je n’ai jamais eu la chance de faire de longues études, la mère de Benoît non plus. Alors vous savez, les maths, le français, on ne sait comment l’aider. Mais on a envie de lui donner toutes les chances pour qu’il réussisse ! » Et je commence à détailler : aide aux devoir, apprentissage de l’autonomie, mais aussi apprentissage de la vie collective et organisation d’animations, soirées sportives, participation active à la vie citoyenne du lycée…C’est un programme séduisant. Benoît m’a l’air attentif et je sens une pointe d’envie naître dans les échanges que nous avons maintenant. Parce que l’internat, vue ainsi, ce n’est plus une « punition ». Les réponses que j’apporte à ses questions apaisent ses inquiétudes. Ses parents, soulagés ponctuent mes phrases par un répétitif « tu vois, on te l’avais bien dit ! ». C’est une bouffée d’émotion qui m’envahit, même si ce n’est pas la première fois que je participe à ce type de dialogue. En m’adressant maintenant aux parents de notre futur élève, je tente maintenant de leur faire comprendre qu’en étant interne, il ne s’agit certainement pas de les déposséder de leur rôle éducatif, mais de les aider à mieux assumer cette noble tâche : rencontres parents-professeurs, surveillance des devoirs en fin de semaine. Et puis l’essentiel pour moi : regarder les copies, les notes, les appréciations sur le carnet de liaison ! Non, il ne s’agit pas de nous substituer à la famille, mais de l’accompagner le mieux possible dans cette aventure formidable de l’éducation. En regardant les frères et sœur de Benoît, je me prends à rêver….Dans quelques années, peut-être seront-ils élèves ici…et pourquoi pas demi-pensionnaires ? Ce serait une belle victoire de la vie pour Benoît, ses parents, et un pari sur l’avenir…

En se quittant, une belle poignée de main, des sourires partagés qui valent une récompense sur les succès à venir. Je n’ai aucun doute. A ce moment-ci de la journée, j’ai une certitude : nous exerçons un des plus beaux métiers du monde ! Puisse cet instant magique se renouveler à loisir…


22 juillet 2007

"Bonjour, Monsieur. C’est Maeva ! Je l’ai ?"

Il est 17h00 ce vendredi après-midi et je dispose de la précieuse information, cette « bombe atomique » pour les uns et de fabuleux sésame pour les autres. Je veux parler des résultats aux examens. La solitude du Chef d’Etablissement, parfois lourde à porter, peut constituer à d’autres moments un temps de jubilation qu’il est quelquefois agréable à ne partager qu’avec…soi ! Et pourtant, ces instants, car il ne s’agit que d’instants privilégiés sont vite interrompus par la sonnerie du téléphone. Seul maître à bord, je ne laisse pas fonctionner ce répondeur qui parfois peut constituer un rempart, un complice des jours où le besoin d’isolement devient nécessaire, face à la frénésie d’une journée ordinaire.

Deux sonneries et je décroche. Allo ! Bonjour, Monsieur, c’est Maëva ! Vous avez les résultats du CAP ? Je l’ai ? Pas un seul blanc entre les mots, les interrogations de cette élève ! Et en quelques secondes, je rassemble mes souvenirs, des souvenirs partagés. Les bons et moins bons moments, même si les seconds sont très vite occultés par les premiers : les colles, avertissements, entretiens personnalisés, les clins d’œil et les sourires, les bonnes notes et les appréciations portées sur les bulletins, le carnet scolaire ; le rapport pour l’oral, préparé avec les enseignantes jusqu’au dernier moment. Parce que nos élèves, de CAP ont aussi droit à l’excellence que nous leur devons. Je suis particulièrement fier de constater que 100% des élèves de la promotion ont été reçus au CAP ! Une chance, un premier diplôme, qui plus est professionnel, mais aussi un tremplin pour les heureuses élues qui poursuivront en Baccalauréat Professionnel…Quelques secondes, et c’est moi qui finalement laisse s’installer un blanc dans notre échange téléphonique…Je prends conscience et mesure l’importance des mots que je vais prononcer et qui sans changer la face du monde, vont certainement ouvrir des perspectives à Maéva et à bien d’autres encore. « Je dispose des résultats de ton CAP. Félicitations, tu es reçue. Et avec mention ! »…L’émotion est palpable de chaque côté…Je ne m’y ferai donc jamais ! Entendre ou comprendre le bonheur d’une élève, prendre conscience qu’on peut réussir sa vie même lorsque l’on passe par des chemins détournée, c’est formidable. J’ai une pensée pour les enseignants qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes, pour les familles, la famille de Maëva qui a été présente à toutes les rencontres organisées, et Dieu sait si cela n’a pas été facile pour eux, leur passage à l’école ayant été plus une charge qu’une chance ! Ce rapport à l’école, cette difficulté à franchir le portail, entrer en contact avec les enseignants, ces « puits de science », et que dire du bureau du Chef d’Etablissement…Voilà ! Le pas a été franchi. Derrière Maëva, j’entends sa maman qui parle, qui comprenant la réussite de sa fille doit avoir un sourire magnifique. Elle prend le combiné et me l’assure : « merci ! on passera vous voir avec mon mari. »

Quelle belle récompense, me dis-je en raccrochant le téléphone. Et les coups de fils vont s’enchaîner. Les nouvelles se répandent à une vitesse folle. Mais comme tout le monde a réussi « son examen de passage », je suis d’une sérénité totale ! Tous les mots que j’ai à prononcer ne sont que « bravo, félicitations, à l’année prochaine en classe supérieure » ! Cette année exceptionnelle en cachera d’autres, moins euphoriques. Alors, il faudra aussi trouver les mots, d’autres mots pour soigner les maux d’un échec…Et convaincre à nouveau les jeunes et leurs parents, que l’école sera le début de la construction de leur avenir…Une beau chantier en perspective pour tous !


29 juillet 2007

Bilan, vous avez dit bilan ?….

Voilà ! Nous y sommes. L’année scolaire touche à sa fin. Les surveillances, corrections, participations aux jurys ne constituent qu’un souvenir…Les résultats aux examens sont là et le temps du bilan est venu. Bilan ? Oui, ce temps où l’on met en balance ce qui nous semble satisfaisant et ce qui nécessite réflexion et améliorations afin que l’année à venir soit un peu meilleure, peut-être plus sereine et en tous les cas de qualité pour les élèves que nous allons accueillir.

Le rite de cette journée est bien huilé : temps de mise à plat par classe, cycle, par secteur d’activité. Rien ne doit être laissé au hasard. Cela peut aller des questions de discipline - trop ou pas assez – coller les élèves a –t-il un sens ? Comment faire pour impliquer davantage les familles dans le suivi de leurs enfants, les associer à leur parcours ? Comment se fait le lien entre la vie scolaire et l’équipe enseignante ? Comment la pluri-disciplinarité qui constitue l’une des richesses de l’enseignement agricole a-t-elle été menée ? Des questions cruciales et d’autres en apparences plus anodines,  comme le positionnement de la classe de Baccalauréat Professionnel : quelle salle et bâtiment choisir ? Et le mobilier neuf, ira-il équiper les classes de 4ème et 3ème ou bien celles de CAP ? Tout à un sens. Le travail d’équipe consiste à tout mettre sur la table afin de construire au mieux l’année qui vient. Que faire des téléphones portables, auxquels sont collés nos jeunes ? Interdits en cours, bien évidemment, ils sont utilisés parfois, de manière subreptice, pour communiquer avec les amis, parents, les élèves de la classe…Une vraie question de société…Nous n’avons jamais disposé d’autant d’outils pour communiquer, mais jamais les jeunes n’ont aussi peu communiqué ! Chacun vit ou a tendance à vivre dans sa bulle ! Et la semaine d’intégration ? Cette année, enthousiasme général : finalement, de fil en aiguille, toutes les classes seront concernées : surf, acro-branche, visite de grottes au Pays Basque, nuits dans une base de loisirs. C’est royal ! Mais je suis certainement aussi heureux que ces enseignants qui expriment, par leurs désirs de projets une exigence sans cesse renouvelée. 

Cette réunion de bilan est aussi un temps d’échanges et d’informations, de bonnes nouvelles. Oui, le nombre des élèves sera conséquent ! Oui, nous disposerons à la rentrée, de moyens supplémentaires affectés dans le suivi de stages, les dédoublements qui ne pouvaient être pleinement assurés à ce jour. La seule inconnue pour l’équipe, qui est encore le « privilège » du chef d’établissement à cette heure, c’est la connaissance bien que partielle mais bien réelle toutefois des futurs élèves, de leurs familles ! La rencontre est encore au cœur de nos métiers. C’est notre chance, individuellement et collectivement. Nous sommes encore dans les métiers où au-delà de la transmission des connaissances, nous avons chacun à notre place, le plaisir et le bonheur de vivre quelque chose qui ne s’exprime pas, comme la rencontre avec les éléments, cette forme mystique de notre vie.

Chacun ferme ses cahiers, et laisse derrière lui, ces petits coups de canifs, ces micro-blessures entre collègues, avec certains jeunes, pour profiter de la convivialité d’un temps de repas où je vais annoncer les résultats aux examens ! Très bons cette année : une récompense pleinement méritée pour les jeunes et ceux qui les ont accompagnés ! « Si les élèves nous voyaient heureux comme celà», se laisse à dire une enseignante…Oui, ils seraient peut-être surpris de voir autant d’allégresse dans nos comportements…C’est ce qui fait aussi la force de notre communauté éducative et sa richesse. Merci à tous et bonne route !


5 août 2007

C’est la course !

Comme j’ai l’habitude de le dire aux familles qui me demandent jusqu’à quand l’établissement sera ouvert, j’ai coutume de répondre que tant qu’ils verront une lumière briller, cela signifiera que je serai présent ! La fin d’année est toujours une course contre la montre : les derniers ajustements, dossiers incomplets, inscriptions de dernière minute, les premières angoisses des futurs nouveaux élèves, des mamans qui vont voir leur jeune fille ou garçon quitter le cocon familial pour rejoindre l’internat, que sais-je encore… C’est effectivement une lutte contre le temps pour tous !

Le calme relatif, né de l’absence des élèves, des personnels partis en congés, excepté le personnel de secrétariat de direction, constitue un temps où les incertitudes le disputent au souhait de faire la coupure, un « break » au cœur de l’été. Les circulaires, notes d’information et divers documents administratifs continuent d’affluer sur le bureau. Les lectures ardues mais pourtant essentielles de ces documents, mangent une partie importante de ce temps si précieux qui me permettrait de ralentir le rythme. Et voici qu’une enquête, encore un nous arrive ! Les technologies de l’information et de la communication, ces fameuses TIC, portent bien leur nom ! Notre travail de chef d’établissement, en cette pré période estivale, n’est qu’une caricature de la fonction si belle qui devrait être la notre de « premier éducateur » de la communauté éducative ! On en est si loin et on s’en éloigne de plus en plus. C’est un regret prospectif…

Mais revenons à l’essentiel. Ces coups de téléphones multiples et variés, de jeunes s’interrogeant sur la liste des fournitures, la couleur de la blouse, marquée ou non à son nom, les familles qui viennent rapporter les déclarations fiscales, s’interrogeant sur les parts de bourses… me donnent l’impression de vivre une accélération du temps ! Gérer le quotidien, répondre du tac au tac aux interlocuteurs aussi divers que variés ! Et puis la période des vacances est propice à celle des travaux, petits et pourtant nécessaires : courir après les artisans, courir, toujours courir encore après le temps…C’est aussi le moment de l’ouverture – tiens, c’est un concept à la mode, une pratique - sur l’extérieur. Nos établissements ne doivent pas être des forteresses…Le BAFA, l’accueil de groupes, d’associations comme « les enfants de la lune »…C’est aussi une autre façon de courir et de découvrir d’autres visages, activités, et d’être porteur de sens pour des personnes pour qui l’établissement scolaire n’est plus le quotidien !

La course, car c’est aussi le temps d’accueillir pour une assemblée générale une association avec qui nous avons noué un partenariat, en mettant à disposition matériels et locaux hors temps scolaire et qui anime le milieu rural… Oui, tout cela est consommateur de temps, me conduit à accélérer avant la ligne d’arrivée…La ligne d’arrivée, ce sera le moment où je fermerai le volet roulant de mon bureau, jetterai un dernier regard sur cette pièce qui transpire de mots et regards échangés, où je ferai aussi de manière jubilatoire tourner la clé dans la serrure après avoir éteint la lumière du couloir.

Voilà, le rituel de fin d’année scolaire sera accompli…Si le temps le permet, je roulerai vitres ouvertes, avec dans les oreilles, la voix de Madeleine Peyroux, et ces airs de jazz qui me feront savourer les quelques kilomètres me séparant de la maison. Le jazz, cette musique « rebelle », née dans l’Amérique profonde, empreinte de sens, d’humanité ! C’est décidé, je placerai ce temps de repos sous le signe du voyage « intérieur » ! C’est ma façon de ralentir le temps qui passe… A très bientôt, donc…


12 août 2007

Il ne se passe rien…..

Entre le 14 juillet, date de notre fête nationale et le 15 août, journée de la fête nationale des Acadiens, on a coutume de dire qu’il ne se passe rien ! Depuis que j’ai franchi la grille du lycée, et qu’aucune lumière n’est allumée dans aucun des bâtiments, la vie tourne au ralenti…Le courrier arrive quotidiennement, les questions doivent s’accumuler…Mais peu importe, peu m’importe aujourd’hui ! La césure, la coupure que je m’impose volontiers durant cette période estivale n’est motivée que par un deux impératifs : donner du temps à ceux que j’aime et qui partagent la vie quelque peu « chaotique » d’un chef d’établissement, et privilégier « la page blanche ». Cette dernière n’est autre qu’un retour à un équilibre sain permettant une reprise dans les meilleures conditions possibles pour ceux qui attendent du chef d’établissement qu’il ait du temps pour chacun, toujours disponible, attentif, compréhensif…

Certes, il ne se passe rien, en tous les cas rien que de très normal pour la personne que je suis. Parfois, des flashes, des images me reviennent en tête! Seulement les bons moments, parce que le tri volontaire, sélectif est constitue la meilleure hygiène possible. Parce que chacun a ses passions, ses besoins, ses envies. Passions de jouer le rôle de père et de mari, alors que tout au long de l’année, j’ai le sentiment de donner beaucoup aux autres, sans penser à moi, aux miens ! Je n’ai que rarement l’occasion de faire la rentrée pour mes propres enfants, ou d’assister à une rencontre parents-professeurs, m’investir dans une association de parents. Alors, j’ai envie que durant cette période de vacances, il ne se passe rien entre l’établissement et moi, que cette relation parfois fusionnelle soit mise entre parenthèses.

J’ai décidé de partager ces sentiments aussi avec celles et ceux qui prendront le temps de lire ces quelques lignes. Ne plus vivre « cette fonction » à cent à l’heure durant quelques semaines, faire le « Ramadan, le Carême du chef d’établissement » sera ma priorité. Quelque soient nos métiers, nos fonctions, ce temps de ressourcement pour soi et afin de pouvoir donner demain le meilleur aux autres  a du sens…Alors que notre société, devenue celle du zapping, de l’immédiateté nous avale, nous prend et nous rejette comme une vague lorsque l’océan est déchaîné, prendre le temps, alors qu’il ne se passe « rien » constitue une victoire de la personne sur un modèle de vie qui nous broie à notre insu.

Lire des histoires à mes enfants au moment de la sieste, jouer au scrabble, faire une balade en vélo, ne plus subir mais choisir. Ne plus subir le déferlement des images télévisuelles, mais choisir d’aller acheter le journal, de corner avec un plaisir évident les pages d’un livre emporté dans un sac, partager l’écoute d’un morceau de musique, comprendre que l’éloge du hamac n’est pas le plus vain des plaisir…La liste pourrait être infinie ! Pour la centième fois, je lirai un bijou de Tolstoï, « Lucerne ». Nous partirons à vélo nous promener le long de l’estuaire de la Gironde, en laissant l’air iodé envahir nos poumons, apprécier un moment passé dans un carrelet…A chacun sa tentation. Certains ont celle de Venise, d’autres, l’immensité des plaines d’Australie…J’ai seulement celle de mes racines, une bouffée d’oxygène durant cette période où sur le lycée…il ne se passe rien, pour l’instant !

J’ai choisi de ne partir sans téléphone portable, sans attache durant ces quelques jours. Internet ? Dans un coin ! Aux abonnés absents…Voilà, ce sera mon adresse jusqu’à ce moment où les acadiens fêteront Marie, ce 15 août prochain. Ils furent de vrais explorateurs, ceux du siècle dernier. Un ami m’a dit que les éducateurs d’aujourd’hui étaient les explorateurs du siècle passé. C’est une belle image…Et si je crois fermement à ce combat pour l’éducation que nous sommes des centaines de milliers à mener, alors nous n’aurons pas assez de toutes nos forces pour faire face aux défis de demain ! Avant que ne se lèvent de nouvelles exigences, et tant qu’il ne se passe rien, commençons par vivre pleinement dans nos familles, villages, notre belle fête nationale pour construire notre temps de vacances !


19 août 2007

La reprise…..

Formidable nouvelle ce matin ! Il est 9h00 lorsque je franchis en sens inverse du 13 juillet dernier, la grille du lycée…Rien ne semble avoir bougé. Un silence assourdissant enveloppe l’établissement. L’été qui n’a pas été brûlant, loin s’en faut, a permis à l’herbe, aux massifs de roses, pieds de lavande d’offrir un visage avenant, tout de même.

Je gare ma voiture à la même place, prends sous le bras mon cartable ! Je n’ai rien oublié des gestes quotidiens ! J’introduis la clé dans la serrure de mon bureau, allume la lumière et ouvre le volet roulant…Là encore, rien ne semble avoir bougé…Peut-être la poussière s’est-elle un peu accumulée. Je jette ma serviette au sol et m’assoie dans ce fauteuil tournant, en règle la hauteur et mets face à moi la panoplie de stylos qui constituent mes outils de travail.

Une première inquiétude : l’ouverture de centaines de messages que livre ma boite de réception internet. Que de publicités inutiles ! Quelques messages sympathiques aussi et d’autres qui n’augurent rien de bon, si ce n’est du travail administratif supplémentaires : enquêtes, effectifs, bordereau de rentée ! Bref, on dirait que l’administration ne prend jamais le soin de faire de pause !

Seconde inquiétude, le répondeur téléphonique : là, une famille m’indiquant qu’elle n’a pas reçu le courrier de rentrée – que j’avais pris soin de poster moi-même – plus loin, un artisan m’indiquant qu’il avait trouvé deux autres fuites et qu’il avait réglé le problème à l’internat, enfin un enseignant qui se propose de venir mettre de l’ordre dans les classes avant que n’arrive le nouveau matériel ! Au total, 49 messages, la boite ne pouvant en stocker davantage…Et comme la lumière est allumée, le téléphone commence à sonner à nouveau ! Le rythme est pris. Peu de temps pour soi.

Dernière inquiétude : le courrier qui s’est accumulé, posé sur le bureau du secrétariat ! Le coupe papier va entrer en fonction. Le geste est précis, l’ouverture rapide. Le temps file à une vitesse dont j’avais oublié qu’elle pouvait être une vraie contrainte…

Je prends encore le temps de me préparer un café. Plutôt un déca, car à multiplier ce breuvage, la nuit suivante pourrait s’avérer plus courte que prévue. Le bruit d’une voiture se rangeant sur le parking parvient à mes oreilles. La porte du couloir claque. Je sors de mon bureau et c’est une famille qui vient à nouveau repérer les lieux pour la rentrée de son fils. Je les invite à s’asseoir autour de la table et leur propose de partager le café que je viens plus ou moins bien de préparer. Ce geste détend aussitôt l’atmosphère ! Les questions d’Antoine, ce nouvel élève, se multiplient. C’est un formidable moment que je vis. Je suis pleinement réceptif et je me dis que finalement, la coupure que j’ai faite n’a pas été inutile ! Et pleinement convaincu que j’aime ce métier et qu’il est ce que l’on en fait ! Oui, le chef d’établissement est le « premier éducateur » de la communauté éducative.

La reprise ! Je me remémore ce temps, où élève, je faisais les achats avec ma mère, des cahiers, stylos, diverses fournitures, en rayant sur la liste, ce que je venais d’acheter et de glisser dans le chariot. La reprise, c’est aussi la préparation de la pré-rentrée, le temps d’accueil des personnels, qui va donner le tempo de l’année scolaire, son climat. J’y suis très sensible en me posant, à chaque reprise la question suivante : que souhaiterai-je entendre, vivre, lors de cette rencontre de pré-rentrée ?  Ne pas enjoliver la réalité, mais la présenter sous son meilleur angle. Oui, nous sommes le produit de nos rencontres ! Cette année, nous allons en faire de nouvelles. Elles vont nous enrichir, nous aider à progresser dans nos métiers administratifs, de vie scolaire, d’enseignants, de personnels de service. Ce sera l’axe des premiers mots de rentrée que je vais prononcer autour d’une idée phare, l’articulation des projets de classe, de cycle, de coopération internationale. Au total, je souhaite que cette rentrée scolaire soit placée sous le signe des projets ! J’écris, raye, corrige le brouillon de mon intervention. Je la souhaite concise et pleine de sens. J’essaie dès ce premier jour de reprise d’habiter à nouveau ma fonction, avec mes limites, mes doutes, mais la ferme certitude que l’éducation doit être au cœur de nos échanges. Tout le reste n’est qu’écume ! Vivement le 3 septembre prochain…


28 août 2007

A chacun sa cabane….

Chaque chose à sa place…Rien dans mon bureau, dans ce bureau n’a changé ! J’y retrouve presque tous les petits rien qui chaque jour me font rêver, m’apportent du réconfort, me rassurent ou parfois m’aident à m’interroger. Visitons ensemble ce que certains nomment banga, bories, orry, cabane, refuge de montage ou carrelet. Rien n’est hasard, mais tout n’est pas que calcul ! Un bureau derrière lequel je demeure, si je souhaite garder une certaine distance, ou je l’avoue lorsque je souhaite scruter l’horizon et observer au loin la chaîne des Pyrénées…Un bureau afin que ce soit la fonction qui soit perçue au bon moment. C’est le Chef d’Etablissement, qui à certains moments, doit imposer, dire la norme, de manière simple mais sans concession.

Mais ce bureau sur lequel deux objets personnels m’aident à rendre moins froid cette forme rectangulaire aux coins « tranchants ». On y retrouve dans un coffret bricolé à la main en plastique transparent, contenant un ensemble de pièces venant de pays d’Afrique Francophone, Anglophone et d’Amérique Latine ! Cet objet, symbole de l’ouverture aux cultures, à la diversité m’invite à ne jamais (ou le moins possible) regarder la personne en face de moi comme un étranger. Il m’invite à faire du métissage une des valeurs fondamentales de l’accueil de tous, des différences pour faire de l’école une richesse !

Une reproduction du mur de Berlin avec un peu de ce béton qui séparait, divisait, emprisonnait au nom d’idéologies méprisant les libertés ! Rostropovitch jouant devant ce mur qui s’effondrait, un soir de 1989 et c’est l’Homme qui gagne sur le système. Combien de frontières artificielles avons-nous construites, qu’elles soient visibles, physiques ou simplement culturelles ! Combien de murs de Berlin nous reste-t-il à faire tomber ! Combien de fractures nous reste-t-il à réduire ? Alors ce mur de Berlin me rappelle sans cesse que notre métier d’éducateur est un des plus beau métiers du monde et qu’il nous interpelle par rapport à une exigence fondamentale : abattre les murs, faire tomber les frontières de l’ignorance, de l’illettrisme, cette violence faite aux plus faibles. Et sans cesse, remettons nous au travail ! Aujourd’hui, nouvelle fracture, nouveau mur de Berlin : le numérique ! Dans nos écoles, il nous reste tant de murs à faire tomber : entre élèves, entre adultes ! Tous ces édifices artificiels qui fondent l’ignorance doivent faire de chacun un ouvrier de l’éducation !

Parmi quelques tableaux ornant les murs, trois ont une place toute particulière dans ce quotidien qui m’absorbe…Ils me ramènent tous à l’essentiel, chaque jeune à qui je dois le meilleur.

Une belle image du Chat de Geluck ! Le chat, allongé dans l’herbe, regarde un ciel étoilé et dit : « Les hôtels de riches  ont maximum 5 étoiles», « celui des pauvres en a infiniment plus… » ! Un peu d’humour mais aussi un rappel : chacun doit être accueilli à l’école pour ce qu’il est en tant que personne et avec dignité…

Une composition florale d’un peintre dont le pseudonyme, Montcalys, intrigue beaucoup ! Très coloré et contemporain…Il est ma bouffée d’oxygène, le sentiment qu’une couleur, c’est un ton, et deux couleurs c’est la vie ! D’où que l’on vienne, quelque soit son parcours, chacune et chacun dispose de talents insoupçonnés…Et puis, derrière ce tableau, tellement de mystère lié au pseudonyme, qu’il restera toujours quelque chose à découvrir dans cette pièce du lycée…

Enfin, un dernier clin d’œil : une feuille de papier sous cadre, avec divers dessins et quelques notes rappelant qu’il s’agit….d’un compte-rendu de réunion « capitale » mais dont ma voisine a retracé la substantifique moelle…C’est aussi une idée partagée que la « réunionite », pratique typiquement française a de beaux jours devant elle ! Et lorsque je remplis mon agenda de réunions, cela m’aide à « oublier » celles qui me paraissent « capitales » !

La visite de ce bureau, dont les murs sont les réceptacles de tant et tant de mots, maux et joies serait incomplète sir je ne vous avais pas entretenu de deux éléments qui me paraissent essentiels ! Le premier concerne un lieu d’échange que j’ai souhaité convivial ! Le bureau du Chef d’Etablissement n’est pas celui que l’on fréquente lorsque les éléments sont contraires ! Voilà une table ronde s’il en est avec quatre chaises confortables. Lieu d’échanges, de convivialité, de rondeur, lieu de liens, de réconfort et de sourires ! C’est bien autour de cette table que nous avons pris le café avec Antoine et ses parents. C’est ici que la parole est plus libre qu’ailleurs. D’ailleurs, si les murs pouvaient parler, ils diraient haut et fort que c’est bien là, autour de cette table, que l’éducation est toujours gagnante ! Que le fil aussi ténu soit-il est renforcé après parfois une bonne prise de bec ! Que les situations douloureuses, complexes, trouvent parfois un début de solution, d’apaisement. Je ne parlerai pas du jardin zen qui agrémente cette table avec son petit râteau…C’est tellement amusant de voir comment chacun se positionne trace des traits (surtout les frères et sœurs qui participent à l’inscription de leur grand frère ou sœur et s’ennuient parfois à mourir…), s’essaie à des dessins dont la valeur artistique reste à démontrer !     

Ce bureau, c’est mon banga, ma cabane, mon carrelet. Oui, mon carrelet. C’est culturel, c’est physique, c’est viscéral. D’ailleurs, j’en ai un, posé en haut de l’armoire qui jouxte le bureau. C’est un lieu inouï : cela me ramène à la Garonne, la solitude, l’ouverture sur l’estuaire avec au bout ce « Nouveau Monde » qui a tant fait rêver…C’est une pêche artisanale, c’est la rencontre avec les éléments et en vérité, la cabane que je me suis construite au fil du temps. Celle que personne d’autre que moi n’a jamais visité ; cette cabane qui est à la fois mon intériorité et ce lendemain qui ne m’appartient pas. Cette cabane que j’investis lorsque je désire prendre le temps de souffler lorsque j’ai pris une décision qui m’engage pour un jeune ou un adulte et qui n’est pas anodine ; cette cabane que j’habite et qui m’habite ! Vous comprendrez bien que si la porte de mon bureau demeure toujours ouverte, ce n’est pas un hasard…et si je désire trouver le moyen de m’isoler malgré tout, je ferme la porte de mon…carrelet !

1er septembre 2007

Vive la pédagogie…

La nostalgie est un sentiment qui m’habite lorsque la rentrée pointe son nez ! La nostalgie, la poussée d’adrénaline à la veille d’entrer dans une classe ; le plaisir de sauter dans l’inconnue, de découvrir de nouveaux visages…Car avant d’être chef d’établissement, la pédagogie a toujours été au coeur de ce qui m’a fait avancer en entrant dans ce monde magique et complexe de l’éducation. Cette année, je n’entrerai pas comme enseignant dans une classe ! Cette année, je n’aurai pas le bonheur de prendre le cahier d’appel, de remplir le cahier de texte, de contractualiser avec le groupe classe des objectifs ! Parce que la pédagogie est notre boite à outils lorsque l’on se retrouve avec les jeunes et non pas seulement face aux élèves…Et lorsque un nouvel enseignant entre dans l’équipe éducative, sollicite un conseil, ce sont deux souvenirs que je lui livre…

Oui, la pédagogie constitue le fil conducteur, le lien avec les collègues et les jeunes qui permet de concocter un « vivre ensemble » de qualité. Enseignant, j’ai toujours pensé que je devais le meilleur aux jeunes qui m’étaient confiés. J’ai toujours considéré que le seul trésor à ma disposition était la pédagogie, avec les incertitudes, les richesses, les découvertes et les fondamentaux acquis avec le temps, l’expérience.

Qu’est-ce qu’un enseignant « de passage », devenu éducateur à travers la fonction de chef d’établissement peut apporter à ce nouveau professeur qui a besoin d’être rassuré, soutenu, accompagné ?

Ce lundi matin, assis dans le bureau avec ce collègue autour de la table ronde, j’ai pris le parti de lui faire partager deux expériences vécues, très différentes, mais tellement enrichissantes, qu’elles m’ont toujours aidé à surmonter des situations parfois déstabilisantes.

Chargé de cours dans une université canadienne, je me suis retrouvé pour assurer des « leçons » d’économie internationale dans un amphithéâtre bondé de 300 étudiants, entre 12h00 et 14H00 ! Cette précision n’est pas anodine, puisque alors que je commençais à expliquer, graphique à l’appui, la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, j’ai vu sortir de sacs de jeunes, des boîtes à lunch ! Quelle surprise et quel effet déstabilisant pour un jeune français de voir des étudiants avaler leur sandwich, croquer leur carotte ou bien boire leur cannette durant « mon cours » ! La confrontation culturelle m’a surpris de plein fouet ! Et j’ai choisi de faire de ce qui pour moi était déstabilisant et nouveau, un exemple dans cette séance. D’où venait cette cannette ?  Qui était le producteur ? Quel était le coût comparé ? Bref, je me suis surpris à faire de cette situation que je trouvais « incongrue » un atout, une forme de démarche pédagogique « innovante » pour moi ! Quelle n’a pas été ma surprise de terminer cette séquence de deux heures sous les sifflets de reconnaissance et des remarques bienveillantes des étudiants ! J’étais adopté…Faire de l’imprévu un atout. C’est le premier « conseil » que j’ai pu donner à mon nouveau collègue !

Le second exemple, tout aussi instructif, m’est venu lors d’une séquence de « connaissance du handicap », dans une classe de terminale BEPA « service aux personnes ». Qu’il est difficile de capter et soutenir son attention, lorsqu’on est élève, un vendredi après-midi et que l’on doit « subir » deux heures de cours de module optionnel ! Une jeune, sur ma droite, la tête tenue par le mur, s’exerçait à réaliser des bateaux en papier. Sans rien lui dire, à la fin de la séquence, durant le temps de la pause, je suis allé remplir une bassine d’eau. Au début de la nouvelle séquence, j’ai posé cette bassine sur le bureau et y ai plongé deux des bateaux réalisés. L’un a coulé, l’autre a flotté, remarquablement ! Me tournant alors vers l’élève concernée, je lui ai indiqué qu’elle avait des progrès à faire encore dans la construction de ces vaisseaux mais qu’il serait certainement bienvenu, devant ce talent naissant, d’y travailler avec le professeur d’éducation socio-culturelle et d’en faire une animation…Sans mépris, avec le sourire et un rappel implicite à la règle de vie de la classe, je n’ai plus vu cette jeune s’essayer à réaliser des bricolages durant ce cours. Le message véhiculé à l’attention du groupe classe est aussi bien passé ! Nous avons vécu ensemble une belle fin d’année scolaire, faite de travail, pauses, sourires et d’acquisition de compétences !

Voilà ! C’est ainsi que se construisent les meilleurs outils de pédagogie ! En pratiquant l’essai-erreur, et en ayant à l’esprit que l’essentiel est de donner aux jeunes le goût de « vouloir ce que l’on fait et non de faire ce que l’on veut ». La pédagogie, c’est la boîte à outil qui se remplit au fur et à mesure des années accumulées, de situations imprévues…C’est la capacité de chacun, comme enseignant, éducateur, à se remettre en question, d’être en recherche permanente…

En sortant du bureau, cet enseignant m’est apparu davantage serein…J’espère que cette sérénité ne se transformera pas seulement en certitudes, en livre de « recettes ». Je ne le crois pas…Ce serait ce qui pourrait arriver de pire et pour l’enseignant et les jeunes avec qui il va travailler tout au long des années qu’il a devant lui  Je serai présent pour l’accompagner sur ce chemin. Quelle plus belle définition donner de l’enseignant que  celle d’un funambule ?

Demain, les élèves vont arriver et nous allons les accueillir. Avec nos certitudes, des angoisses et bonne pincée d’enthousiasme. Je suis très heureux d’être au cœur d’une équipe de funambules, d’artistes, gage d’innovation pédagogique ! Et nous serons tous gagnants…Un beau défi pour ce 4 septembre….


9 septembre 2007

Trois, deux, un, zéro… rentrée !

Le privilège que j’avais eu jusqu’à ce 4 septembre est devenu caduque…Un mois après l’anniversaire du 4 août, quel beau symbole ! Les enseignants, personnels de vie scolaire, administratif et de service ont découvert les nouveaux visages de la rentrée ! Cet instant magique des premiers regards, mots ou gestes échangés constitue une des clés fondamentales de ce que nous allons vivre ensemble, de ces moments à venir que nous partagerons tout au long de cette année scolaire…Une de moins diront certains adultes…Encore une exprimerons d’autres ! Tout est une question de regard que l’on pose sur ce métier d’éducateur, ce combat pour l’éducation mené au quotidien…Accueil, intégration, accompagnement, enseignement, éducation : autant de facettes que recèlent nos métiers !

Début d’année particulière puisque nous nous sommes donnés comme outil d’accueil et d’intégration, la volonté de faire connaissance en dehors de l’établissement. Faire connaissance, n’est-ce pas d’abord et avant tout nous rencontrer ? Le surf, le roller, le VTT ou bien une balade au Pays-Basque, ne sont que prétextes visant à mettre en place les fondations d’une relation aussi sereine que possible entre jeunes, jeunes et adultes de cultures et d’horizons divers.

Parfois au détour d’un regard, ce sont des inquiétudes qui transpirent ou bien des interrogations…Saurais-je monter sur cette planche de surf ? Quel regard posera-t-on sur moi si j’ai peur de l’eau ou si je suis trop essoufflé(e) pour terminer cette marche en direction des grottes de Kakouettas ? Comment ces vêtements qui constituent ma carapace seront-ils perçus par l’autre ? L’autre, bien entendu cet inconnu et dont le regard sur mes différences sera impitoyable…Premiers échanges complices entre filles et garçons, entre anciens et nouveaux, premiers commentaires sur le « bahut, les profs, le directeur » …Les premiers surnoms ! Pas de compétition, mais le plaisir d’être ensemble…Pas de concours, mais la volonté de partager.

Ces temps communs dans un cadre environnemental inédit, baigné par le soleil d’un début d’été indien, auront permis de concentrer parfois sur une ou deux journées les tendances de la « civilisation de l’immédiateté » dans laquelle nous sommes plongés depuis quelques années…Cette société faite de jugements souvent hâtifs, de violences verbales, d’isolement parfois surprenant, le lecteur mp3, i-pod, téléphone mobile offrant de telles opportunités lors des temps de repos…Oreillettes en place, textos pour échanger alors que seule une distance de quelques mètres séparent « nos » jeunes. Tout le travail éducatif des adultes sera de vivre et faire vivre des moments ou le collectif et la coopération l’emporteront sur l’individualisme effréné, sur cette « concurrence sauvage » qui fait de la différence une faiblesse et des faiblesses le moteur de l’exclusion! Vaste programme, ambition démesurée peut-être mais défi de l’équipe éducative à l’aube de cette année scolaire…

Chacune et chacun, adulte ou jeune, a ramené de ce temps hors murs des souvenirs, des images, quelques certitudes et beaucoup de questions…Chacune et chacun ne mesure peut-être pas encore à quel point nos différences sont une richesse, un pépite dont il va falloir prendre soin pour permettre aux jeunes que nous accueillons de découvrir qu’à travers l’école, ce sont les valeurs de tolérance, de justice, d’effort que nous portons pour les aider à  construire un « vivre ensemble » , un avenir professionnel et personnel à la mesure de leur ambition, immense !

Rien n’est toutefois possible sans le concours des adultes qui les accompagnent dans leur vie au quotidien, quelles que soient leurs fragilités…

Comment ne pas se dire que les jeunes dont les parents ont pris la peine de consacrer deux heures de leur RTT aux restitutions de ces journées, ont une chance inouïe ? Entendre leur enfant lire un texte, présenter ses camarades, expliquer à travers un diaporama les divers temps partagées, les sourires, rires échangés, le tout autour d’un verre de jus de fruit et de gâteaux préparés par le groupe, n’est-il pas la plus belle récompense pour l’équipe éducative qui s’est investie dans cette démarche ? N’est-ce pas non plus une vraie et belle réussite pour des jeunes ayant pu montrer qu’ils avaient aussi des compétences et capacités insoupçonnées sur le terrain, qu’elles soient sportives, d’animation ou autres ? Certes, écrire, lire, comprendre, expliquer, résoudre un problème de mathématiques ou rédiger un texte, s’exprimer dans une langue étrangère seront des compétences fondamentales à acquérir au fil du temps pour aider ces jeunes à vivre au mieux leur liberté de femme ou d’homme ! Découvrir de nouveaux auteurs, faire de la culture un moyen d’émancipation nécessitera de nombreux efforts de part et d’autre. Mais chacun n’aura-t-il pu ainsi se rendre compte que dire que tel ou tel autre élève était nul, serait une absurdité, une faute contre l’esprit, une faute contre notre mission d’éducateur ? Oui, j’ai ce soir envie de reprendre à mon compte la très belle et célèbre phrase de Martin Luther King : « I have a dream »…Que nous prenions conscience que ce terme si violent envers tout jeune et au-delà toute personne de doit plus avoir de place, sa place dans un établissement scolaire ! Que cette violence que nous condamnons, nous adultes, ne ressurgisse pas à travers des mots que nous pourrions prononcer… 

Nous ferons un bilan collectif de ce début d’année scolaire ! Cette respiration que nous avons collectivement souhaitée fera l’objet de critiques, sur le fond ou sur la forme. Peu importe…Je serai très attentif à ce que ce temps puisse être utile et fructueux pour chacun au cours de cette année scolaire ! Donner du temps à chacun pour que cette expérience ait du sens en refusant que l’immédiateté du résultat puisse devenir un axe de la culture de l’établissement. C’est le défi que je souhaite relever cette année. C’est celui que je souhaite faire partager à toutes et tous…Trois, deux, un, zéro….rentrée ! Et faisons délibérément le choix de l’éducation…C’est bien le moins ce que l’on peut attendre de nous… Bon vent à chacune et chacun….


15 septembre 2007

Carte Nationale de Lycéen (ne)….

…ou Kart national 2 Lycé1 (ne) ? C’est avec une surprise non feinte que, prenant connaissance de la nouvelle carte que je devais distribuer aux lycéennes et lycéens de l’établissement, je partageais une vraie indignation avec une collègue enseignante de français ! Comment l’institution, en l’occurrence le Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, pouvait ainsi se faire le promoteur du langage « SMS » auprès de jeunes qu’il accueille ? Les performances scolaires sont regardées à la loupe ! Le Haut Conseil à l’Education a rendu un rapport, quelque soient les excès que l’on ait pu en tirer et vouloir lui faire dire ce que l’on voulait bien, nous alertant sur le niveau des élèves et les carences de ces derniers.

Oui, les connaissances de la langue, de l’orthographe et grammaticales sont à la peine ! Oui les jeunes ont davantage de mal qu’hier à maîtriser ce patrimoine commun qui nous rassemble ! Oui, certains enseignants, sous le couvert d’un anonymat de moins en moins courant, commencent à clamer que le 0 devient une note de plus en plus fréquente ou pourrait le devenir, s’ils s’attachaient au respect des règles de notre langue ! Envisage-t-on demain de permettre, lors des examens, des concours ou bien dans les courriers de candidature pour un emploi, dans un curriculum-vitae, une telle « révolution » culturelle ? Est-ce que le corps des inspecteurs envisage de prendre un tel virage ?

Que dire aux élèves qui oublieront un s au pluriel, ne sauront accorder nom et adjectif ? Mesure-t-on l’inconséquence de tels signaux donnés aux jeunes ? Et finalement, puisqu’un document officiel se permet  de donner toute sa valeur à cette nouvelle forme de communication, pourquoi les élèves feraient les efforts nécessaires pour apprendre à construire une phrase correcte sur le plan grammatical et orthographique ? Mesure-t-on notre responsabilité d’adultes ? Il est vrai que l’on tente de rendre caduque un peu plus chaque jour, de manière démagogique, la frontière en adolescence et passage adulte : pense-t-on rendre plus fine celle entre éducateur et éduqué, enseignant et élève ? Que l’on me comprenne bien : il ne s’agit pas de stigmatiser ou abaisser les uns par rapport aux autres, mais de permettre à chacun de jouer pleinement son rôle. C’est le meilleur moyen de créer un climat de respect, de résoudre les questions d’autorité(s) et faire de la compétence un gage de cette dernière.

Cette indignation est celle d’un éducateur, mais aussi d’un parent, d’une personne responsable qui s’interroge par-delà ce fait qui n’est plus si ponctuel que çà, sur le concept d’évaluation ! Entre l’absolue nécessité d’évaluer le parcours d’un jeune et l’incontournable 0 et sa dictature qui se profile, nous devons réfléchir aux réponses pédagogiques à apporter pour faire que l’école demeure le creuset de l’apprentissage du vivre ensemble, de l’esprit critique, de la citoyenneté, du goût de l’effort ; que l’immédiateté, le zapping, le matraquage des médias télévisuels ne puissent avoir le dernier mot !

C’est certainement le combat du pot de terre contre le pot de fer. Mais aucun combat n’est perdu d’avance, sauf si on ne le livre pas ! Comment ne pas interroger ce que le « monde adulte » propose comme projet aux jeunes générations ? Comment faire que le jeunisme, qui n’est qu’un suivisme sans grand lustre ni ambition puisse céder le pas à un vrai projet de société ? Comment demander aux institutions d’être des guides « républicains » si celles-ci capitulent devant ce que la société de marché a de plus vil ?

Je me dis que le sursaut est nécessaire ! Que Chef d’établissement, enseignants, éducateurs, nous avons une vraie responsabilité dans la construction du jeune que nous accompagnons…Nous avons un vrai défi à relever, celui de donner aux élèves le meilleur de ce qu’ils peuvent attendre de l’école, même si ce n’est pas dans l’air du temps, même si c’est souvent en contradiction avec la pente glissante de la facilité !

Alors en conscience, je m’interroge sur cette carte de lycéenne et de lycéen ! Sans pénaliser les  jeunes, je souhaite que nous puissions leur faire confiance et faire un vrai travail d’explication, de sensibilisation ; bref, que nous fassions simplement notre travail d’éducateur…Je ferai part de mon inquiétude et de mon indignation à l’institution ! En conscience…Une goutte d’eau certainement dans un océan d’indifférence ? Peu m’importe ! A chacun sa façon de résister…au quotidien ! C’est un devoir de pédagogue et d’éducateur ! C’est aussi celui du citoyen…


22 septembre 2007

Repères…

L’année scolaire démarrée, chacun a pris peu à peu ses marques. Adultes et jeunes ont trouvé ou retrouvé leurs repères après la semaine d’accueil vécue comme une vraie respiration éducative pour lancer ces dix longs mois de formation…Chacun de nous a pu observer et mesurer le plus finement possible la timidité des uns, l’altruisme d’autres, la capacité d’entraînement de certains ou bien encore les soucis de concentration de quelques uns dans chaque groupe…

Le retour dans les salles de classe, les rites de début d’année que sont la couverture des livres, la signature des mots d’information dans les carnets de liaison par les parents ou responsables légaux, l’absence des « outils de travail » au moment opportun, tout cela nous donne des indications précieuses sur l’accompagnement pédagogique et éducatif que nous allons devoir mettre en place afin de permettre au jeune dans sa globalité de s’épanouir.

C’est le temps de discussions, d’échanges animés entre collègues sur la « turbulence » de tel ou telle, des changements de place - un sport « local » très prisé afin de permettre à chacun de vivre au mieux les séquences pédagogiques -, des éventuelles re-médiations à envisager, des protocoles pour des jeunes dont on a pu repérer une dyslexie ou dyscalculie plus ou moins prononcée ! Que faire, comment agir ou réagir ? Dans certaines classes, des feuilles collées au mur indiquent les règles de vie élémentaires du « vivre ensemble» ; dans une autre, quelques feuilles symbolisant les mains de chaque élève, coloriées et présentant les mots clé d’un discours de Mandela sur la paix et l’injustice…Beaucoup de questions donc et aussi des espérances qui se lèvent !

C’est aussi le temps de la découverte pour moi qui passe en cuisine et au self chaque jour, du rapport à la nourriture, du temps de convivialité, de la composition des tables ou de l’absence de certains élèves qui ne prennent pas la peine de venir prendre le repas. C’est aussi le temps de profondes interrogations sur la capacité des jeunes à convaincre leurs parents qu’il est plus satisfaisant d’être externe que demi-pensionnaire pour pouvoir sortir du lycée et aller « se griller » combien de cigarettes ? L’éducation à la santé est un vaste chantier et devant une certaine impuissance à expliquer aux familles et jeunes qu’un repas équilibré vaut mieux qu’une cigarette sans repas, je me dis que je ne lâcherai pas ! C’est un devoir impérieux, quelque soit le résultat de ce combat déséquilibré…

C’est aussi le temps de la mise en place de la vie démocratique au sein du lycée : élection des délégués de classe, élection des représentants des élèves pour la commission « restauration », et enfin pour la participation au Conseil d’Etablissement. Au total, une bonne cinquantaine de jeunes représentant leurs camarades dans les différences instances de vie de l’établissement au service d’un apprentissage à la citoyenneté ! Cette année devrait voir la mise en place d’un « parlement des délégués » afin de mettre en commun leur imagination et inventivité au service des autres. Aucun tabou dans le dialogue, possibilité de mettre en place un bureau des délégués rencontrés ainsi régulièrement ainsi que de soumission de projets collectifs en conseil d’établissement…Ce qui jusqu’alors se faisait de manière informelle verra le jour de manière davantage structurée.  

C’est enfin ce temps de rencontre, à la fin de la journée, lorsque la poussière est retombée, de trouver les mots pour échanger avec tel ou tel adulte, faire retomber cette pression qui est à la fois stimulante mais aussi parfois l’aube d’un stress qui peu devenir destructeur ; le temps de la rencontre avec un jeune, interne qui prend la peine de venir me retrouver dans le bureau, un couloir et qui va me confier son désarroi, ses doutes, des blessures, des souhaits…Effectivement, nous sommes le produit de nos rencontres : parfois inattendues, sur des sujets décalés ! Peu m’importe, finalement…C’est une richesse, une facette exceptionnellement gratifiante de ce métier parfois si ingrat de Chef d’Etablissement. Je peux aussi vous avouer qu’il m’arrive aussi de provoquer ces échanges, de les souhaiter, et parfois aussi de regretter leur absence…

Finalement, en terminant ces quelques lignes, je m’aperçois que j’ai moi aussi besoin de repenser chaque année mes repères…Pour trouver le bon équilibre, instable en permanence certes, mais surtout pouvoir impulser, canaliser, gérer, accompagner…Bref, poursuivre mon chemin de « premier » éducateur de cette communauté de jeunes, d’adultes, parents, partenaires avec un regard le plus juste possible.


29 septembre 2007

Offrir du temps....

Ce mardi matin est une journée comme les autres ou presque. Dans la société de l'immédiateté, du zapping, speed dating où seulement quelques minutes son censées pouvoir tout faire, tout résoudre, je vais avoir le plaisir de partager les quelques dix heures de ce jour avec les membres de la communauté éducative que j'accompagne. Donner gratuitement du temps au temps, être à l'écoute, prendre du recul parfois ou donner des réponses précises à des questions qui ne sont pas toutes placées sous le sceau de la futilité...Parce que lorsque l'on travaille en permanence avec des personnes, adultes et jeunes, rien n'est insignifiant...Et comme le dit si bien Amadou Hapâté Bâ, « il n'y a pas de petite querelle »...Je vais tenter de placer cette journée sous le signe de cette belle philosophie qui fait de la maîtrise du temps sa pierre angulaire.

Dès huit heures, la rencontre rituelle avec l'équipe de vie scolaire de nuit me permet de mieux appréhender la personnalité des jeunes accueillis en internat. Rien n'est anodin: le temps de l'étude, du repas ou du temps d'animation nous donnent tout losir de repérer les jeunes qui vont bien, celles et ceux qui en souffrances sont venus se confier ou bien encore celle qui reste dans son coin, refusant cette « vie scolaire » qu'elle croit que ses parents lui ont imposée afin de se « débarasser d'elle...Les papiers sur lesquels je note ces éléments se multiplient, s'entassent: voir untel; la salle d'informatique peut-elle être ouverte après 21heures ? Est-ce que les élèves pouront vendre des friandises pour financer leur projet de voyage en Irlande ?...Le flot de questions me donne le sentiment que cet établissement est un corps vivant !

C'est ensuite quelques enseignants qui viennent me dire leur bonheur d'être intégrés à cette équipe et qui vivent pleinement et positivement leur relation au jeune en lycée professionnel; c'est aussi des questions de dédoublement pour les groupes de travaux pratiques, le comportement inquiétant d'un jeune qui n'a toujours pas fait signer son carnet de liaison à ses parents, que sais-je encore !

Ce temps du matin constitue certainement le coeur de ce qui me fait dire le bonheur que j'ai de prendre chaque matin le chemin du lycée! Bien entendu, parfois il m'arrive comme chacun d'éléver la voix, de souffler, de piquer de « saintes colères »...C'est certainement la passion qui prend le pas sur le recul que je souhaiterais pouvoir prendre à chaque instant...Prendre ce temps, offrir de son temps, le partager. C'est ici l'essentiel, car toutes les personnes qui m'entourent ont pour moi de l'importance. Ils doivent pouvoir compter sur moi comme je sais pouvoir compter sur leurs compétences...

Alors, le temps des pauses ou café, thé et petits gâteaux ou autres gourmandises agrémentent nos échanges, est toujours le bienvenu, tout autant que le fait d'aller saluer mes collègues en début de matinée. C'est à la fois un rite, un plaisir, un acte pleinement naturel parce-que je crois que tout commence par des rites qui expriment le profond respect que l'on peu avoir pour les personnes avec qui l'on partage son temps.

Il en est de même pour ces jeunes qui, installés à la vie scolaires pour soigner les bleus à l'âme ou bien les maux de ventres véritables ou non, méritent que je prenne le temps, du temps pour eux, avec eux...Parce-que quoi de plus précieux que le temps qui file à la même vitesse pour tous, mais dont on a le sentiment qu'il s'écoule plus rapidement pour certains ou à des moments précis? Alors offrir ces quelques minutes – parfois longues - pour appaiser, écouter, échanger, parfois pour poser les limites constitue un acte éducatif fort. J'en suis pleinement conscient, comptable. C'est aussi une façon de monter aux jeunes que j'accueille qu'offir du temps, prendre celui d'accompagner chacun constitue un véritable acte de « résistance pédagogique » fàce à la société qui nous entoure...La question essentielle et existentielle de nos métiers ne trouvera certainement pas de réponse lorsque je saluerai les collègues qui quitteront le lycée, les élèves qui iront faire leurs devoirs, ceux qui prendront le bus ou leur scooter pour rentrer à la maison: ce temps partagé aura-t-il été utile? Cet acte de résistance posé n'est-il pas finalement une ligne Maginot? Je ne le crois pas. Même si cela constitue une goutte d'eau dans l'océan des possibles, ne rien faire serait une capitulation en rase campagne...Il ne sera jamais question de céder un pouce de terrain à ce qui abaisse l'Homme et que nous sommes nombreux à partager à titre « d'éducateurs »: la facilité et la démission face aux valeurs du « tout et tout de suite » qui est au coeur de pratiques portées en germes par la société de marché.

Ce soir, je pars fatigué, signe pour moi que j'ai donné ce que je pouvais aux autres! Durant dix heures, j'espère leur avoir donné un peu plus qu'hier et un peu moins que demain..Au prélable, avant de fermer à clé mon bureau, j'aurai ouvert les portes de mon carrelet, de ma cabane, celle des possibles et des rêves...Je serai prêt à partager du temps en famille..! Et si l'essentiel de la vie n'était qu'une question de temps ? Merci Amaou Hampâté Bâ...


7 octobre 2007

L’Europe, une nouvelle frontière…

Longtemps, nos établissements ont été considérés comme des entités devant se suffire à elles-mêmes, « des bulles » dans une société en mouvement, dans une Europe en construction et dans un monde que l’on disait en voie de mondialisation alors que le phénomène avait débuté au 15ème siècle ! Nos communautés éducatives auraient donc été les seules à vivre derrière leur « mur de Berlin » ? Quelle plus belle faute n’aurions nous pas commise contre l’esprit si nous n’avions pas à un moment donné ouvert les portes et les fenêtres mais il faut aussi le dire les esprits pour permettre au jeune de se construire ?

Tous nos projets pédagogiques, d’établissement, de classe font aujourd’hui référence à cette dimension d’ouverture : ouverture au territoire, ses acteurs, à la culture, aux mouvements de société, aux images venant de lieux et à des distances telles que les milliers de kilomètres sont réduits à des grains de sable…Nous avons pour le bien de nos jeunes ouvert nos établissements, nos formations, décloisonné ce qui semblait devoir être immuable, expérimenté…Bref, l’école d’aujourd’hui ressemble si peu à celle d’hier, mais les valeurs qu’elle porte nous rapprochent aussi tellement de l’idéal de nombreux pédagogues qui ont œuvré et oeuvrent afin que l’accès à la culture, l’égalité devant la formation, soient pour chacune et chacun des jeunes un bel outil d’émancipation et de réalisation de soi !

Depuis déjà une bonne décennie, les établissements scolaires ont découvert cette insoupçonnable richesse que constitue la rencontre des cultures ! Si on est heureusement loin du choc de ces dernières – image qui renvoie à une idéologie fort éloignée des écoles de la République – ce bouillonnement des cultures est une chance pour nos jeunes, mais aussi pour nous, adultes des communautés scolaires.

Selon l’adage populaire bien connu, « les voyages forment la jeunesse » ! Certes, mais encore faut-il avoir ce goût d’aller échanger, se projeter dans l’inconnu, avoir les moyens matériels de faire ces rencontres…Il revient à chacun des adultes des établissements de prendre conscience que provoquer ces temps forts constitue un impérieux devoir…

C’est cela que j’ai à l’esprit lorsque, accompagné d’une collègue, je prends mon bâton de pèlerin pour participer au bal européen organisé par nos partenaires allemands avec qui nous sommes engagés dans un projet de long terme. Dimension affective personnelle, historique, culturelle, aventure humaine tout simplement…C’est un sentiment profond d’humanité qui m’a habité durant cette rencontre festive…Polonais et slovaques étaient conviés…Quelle belle image que ces drapeaux accrochés aux murs, cet hymne à la joie qui a ponctué le discours de bienvenue et qui m’a donné l’envie de me lever et communier avec mes collègues européens…Cette nouvelle frontière, notre nouvelle frontière, c’est l’Europe qui se construit au quotidien ! Ce n’est pas seulement ce « monstre » institutionnel, froid et lointain que nous observons et qui nous sert trop souvent de bouc émissaire…J’ai une envie viscérale de faire partager ces moments intenses de fêtes, de sourires, rires, discussions sérieuses sur les projets futurs, aux jeunes !  

Parce que demain, ces jeunes seront le cœur de la société que nous construisons ensemble. Parce que c’est la méconnaissance de l’autre qui est pour l’essentiel à l’origine de tensions, de haines que personne ne souhaite vivre ! Parce que notre projet de vie en commun, dans nos établissements, mais plus largement dans la société de demain est fondé sur ces rencontres qui sont la richesse et l’intelligence du cœur...

J’ai en tête tel ou tel jeune dont je sais qu’il n’aura peut-être jamais la chance de pouvoir découvrir autrement que par le biais du lycée tel ou tel pays, à la fois pour des raisons pécuniaires ou simplement de distance culturelle – même si cette expression n’est autre qu’un cache-sexe pour parler d’indigence culturelle du milieu familial dans lequel il vit ! Et s’il n’y avait qu’une seule bonne et vraie raison pour faire que chaque jeune qui entre dans l’établissement ait l’occasion d’aller à la rencontre de son concitoyen européen, ce serait celle-là…

Cela vaut la peine de se « battre » pour l’essentiel…Dans quelques jours, l’association ATD QUART MONDE va à nouveau lancer un appel à « refuser la misère ». J’y suis sensible depuis de nombreuses années, mais cette misère multiforme concerne aussi bien le logement, la santé, que la culture ou l’éducation…Cette fois-ci, l’engagement citoyen, mon engagement citoyen se confond avec celui de ma fonction de Chef d’Etablissement. Cette année, ce sera de faire en sorte que cette misère culturelle ne soit pas regardée comme accessoire…La culture, la rencontre, la prise en compte de la dimension européenne, le rêve d’accrocher cette nouvelle frontière sont toujours les dernières roues du carrosse…J’ai profondément envie que cette dimension prenne pour une fois la première place dans nos démarches…Lorsque ma collègue et moi sommes dans l’avions qui nous ramène vers Bordeaux, je me dis que le défi vaut largement la peine d’être relevé…Seul, on ne peut rien…Mais j’ai le sentiment que nous sommes au moins deux à partager cette idée selon laquelle chacun de nos jeunes mérite de rencontrer « l’Europe » ! ...et heureusement davantage au sein de l’équipe pédagogique…ou lorsque l’Europe est symbole de projet et d’espoir…Ce n’est pas si fréquent de pouvoir s’en réjouir… 


14 octobre 2007

Bonne route…quand même !

Un crève-cœur ! Ce soir, Hélène a frappé à la porte de mon bureau…Depuis quelques jours, elle était « souffrante » ! Mais c’est une souffrance particulière dont elle était atteinte…Je suis surpris d voir cette grande jeune fille de vingt ans entrer, mi gênée, mi inquiète…Je l’invite immédiatement à s’asseoir autour de la table. Les mains posées devant moi, j’ai à peu de choses près, saisi l’objet de cette visite impromptue. Maladroitement, Hélène pose devant elle trois livres et un cahier. Elle commence, la voix un peu tremblante, par me demander si je peux remettre à Victor ce cahier d’anglais qu’il lui avait prêté pour récupérer ses cours.

Volontiers, lui dis-je en tendant une main secourable. Mais l’essentiel n’est pas là ! Je lui demande comment elle va, mais, lorsque nos regards se croisent, je sens son désarroi qui dans quelques minutes deviendra le mien…Hélène ne sait que faire de ses mains…Parfois dessus, parfois sous la table, se balançant un peu d’avant en arrière…Je crois important qu’elle fasse ce premier pas, car dans la vie de tous les jours, elle devra affronter une réalité beaucoup plus rude que celle de l’école. Le monde du travail est violent, parfois. La vie et la société sont violentes, souvent.

Cà y est, ses lèvres s’entrouvrent. Les lèvres et la gorge sont sèches. « Monsieur, j’ai décidé de quitter la formation » ! Voilà, la phrase lourde de sens est dite, avec difficulté, gravité. Un dialogue immédiat s’installe. Il ne s’agit en aucun cas pour moi d’établir un échange « culpabilisant » face à une jeune dont je mesure à la fois la fragilité, l’émotion, mais aussi la force du message qu’elle vient délivrer. Je sens tout à coup le poids du malaise, de l’échec partagé, d’une mise en cause de l’institution et non des personnes.

Alors, bien évidemment, je pends le costume du « professionnel de l’éducation ». Et je m’entends débiter presque mécaniquement tous les arguments « rationnels » que l’expérience m’a permis d’apprivoiser, d’appréhender…Les arguments qui n’ont la plupart aucune prise sur les jeunes, mais qui font parfois réfléchir les parents, lorsqu’ils sont présents. Je ressens cette profonde fracture entre ces jeunes adultes et ce que je suis, un adulte référent qui est passé dans un autre monde…Mais je me devais de le lui dire…

Pourtant, c’est autre chose qu’elle vient chercher en ayant eu le courage de venir me faire part de son choix de vive voix…Ce n’est pas au Directeur qu’elle est venue annoncer sa décision. C’est à la personne que je suis, à ce que l’adulte que je suis représente pour cette jeune, blessée de la vie. Et à partir de ce moment là, la fracture se réduit et fond comme neige au soleil…Certes, je ne suis pas là pour cautionner son choix. Je passe à un autre registre, celui de l’écoute active, de la compréhension, mais pas de la compromission. Je reste celui qui donne des repères, explique, l’éducateur au meilleur sens du terme. En tous les cas, c’est ce registre là que j’adopte. Exigeant, mais ni inquisiteur, ni juge suprême. Au nom de quoi, de qui d’ailleurs m’arrogerais-je un tel pouvoir ?

Je m’inquiète avant tout de questions simples. Demain, que feras-tu ? As-tu une couverture maladie ? T’es-tu inscrite à l’ANPE ou as-tu pris contact avec la mission locale ? L’ouverture est réalisée. Hélène, après avoir noté, écouté, me dit simplement qu’elle a été mal orientée mais qu’elle a certainement sa part de responsabilité dans cet échec que je partage avec elle. Oui, je crois que ce temps de l’orientation est essentiel. J’en suis davantage convaincu chaque jour. Aujourd’hui plus qu’hier…Hélène va quitter mon bureau dans quelques minutes…Je lui souhaiterais bonne route, demeurant intimement convaincu que ce sentiment d’échec est aussi un peu le mien…Je croiserai dans quelques jours ou quelques mois Hélène, au détour d’une rue. Nous nous saluerons, simplement. Je prendrai du temps, à nouveau, avec elle, pour elle.

Peut-être aura-t-elle trouvé un travail, sera-t-elle en stage, aura-t-elle fondé une famille. J’aurai toutefois en toile de fond ce moment où tout a basculé…Où l’éducatif se sera provisoirement effacé de  son chemin…Où la vie aura pris une autre saveur pour elle. En tous les cas, je ne peux pas me résoudre à abandonner ce qui me fait chaque matin me rendre au lycée et me dire que l’éducation est le sel de la vie, ce qui fait que des jeunes deviennent des adultes debout…Ne jamais céder, lutter pied à pied afin de donner à chacune et chacun des lycéen que j’ai le bonheur de croiser, le cœur de ma passion : l’éducation…Merci Hélène et bonne route, quand même….


21 septembre 2007

Rendre possible…

Hier au soir, était organisée une réunion de cycle pour la formation de BAC PRO « service en milieu rural ». Je me suis fait un principe de participer à toutes ces concertations pédagogiques, car cela me paraît essentiel à la fois pour maîtriser les dispositifs, échanger avec les collègues, « réguler » le fonctionnement du groupe – manière élégante de permettre à une réunion de se dérouler avec le moins de tensions possible et surtout faire de ces temps collectifs des respirations au service des élèves…Rendre possible ce qui est souhaitable, redonner tout son sens à la priorité éducative et davantage accompagner cette démarche que contraindre…

Derrière un ordre du jour souvent « technique » concernant les visites des stagiaires, les critères d’évaluation, la répartition des rapports à corriger ou la mise en place de devoirs et examens blancs, l’élève doit être au cœur de nos préoccupations…Faut-il faire pleinement confiance aux élèves comme si cela était acquis une fois pour toutes ou au contraire le penser comme un long fleuve qui n’est pas si tranquille…Ces fameuses grilles nous renvoient aussi à la question de l’évaluation…Comment percevoir et mettre en œuvre une grille renvoyant à l’évaluation de compétences, qualités plutôt que de pure sanction ?

Lorsque j’écoute les uns et les autres, je me dis au fond qu’une inculturation en lien avec les pratiques d’évaluation des pays du nord de l’Europe ne serait pas inutile…Je le pense volontiers pour mes collègues comme pour moi-même…Un juste équilibre doit permettre une juste évaluation formative…Toutes les innovations pédagogiques ne peuvent avoir de sens que dans la cohérence d’un ensemble qui permet de transgresser les habitudes, lourdeurs et le poids des habitudes. Je mesure ce soir que les fondamentaux, les incontournables des multiples notes de service, décrets, règles tellement détaillées nous conduisent dans un monde où l’absurde le dispute à une forme  de « violence des dispositifs ». Où est l’intérêt de l’élève ? Où prend-on en compte ce que nous sommes, nous éducateurs ?

Être attentif, toujours avoir en ligne de mire ce qui demeure le cœur de nos missions…Rendre possible ce qui est nécessaire, donner à chaque temps une dimension éducative…Que ce soit dans le cadre du séjour linguistique qui va conduire les vingt-deux élèves de terminale BAC PRO en Irlande, ou bien encore dans l’organisation d’un repas de fin d’année…Rien ne me semble superflu, rien ne me semble plus important que cette démarche éducative qui doit donner du sens à nos journées, à la construction des supports pédagogiques…

Ces réunions sont aussi les lieux d’apaisement de tensions latentes, car il n’y a pas de petites querelles…Ne jamais laisser prendre le feu tout en laissant le recul nécessaire envelopper les mots justes pour expliquer, dire…Le monde des adultes est parfois aussi fragile que celui des adolescents…Prendre le temps d’écouter, de sourire, de se dire que rien n’est tragique lorsque l’on est en réunion pédagogique ! Dédramatiser, donner du souffle, de la vie dans les projets, faire de chaque rencontre pédagogique un temps de construction demeure une de mes priorités…

Pour autant, je prends pleinement conscience, à travers les regards, les mots prononcés que ces fragilités repérées nécessitent une attention de tous les instants…Car les personnels éducatifs doivent faire face, être forts, solides ! Chacun doit  être en capacité de dire non, refuser l’affectif pour privilégier l’éducatif…Lorsque l’on se trouve confronté en permanence au monde des adolescents, c’est notre seul atout ! Faire de l’éducation une approche de la non violence ne peut que nous aider à proposer au jeune à se construire autrement… « Un autre  monde est possible.. » ! Beau slogan…Mais à l’échelle d’un lycée, c’est l’éducation qui nous permettra de faire vivre cette belle idée qu’un monde autre que celui de la société de marché est possible…Que le plus beau cadeau que l’on peut faire à chaque jeune est de l’armer avec cette sensibilité éducative qui fait que chaque jour, nous renforçons la démocratie ! Faire reculer l’ignorance, donner à chacune et chacun des jeunes accueillis la capacité de maîtriser le mieux possible son avenir. C’est la pierre que nous apportons au quotidien…Chacune et chacun des adultes de l’établissement ne le mesure peut-être pas pleinement…Mais le temps de la récolte viendra pour les jeunes et les sourires de fin d’année viendront effacer tous ces petits riens qui sont autant de grains de sable qui parfois nous éloignent de l’essentiel…Avec l’éducation, un autre monde est possible !

Ce soir, il est vingt heures lorsque nous quittons la salle de réunion…Je ne sais si nous mesurons tous l’extrême utilité, importance de ce temps partagé ! Certes, nous n’allons pas changer la face du monde et demain, le soleil se lèvera à nouveau…Mais peut-être ce dernier me fera-t-il un clin d’œil, simplement pour me dire, malgré tout que nous avons rendu un peu plus probable ce qui ne s’explique pas, cette élévation mystique du matin sur le lycée qui fait que tout compte fait, j’aurai la certitude que « nos jeunes » seront demain des citoyens debout…Je serai un chef d’établissement heureux, tout simplement…


4 novembre 2007

Salle des profs…

Vais-je être provocateur ? Peut-être…Excessif ? Certainement… Bienveillant ? Bien volontiers…Ah cette salle des « profs » comme nous la nommions tous lorsque nous étions élèves ! Que s’y passait-il ? Que disait-on sur nous, les élèves ? Quelles potions amères y préparait-on ? Tout ce qui est caché est bien entendu tellement mystérieux que j’ai le souvenir que nous imaginions souvent le pire avec mes camarades…Et pourtant, en passant de l’autre côté de la « barrière », je me dis finalement que cette antre, ce lieu « étrange » peut se révéler comme un espace de liberté, de spontanéité, de vie ou bien d’orages, de colères, de soins des bleus à l’âme, de rire, mais encore de tous les excès… Toutefois, ce n’est ni une cour des miracles et encore moins le capharnaüm longtemps imaginé !

Et pourtant ! Lorsque jeune enseignant, j’ai franchi pour la première fois le seuil de la salle des professeurs d’un prestigieux établissement secondaire, comme jeune enseignant, mon sang n’a fait qu’un tour ! Quelle organisation stalinienne de l’espace, et le mot n’est pas trop fort… Nous étions au milieu des années quatre-vingt lorsque je découvris tout d’abord avec incrédulité, puis consternation et enfin avec un sentiment de révolte, une hiérarchisation qui conférait à une situation ubuesque… La taille des casiers, la nature des fauteuils et la largeurs des tables ou bureaux n’était liée qu’au statut de l’enseignant  ! Entre le professeur agrégé, enseignant en classes préparatoires et le « maître auxiliaire » qui lui, venait enseigner le samedi matin, bien entendu alors que ses collègues pouvaient aller se « pavaner » sur le Bassin d’Arcachon, c’est bien l’épaisseur de la mousse du fauteuil, sa couleur, rouge et en cuir pour le premier, simple chaise en bois pour le second qui montraient que chacun devait jouer dans sa cour, sa propre cour… J’ai été profondément marqué par cette micro-société qui reproduisait une société de castes dont à l’époque, on se gaussait lorsque l’on regardait ce qui pouvait se passer dans des sociétés en développement… Avec tout le respect que j’ai pour ces civilisations « non-techniciennes », je faisais partie de la caste des intouchables… J’en étais finalement très fier…

Je me suis juré de faire en sorte de ne jamais revivre cette forme de « violence », cette incohérence entre éducation, égalité des chances et reproduction de celles-ci au cœur du « système », mais surtout de ne jamais la faire revivre à mes collègues lorsque j’ai eu la chance de devenir Chef d’Etablissement… Ce temps est venu il y a maintenant une dizaine d’années et j’ai toujours attaché une importance particulière à la vie de ce lieu à la fois symbolique mais tellement important qu’il reflète le projet d’établissement lui-même. Alors chaque matin, je prends volontiers le temps d’aller saluer mes collègues qui vont se trouver en prise directe avec l’acte d’éducation fait de transmission de connaissances, d’innovation pédagogique, mais avant tout avec les jeunes dont ils ont la charge… Si nous voulons former une équipe, il faut que cette « salle des profs » ne soit pas un sanctuaire. Et si nous avons souhaité que l’établissement soit ouvert sur son territoire et en prise directe avec la société, comment pourrait se justifier qu’il y ait des lieux interdits ? Certes, nous avons tous besoin de souffler et lorsque la porte de cette salle est fermée, le calme constitue une nourriture qui permet à chacune et chacun des adultes de se rassasier et de repartir avec toute l’énergie indispensable. C’est aussi le lieu de discussions sur l’actualité, qu’elle soit nationale ou locale, la lecture des journaux, ou bien simplement, autour d’une table ronde – comme celle de mon bureau – des échanges sur des élèves, l’organisation d’une sotie inopinée, ou tout simplement des questions plus personnelles sur les vacances à venir !

Cette « salle des profs » est à notre image : ouverte et pleine de vie ! Ce vendredi, c’est la dernière ligne droite. Chacun en est conscient. Je suis présent pour à mon tour souffler un peu avec mes collègues. Nous devisons sur les tasses à café et thé qu’il faut laver ; Anne, l’élève qui va être accueillie durant cette fin de semaine chez une camarade puisque le foyer ne peut l’accepter que le lundi suivant, faute de place… Nous exprimons une indignation collective mais nous sommes soulagés qu’Anne puisse dormir au chaud et non sous les ponts ! Enfin, plus léger, nous abordons la nature du langage SMS… en nous disant qu’il est parfois compliqué de le lire, mais constatant qu’une d’entre nous est plutôt experte en la matière… Et les sourires l’emportent sur la fatigue, les bleus à l’âme, les colères accumulées, justes ou épidermiques… En quittant l’établissement, les dernières collègues me saluent volontiers. Nous nous souhaitons mutuellement un repos réparateur bien mérité… Les derniers regards ont du sens… Ils traduisent pour moi cette sérénité retrouvée, ce sentiment que tant que l’humain primera sur une approche purement comptable de notre mission, tant que cette « salle des profs » demeurera à l’image de notre projet d’établissement – claire, spacieuse, ouverte, permettant l’expression de tous au service de chacun – alors, nous pourrons apprécier avec tranquillité ces temps de vacances…

Je suis le dernier à partir ce vendredi. Le ciel est bas. C’est l’automne et la nature le rappelle à chaque détour des bâtiments. « Automne, le post-scriptum du soleil », comme le dit justement Pierre Véron… Automne, prélude à l’hiver…Dehors, il fera peut-être frais ! Mais à l’intérieur de « la salle des profs », l’atmosphère demeurera chaleureuse. J’y prendrai ma part, volontiers, avec conviction et un plaisir non feint… Même si parfois les tasses à café ne sont pas rangées, certains casiers « débordent »… Mais est-ce là l’essentiel ?  La coopération et l’humain demeureront au cœur de ma démarche… aussi dans « la salle des profs » !


10 novembre 2007

Musique…

« Et que chacun se mette à chanter ! Tout pour la musique ! Si l’on chantait… ». La musique est au cœur de la vie. Si nous prenons chaque fois que cela est possible, ou si nous nous arrêtons un instant pour écouter la vie nous déclamer son message, nous sommes toujours agréablement surpris par les sons, par l’apaisement que cela fait naître en nous…Combien de fois n’a-t-on entendu, et à juste titre que la musique adoucissait les mœurs ?    

Alors que le tourbillon qui nous emporte dans le quotidien de nos établissements peut être dévastateur si nous n’y prenons garde, pour notre équilibre personnel et le confort d’apprentissage des jeunes que nous accueillons, prendre le temps est essentiel. Prendre du temps pour soi ne relève pas de l’accessoire. C’est aussi vrai pour les jeunes que pour les adultes du lycée… Alors j’ai pris le parti et fais le pari de vérifier cet adage populaire autour de la musique et plus précisément du chant…

Une fois par semaine, élèves et adultes volontaires se retrouvent autour d’une animatrice de chant afin de vivre ensemble, un temps de découverte, de travail et de convivialité. La mise en place d’une chorale n’est ni un luxe, ni une lubie ni à fortiori une hérésie… C’est un moyen de trouver un lieu, un temps et un moyen d’expression, où tous, à égalité, nous prenons le départ d’une aventure collective…

Chanter est un mode d’expression qui permet à d’autres muscles de fonctionner, à des sensibilités de se découvrir, à la relation de se nouer ou de se renouer, aux personnes de se découvrir autrement… Alors, chaque vendredi, sans autre contrainte que la propre volonté de chacune et chacun de se retrouver ensemble, nous faisons corps pour prendre ensemble un plaisir non feint de faire de la respiration et de la voix mêlées, la trame d’un projet partagé…

Alors, les exercices de placement des voix, selon leur hauteur, leur puissance, les couacs et les notes, les départs à contretemps, sont au menu de ces temps musicaux. Quel plus grand bonheur que de tâtonner, de progresser, de se tromper, de progresser… Bref, quelle plus belle expérience pour nous adultes de nous remettre en question, pour les élèves de voir qu’ils sont tout aussi aptes que leurs professeurs à disposer et acquérir de nouvelles compétences… Et que quelque soit son âge, quelque soit l’activité réalisée, le plaisir nécessite de l’effort ! Rien n’est acquis et pour personne…

Alors, je suis très heureux d’avoir pu permettre que ce temps commun soit une bouffée d’oxygène pour tous ! Que ce lieu soit aussi riche en expériences vécues, assurant la mixité des publics et des regards, je ne pouvais l’imaginer au départ de cette belle expérience… Pour la fin de l’année, ferons nous une prestation devant les autres élèves et adultes du lycée ? Serons-nous prêts ? Aurons-nous le trac ? Certainement… Mais faire partager à tous ce choix de vivre avec et non pas seulement pour les élèves relève d’un choix fondamental pour la mise en œuvre du projet d’établissement. Faire partager nos sourires, nos regards complices, nos doutes, mais au final, notre irrémédiable envie d’aller encore plus loin dans cette rencontre et vouloir dire aux autres : venez nous rejoindre ! Ouvrir, s’ouvrir tel pourrait être le message de cet atelier de chant… C’est à ces détails-ci que l’on note qu’un établissement est pleinement acteur de ses missions éducatives et qu’il est porteur de sens pour tous !

"Zomina mina prere prere (bis)

Peti nana prereko

Zomina mina e e.

Na prereko.

Zomina mina Zomina mina

Zomina mina Issembole E

Issembo E issembo.

Zomina mina issembo (4x)

Zo!"


17 novembre 2007

Novembre 2007, le post-scriptum de l’éducatif ?...

Depuis quelques jours, les températures ont amorcé une sensible baisse et la neige a fait son apparition sur les sommets de l’hexagone. Certes, le soleil se fait plus las et nous abandonne chaque soir un peu plus tôt…De la baie vitrée sur laquelle s’ouvre mon bureau, les Pyrénées s’offrent à mon regard, dans un écrin d’un bleu à la fois froid et glaçant… Les feuilles rejoignent peu à peu le sol pour demain renaître avec davantage de force, au printemps !

Cette belle carte postale constitue un puissant réconfort lorsque les journées sont à la fois plus intenses et jalonnées d’informations inquiétantes. En quelques jours, mon dossier « boîte de réception » s’est chargé de m’indiquer que rupture, mot fort à la mode depuis quelques mois maintenant, rimait avec brutalité et logique d’affrontement. Les messages se succèdent, mais tous confirment LA nouvelle : d’ici la rentrée 2010, c'est-à-dire demain, les formations BEP et BAC PRO devront laisser la place à une nouvelle formation, un Baccalauréat Professionnel en 3 ans, aligné en durée sur les formations de la filière générale. Les arguments visant à donner à penser qu’ainsi, il s’agirait de revaloriser la filière professionnelle, sont purement et simplement fallacieux, masquant une réalité moins ambitieuse. Il s’agit de faire des économies ! Réduire les durées de formation, supprimer des options, refondre les référentiels qui ne seront demain que de simples « guides », à charge pour les établissements, s’ils le souhaitent et surtout s’ils le peuvent, faire du « mieux disant culturel et éducatif » ! Les arguments éducatifs, pédagogiques, d’insertion sociétale et professionnelle se heurtent à une autre logique, une simple logique budgétaire… Affrontement de logiques ou logique d’affrontement… Qui affronte qui ? Va-t-on taxer de freins à la réforme des équipes éducatives qui au contact des jeunes accueillis dans ces filières, réussissent le prodige de s’insérer dans la société, de s’intégrer au marché du travail et de vivre ces parcours comme de la promotion sociale ?

Brutalité des annonces, absence de concertation, information arrivant au compte-goutte et stratégie de communication donnant un sentiment de vitesse telle que nous sommes parfois dans une incapacité de réagir en temps voulu, mais à contretemps ?

Information des équipes, des parents, réunions multiples avec collègues, lien avec notre ministère de tutelle, ses services académiques… Cette période où la nature se fige, entre en période d’hibernation aura été celle choisie pour « casser » un bel outil au service de nos jeunes.

Qu’en sera-t-il demain si Aurélie, qui est une élève fragile, a besoin de temps pour progresser, acquérir les gestes professionnels, les connaissances pour devenir demain une aide soignante de qualité ? En scrutant l’horizon et en échangeant avec mes collègues, je n’ai en tête que des noms d’élèves, des familles, des parcours… Comment se positionner face à nos autorités politiques qui demain vont jouer une opinion parfois incrédule, mais avec un discours populiste ayant beau jeu de dire que le monde éducatif refuse la réforme et le mouvement ? Est-ce réformer que de faire de la calculette l’outil guidant les indispensables adaptations et innovations qui se sont toujours faites dans notre « maison » ?

Demain, nous organisons notre traditionnelles première rencontre parents-équipe éducative depuis la rentrée scolaire. Je tiens à ce mot rencontre qui est chargé de sens, de dialogue, d’écoute, avec une volonté d’accompagnement des jeunes et de leurs familles. Je profite toujours de l’occasion qui m’est donnée pour être attentif aux réactions, demandes, expressions diverses de satisfaction ou questionnements…Déjà, orientation, fragilités, soutien scolaire, restauration scolaire, transport… C’est un véritable bouquet d’interrogations qui me seront adressées. J’en prendrai note avec soin. J’y apporterai systématiquement une réponse. J’en fais un point d’honneur. Oui, nous essayons, chaque jour, avec toute l’équipe éducative, de rassurer, d’apporter aide et accompagnement. Nous ne faisons rien de très original, mais en tant que chef d’établissement, je suis garant d’un climat, d’une orientation précise sur les objectifs qui sont contenus dans notre projet d’établissement. Nous avons collectivement choisi de faire le pari de l’éducation.

Novembre 2007 sonne comme un divorce, une rupture, une vraie rupture avec nos traditions et nos repères, nos démarches et les fondamentaux sur lesquels nous nous appuyons afin d’offrir aux élèves le meilleur. Réflexion, adaptation, innovation pédagogique sont les ressorts de ce qui a jusqu’à ce jour fait la force des formations professionnelles.

Samedi dernier, j’ai rencontré une jeune, ancienne élève de l’établissement, titulaire d’un baccalauréat professionnel. Elle avait réussi son concours d’entrée à l’école d’infirmière. Dans son regard, j’ai pu mesurer cette satisfaction profonde, ce sentiment de pouvoir exprimer sa fierté d’avoir eu en parcours en formation professionnelle et de se retrouver à égalité avec d’autres jeunes ayant du des baccalauréats de filières générales. Et si valoriser ou revaloriser les filières professionnelles passait par d’autres canaux que ceux qu’on imagine vouloir nous faire emprunter aujourd’hui ?

Novembre 2007 est  un mois charnière… Nous avons toujours su et pu faire valoir des arguments de fond contre des prétendues « réformes » qui n’avaient qu’une logique budgétaire. Cette fois encore, nous essaierons d’endiguer ce discours « populiste » qui caresse le contribuable dans le sens du poil, mais qui au nom d’une approche comptable oublie l’essentiel : l’éducation et la formation sont des investissements majeurs de notre pays pour construire la société de demain. Veut-on que seuls les plus forts seulement réussissent ? Si certains n’étaient pas pleinement conscients de la nocivité de la société de marché, le fait d’y faire rentrer l’éducation ne rend cette équation que plus évidente.

Ce vendredi, 20h30, la nuit est tombée depuis longtemps… Le silence enveloppe cet îlot de vie qu’est le lycée. J’éteins les dernières lumières. Je mets le contact et ma voiture passe la grille d’entrée. La pensée qui me vient alors à l’esprit concerne ce qui fait le cœur de nos métiers, l’éducation. Lundi, je remonterai sur mon cheval. Jamais, je ne pourrai abandonner ce qui me guide et donne du sens à mon engagement professionnel mais aussi de citoyen : essayer encore et toujours l’éducation, ce qui élève l’Homme et combattre ce qui l’abaisse.


24 novembre 2007

Agenda 21 : un autre lycée est possible !

Les journées se suivent, mais ne se ressemblent pas toutes… Lorsque le poids du travail accumulé se fait ressentir, chaque geste, mot devient un baume apaisant pour peu qu’il ait du sens, soit dit avec humour ou sagesse… Lorsque ces instants partagés accumulés en fin de journée sont au cœur d’un bilan, je me dis au fond, que rien n’est perdu… Tout est à poursuivre, à construire… Essayer à tout prix l’éducation !

Parfois, lors de ces journées parfois longues – trop – mais courtes, compte tenu des tâches qui se multiplient, des bonnes nouvelles viennent comme un encouragement à poursuivre notre mission. Ce jeudi, un appel téléphonique du Conseil Régional m’informait que notre lycée venait d’être retenu comme huit autres établissements d’Aquitaine, comme « pilote » dans la mise en place d’un Agenda 21 « scolaire » !

Excellente nouvelle, certes, mais projet à nouveau délicat, enthousiasmant, difficile…Bref, il va s’agir dès maintenant de porter collectivement, équipe éducative, jeunes, parents, collectivités locales, milieu associatif, que sais-je encore un projet qui constitue une véritable révolution coperncienne…

Le développement durable est un beau concept ! Chacun, à sa mesure, conscient des réalités liées aux risques environnementaux, participe ou a commencé à participer à de titanesque chantier pour construire un monde plus respectueux de l’environnement et plus solidaire… Qui ne trie pas un minimum ses déchets domestiques, qui ne conserve pas ses piles avant de les jeter, qui n’est pas allé, un samedi, à la déchetterie de proximité vider son grenier, ses déchets verts… ?

Mais élaborer un Agenda 21 dans un établissement, pour un lycée avec tous les partenaires constitue un défi d’ampleur, mais certainement une chance inouïe sur le plan du développement de toute structure mais aussi de l’innovation pédagogique…Car engager les jeunes et tous les acteurs dans une démarche de progrès environnemental et social, objectif premier, nécessitera un investissement de tous les instants…

A la joie, la fierté d’être choisi comme lycée pilote par notre Conseil Régional, succèdent les doutes, les interrogations… Serons-nous à la hauteur ? Serai-je capable de fédérer les énergies, d’entraîner les sceptiques ? Serais-je capable de faire du collectif le moteur de ce que je considère comme une chance pour les jeunes qui passeront quelques années sur l’établissement ?

Pédagogie de projet pour une éducation de progrès ! Je n’aime pas le mot vitrine…car parfois, ce qu’il y a dans le magasin n’est pas à l’image de ce que la vitrine suggère… Un lycée économe de ses moyens en énergie, capable de faire le choix d’une énergie propre, économe de sa consommation en eau, s’attachant à faire de la biodiversité un point d’attention pour l’entretien des espaces verts… Je pourrai multiplier les exemples ! Et lorsque l’on est confortablement installé dans son bureau, l’imagination joue à plein !

Si ces axes de travail m’intéressent au plus haut point, je suis avant tout le garant d’un temps de formation et d’éducation de qualité, pour ces jeunes suivant des parcours professionnels ! Etre le garant, c’est aussi impulser, accompagner, donner, réfléchir, porter des projets ! C’est pour moi ce soir, être un facilitateur… d’innovation pédagogique…

Je suis pleinement conscient, alors que nous allons nous mettre en démarche de ré-écriture de notre projet d’établissement, que cela va entraîner des bouleversements culturels dans la manière de travailler, dans le choix des outils pédagogiques, dans la volonté de faire de la pluridisciplinarité un moteur d’un accompagnement des élèves plus approprié…C’est aussi probablement parce que j’ai pleinement confiance en la capacité des partenaires, de l’équipe éducative et de l’ensemble du personnel que je suis intimement convaincu que faire de l’éducatif, du pédagogique, de l’insertion sociale et professionnelle, assurer une bonne formation continue, mettre à plat les outils de concertation, assurer des investissements immobiliers, autrement est possible !

Longtemps, je me suis intellectuellement interrogé sur ce fameux slogan des « alter-mondialistes »,  « un autre monde est possible » ! Cette démarche que nous allons entreprendre, au niveau du lycée, est certes modeste…Mais elle n’a qu’un objectif : renforcer et interroger nos pratiques afin de donner aux jeunes que nous accueillons le meilleur ! Notre établissement a toujours eu vocation à être un acteur du territoire. Demain, il le sera davantage, autrement…Mais toujours au service des jeunes !

La semaine se termine tranquillement… Je prends la mesure de ce qui m’attend, ce qui nous attend…Mais quoi de plus exaltant que ce nouveau défi, de faire de l’éducation autrement…Je suis convaincu : demain, un autre lycée sera possible ! 


1er décembre 2007

Rien n’est jamais perdu…

… mais tout est possible, pour peu que l’on essaie l’éducation ! Ceci est une belle maxime qui devrait orner, au-delà des frontons de nos établissements, la première page de nos agendas…et parfois même, chacune de ces dites pages !...

Et pourtant ! Aujourd’hui constitue un des moments de l’année des plus délicats. Les conseils de classe vont pointer leur nez, les réunions s’enchaîner, les incertitudes des décisions ministérielles sur la réforme des baccalauréats professionnels en 3 ans qui se fait brutalement sous les auspices d’un ministère des finances qui imprime sa marque tellement fort que l’éducation, cet investissement qui fera la société de demain est relégué en fin de liste des priorités…

C’est le moment où les petites querelles ne sont plus de petites querelles ! Le temps où les questions récurrentes sur les comportements « compliqués » de certains jeunes, deviennent problématiques…Mais aujourd’hui fût un concentré de tous cela ! J’ai aujourd’hui pu consacrer une bonne partie de la journée à écouter, observer, échanger, trancher, arbitrer…Pour qui ? Avec qui ? Pourquoi ? Trois questions essentielles au moment de faire le bilan de cette journée. Je me retrouve bien seul, ce soir. La nuit vient plus tôt frapper à ma baie vitrée, les élèves de quelques classes sont en stage.

Chacun a plutôt hâte de rejoindre son lieu de vie…Je remarque que les pas se font plus rapides afin de rejoindre son véhicule. Et pourtant, en cette fin d’après-midi qui n’en finit pas de s’allonger, je porte un regard quelque peu mitigé sur mes rencontres qui font certainement que demain, je serai un peu différent d’aujourd’hui! Dès neuf heures, je partageais mon bureau avec une enseignante, une éducatrice, une élève et un membre de sa famille d’accueil.

Nous avons eu un début laborieux et tendu ! Peut-être n’ai-je pas employé les bons mots, n’ai-je pas eu le regard approprié…Au bout de quelques minutes, le dialogue devient plus fluide, serein, constructif ! Les sourires n’empêchent pas la fermeté, mais cette même fermeté n’exclut pas la bienveillance d’une attitude éducative que je retrouve chez ma collègue enseignante ! Finalement, nous nous quittons au bout d’une bonne heure de rencontre, avec des engagements précis, une volonté partager de regarder demain avec confiance, sans oublier le chemin parcouru par cette jeune fille fragile derrière une agressivité qui tend au fil des mois à se dissiper… C’est rassurant de pouvoir se dire que s’il est facile de déplacer les problèmes en excluant définitivement une élève d’un établissement scolaire, le travail d’accompagnement de l’intérieur est certes plus ardu, mais tellement plus enrichissant pour tous !

C’est aussi la journée de tous les paradoxes puisqu’au moment de partager cette réflexion, j’ai aussi tranché dans le vif, en prononçant une exclusion temporaire d’une semaine ! Après de multiples tentatives d’accompagnement, de séquences de dialogue, de rencontres avec tous les acteurs impliqués – jeune, famille, éducateur, services sociaux, médico-sociaux – je fais le constat d’échec que j’espère comme toujours provisoire. La vie d’un groupe classe est parfois le théâtre de flux et reflux, un peu comme des vagues qui viennent se briser sur les rochers d’une falaise…Je suis très attentif à ce qui peut permettre à chaque jeune de gagner cette bataille contre lui-même, ce moment où se produira le déclic qui le fera basculer du côté de la construction de son projet et non vers le néant… Je suis tout aussi attentif aux adultes qui accompagnent ces jeunes tout au long des journées, enseignants ou personnels de vie scolaire…Et lorsque les temps de re-médiation, d’écoute active, les outils possibles utilisés ne suffisent pas, c’est à moi qu’il revient de faire de la sanction un acte éducatif au sens le plus juste du terme.

Alors oui, j’ai choisi d’exclure une jeune élève pour quelques jours de l’établissement, en ayant au préalable pris l’attache d’une éducatrice afin que cette semaine soit propice à la mise en place d’un véritable accompagnement, qu’une prise en charge par un pédo-psychiatre soit effective… Car aujourd’hui, je me sens impuissant, comme mes collègues face à cette situation précise. Mais au fond, je souhaite que ce temps « hors scolaire » soit utile ! Exclure pour exclure n’a aucun sens, si ce n’est de montrer que l’autorité qu’exerce l’adulte sur le jeune doit être un véritable outil de re-médiation.

Je me retrouve certes seul ce soir pour méditer, penser, deviser sur cette journée intensive en terme de relation avec l’autre. Je ne sais si j’ai correctement évalué, pesé, mes choix. Je le crois, mais je peux aussi me tromper. Toutefois, il y a certainement au moins une démarche que je pense salutaire : celle qui fait de l’exclusion un temps éducatif pour le jeune, pour peu que l’on croit que éducation et sanction ont du sens…

J’ai fait le choix de l’éducation lorsque je me suis engagé dans cette tâche ingrate mais passionnante, délicate mais tellement enthousiasmante de devenir chef d’établissement. Je demeure persuadé que faisant ainsi le choix de l’éducation, ces décisions pesantes me feront dire dans quelques temps, que jamais, rien n’est perdu… mais tout est possible ! Même le meilleur…


9 décembre 2007

La rage au cœur…

Ce matin, le train à grande vitesse qui me conduit à Bordeaux ne transporte pas mon allégresse mais davantage une forme de fatalisme ou plus précisément d’abattement. Le jour pointe sonnez alors que l’atmosphère feutrée du wagon contraste avec une tempête déjà bien présente. Un peu plus d’une heure de temps pour me permettre de réviser mes classiques…Et ces derniers ne sont pas réjouissants. En effet, la journée qui s’annonce n’est rien d’autre que la poursuite du « dégraissage du mammouth », expression célèbre d’un ancien ministre et qui restera dans les anales des bons mots de la vie politique et reprise depuis à tort et à travers.

Je vais représenter mes collègues chefs d’établissements pour déjà préparer la rentrée prochaine. Les chiffres, rien que les chiffres : effectifs passés et prévisionnels, dotations horaires globales et par classe, par division, par élève…Mon crayon à papier et ma gomme sont les outils les plus précieux ce matin. Comment argumenter, comment expliquer comment convaincre ? Et si à mon tour je n’avais qu’une calculatrice dans la tête ? Je voudrais être aussi solide, imperturbable que ces pins qui jalonnent la voie ferrée et qui semblent insensible à ces rafales de vent…tout en disposant de racines puissantes comme celle du chêne…La quadrature du cercle, certes, mais je me dis que rien ne sera perdu tant que l’éducation demeurera notre graal.

Pourtant jamais depuis de nombreuses années, nous ne nous sommes autant éloignés de l’éducation. Je parle ici, des pouvoirs publics et de nos décideurs nationaux. Certes, les moyens ne sont pas tout, mais ils sont pour beaucoup dans la réussite éducative des jeunes que nous accueillons. Je jette un œil sur le journal du jour. Les raccourcis sont saisissants : « l’école au banc des accusés » est un titre frappant mais qui ne rehausse pas mon moral en ce début de journée.

Je pose tranquillement mon crayon de bois et ma gomme. Je feuillette toutefois le journal du matin. Un petit entrefilet indique le gel de la réforme du baccalauréat professionnel en trois ans. Enfin, une lueur, une pause. Va-t-on pouvoir discuter du fond des projets avant la mise en place de mesures brutales et prises sans concertation ? Va-t-on enfin pouvoir parler éducation quand nos responsables politiques ne nous parlent que d’enveloppe budgétaire et caressent l’opinion dans le sens du poil ? Faire du court terme pour ne pas parler du long terme, faire de la surenchère médiatique pour noyer les véritables choix de société qui sont faits sous couvert de bon sens et qui ne préparent peut-être pas l’avenir aussi bien que l’on nous veut nous le faire croire ?

La météo n’est pas encourageante. Le climat de la réunion qui s’annonce sera glacial à moins qu’il ne soit très chaud. Derrière la froideur des chiffres, ce sont des projets pédagogiques, des dispositifs d’accueil de jeunes fragiles, l’excellence que l’on ne pourra assurer aux élèves d’établissements qui aspirent à faire que les ghettos dans lesquels ils se trouvent baissent la garde. Quid de cette Unité Pédagogique d’Intégration qui accueille des enfants souffrant de handicaps et fortement consommatrice de moyens humains ? Quel signal délivrer à ces équipes éducatives qui demain verront leur projet amputé de plusieurs heures ? Comment expliquer que le bilinguisme constituant une richesse culturelle pour nos territoires est devenu un luxe ? 

C’est maintenant le tramway qui me transporte vers mon lieu de réunion. L’heure est propice à la rencontre des jeunes qui se rendent au collège, au lycée ou à l’université. Les chiffres sur lesquels j’ai travaillé durant de longues heures ont maintenant un visage, des visages. Ces sacs sur l’épaule, ces sourires, ces jeunes qui écoutent leur mp3, qui s’interpellent d’une rame à l’autre, représentent notre avenir commun. Ils méritent plus que quelques considérations froidement budgétaires, même si la gestion du bien commun nécessite une bonne utilisation des deniers publics. Mais donner la priorité à l’éducation est un choix de société.

Je quitte le tramway à la station « Conseil Régional ». J’ai la rage au cœur. Je vais me battre pied à pied, sans rien lâcher dans les discussions, ne pas entrer dans le jeu consistant à ne faire que des effectifs et de la taille de l’enveloppe les variables sur lesquelles s’appuyer. Je vais entrer au cœur du dossier, l’éducation. On me rétorquera que la situation des finances publiques, les règles du non remplacement d’un personnel sur deux sont incontournables. Je ferai entendre  une autre petite musique, celle qui fait que je me suis engagé dans une véritable mission, pour aider à construire une société plus juste, responsable, faite de citoyens debout. Les jeunes ne sont pas des variables d’ajustement. Ils ne sont pas davantage des marchandises, comme l’éducation doit demeurer le ciment de notre avenir commun.

Je pousse la porte de la salle de réunion. Le fatalisme, l’abattement ont laissé place à une vraie combativité. Nous sommes le produit de nos rencontres. Celles de ce matin m’on redonné du cœur au ventre. Je ferai tout pour être à la hauteur de l’enjeu éducatif. C’est la seule querelle qui vaille !


15 décembre 2007

Conseils de classe…

Les mois de novembre et décembre sont ceux qui cristallisent parfois les aigreurs, les espérances, la fébrilité tant des élèves que des adultes, bien entendu des parents. C’est aussi le temps de l’année où le jour se fait plus paresseux, la noirceur charriant de multiples angoisses…

Ce contexte n’est pas toujours propice à la tenue de conseils de classe empreints de sérénité. Et pourtant, après avoir feuilleté les bulletins scolaires, lu entre les lignes ce que chaque adulte voulait dire avec ses mots et sa sensibilité, je n’ai pas noté d’appréciation contraire à une éthique qui doit être le cœur de nos métiers : le conseil, l’accompagnement et non je jugement.

Si les mots un sens, si les paroles portent, alors nous devons prendre la posture de véritables éducateurs lors de cette rencontre unique entre l’équipe éducative et les délégués de classe.

Ce soir, les élèves de baccalauréat professionnel constituent le cœur de notre rencontre de cette soirée de début décembre. C’est l’heure d’un premier bilan d’étape.

Je l’ai souhaité et préparé dans ma tête comme un moment éducatif essentiel et devant être de qualité. Exigeant, bienveillant, sans concession, mais dans son acception première qui est bien celle d’un conseil, d’un temps d’accompagnement. Donner du sens à ce temps que nous souhaitons d’échange, c’est faire preuve de discernement.

Voilà ! Nous y sommes… Nous égrainons le parcours de chacune et de chacun tranquillement. Je suis très attentif aux mots utilisés, ne souhaitant donner aucune prise au jugement péremptoire, ou aux raccourcis qui peuvent avoir une connotation blessante. Les délégués expriment leurs souhaits, leurs interrogations et leurs inquiétudes et parfois quelques angoisses avec beaucoup de pudeur, mais la plupart du temps avec des mots justes. J’utilise souvent ce temps de rencontre pour indiquer que ce qui est dit sans agressivité, mais avec justesse, parfois avec fermeté, mais sans volonté de juger l’autre peut et doit être entendu.

La clé de la réussite est bien ici. Entendre et être entendu. L’échange suppose un vrai respect mutuel entre élèves et adultes. Chacun doit assumer pleinement sa fonction, son rôle avec lucidité et en étant exigeant. C’est ainsi que les jeunes pourront grandir, ainsi que nous, adultes éducateurs, qui sommes le produit de nos rencontres quotidiennes, pourrons nous enrichir de ce que nous ressentons et percevons.

Parfois, c’est l’intérêt de tel cours, le contenu trop abscons d’une matière, le souhait de disposer de séquences de soutien, l’ambiance de la classe et la difficulté de vivre ensemble, le chacun pour soi qui est condamné, la fébrilité due aux dates d’examens qui approchent…Ces questions sont certes récurrentes, mais si nous pouvons avoir des réponses standardisées, prendre du temps pour échanger constitue ma priorité pour peu que chaque interlocuteur ait la volonté de donner le meilleur. Pour autant, le dialogue permet souvent de mettre au jour les ressorts de ces difficultés, de ces questionnements ou de ce mal-être qui peut peser sur une vie de groupe.

Ce soir, deux conseils de classe se sont déroulés. Les contextes étaient différents. Tensions plus ou moins palpables. Nous avions, le professeur principal et moi-même, rencontré les délégués de classe dans le courant du premier trimestre afin de remettre en place une dynamique éducative et de travail. Tout cela a été dit et fait. Dire ce que l’on fait et faire ce que l’on dit.


23 décembre 2007

La trêve des confiseurs…

Entre Noël et le jour de l'an, c'est la trêve des confiseurs : c'est ainsi que s’appelle la mise en sommeil, durant cette période de fêtes, de toute activité professionnelle durant cette période. Au tournant du solstice, on brave les rigueurs de saison pour mieux se persuader qu'on existe et qu'on est vivant. Bombance, donc ! Et on fait sonner le tiroir-caisse du confiseur. C'est donc la trêve pour tout le monde sauf pour les confiseurs…

C’est donc aussi la trêve pour les élèves, si par extension, le « métier d’élève » est pris en considération avec tout le sérieux nécessaire. Elle aussi la bienvenue pour tous les personnels de l’établissement. Cette première partie de l’année scolaire a été ressentie comme difficile, longue, toujours plus longue que les années passées ! Pourtant, ce ne sont ni plus ni moins de journées travaillées ! Les élèves ne sont ni plus ni moins « difficiles » que ceux qui les ont précédé…

Certes, l’absentéisme, le rôle des parents, les écarts de langage, les tensions entre élèves, entre ces derniers et des professeurs demeurent des poins d’attention, parfois des blessures pour les uns et les autres. Les sanctions, les appréciations sur les bulletins trimestriels marquant les progrès, conseils, ou quelques avertissements nécessitent de prendre du temps, du recul.

J’ai pris le temps, ce samedi matin, de me rendre au lycée, alors que le silence a pris la place de la vie bouillonnante d’une journée traditionnelle. Ce matin, à la sonnerie qui est toujours en fonction, les portes ne s’ouvrent pas, ne claquent pas. Les billets d’appel ne sont pas accrochés aux portes des classes. A travers de la baie vitrée, le soleil illumine l’horizon et mon imagination me transporte sur les sommets enneigés des Pyrénées.

Un fond musical accompagne ce temps de pause, ce début de trêve des confiseurs. Je n’ai pas choisi d’interprète au hasard. Le dernier album d’Anne Etchegoyen, « otentik », la marraine de notre projet collectif Agenda 21 scolaire m’offre cette bouffée d’oxygène dont j’ai autant besoin que tous mes collègues qui ont entamé un repos bien mérité.  Anne, qui d’ailleurs offert de son temps pour venir hier à note rencontre sur le lycée et qui nous a donné du cœur à l’ouvrage et des perspectives pour la rentrée. Mélange de textes chantés en basque, duos avec des voix corses…

Je prends le temps de feuilleter les cahiers de texte, les copies des bulletins des élèves, de tous les élèves. Tout cela a du sens : j’annote, je souligne ou surligne ce qui me parait devoir l’être. Je prends du temps pour comparer les mots utilisés l’année passée, les changements et progressions pour les élèves que nous accompagnons depuis plusieurs années. Les mots et appréciations par matière, ou finale sont répétitives ou parfois fades, souvent pertinentes. Je pense aux parents ou adultes qui vont prendre connaissance de ces mots, de ces constats parfois peu encourageants. Je pense aussi à ces regards de jeunes qui brilleront et auront le son du défi relevé !

Le « carnet rouge », qui représente mon compagnon quotidien, ma mémoire « éducative » se remplit de quelques remarques, questionnements nouveaux, quelques certitudes aussi. Je vais ainsi enrichir mon expérience afin de faire en sorte de prendre ou de tenter de prendre le meilleur des chemins pour chacune et chacun des élèves. Parce que pour un nombre important, il sera question d’orientation, de livrets scolaires, d’appréciations pour entrer dans des formations d’enseignement supérieur. Je suis pleinement conscient que être juste, faire preuve d’équité, constituent les axes les plus délicats de ma fonction. C’est une obsession salutaire pour tout éducateur responsable.

J’ai aussi une pensée pour tous ces adultes qu quotidien qui accompagnent les élèves du lycée. Oui, ce sont des personnes qui ne sont pas importants mais ont pour moi de l’importance ; une pensée pour cette communauté éducative tendue vers l’objectif de faire de ce lieu l’école de tous les talents pour peu que nous ayons la chance de les découvrir, de toutes les richesses afin de les mettre en valeur.

Je prends maintenant le temps de poser mon regard sur les tableaux qui m’accompagnent tout au long de l’année. La porte de mon carrelet est ouverte. Je vais à mon tour faire cette trêve qui me semble méritée. Durant quelques jours, je vais certainement retrouver à temps plein mon rôle de père, fils, oncle, ami, parrain…Je vais avoir le plaisir d’aller ouvrir la porte de ce carrelet qui m’attend sur les bords de la Gironde, cet estuaire dont l’eau épaisse, lourde, brune représente une partie de mon univers. C’est aussi le temps de Noël qui vient me prendre par la main, un Noël de lumière, de papillotes, un Noël solidaire et donc de partage. Que cette trêve des confiseurs a du bon…


Le 4 janvier 2008

2008, ou le petit éloge de la lenteur… 

Avec l’arrivée de 2008, c’est un nouveau départ qui s’annonce ! Et si l’association, quelque peu « décalée » de ceux qui veulent arrêter le temps, n’a pas atteint son objectif cette année encore de « bloquer » le compteur au 31 décembre 2007, on ne peut s’empêcher, au-delà de cette utopie, de s’arrêter un instant sur cette dimension de notre vie.

Ne vais-je pas dire à chacun des jeunes qui vont entamer cette nouvelle étape scolaire que la fin de l’année approche à grands pas, que le temps va filer à la vitesse d’un TGV et qu’il va falloir redoubler d’efforts pour être prêt à temps ?

Ne vais-je pas insister auprès de mes collègues sur les dates importantes de la fin de l’année qui vont arriver très vite, que ce soit sur la clôture du contrôle continu, les préparations de l’envoie des rapports de stage, que sais-je encore ?

Je vais entendre à nouveau certains collègues me dire que le temps est si précieux et la fin de l’année scolaire étant maintenant toute proche, qu’il n’est pas raisonnable de faire telle ou telle activité, « manger du temps » sur les cours.

Je peux bien évidemment entendre cela, le comprendre puisque moi-même, je vais avoir pour mes propres activités, une perception semblable. Chaque année pourtant, je vais m’efforcer de maîtriser cette dimension de la vie de chacune et chacun qui est celle du temps qui passe.

Derrière les utopistes de cette fameuse association, il y a pourtant une vérité qui nous enveloppe tous ! Nous sommes entrés depuis de nombreuses décades dans une société qui fait du temps une ressource, au même titre que le capital travail ou le capital financier.

Certes, l’idée selon laquelle « le temps c’est de l’argent » n’est pas si récente, mais la systématisation de cette démarche a profondément modifié notre rapport au temps.

Ne faudrait-il pas que les élèves apprennent plus vite, comprennent encore plus vite, entrent « plus tôt » dans le monde du travail après que nous ayons fait collectivement le choix de leur permettre d’acquérir davantage de connaissances en allant plus longtemps à l’école ?

Ne faudrait-il pas qu’une recherche de documents sur internet, à la fois richesse et danger, aboutisse à un ouput, un travail abouti sans autre réflexion ? 

Ne faudrait-il pas que l’école forme mieux et plus vite de futurs salariés comme le demandent les entreprises ?

Ne faudrait-il pas que les sessions de formation des personnels se déroulent sur moins de journées, que le travail soit plus intensif et que le co-investissement devienne la règle ?

Et pourtant, ce n’est pas de moins de temps dont nous avons besoin afin que la grande affaire qui nous rassemble, celle de l’école, puisse devenir un jour une réalité à la mesure de l’utopie qui nous fait avancer. Nous avons besoin de prendre le temps nécessaire pour accompagner chaque élève, dans son projet personnel et professionnel ; nous avons besoin de prendre le temps qu’il faut pour acquérir les savoirs et les compétences qui nous permettront de mieux épauler les jeunes qui sont dans nos établissements.

Le « juste à temps » doit aussi pouvoir céder le pas « temps juste ». La vie ne peut se résumer aux TGV, LGV, vitesse de connexion, aux photos numériques (qui au-delà de leur utilité visent à nous priver du temps de développement et de découverte de l’œil), au zapping, autre forme de perversion du temps. Est-ce le « temps juste » que de voir les catalogues de cadeaux de Noël dès la fin octobre, ou bien les galettes des rois en décembre et la Saint Valentin début janvier ?

Nous avons aussi besoin, chacune et chacun, d’une « éducation au temps » ! Parce que le temps n’est pas simplement une ressource à valoriser, comme la plupart des économistes veulent nous le faire croire, mais une philosophie de la vie. Une éducation au temps pourrait permettre de s’ouvrir un espace d’autonomie dans une société qui ne valorise à ce jour le temps que par de l’argent

C’est à un véritable petit éloge de la lenteur que nous devons revenir. Mais retour ne signifie pas réaction, simplement réappropriation de valeurs qui nous ont échappé à notre insu. « Le lièvre et la tortue » n’en est-il pas un  exemple ? Et ne gagne pas toujours celui que l’on croit…Et si nous faisions l’éloge des TER, des routes départementales ? Car l’éloge de la lenteur n’est pas l’ennemi de l’effort, bien au contraire…

En cette période de vœux « convenus », je formule le suivant : que nous retrouvions le goût de maîtriser le temps qui nous est offert. De là à l’arrêter, il n’y a qu’un pas... A chacun ses utopies !


Le 13 janvier 2008

« Une nouvelle année débute… »

Deux semaines de repos et de nouveau le quotidien reprend vite le dessus. Le temps des souhaits passé, les journées et les temps de rencontre s’enchaînent… Les premières demandes de rendez-vous d’inscription pointent le bout de leur nez. Derrière cette précocité, ce sont les inquiétudes des parents qui souhaitent trouver la meilleure voie possible pour leurs enfants. Je souhaite en tous les cas conserver le principe sur lequel je me suis toujours appuyé : prendre le temps de la rencontre, de l’échange, de la construction d’un projet. J’ai souvent regretté l’attitude de certains collègues qui, lors de la première visite du jeune et de sa famille, assurent à ces derniers une place pour la rentrée suivante. Cette démarche me semble à la fois décalée et inopportune.

Certes, le temps de l’orientation est crucial. Il est vrai que les échéances arrivent souvent vite. Pourtant, dans une société qui privilégie l’immédiateté et le zapping, construire un projet professionnel nécessite de prendre le temps nécessaire. Il est de notre responsabilité d’adulte et d’éducateur de faire prendre conscience au jeune et à sa famille de l’extrême utilité de ne pas aller trop vite.

Entrer dans un bureau et en ressortir avec la réponse souhaitée ou attendue parce que l’élève ou/et sa famille sont devenus des clients constitue le contre-exemple parfait de ce que ne devrait plus faire l’école. Doit-elle être simplement le reflet de la société ou doit-elle au contraire permettre d’offrir un espace de construction de la citoyenneté permettant à chacun de devenir acteur de son projet de vie ? Prendre en considération chaque élève comme un citoyen en devenir ou ne le considérer qu’un simple rouage de notre société de marché qui aliène plus qu’elle ne libère ?

Donner le sentiment qu’il suffit de demander pour obtenir, ne servir que de simple « chambre d’enregistrement » des demandes ou des démarches « compulsives », n’est que la négation de notre rôle d’éducateur. Et n’est-il pas déstabilisant pour un jeune, dès le mois de janvier de savoir que l’année scolaire suivante il sera dans un autre établissement, occultant dans de nombreuses situations qu’il lui reste quelques mois d’efforts à fournir ?

Et ces quelques mois sont souvent les plus complexes à « gérer », nécessitant un accompagnement plus proche et plus attentif. Le découragement arrive vite, l’absence de travail et la démotivation guettent…C’est certainement le moment où la démarche pédagogique retrouve tout son sens et doit prendre le pas sur ce « temps gris » qui mine le moral de chacun. Le printemps n’est pas encore là et les sourires ne sont pas si fréquents ! L’enthousiasme est en berne. J’ai toujours pris le parti, lorsque j’enseignais, de faire de l’innovation pédagogique le cœur de mon approche. C’est, comme chef d’établissement, le temps où je dois être attentif aux « bobos » de l’âme, aux regards qui parlent davantage. Car c’est le moment où tout peut basculer ! Arrêt de scolarité, absences à répétition, mal-être qui peut tourner à l’angoisse : voilà ce qui guette « mes » jeunes !

Le regard des élèves dit beaucoup, mais celui des adultes que je dois accompagner aussi. Je suis souvent absent puisque la préparation administrative de l’année à venir est en cours. Chacun en a pleinement conscience, mais chacun manifeste le souhait d’être écouté à défaut d’être entendu. Redoubler d’attention, de délicatesse, de gestes sincères, d’encouragements : voici le défi auquel je me trouve confronté. Parce que « arracher » des heures, négocier des postes, préparer le mouvement de l’emploi, c’est aussi donner du temps « invisible » pour chacun et chacune des personnes composant l’équipe éducative du lycée.

Il y a aussi « la fameuse » note administrative, l’occasion de s’asseoir autour de la table, et faire preuve de la bienveillance nécessaire, source d’encouragements afin de poursuivre le mieux possible le difficile chemin « de l’éducation ». Ce métier est suffisamment complexe mais d’une importance première, que j’ai pris le parti de faire avec cette notation de l’évaluation « formative », un outil au service des élèves avant d’être celui du développement d’un ego déplacé de l’adulte ou d’une simple sanction! Je pense que chacun de mes collègues vit  cette démarche positivement, tranquillement.

L’année nouvelle n’a pas modifié les problématiques face auxquelles je me trouve. Par contre, elle renforce davantage la conviction profonde qui m’anime : nous faisons un des plus beaux métiers du mondes, qui conjugue l’incroyable incertitude de la « relation éducative » et la force du lien humain qui offre une bulle de sérénité dans cette société qui privilégie le résultat et la performance à tout prix ! Parfois, et sans flagornerie, je trouve que nous avons tant de points communs avec les artistes de cirque, ces artisans du spectacle qui travaillent souvent « sans filet » et doivent être capables de « tout » faire !

« Artisans de l’éducation » ! Ce serait une belle dénomination sur une hypothétique carte professionnelle…


Le 19 janvier 2008

« L’absentéisme, une maladie chronique… »

Si l’absentéisme a, depuis quelques années fait l’objet d’attention particulière, c’est son accroissement qui a concentré la plupart des réflexions. Des textes normatifs ont été produits, indiquant que toute absence cumulée, justifiée ou non, de plus de dix pour cent du temps de la durée de la formation, pouvait aboutir à l’exclusion d’un élève du dit parcours scolaire.

Ce n’est pas tant le volume de l’absentéisme qui est inquiétant, stable, certes à un niveau élevé depuis quelques années, que les démarches des élèves et adultes combinées qui posent question.

Sans faire du passé un âge d’or qui n’a peut-être que le goût de la nostalgie, il n’en est pas moins vrai que les évolutions de l’environnement dans lequel nous vivons, pèsent de plus en plus sur ce mal, qui n’est pas seulement français, mais plus largement en lien direct avec les valeurs portées haut et fort par « la société de marché ».

Pour cette dernière, l’élève n’est plus une personne en construction, un citoyen en devenir. Il est avec sa famille, un consommateur. Il dispose de droits. Il est celui qui peut zapper, si « le produit » ne lui convient pas. L’éducation est devenu, dans l’inconscient collectif et pour beaucoup, une marchandise. Il ne s’agit plus d’un bien public, d’un investissement dans l’avenir ou pour l’avenir, mais un simple bien de consommation, avec des coûts ! L’éducation est devenu un simple bien de consommation, avec ses substituts. D’ailleurs, s’il n’en était pas ainsi, les officines privées ne se multiplieraient pas avec autant de vigueur.

Derrière cette vision de l’école, il y a d’abord celle du marché ! Comment devenir une « star » en quelques semaines, faire de l’exclusion des uns et des autres selon des critères qui tiennent plus de l’affectif que des qualités intrinsèques des personnes ou des efforts : voilà ce que donne comme modèle cette « société de marché » qui privilégie davantage le paraître ou l’avoir que l’être, l’immédiateté que le temps, la facilité que l’effort.

Alors si l’école est devenu avec le temps un lieu comme un autre, un « magasin » qui ne propose qu’un produit « ringard », qui valorise l’effort, les talents divers, mais fait de la durée, de la constance et de la persévérance des valeurs de base de la construction de la personne et du citoyen « libre » de demain, alors comment s’étonner que ce creuset républicain n’ait pas la meilleure presse ? Venir à l’école « à la carte » n’a rien de scandaleux et devenu banalisé ! Aucun des outils extra scolaire n’ont à ce jour permis de redonner tout son sens à l’assiduité ! Les sanctions financières, la mise sous tutelle des allocations familiales ou scolaires n’ont à ce jour, eu aucun effet sur ce « fléau sociétal ». Car le fond n’est pas abordé. Seul les effets ont été mis en exergue, parce que faisant l’objet d’un regard positif de l’opinion.

Comment donc lutter à armes égales avec cette société qui fait de l’exclusion des plus faibles, sa marque de fabrique ? Quel avenir pour « le maillon faible », pour celui qui est différent, qui ne dispose pas de la facilité d’accès aux bonnes voies, aux écoles de « qualité » ? Certes, aujourd’hui, les jeunes issus de milieux les plus favorisés savent trouver l’information, disposent des appuis nécessaires pour se frayer un chemin.

Les jeunes issus de classes moyenne ou d’employés et ouvriers, ceux pour lesquels la distance culturelle avec l’école est la plus importante, sont ceux qui recherchent dans les miroirs aux alouettes qui sont offerts à leur regard, le moyen de faire demain un saut « social », espèrent pouvoir grimper dans cet ascenseur qui  pourrait leur permettre de quitter leur condition actuelle minée par la paupérisation. Le mythe du mimétisme est à l’oeuvre. Ces jeunes et familles ne mesurent plus que l’école a été et demeure ce lieu qui est à la base de ce qui peut permettre à chacun de s’insérer socialement et professionnellement dans la société, malgré ses perversités actuelles et de devenir un acteur d’un choix collectif d’un autre vivre ensemble pour demain.

Alors, ce flou, cette approche indiquant que tout se vaut, que l’image remplace le fond, que l’école est un produit de consommation que l’on garde ou que l’on jette ou re-jette est une raison majeure qui fait de nos jeunes des élèves pour un trop grand nombre, « transparents ». Le « métier de parents » est certes plus complexe et certainement plus exigeant qu’hier, tant les tentations, les dimensions sont devenues difficiles à cerner. Démission des parents ? Peut-être pour un petit nombre. Mais surtout pour la majorité, c’est le temps des incertitudes et interrogations qui demeurent. A ces dernières, un message fort doit venir, non seulement de l’école, mais aussi des autorités de l’Etat ! Avec tout ce que cela nécessite de pédagogie, d’effort, d’engagement. Faire de la diminution des moyens une règle commune, quelque soit les secteurs de notre société, donne in fine l’image selon laquelle l’éducation n’est ni plus ni moins importante que d’autres domaines !

Ces démissions successives, ces glissements pernicieux n’aident pas les éducateurs que nous sommes à faire de l’école le pôle de construction de l’avenir. Que pèse  le travail de proximité que nous effectuons faire au quotidien si les jeunes et leurs familles restent noyées dans une immensité consumériste ?

Demain, je penserai à nouveau qu’il est inacceptable que tel ou tel élève soit absent, que telle ou telle famille ne soit pas plus attentive à cette démarche vitale qu’est la présence à l’école. Je n’aurai toutefois pas les moyens de renverser le cours des choses, tant que la société présentera le visage à la fois masqué (de moins en moins) et brillant de la superficialité et de la facilité, valorisera le zapping et n’aura de cesse de montrer que le mimétisme est le moteur de notre société ; ce mimétisme qui est aussi source de cette violence sociale, subie par les plus fragiles.

Ne jamais baisser les bras. Toujours remettre sur le métier ce qui constitue le cœur de notre métier. Afin que ce qui abaisse l’Homme ne prenne jamais le pas sur notre conviction que l’école doit avoir le dernier mot ! Quel beau défi à partager !


Le 27 janvier 2008

"S’il suffisait… "

Malgré tous les efforts pour expliquer, travailler, accompagner chaque famille, selon son profil, le projet du jeune scolarisé, demeure un mur d’incompréhension manifeste avec le monde de l’éducation. Nous avons tant travaillé à abattre  ceux de l’indifférence, de l’exclusion, des discriminations, des inégalités des chances que je suis toujours stupéfait lorsqu’une famille vient à ma rencontre ou à celle d’un enseignant avec un livre de « recettes » prêtes à l’emploi.

Cela me fait penser aux plats à préparer où il suffit d’assembler les ingrédients placés dans divers sachets, ajouter telle quantité d’eau, telle poudre miracle deshydratée, afin de réaliser un plat de haute volée, que tant de cuisinières ou cuisiniers « artisanaux » ou professionnels ont mis du temps avant de les réussir…Tout est à la portée de chacun, sans faire plus d’effort, sans connaissances particulières.

Lorsqu’une famille arrive avec son prêt à penser et prêt à agir « pédagogiques », je suis pour le moins dubitatif, si ce n’est inquiet. La relation éducative se construit dans le lien, la durée, avec tout ce que cela comporte de parts d’incertitudes. Je comparais volontiers nos métiers avec ceux des artistes de cirques, et plus précisément avec les funambules qui sont toujours à la limite de l’équilibre, plutôt instable d’ailleurs. Cela est toujours d’actualité.

Alors aujourd’hui, lorsque j’entends ce père, certes attentif, en difficulté car si sa fille l’est aussi, je me dis que le chemin va être long, ardu, sinueux, pour arriver à une relation apaisée, faisant de l’école un vrai partenaire, un bel outil au service de cette élève qui au fond en a certes davantage besoin que d’autres parce qu’elle part avec un vrai handicap lié à la distance culturelle qui l’a éloignée de la connaissance, de l’éducation dans toutes ses dimensions.

Les premiers échanges ou plutôt les recettes que me livre cet adulte a un fort parfum de « bouc émissaire ». Il suffit de changer tel enseignant, lui demander de modifier son approche pédagogique, d’exclure tel ou tel élève qui est perturbateur…Et si cela ne suffit pas, j’entends la proposition, qui est davantage un acte se voulant davantage symbolique : « je veux assister aux cours » ! En écoutant ce papa en souffrance, je note qu’au départ, aucun mot ne concerne directement sa fille. Rien ne concerne son parcours complexe qui a été le sien lors des années passées, tant sur les plans scolaire que de vie dans le groupe…

Et pourtant, une fois ce temps d’écoute où je note scrupuleusement les mots employés, les expressions utilisées, c’est un véritable tir de barrage « contre » le milieu éducatif, la démission des familles, l’inutilité d’aller loin dans les études puisqu’il manque tant de personnels qualifiés de niveau BEP ou BAC PRO et que les offres d’emplois ne sont même pas pourvues…

J’ai la certitude, après avoir repris la parole et dans un rythme qui exprime davantage la sérénité et le recul que la volonté d’entrer sur ce terrain de « combat ».  Si j’entrais sur ce dernier, j’ai la certitude que l’élève, qui est au cœur de mon quotidien, serait finalement perdante. Une fois le bouc émissaire identifié, son exclusion du jeu, aurait-on résolu les questions de fond pour cette jeune fille ? L’histoire malheureusement nous montre que cette théorie n’a jamais fait obstacle à la recherche de toujours nouveaux boucs émissaires. Ici, dans la situation qui me préoccupe, je m’interroge sur le « prochain bouc émissaire ». Un autre enseignant ? Des élèves ? La société ? Le lycée ? C’est pour cette raison que jamais je ne dois me laisser à la faciliter de jouer le jeu très dangereux de répondre sur le même registre de l’excès qui n’apporte rien au jeune.

Aura-t-il entendu que depuis quelques semaines, malgré ou grâce à quelques sanctions appropriées, un suivi plus proche - qui n’est pas une « mise sous tutelle » mais un véritable accompagnement éducatif - un frémissement s’est fait sentir ? Que l’abîme éducatif qui existait dans certaines matières, avec quelques efforts et justement une approche pédagogique appropriée n’était pas inéluctablement le bout du chemin mais le début du parcours et que chaque pas était important, voire décisif ? Aura-t-il perçu que l’école n’est pas une ennemie, mais peut devenir une alliée fidèle et solide, pour peu qu’on la considère comme un « lieu de construction de la personne » et non un outil de démolition des plus fragiles, les éloignant encore davantage d’une insertion sociale et professionnelle nécessaire ?  

Ce que je perçois à l’issue de cette rencontre tendue, parfois tournant à une forme d’agressivité qui n’est pour moi rien d’autre qu’un instrument « d’auto-défense » maladroit, c’est qu’il faudra du temps à cette jeune, mais aussi à sa famille, pour comprendre que l’école est une chance ! Que l’éducation n’est pas une science exacte. Nous ne pouvons nous abriter derrière les incantations et chaque instant passé avec les élèves constitue autant de temps d’innovation, de recherche, d’approfondissements, de recherche du chemin le plus adapté… Il y a bien longtemps que je ne crois plus au « livre de recettes » aussi intelligentes puissent-elles paraître. Nous travaillons sur de la « pâte humaine » et utiliser systématiquement chaque fois les mêmes ingrédients n’aboutit heureusement aux mêmes résultats ! Heureusement ai-je dit ? Oui, car s’il suffisait de faire comme si l’éducation n’était qu’un assemblage de produits pré-fabriqués, quelle tristesse que la mission d’éducation ! Quelle pauvreté au quotidien… La certitude est le signe d’une pensée morte… J’en suis encore davantage convaincu ce soir, au moment où cette rencontre se termine. Le lien n’est pas rompu ! L’espoir de construire « ensemble » demeure. N’est-ce pas là l’essentiel ?


2 février 2008

« Fait divers... »

Cette semaine a été marquée par un acte dont la malheureuse répatition et volontaire médiatisation n'a pu que nous interpeler, aussi bien collectivement qu'individuellement. Bien entendu, mis en exergue lors des premiers flashs d'information sur l'ensemble des radios, le déferlement médiatique, les incontournables imprécisions, racouris, effets de loupe ou carricatures dans tous les sens se sont succédés.

Les salles des professeurs ont été les premiers réceptacles de cet enchaînement. Violence d'un adulte sur un élève? Inaceptable! Langage ordurier ou profondement blessant d'un enfant de 11 ans envers un adulte détenteur de l'autorité dans sa classe ? Intolérable...

J'écoute, observe, au coeur de notre salle des professeurs, les réactions qui semblent toutes marquées au coin du bon sens! Et ce d'autant plus que nous avons aussi vécu un geste tout autant intolérable sur le lycée, le véhicule d'une enseignante ayant fait l'objet de dégradations volontaires...

Le climat est lourd, tendu, même si j'ai souhaité une réponse exemplaire et rapide, si les autorités de la République ont été saisies des faits.

Les amalgames, les racourcis ne sont parfois pas uniquement ceux que l'on entend sur les ondes des radios, mais aussi autour de nous, de moi. Le temps semble prendre le chemin d'une accélération que je n'arrive pas à maîtriser, en tous les cas, telle est ma perception. J'ai effectivement besoin de prendre aussi  ce recul nécessaire à tout responsable de communauté éducative.

Communiquer, accompagner la victime, sanctionner le jeune concerné sans faire preuve d'activisme mais d'une action maîtrisée : tel est le défi qui se trouve devant moi...Dire et faire, faire et dire! Jamais peut-être le « tenir parole » n'a pris autant d'importance, tant pour ce que peut représenter la fonction que j'occupe, que la personne que je suis.

Ce message est d'une complexité inouïe à faire passer, aux adultes ou bien aux jeunes et à leurs familles. C'est la solitude de la fonction que je mesure, le poids des responsabilités et surtout l'équité dont je dois faire preuve. Jamais je ne dois me départir de ce guide! C'est le temps des y-a qu'à, des faut qu'on... C'est aussi le temps où il faut à la fois tenir la barre car par temps de forte houle, la tentation du bouc émissaire est forte, mais celui du recul nécessaire pour prendre les bonnes décisions.

Comment faire de la sanction un exemple avec un souci d'efficacité et non un affichage ? Comment intégrer la sanction dans une démarche éducative, même et surtout si celle-ci se doit d'être exemplaire ?

Mille et une questions sont sur la table! En tous les cas, j'ai le sentiment que   renverser la table peut-être une tentation. Construire et reconstruire est toujours plus difficile. Quels outils, quelles démarches? Je n'ai pas de certitudes, pas de recettes miracles à proposer. Ce que je sais, c'est que rien ne remplace le travail d'éducation, en mettant les protagonistes autour de la table, une fois la poussière retombée. Certes, ne pas accepter l'inaceptable comme les propos dégradants et humiliants, les comportements aggressifs ; sanctionner car la sanction constitue un maillon de l'éducation: voilà ce à quoi nous devons être attentifs. Pour autant, même si expliquer un comportement  ne dot pas constituer un début de démarche visant à excuser de tels agissements, cela doit nous aider collectivement à nous doter de pratiques collectives cohérentes.

S'il est demandé à l'adulte responsable de sa classe de faire en sorte que les jeunes y soient en sécurité au sens large du terme, je crois que ce sentiment de sécurité doit être assuré à l'enseignant, éducateur de vie scolaire ou bien tout personnel administratif et technique vivant professionnellement sur le lycée.

Tenir le cap, même si les résultats ne sont pas aussi rapides que l'on pourrait le souhaiter, tenir parole au service de la communauté éducative dont je suis responsable: sans démagogie, mais avec constance; sans faiblesse, mais avec comme horizon la réussite scolaire et éducative de chacune et chacun ; sans activisme mais avec constance afin que chaque adulte puisse assurer et assumer sa mission et ce qu'il est...

Vaste programme! Défi ou utopie? En tous les cas, en quittant le bureau ce soir, j'hésite en une forme de découragement et l'irresistible envie de ne pas céder un pouce de terrain... En reprenant le chemin du lycée, mon choix est fait: résister pour mieux construire demain et être un maillon de la communauté éducative pour que ces bleus à l'âme aident chacune et chacun à retrouver la sérénité indispensable àl'exercice de sa mission d'éducation. Parce-que l'éducation doit primer, envers et contre tout...


10 février 2008

Lorsque les concessions deviennent une force pour construire…

Sur un calendrier apposé sur un mur de mon bureau, une citation ainsi qu’une parole en forme de conseil, illustrent cette semaine. « Sans tolérance, pas de Paix possible. Et pas de tolérance sans mutuelles concessions ». Quelle parole de sagesse de Basile Djédjé ! « Envers qui est-ce que je me sens intolérant dans mon entourage ? Quelle concession pourrai-je faire envers cette personne cette semaine ? » La profondeur de ces mots me donne le vertige !

Dans un premier temps, je m’interroge simplement sur les personnes qui m’entourent, qu’elles soient des adultes  ou bien des jeunes du lycée. La nécessaire autorité de l’adulte ne repose-t-elle pas fondamentalement sur la capacité d’écoute, de dialogue et parfois de concessions ? Si cette démarche est ressentie comme une faiblesse, alors, elle ne permettra pas de construire de parcours serein avec les jeunes en général et le groupe classe en particulier. Outre la compétence, c’est la démarche pédagogique qui constitue le socle de cette autorité qui fait de l’adulte une référence, une personne reconnue pour ce qu’elle est.

Au quotidien, certes, tout cela n’est pas aussi aisé ! Adultes, nous avons nos perceptions, nos qualités et limites, une approche pédagogique différente de nos collègues, ce qui au final constitue une richesse potentielle pour chaque jeune. Tout mettre en œuvre pour faire en sorte que la relation apaisée prenne le pas sur l’improvisation, l’ouverture vers le groupe sur le repli sur soi et ses propres certitudes. Je mesure les difficultés au quotidien d’enseignants, de personnels de vie scolaire pour trouver à chaque instant la bonne entrée, le graal qui fera qu’au terme de la séquence de cours ou de travaux pratiques, d’atelier ou de sortie sur le terrain, chacun ait le sentiment d’avoir avancé, acquis des connaissances ou des compétences.

Le chemin est aussi long et parfois bien davantage que nous ne pouvons l’imaginer pour faire entrer chaque jeune dans cette démarche de faire de la concession « le carburant » de la tolérance : tolérance envers l’autre, qu’il soit adulte ou bien jeune du groupe… Oui, «Le rôle de l'école est d'intégrer un petit d'homme dans la communauté humaine, de transformer un individu en une personne. Répétons-le : éduquer c'est é-ducere, c'est conduire un jeune hors de lui-même, le faire exister dans les échanges qu'il vit avec les autres. », comme le dit très justement Albert Jacquard.

L’éducation est un processus, signifiant par là que le temps en est une des variables essentielles. C’est un horizon certes lointain, mais cela n’exclut pas de garder le cap. Car jeunes et adultes, nous sommes dans le même bateau. Et paradoxe apparent seulement, nous nous construisons ensemble, jeunes et adultes, dans la relation, dans l’échange, donc dans la concession. Apprendre à faire des concessions, lorsque l’essentiel est en jeu, c'est-à-dire l’éducation, doit être notre ligne de crète.

Mais ces deux citation et conseil, j’ai aussi pris le parti de les interroger pour la fonction que j’occupe. Discerner l’essentiel de l’accessoire pour être capable de construire une relation éducative sereine doit me conduire à m’interroger sur mes capacités de remises en question. C’est certainement un guide utile pour à la fois conduire, accompagner, impulser, nouer et dénouer, arbitrer et sanctionner, bref, assumer la charge qui m’incombe. Je mesure le chemin qu’il me reste à faire pour être à la hauteur de ce que l’on est en droit d’attendre de moi. « La cité idéale est celle où tout est école ». Avec Albert Jacquard, à nous de partager cette exigence collective…


16 février 2008

Règles de vie... 

Plusieurs éléments lors des derniers jours ont attiré mon attention de manière soutenue. Un de mes collègues chef d'établissement a fait la une des médias locaux, presse écrite et télévisuelle, à la suite d'un renvoi massif – une bonne trentaine - de jeunes de son établissement, plus précisément d'élèves internes. Le sujet ayant entraîné un tel déchaînement de passion touchait au plus profond de ce qui fait de l'adolescence un temps crutial dans la construction de la personne. Tenue vestimentaire, piercing, coupe de cheveux faisant de « la crête » une norme d'appartenance au groupe, proximité entre filles et garçons s'embrassant sans retenue dans l'enceinte de l'établissement. Le second événement est un peu plus ancien, et touche aux règles de vie que les élèves d'une classe de 4ème de mon établissement avaient mis en place, lors du temps de vie de classe partagé avec le professeur principal. Ces cinq ou six règles qu'ils s'étaient donnés collectivement étaient affichées au mur de la classe, sur des feuilles de papier rose, visibles de chacune et chacun. Ces feuilles ont peu à peu disparu à la fois physiquement mais aussi dans la pratique et le comportement des jeunes qui s'étaient contractuellement engagés. Au cours de la semaine dernière, j'ai réuni le conseil de discipline qui a statué sur l'exclusion définitive d'une élève du lycée, pour propos grossiers et dégradants, de manière répétée à l'égard d'une enseignante. Nous arrivions au terme d'un processus, où, malgré des efforts multiples et réguliers, l'accompagnement mis en place avait échoué. Enfin, rentrant de deux journées d'un salon d'orientation et d'information des collégiens et lycéens sur Bordeaux, je prenais connaissance d'un article intitulé « Entre parents, faut-il toujours être d'accord ? » Un encart était intitulé : « Montrer ses désaccord, c'est ouvrir une brèche ».

A priori, ces éléments n'ont que de lointains rapports entre eux. Toutefois, à y regarder de plus près et avec un peu de recul, c'est notre vivre ensemble qui est interrogé, notre capacité, jeunes et adultes à partager un projet commun de formation et d'éducation qui ne soit pas seulement le reflet du modèle de la société dans laquelle on veut nous enfermer, mais une ambition collective au service de la personne qui demain, comme citoyen, doit être en mesure de faire ses propres choix.

Les règles de vie de nos établissements doivent être le reflet d'un projet d'établissement qui soit le reflet de la dimension éducative que nous souhaitons lui donner. Comment peut-on imaginer que dans un lycée professionnel dans le domaine de l'hôtellerie, des services à la personne, ne soit pas donné une orientation faisant de l'éducation à « la tenue » un point fort du quotidien ? Hygiène, tenue vestimentaire, règles toutes simples du milieu professionnel ne doivent, ne peuvent pas rester à la porte du lycée. Elève sur le lieu de stage, il ou elle serait en capacité d'intégrer ces dimensions et ne les respecterait plus au lycée ? En quoi ce lieu ne serait pas aussi « respectable » qu'une structure accueillant nos élèves en stage ?

L'absence ou le refus de règles de vie en commun n'auraient aucun sens au moment où se construit la personne, dans ses aspects personnel, professionnel, psychologique, spirituel ou autres. Ecouter, échanger, comprendre cette période où l'adolescence est davantage affrontement, rupture que concensus, coopération de manière naturelle entre adultes et jeunes représente le pré-requis pour faire de cette rencontre, la base d'une relation constructive pour tous. Comment ne pas observer avec une attention pour le moins bienveillante les projets d'écoles ou de classe dans lesquels les enfants de primaire rédigent et construisent leurs règles de vie de classe ? Comment, lors des bilans ne pas être attentif aux expériences de permis à points auto-gérés par les enfants, avec un accompagnement souple de l'enseignante ?

Certes, les élèves lors de leur inscription dans le lycée, signent leur premier contrat en validant le règlement de l'établissement, tout comme leurs parents. Je me suis rendu compte que ce contrat, co-signé, n'était pour la plupart, qu'un « vulgaire » bout de papier n'ayant pas plus de sens que le bulletin rempli à la sortie d'une grande surface afin de gagner un voyage ou tout autre   prix ! Ce temps que je souhaitais solennel, mérite d'être repensé, retravaillé afin que les règles, qui accompagnent notre vie au quotidien, puissent avoir une valeur telle, qu'elles aient autant d'importance que pour notre vie en société, la constitution, la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen... Bref, qu'à notre échelle, ce texte, peut-être amendé, toiletté, soit le ciment de notre « vivre ensemble ».

Cela n'aura de sens que si les familles d'accueil ou les parents, beaux-parents, et nous, équipe éducative puissions regarder dans la même direction. Certes, la relation éducative entre les adultes et élèves demande un investissement constant. Mais ce dernier ne peut porter ses fruits que si le lien avec les familles est suffisamment solide, cohérent.  Au-delà des désaccords de forme, ou autres, que nous pouvons partager entre adultes, nous ne devons pas ouvrir la boîte de Pandore qui mettrait à mal le début de la confiance nécessaire à l'accompagnement serein d'un jeune. Construire avec et non pas contre, construire pour et non pour le plaisir de construire: le chemin est étroit, ardu. Adultes, nous devons faire preuve de cohérence afin que le jeune puisse avancer et arrive à accepter que vivre ensemble n'est pas vivre « dans sa bulle »... Sur un lycée, nous ne sommes pas des centaines de bulles qui s'entrechoquent et ne se rencontrent jamais... Nous sommes davantage des couleurs primaires qui se mélangent, parfois pour le pire, mais la plupart du temps pour le meilleur... Laissons là la part de subjectivité de chacun s'exprimer !  


Jeudi 28 février 2008

Morale, laïcité, Note2be.com et tutti quanti

Au moment de prendre quelques jours de repos et d'aller brûler les toxines accumulées, au coeur des Pyrénées, l'actualité me rattrappe ! Moi qui pensais vous adresser une chronique en prenant un peu de hauteur, me voici replongé dans le marigot d'un flot d'informations aussi nauséabondes que déconcertantes.

Les titres des articles de journaux que j'ai pris le soin de découper et conserver  dans mon cartable ont un fond commun! Il s'agit bien de l'éducation et de la République dont il est question, sous des formes diverses, plus ou moins explicites, mais non moins sérieuses.

Lors d'une visite à Périgueux chez le Ministre candidat - pas n'importe quel Ministre, puisqu'il s'agit de celui de l'éducation nationale – le Président de la République, après avoir lancé l'idée selon laquelle chacune de nos tête blonde de CM2 aurait à porter la mémoire d'une enfant déporté dès la rentrée prochaine, a concentré ses interventions sur la morale, l'instruction civique, le retour selon lui aux fondamentaux -grammaire, lecture écriture – mélangeant malheureusement les genres. Il s'agissait pour ce dernier d'adresser un message subliminal dont j'ai trouvé l'expression dans l'ouvrage « Les années » d'Annie Ernaux:...L'école était un arrière fond mythique, un bref âge d'or dont l'instituteur avait été le dieu rude avec sa règle en fer pour taper sur les doigts. » Quand l'Histoire officielle, à travers le devoir de mémoire, prend le pas sur le travail de mémoire, la transmission par la réflexion et l'émotion,l'échec de la mise en oeuvre d'une idée que l'on peut penser bonne, se traduit souvent par un échec... Comme si par ailleurs, le respect, les valeurs de la République n'étaient plus enseignées, transmises dans nos écoles et qu'il fallait attendre ce discours de Périgueux pour en prendre la mesure. Le Ministre a du avaler de nombreuses couleuvres en écoutant le Président de la République « re-découvrir l'eau tiède ». Il est vrai qu'une partie de l'opinion publique est bien avide de tels discours et que remobiliser une partie de son électorat le plus fidèle fait fî des moyens les plus élémentaires de l'honnêteté intellectuelle. Dans de nombreuses écoles et classes les élèves se lèvent lors de l'entrée des enseignants, la prise en compte des valeurs d'égalité, de fraternité et de liberté sont enseignées dans les programmes. Peut-être faut-il immaginer une autre approche, faire preuve d'innovation pédagogique en la matière? Mais le fond est bien là et faire croire le contraire serait une imposture...

Respect des personnes, vivre ensemble sont des valeurs fortes à transmettre... Comment y parvenir, lorsque le plus haut personnage de l'état, quelque soient les circonstances dans lesquelles cet incident s'est produit, se permet d'insulter un concitoyen en employant une expression aussi avilissante que « casse-toi, pauvre con ! » Comment transmettre le nécessaire respect des règles, lorsque le Président de la République se permet de prendre l'opinion à témoin en tentant de contourner une décision du conseil constitutionnel et son article 62, s'appuyant sur un des principes fondamentaux de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, adoptée le 26 août 1789, et représentant le préambule de notre texte suprême? Lorsque la forme et le fond sont bafouées par les plus hautes autorités de l'Etat, comment expliquer à nos bambins que le socle commun du vivre ensemble constitue la pierre angulaire de la société que nous voulons construire avec eux, aujourd'hui et maintenant ?

Comment ne pas faire appel à la vigilance républicaine dans ces conditions ? Peut-on jouer les peurs et ce qu'il y a de plus bas chez l'Homme au détriment de  ce qu'il y a de plus beau et plus fragile, je veux dire le bien commun, qui passe par l'éducation de tous et pour tous, et donc par les familles, mais aussi les professeurs, les éducateurs ?

Et que dire de ce fameux site internet apparu récemment ? Note2be.com n'est qu'un des avatards de la société de marché dans laquelle nous vivons... N'avons nous pas entendu à grand renfort de publicité que les Ministres, soumis à la culture du résultat, la société privilégiant ainsi le très court terme l'écume et le médiatique au détriment de la construction, de l'effort et de la durabilité des actions, allaient être notés ? Et bien nous y sommes! Ce grand principe venu des Etats-Unis vient de faire son entrée dans notre bon vieux pays et dans l'éducation! Le site Note2be.com est né dans l'esprit initial de poursuivre la démarche selon laquelle l'éducation serait devenue une marchandise... Nous avons franchi un nouveau pas: l'enseignant est à son tour devenu un produit comme un autre... C'est à la fois consternant et dangereux. Consternant car faire de l'éducateur un produit comme un autre est une banalisation d'un des acteurs clé de la construction de notre société de demain ; dangereux car le populisme n'est pas loin et l'envie de faire de l'éducateur un bouc émissaire au service de causes aussi injustifiées que néfastes. Quand tel enseignant deviendra-t-il le maillon faible ? A quand une émission de télé-réalité sur le modèle de la star-ac ? Nous ne sommes peut-être pas si loin de cela...

Comment aussi ne pas s'interroger pour le moins, lorsque l'essenteil est en cause, c'est à dire le fragile équilbre d'une laïcité propre à notre pays, permettant à chacune et chacun de vivre ses croyances ou incroyances, de construire son identité propre, dans un cadre respectueux. Parce-que le laïcisme, comme tout intégrisme imposé, ne peut conduire qu'à des excès regrettables. Stigmatiser aujourd'hui les instituteurs, demain d'autres comme les chrétiens impliqués dans les associations caritatives au prétexe qu'ils s'opposent à ce coup de canif dans notre pacte républicain et privilégier « les traditionnalistes à renfort de courriers officiels», expliquer par conseiller interposé que l'intervention ou le développement de sectes sur notre territoire est un « non-problème » n'est-ce pas ouvrir une boîte de pandore, jouer à l'apprenti sorcier et être demain dans l'incapacité de d'assurer un vivre ensemble empreint de respect et sérénité ? Ai-je envie d'entendre le Président de la République me dire que penser ainsi est bon ou mauvais ? Assurément non !

A tous ces sujets, qui ont fait la une de l'actualité à tour de rôle, s'entremêlant ou s'entrechoquant parfois, il faut dire avec force qu'il permettent de mettre en perspective le choix du modèle de société que nous souhaitons pour demain : celui proposant un soit disant modèle d'âge d'or de l'éducation, fondé sur la soumission du sujet et un autre s'appuyant sur l'intelligence de chaque élève, riche de talents qu'il faut aider à mettre en valeur au service d'un projet collectif. Pour ma part, faire reculer ce qui abaisse l'Homme est un message qui est plus que jamais d'actualité. Je poursuivrai inlassablement le combat de la primauté de l'éducation sur les obscurantismes.


Le 9 mars 2008

Promesse d’éducation… 

La période de congés d’hiver est propice à la mise à plat de dossiers administratifs, d’investissements. C’est aussi le moment où j’ai fait le choix de prendre du temps pour moi, de faire « le carême » de la fonction que j’occupe, le « ramadan » des habitudes. Ce matin, il est 10h30, mais je ne vais pas aller dans la salle des professeurs prendre le café du matin, deviser ou transmettre des informations aux collègues, écouter les bleus à l’âme ou simplement plaisanter afin de détendre parfois une atmosphère « tendue » à l’approche des vacances…

J’ai préparé un thé à la menthe qui embaume mon bureau. La tasse entre les mains me réchauffe, alors que dehors, la violence des rafales de vent, la pluie mêlée de neige s’écrase sur les baies vitrées de mon bureau.

Je ne fais toutefois pas l’économie de lire les messages laissés dans la boîte aux lettres ou ceux sur le répondeur téléphonique. Combien traduisent, derrière une demande renseignement sur le lycée, les filières proposées, une inquiétude, un souci de bien faire, l’envie de trouver une bouée de sauvetage, un temps de dialogue pour que cela se traduise par une promesse d’éducation. La France vit au rythme des échéances électorales, des promesses des candidats aux élections municipales et cantonales : moins d’impôts, davantage de projets, bref, la quadrature du cercle dans la plupart des cas ! Je m’interroge sur la posture que je vais adopter lorsque je vais prendre contact avec ces familles qui lancent pour certaines, un SOS… Vais-je moi aussi, entrer dans ce jeu consistant à faire des promesses en tirant des traites sur l’avenir, conscient de ne pas pouvoir en tenir le début d’un commencement ?

Je me dois, comme éducateur, d’être de ceux qui ne peuvent que « tenir parole » ! Comment être exigeant envers des jeunes, les aider à co-construire leur projet personnel et professionnel si je ne suis pas capable de leur dire autre chose que ce qu’ils veulent entendre et qui est la douce musique de la société qui privilégie l’immédiateté, la superficialité et valorise le « juste à temps » ? Dois-je porter un message lénifiant, faussement rassurant auprès des familles, celui « du professionnel » de l’éducation en leur indiquant qu’elles peuvent « dormir tranquilles », que je m’occupe de tout ? Certainement pas ! On ne peut construire, co-construire en excluant : d’abord le jeune en ne lui donnant pas les outils indispensables visant à en faire un acteur de sa formation, gage demain de se construire comme citoyen responsable ; ensuite sa famille, car l’école n’est pas « une bulle sur le continent de la vie » et que l’éducation est un tout. Comment ne pas associer les parents à ce parcours complexe, ardu, qui est une promesse d’éducation ? J’ai envie de reprendre le slogan d’un ancien candidat à la présidence de la République : « Ensemble, tout devient possible » ! Certes, c’est le cas en éducation aussi pour peu que nous ayons l’exigence intellectuelle de tenir parole. 

L’inquiétude qui perce derrière ces messages parfois « maladroits » - mais est-ce si simple de parler à une boite vocale, quelque peu impersonnelle ? – me conduit à prendre contact avec ces familles. Ce matin, il s’agit d’une jeune qui a redoublé sa classe de 5ème après avoir eu déjà quelques difficultés en CM2 ! La maman tente de justifier ces difficultés, d’expliquer, d’argumenter ne laissant que peu d’espace à ma parole. Comme si elle avait le sentiment que j’allais abonder dans son sens, en rajouter et que « le diagnostic » serait sans appel. Quelle n’est pas sa surprise en m’entendant lui dire que j’ai bien entendu son message, mais que nous rencontrer avec Barbara, sa fille sera le point de départ de notre aventure commune, si nous en faisons le choix ensemble. Quel n’est pas son étonnement de s’entendre dire qu’en éducation, rien n’est définitif ? « Même pour Alice et par rapport à ses résultats ? » Oui, Madame, lui dis-je. Même pour Alice et par rapport à son parcours chaotique. Dédramatiser le rapport à l’école autant pour les parents que pour le jeune me semble être la première des conditions pour entamer un cheminement  scolaire et personnel. Promesse d’éducation, oui mais aussi engagement de tous : du jeune, de l’équipe éducative, de la famille. Promesse d’éducation, certes, mais obligation de moyens de chacun des acteurs ! Promesse d’éducation, enfin, mais envie de résultats !

L’école a ceci de précieux, qu’elle est encore le lieu de la République où les promesses ont encore un sens. Promesse de se construire afin de faire que demain, la société soit à l’image de ce projet collectif porté par cette institution, parce qu’elle est composée d’hommes et de femmes dont l’objectif est de mettre en exergue les talents de chacun pour la réussite de tous. L’école est aussi le lieu de la République où l’on peut encore résister pour construire, faire que la démotivation qui gagne les jeunes – pourquoi travailler bien à l’école puisque nous vivrons moins bien que nos aînés, entend-on souvent – ne devienne pas une fatalité ?

L’école, heureusement, peut quelque chose pour toi, Alice et pour toutes celles et tous ceux qui ont un cheminement un peu compliqué, un peu chaotique. C’est ce que je te dirai lorsque nous nous rencontrerons, d’ici quelques jours. Ensemble, nous ferons tout pour tenir parole ! Parce que l’éducation est une promesse trop belle pour être écornée… comme la nature l’est pour le printemps.


15 mars 2008

L’humanité au cœur de la fonction…

Ce premier matin de reprise après les congés d’hiver me plonge à nouveau dans réalité d’un autre monde, celui de l’éducation… Les résultats des élections, les questions de pouvoir d’achat, du temps qu’il fera demain, ou de l’état de sècheresse avancée sont bien loin de mes préoccupation aujourd’hui…

Face à moi, autour de la table, une éducatrice et une « maman de substitution » représentant la famille d’accueil de Laure, cette élève de classe terminale de CAP. Toute la pesanteur et la beauté de mon métier accompagnent cette rencontre. Sur mon agenda, j’avais prévu une heure de rencontre. Deux ne seront pas de trop. Mais avis-je pressenti cela ? Je n’avais rien inscrit d’autre à mon programme de la matinée.

Laure est dans l’établissement depuis deux années maintenant. Outre les « soucis » scolaires qu’elle rencontre et qui ne sont que le fruit d’une accumulation et d’un certain désintéressement  des années passées, cette jeune rencontre des difficultés d’articulation du « scolaire » et du « vivre ensemble ». Ne pas manger en classe ou ne pas interpeller de manière intempestive une camarade à l’autre bout de la salle, ne pas s’adresser de manière très familière à l’adulte en général… La liste des « ne pas » est bien longue ! Si la pédagogie des « ne pas » arrivait à céder la place à celle des « pourquoi pas », je serai le plus heureux des éducateurs. Mais avec Laure ou bien d’autres jeunes, je ne désespère pas.

Ce matin, ce n’est plus de scolarité au sens strict dont il est question… malheureusement ! Si tel était le cas, je me sentirai certainement en pays de connaissance et peut-être trouverais-je avec une certaine aisance les mots qui font mouche, les images simples mais parlantes afin de faire de cet entretien un temps de pédagogie pour les adultes qui accompagnent Laure et les conduire sur un chemin de coopération éducative qui demeure l’horizon que je me suis fixé, en conservant le cap, quelque soient les moments de houle, les avis de tempête, car « construire » demeure l’essentiel.

Cependant, Laure n’est pas présente autour de la table… En effet, l’information qui m’est livrée est de taille. Cette jeune serait atteinte d’une maladie génétique qui au fil du temps l’handicaperait au point de ne plus lui permettre de se servir correctement d’un de ses membres supérieurs. Exit donc les rêves, projets de travailler auprès des personnes âgées ou des enfants ! Cela me fait l’effet d’une déflagration telle que je ne sais comment me positionner, non pas tant en tant qu’éducateur, mais surtout et d’abord en tant que personne.

Certes, c’est d’orientation que nous devions parler ensemble, ce matin. C’est ainsi que m’avait été présentée la demande de rencontre. Mais c’est en quelques dizaines de minutes de l’horizon d’une vie dont il est question. Va-t-il falloir entrer dans une démarche de reconnaissance de handicap ? Quel accompagnement possible peut être mis en place ? Et surtout quelle insertion sociétale et professionnelle proposer à Laure ?

Tout chef d’établissement que je suis laisse tomber son armure. C’est aussi le père de famille qui se laisse aller à parler. Les mots sont un peu différents, moins techniques, plus authentiques certainement. Mission locale, formation courte, accompagnement psychologique, certes… Ce ne sont pas les institutions que je mets en avant, mais les personnes. Qui et comment sera prise en charge Laure ? Combien de fois par semaine sera-t-elle en séances de soins ? Ces questions ne me concernent pas directement puisque Laure aura quitté l’établissement. Je ne me sens toutefois pas le droit de l’abandonner, ici et maintenant. La question essentielle n’est autre que celle-ci : comment l’aider à se projeter sur un projet qui mobilisera toutes ses capacités et qualités ? Ce n’est pas de compassion dont Laure et sa famille d’accueil auront besoin, mais davantage d’empathie… Je crois avoir fait ce que je pouvais pour trouver les mots justes dans cette situation douloureuse pour le présent, mais tellement plus complexe pour l’avenir de Laure…

J’ai croisé ce matin cette jeune dans les couloirs du lycée. Mon regard en disait certainement long. En tous les cas, cela ne m’empêchera pas d’être exigeante avec elle, afin qu’elle puisse donner le meilleur d’elle-même ; afin qu’elle ne ressente pas que la compassion prenne le pas sur la volonté que j’ai de reprendre ma casquette d’éducateur, pour le meilleur ! Laure m’a fait un sourire. Je l’ai trouvé différent, moins agressif que parfois. Le temps n’est pas encore venu d’échanger sur ces questions qui toucheront davantage la personne que l’élève. A la fin de l’année scolaire, lorsque je pourrai, j’en suis convaincu, lui annoncer sa réussite au CAP, nous prendrons le temps d’échanger sur le passé, les difficultés, les moments délicats… Nous évoquerons aussi les bons côtés de son passage… Nous parlerons aussi de cet avenir qui l’attend…Son parcours ne sera pas simple, mais j’espère que l’humanité dont j’aurai essayé de faire preuve l’auront un peu aidé à grandir, tout comme la rencontre avec les autres adultes de l’établissement… Lorsque l’on me demande les qualités nécessaires à l’exercice de la fonction de chef d’établissement, je ne sais trop que répondre. Je sais par contre qu’une bonne dose d’humanité s’avère l’essentiel de la fonction que je me construis au quotidien, non pas seulement pour moi, mais avant tout pour chaque personne que je croiserai sur mon chemin. Ne sommes pas tout simplement le produit de nos rencontres ?


23 mars 2008

Pagaille… 

C’est avec un intérêt non feint que j’ai dévoré l’article d’un hebdomadaire faisant l’éloge… de la pagaille ! Un Professeur américain de management visait à nous faire partager, à travers son dernier ouvrage, l’idée selon laquelle « le désordre était consubstantiel à nos vies et à nos institutions et nous demander s’il ne mériterait pas plutôt d’être célébré qu’être décrié ». Flexibilité, curiosité créativité constitueraient les trois piliers d’une bonne hygiène de vie, tant personnelle que professionnelle…

Je me suis bien entendu rendu successivement, comme tout bon chef d’établissement, dans l’antre de la salle des professeurs, ai jeté un œil dans les casiers des élèves, posé un regard bienveillant sur… mon bureau, mais comme père de famille dans la chambre d’un de mes enfants, au cœur de l’adolescence…

Si un minimum de désordre est la condition d’une bonne dose de créativité, alors j’ai la chance de diriger un établissement qui fait partie des fleurons de notre système éducatif  ! Et à la maison, j’ai bien la confirmation que le « chamboulement » intérieur de mon adolescent est à l’œuvre ! Au-delà de la simple boutade, c’est au fond de l’innovation pédagogique qu’il est question. Car si la remise en question, le doute, la réflexion, la mise en projet d’une équipe éducative au service du bien commun qu’est l’éducation passe avant tout par la capacité de chacun à gérer l’incertitude, l’équilibre instable. D’une manière générale, dans les sciences humaines, ce sont les systèmes non ordonnés qui s’adaptent le plus rapidement et selon des voies riches d’enseignement car sortant des sentiers battus.

Comment ne pas intégrer cette approche dans la gestion de la rentrée qui va se présenter à nous ? Mettre tout sur la table avec l’ensemble des acteurs autour de la table ; permettre à chacun d’exprimer ses souhaits, solutions, propositions ou faire part de ses interrogations. Voilà me semble-t-il une approche tout à fait pertinente pour faire de l’innovation pédagogique le cœur de la vie de l’établissement. C’est ainsi que peuvent s’articuler les projets, les passerelles voir le jour, la pluridisciplinarité constituer un enrichissement des pratiques.

Cette culture du projet doit être communiquée aux jeunes accueillis afin qu’ils puissent se co-construire et que l’éducation au choix devienne une réalité. Si la finalité première de l’école est de permettre aux jeunes d’acquérir un diplôme, de préparer l’insertion professionnelle, elle ne saurait s’exonérer de la construction de la personne et donc du futur citoyen. Apprendre les jeunes à gérer le chamboulement intérieur qu’ils vivent, mettre du lien dans cette rencontre entre l’école, la famille et l’adolescent, accompagner ce dernier afin qu’il soit en capacité de mettre de l’ordre dans ses idées : c’est un véritable défi car comment appréhender cet éloge de la pagaille lorsque on est adolescent et que les adultes demandent une chambre bien rangée, un casier bien en ordre, un bureau impeccable ?

Vivons simplement cet éloge de la pagaille comme un processus éducatif…qui n’exclut pas un minimum d’harmonie dans l’articulation cohérente des idées. La coexistence « pacifique » de ce désordre et ordre successifs constitue la pierre angulaire de la pédagogie de projet, cette approche faisant de l’incertitude le principal « carburant » de l’innovation…Puisse-t-elle ne pas être considérée comme une hérésie dans un monde éducatif où le normatif l’emporte malheureusement sur le créatif ! Et nos décideurs politiques découvrir l’école de « l’éducation nouvelle » !


29 mars 2008

La gifle…

Après quelques semaines de silence médiatique, à nouveau se retrouve sur le devant de la scène « la fameuse » gifle donnée par un enseignant s’étant vu affublé de l’épithète de « connard » par un jeune adolescent.

Après un déferlement de réactions relayées par les médias où se sont exprimées pêle-mêle les angoisses des enseignants mais au-delà des éducateurs, les fragilités des parents se réfugiant derrière politiques faisant du laxisme leur fond de commerce, on assiste à une judiciarisation d’un acte pour lequel un minimum de recul et de prudence auraient permis une analyse plus sérieuse.

Au-delà de cet acte qui a fait se jeter les médias sur un fait non pas banal ou anodin mais révélateur d’un malaise de l’école, d’un malaise à l’école, que nous renvoie le miroir du système éducatif et de la société ?

La solitude de l’enseignant face à la gestion d’un groupe d’élève est criante. Parfois, ce geste-réflexe faisant suite à un acte de violence verbale, reste un épiphénomène, mais révèle la difficulté de l’éducateur à gérer le stress de son quotidien. Artisan sans filet la plupart du temps, il aura d’autant plus de mal à gérer cette « pression » qu’il aura le sentiment de la vivre seul. Chacun de nous sait bien que d’une manière générale, aucun enseignant ne rencontre de difficulté dans la gestion de ses groupes classe. Echanger, se confier est d’autant plus difficile que la taille de l’établissement est importante. Les horaires décalés, les concertations trop rares, la peur d’être jugé par ses collègue ou sa hiérarchie constituent les ferments d’une situation que l’on n’arrive plus à contrôler et qui se dégrade très vite.

Cette solitude s’accompagne souvent d’une absence de formation tout au long de la vie mais aussi de l’inexistence de projet d’établissement faisant de la prévention un de ses axes majeurs. C’est toujours le projet, sa mise en œuvre, le travail collectif de l’équipe éducative à partir desquels pourront naître les apaisements nécessaires, la valeur de la sanction et une certaine baisse de pression sur les épaules des adultes qui éviteront les gestes définitifs.

Il ne faut autant que faire se peut éviter de donner prise à la violence qui en appelle une autre. Comment faire cheminer l’idée selon laquelle la violence n’est pas acceptable si celle-ci systématiquement « réservée » aux adultes ? Comment ne pas imaginer l’engrenage infernal qui s’enclencherait entre jeunes eux-mêmes ? C’est dans le cadre d’une démarche collective, d’équipe, en lien avec les familles que pourra naître un début de solution et faire de la sanction un exemple, mais de la violence un « résidu accidentel ».

Chef d’établissement d’une « petite » unité lycéenne, je me dois d’assurer la sécurité de chacun, adulte ou jeune. C’est certainement la dimension la plus délicate de la fonction au moment où se déchaînent les passions au détriment du fond des choses. Les contrevérités pleuvent, le populisme s’empare de tout ce qui peut flatter ce qu’il y a de plus vil chez l’être humain. Ne faut-il pas se rappeler que c’est la loi du 23 avril 1834 sur le statut des écoles primaires communales qui stipulait que les « élèves ne pourront jamais être frappés » ? Aujourd’hui, outre cette belle idée, c’est bien l’éducatif qui est interpellé à travers la formation des enseignants, le climat d’écoute et de bienveillance sans jugement hâtif, la mise en œuvre d’actions de prévention avec tous les partenaires de l’établissement. Parce que c’est ainsi que la sanction, lorsqu’elle doit être appliquée sera vécue comme juste et sera d’autant plus efficace. L’idéologie purement répressive qui se fonde sur le retour à un âge d’or qui n’a jamais existé, mais remet en question la reconnaissance de l’enfant comme personne à part entière ne serait que réaction. Faut-il blâmer 1968, ou bien encore le modèle de société issue du Conseil National de la Résistance, ou bien Guizot lui-même comme fauteurs de trouble de ce que nous vivons aujourd’hui ? Rien de tout cela ! Mais peut-être simplement le fait que l’école soit vécue comme une marchandise…


5 avril 2008

Délégué, ça sert à quoi ?

La période des conseils de classe passé, je prends toujours le temps de faire un bilan de ce que j’ai pu entendre. Lorsque la nuit est tombée et que la poussière des échanges parfois vifs, chargés d’émotion est retombée, je note scrupuleusement les mots qui ont été employés, les expressions parfois hors-jeu, les attitudes des uns et des autres, adultes ou jeunes délégués. Je tente de recueillir les impressions des collègues enseignants ou personnels de vie scolaire afin de percevoir aussi les forces ou au contraire les limites de mon positionnement.

Je suis intimement convaincu que c’est aussi lors de ces rencontres trimestrielles que l’on peut jauger le niveau de démocratie scolaire et sa qualité dans la vie d’un établissement scolaire. La manière dont les délégués de classe participent à ces séquences ne reflète finalement que la démarche que nous, adultes avons mis ou non en place afin de conduire ces jeunes à une forme effective de citoyenneté.

Combien de fois en effet n’ai-je pas entendu la sempiternelle question : « Délégué, ça sert à quoi ? »

Au-delà de la fonction elle-même et de diverses participations à des temps bien spécifiques de rencontre, c’est la démarche en tant que telle qui compte. Délégué pour qui, délégué pour quoi ? Alors que se termine la série des conseils de classe, je mesure que la formation qui est mise en place à chaque rentrée scolaire, puis les temps d’échange que les responsables de vie scolaire et moi-même consacrons, loin d’être inutiles, sont indispensables mais ne sont jamais suffisants et parfois insatisfaisants.

Il y a toujours eu une vraie retenue pour ne pas dire « méfiance » vis-à-vis de ces jeunes qui s’invitent à la table des adultes dans un collège ou lycée. Parce que parfois, chacun a le sentiment d’être « jugé » ! N’ai-je pas comme enseignant attendu parfois avec une certaine anxiété ce qui allait être dit me concernant ? Mais est-ce bien en fait dans la culture de l’enseignant de se voir fragilisé parfois devant ses collègues ?

C’est lors de ces temps que j’ai mesuré combien était essentiel un accompagnement juste, permettant à chacun dans sa fonction et son rôle de jouer pleinement sa partition. Permettre au jeune de devenir acteur de sa formation, co-responsable de la vie de la classe, facilitateur, passeur de témoin, témoin, premier interlocuteur, médiateur… C’est un peu ce « cocktail exotique » qu’il faut arriver à composer, à aider à faire partager à tous. Mais comme tout processus ou démarche, cela nécessite du temps et une bonne dose de pédagogie. « Co-construire » ce projet avec les jeunes désireux de donner d’eux-mêmes n’est pas aussi aisé qu’il peut le paraître.

C’est pourtant le meilleur moyen de faire du « vivre ensemble » une vraie richesse, de faire de l’école ce sas d’entrée dans la vie pleine et entière de citoyen « debout » qui demain sera un vivier pour le milieu associatif, l’investissement dans la vie de la cité qui est trop chichement dispensé ! Alors, au-delà d’œuvre pédagogique, nous aurons pleinement participé à l’œuvre de construction d’un projet collectif de société.

Ce travail d’artisan réalisé, que nous avons le devoir d’effectuer pour accompagner les jeunes sur ce chemin escarpé de la construction de la personne, je me dois aussi de l’enrichir par un accompagnement des adultes de l’équipe qui m’entoure. Expliquer, sécuriser sans que chacun ne se referme sur ses propres certitudes, mais soit en capacité de regarder le jeune tel qu’il est et non tel qu’il rêverait qu’il soit ! Voilà un défi qui est immense et dont je pense qu’il demeure le lien que je me dois de faire vivre afin que notre établissement soit un acteur de vie et de développement de notre territoire.

Il est immense, mais je pense avoir encore assez d’appétit pour ne jamais céder sur ce qui me paraît essentiel, l’apprentissage de la citoyenneté comme vecteur de réussite dans la formation professionnelle et personnelle de chacun et ne pas considérer ces dimensions comme incompatibles. Nous n’aurons jamais assez de délégués de classe, d’éco-citoyenneté, d’internat que sais-je encore dans nos établissements ! Leur présence est une chance et non un risque… Je voudrais être un chef d’établissement assez convaincant pour que nous prenions collectivement la mesure de cette belle aventure… Celle de la démocratie lycéenne…


18 avril 2008

Décrochage scolaire… 

Combien de fois n’a-t-on entendu les médias indiquer que l’école « produisait » annuellement 150.000 jeunes sortant de son système sans qualification ni diplôme ? Nous sommes donc loin du zéro défaut que tend à nous imposer le modèle de la société de marché… Pour autant, doit-on faire de organisation scolaire un bouc émissaire, charger les enseignants de tous les maux en les affublant de tous les mots ? Peut-on aussi se limiter à dire que les parents sont démissionnaires ou évoquer une profonde détresse ? Les élèves sont-ils plus « difficiles » aujourd’hui qu’à l’époque d’un passé révolu d’avant les années 60 où seule une part de classe d’âge disposait des moyens d’aller s’instruire et se construire à l’école ? 

La réalité est heureusement, dois-je dire, plus complexe que cela ! Heureusement, car cela invite à une réflexion plus profonde, sérieuse et permet de jouer sur plusieurs leviers. Car de quoi s’agit-il ? le décrochage scolaire n’est rien d’autre que la rupture des parcours des jeunes en formation, qu’ils soient lycéens ou apprentis, mais aussi de jeunes en risque de rupture et sortis du système scolaire…

Quelle n’est pas la complexité de la tâche, lorsqu’il s’agit en fait de s’interroger sur ce qui peut permettre à l’école de s’adapter à chaque élève, mais aussi de poser un regard objectif sur les raisons plus globales faisant de cette rupture une fin a priori inévitable ?

Derrière ces mots de rupture, de décrochage, de réponses pédagogiques ou éducatives, parfois même en lien avec le concept de parentalité, à apporter ou à inventer, il y a des visages, des parcours, des histoires personnelles, familiales, auxquels je ne peux rester insensible. Mais le fil conducteur demeure identique. Il s’agit d’un projet global qui met l’élève au cœur de la problématique visant à permettre à ce dernier de devenir un citoyen solidaire.

Avec la mise en place d’un réseau d’acteurs, le risque est de diluer les questions scolaires et de n’en faire qu’un aspect second de cette démarche visant en prendre en compte le jeune et plus seulement l’élève. L’innovation pédagogique doit permettre, en combinant tutorat, re-médiation, temps d’approfondissement, de mettre en phase tous les outils de l’individualisation au service des jeunes que nous accueillons dans l’établissement. C’est certainement cette voie qui permettra, en adaptant l’école aux élèves, de faire de ce choix pédagogique, une orientation positive visant à accompagner chacun dans son développement global.

La pédagogie de projet, fondée sur l’implication de chacun des adultes de l’équipe éducative, accueillant les divers acteurs du réseau comme des partenaires potentiels sans qu’ils apparaissent comme ceux sur qui il s’agit de se décharger lorsque les difficultés semblent insurmontables avec un élève, l’exigence de donner le meilleur pour recueillir ce qu’il y a d’enfoui au coeur de chaque élève, s’interroger sur la problématique de l’évaluation : tout ceci doit s’articuler de manière cohérente afin que les équipes d’unités pédagogiques à taille humaine puissent proposer une approche où l’individualisation ne soit pas l’ennemi du collectif et du vivre ensemble, mais un parcours dont chacun, doit tirer profit. Cet équilibre instable, ce métier d’éducateur qui ressemble par de nombreux côtés à celui de funambule nous apprend l’humilité, mais aussi l’exigence afin que nous ne nous satisfassions jamais de cet échec aboutissant à laisser un jeune sur le bord du chemin.

L’innovation pédagogique doit être au cœur de notre mission, où que nous nous situions dans la chaîne de l’éducation. C’est ensemble, dans le cadre de réseaux, en additionnant nos différences et nos compétences, que nous pourrons participer au seul vrai défi de notre temps, l’éducation comme vecteur de co-construction d’une société et citoyenneté solidaire.


mercredi 23 avril 2008

Aidons-les

Les semaines qui suivent vont être celles de tous les dangers, entend-on dans les médias, relayés par la presse écrite. Les mouvements de lycéens se multiplient et loin de s’essouffler ont pris un vrai rythme de croisière. Semaine de tous les dangers, mais pour qui, pour quoi ? Les sondages, articles émissions de télévision ou radio confirment cette tendance : l’esprit de mai 68 n’est pas ce qui constitue le ferment de ces manifestations. « Aidez-nous » titre un mensuel respecté, proposant une enquête et un sondage auprès des lycéens. « L’école en classe éco » était le titre d’une émission télévisée sur une chaîne de service public, durant laquelle les analyses de fond et ripostes s’enchaînent !

Danger pour qui ? Danger pour le Ministre dont lui même assure qu’il ne cèdera pas un pouce de terrain face aux décisions de réduction de postes d’enseignants pour la rentrée à venir, certain que cette saignée supplémentaire, nous dit-il, ne modifiera pas les conditions de travail et d’apprentissage des jeunes accueillis à l’école.

Danger identifié pour l’école dans ses fondements et son fonctionnement, car si on ne peut qu’approuver une réflexion et action sur une efficience des ressources publiques mis à disposition par la nation des établissements scolaires, on ne saurait passer sous silence l’idéologie sous-tendant les orientations politiques actuelles. Le sondage le plus intéressant me semble t-il sur la période récente, concerne l’image dont se sentent porteur les enseignants, les personnels de vie scolaire, bref, celle des adultes au service du projet pour l’école. Lorsque 93% des enseignants ne se sentent pas reconnus pour ce qu’ils sont et surtout ce qu’ils font, alors le malaise devient profond. Les discours sur l’efficience de l’utilisation des fonds publics a ceci de pervers, qu’il entretient un climat « populiste » faisant des enseignants plus que d’autres catégories de personnels, des « fainéants », profiteurs du système ! L’école est donc en danger plus qu’elle ne l’a jamais été ! La concurrence entre établissements, la suppression de la carte scolaire, la publication des classements des établissements selon les résultats obtenus aux examens : tout cela participe à un dénigrement de l’école dont un nivellement par le bas commence avec la réforme des programmes pour l’école élémentaire. Les apprentissages coopératifs sont sacrifiés au profit d’approches purement « mécanistes » et la liberté pédagogique n’est plus qu’un « résidu, solde de tout compte » d’une approche ou la co-construction des parcours n’est plus reconnue.

Danger pour quoi ? Danger parce que le modèle que l’on tente de mettre en place ne répond pas aux attentes et analyses objectives de l’école dans ce qu’elle est. L’école est passée sous les fourches caudines de la révision générales des politiques publiques au même titre que l’ensemble des politiques, sans mesurer que l’éducation constitue le meilleur investissement pour la construction de la société de demain. Les jeunes interrogés en 1989, comme les acteurs de l’école avaient massivement répondu à l’enquête du Ministère de l’éducation Nationale. Plus d’un million de réponses pour que l’école soit encore une priorité en terme de moyens mais aussi d’efficience. Chacun était conscient des améliorations nécessaires à tous les niveaux, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Ainsi, 2002 avait vu la mise en place de nouveaux programmes, à la fois ambitieux et s’inscrivant profondément dans une démarche de construction de la personne, l’élève comme futur citoyen. De nombreuses réformes comme la mise en place de travaux pratiques encadrés, ont été supprimés.

Que nous disent les jeunes aujourd’hui ? « Aidez-nous » ! Cela est symptomatique d’un besoin de proximité, de travail individualisé, d’un travail dans un esprit de respect mutuel, mais aussi de la mise en place d’une vraie réforme faisant de l’enseignant et plus généralement de l’adulte travaillant pour l’école et donc les jeunes, la pierre angulaire de tout projet ambitieux. Cela nécessite une profonde relecture du métier d’enseignant avec une présence plus étendue dans les établissements, des conditions de travail le permettant, une nouvelle approche du temps de travail en donnant plus d’espace à la concertation, au suivi, à l’individualisation, la re-médiation, à une vraie réflexion sur l’évaluation. C’est ainsi, que d’une manière plus globale, en mettant en place des synergies, coopération, plates-formes selon les bassins de formation, des passerelles plus claires entre voies de formation, on donnera à l’école les espaces lui permettant de faire des établissements des lieux de créativité, d’innovation pédagogique et permettant enfin que l’élève devienne acteur de sa formation et se mette en chemin afin d’être demain reconnu comme citoyen.

Ces sujets sont trop importants pour qu’on les réduise à des questions de moyens. Pour autant, l’organisation et le fonctionnement de notre école méritent mieux qu’un débat sur « l’importance du coup de rabot ». Nous serions coupables de faire l’économie d’un tel débat. C’est de l’avenir de plusieurs générations dont il s’agit, de la conception de la personne et de la nature de la société que nous voulons construire collectivement…enfin, si ce terme à encore un sens pour les décideurs d’aujourd’hui ! Puissent-ils entendre le message qui monte de la rue, celui qu’une école de « classe affaire » et non de « classe économique » ! A ce cri venu des lycéens « Aidez-nous », notre devoir d’adultes responsables et d’éducateurs est de ne pas rester insensibles, mais de nous engager à re-construire avec eux et pour eux une véritable école, outil d’égalité des chances, d’enrichissement  et non de fracture. Et si l’école de demain devenait un véritable creuset du bien commun ?


lundi 5 mai

Petit éloge du professeur…

Avec les mouvements du printemps 2008, la mémoire est appelée à la rescousse… 2008, 1968 ! Les raccourcis sont parfois saisissants, mais ne demeurent que des approximations qui n’ont que peu à voir avec la réalité… Les lycéens dans la rue souhaitent que la qualité de leurs formation ne soit pas écornée et que les moyens mis à la disposition de l’école par la Nation ne soient pas réduits systématiquement sur l’autel de la rigueur. Ils souhaitent que nous les aidions à réussir… Ce « nous » a un sens tout particulier, renvoyant à un appel au « collectif » face à un individualisme qui n’a cessé de gagner du terrain ces dernières années. Ce retour du « collectif » ressemble à rien de moins qu’un appel au secours afin que les adultes que nous sommes soyons à leur côté pour cet idéal qui est que l’école constitue le fer de lance de la société que nous voulons pour demain.

Derrière ce « nous », se trouve ce beau projet délégué par la République à ces centaines de milliers d’hommes et de femmes qui ont l’éducation pour passion ; celles et ceux qui ont choisi pour métier celui de la transmission de la connaissance, des savoirs, de la mise en perspective de l’esprit critique, de la co-construction de la citoyenneté.

Alors oui, il est temps de faire l’éloge de ce beau métier de professeur. Ici ou là (plutôt ici que là, d’ailleurs), le professeur fait l’objet de tous les sarcasmes. Qui, dans un repas de famille, dans une discussion sur le coin d’une table, au comptoir d’un bar, n’a pas entendu cette allusion d’une perfidie et d’une injustice profonde : les enseignants ? Tous des fainéants… Tout le temps en vacances… Et de surcroît, ils souhaitent des augmentations de salaires ?

Qu’il est aisé de surfer ainsi sur ces discours d’un populisme qui est dans ce cadre là ce qu’il y a de plus indécent… Les maîtres du siècle dernier doivent « se retourner dans leurs tombes » en entendant leur projet collectivement porté durant de longues décennies à bout de bras, réduits à de telles caricatures !    

Si l’éducation est une forme d’humanisme, chaque enseignant constitue une parcelle de la Nation et en ce sens, mérite le respect pour ce qu’il est et ce qu’il fait. Il est un artisan au sens noble du terme, celui qui travaille comme un artiste, souvent sans filet, mais avec seule arme, celle de ce qui ne s’exprime pas, comme le coucher du soleil sur un sommet enneigé… Le professeur assure le lien entre présent, passé et futur. Il est la passerelle entre ce qu’il y a de plus cher à notre coeur, nos enfants et ce qui donne sens à notre vie, le vivre ensemble ! Dévouement, compétence, présence sont souvent les caractéristiques que l’on reconnaît à ces horlogers de la République. Qui n’a jamais entendu un adolescent, adulte raconter comment il a été « marqué » lors de son parcours scolaire par un instituteur, un professeur, un éducateur ou un chef d’établissement ? Ici, une institutrice qui arrivait, quelque soit le temps, en vélo pour venir assurer sa classe ? Là, un professeur qui, jusqu’à plus d’heure, prend du temps pour achever dans les temps et les meilleures conditions un rapport de stage ?

Il est temps de sortir de ces caricatures « injuriant » l’avenir de ses professeurs qui ne sont que des profiteurs d’un système qui marcherait sur la tête, de ces femmes et hommes qui refuseraient tout changement car cela toucherait leurs « petits avantages » et pourrait « rogner » leur temps de vacances… 

Les temps que nous vivons sont cruciaux. Ou le discours qui se veut dominant et populiste prend le pas sur la réalité et il sera demain difficile de faire de ces « trésors d’humanité » des passeurs au service des jeunes ; ou la reconnaissance de la qualité de ces femmes et ces hommes sera possible et la re-construction de notre école pourra à nouveau nous mobiliser. « Les saignées » des 5 dernières années ont constitué une purge sans précédent. Plus de 40.000 adultes ont quitté les écoles de la République ces dernières années. Comment faire de cette belle institution un lieux d’investissement pour demain, mobiliser de nouveaux talents afin d’accompagner nos jeunes sur les voies d’une insertion sociétale et professionnelle réussie ?

Je le dis avec force et sincérité, car un chef d’établissement n’est ce qu’il est que lorsqu’il vit au cœur d’une équipe éducative compétente, dévouée, motivée, ancrée dans l’idée que l’école est un atout pour notre avenir commun. Mais quelle est donc cette spécificité française qui met au pilori dans certains cénacles de la République, les enseignants et qui est capable parfois de reconnaître leurs talents lorsqu’ils sont à leur contact direct ? C’est un beau combat idéologique entre les tenants du progrès, de l’école émancipatrice et ceux qui tiennent celle-ci comme un simple lieu de productivisme, à l’image d’une entreprise ? Pour ma part, je me situe résolument du côté du mouvement et de ceux qui croient que l’école est une chance pour demain ! Et avec conviction et confiance au côté des professeurs et donc des élèves…


8 mai 2008

Ces parents qui font sécher l’école à leurs enfants… 

Un titre « accrocheur » dans un grand journal du soir pointe le doigt sur un thème qui nous interpelle dans un nombre non négligeable d’établissements scolaires : l’absentéisme scolaire. C’est surtout la nature de ce dernier qui pose question, combiné à sa quantité. Certains établissements verraient, lors de certains moments de l’année scolaire, jusqu’à 50% de leurs effectifs « atteints » par cette pratique qui a pris une ampleur parfois extravagante.

Certes, lorsque l’école n’était pas obligatoire, fortement implantée en milieu rural, les travaux agricoles prenaient parfois le pas sur la présence en classe. En milieu urbain, un tel phénomène n’existait pas, quelque soit le milieu social d’appartenance de la famille. Ecole rimait avec chance, ascenseur social, était synonyme de réussite sociale et creuset républicain permettant à chacun de penser un avenir meilleur que les générations précédentes.

A partir des années 60, les choix collectifs ont conduit à la massification sans toutefois réussir pleinement la démocratisation de cette belle institution qu’est l’école. Au fil du temps, les chemins que nous avons emprunté ont joué ce rôle exemplaire de participation à la construction d’une société ouverte, s’appuyant sur une citoyenneté active.

La société de marché a instillé peu à peu une privatisation de l’espace public au sens large, concernant aussi toutes les institutions sur lesquelles la République s’était construite.

L’école a ainsi perdu peu à peu sa vocation qui visait à permettre à chacun de se construire un parcours à la mesure de ses espérances, en particulier d’intégration sociale par l’emploi. Le chômage de masse, lié à des choix économiques et sociaux, aux crises successives d’un système mondialisé non maîtrisé, est passé par là. Et l’institution « école » a perdu sa place au cœur du projet de société que nous subissons aujourd’hui. Il est peu de dire aussi que « les maîtres »  vivent une forme de rupture de lien avec les familles, les jeunes et la société dans son ensemble. La « prolétarisation » des métiers de l’éducation est un signe fort de ce début de déliquescence.

Ainsi, l’école a tendance à devenir un produit de consommation comme un autre. L’établissement est souvent vécu comme un supermarché où l’adulte est confronté à ces changements de comportement des jeunes et parfois des familles, sans disposer parfois des outils pour comprendre et apprendre à poser l’équation de l’élève sujet. Ce n’est pas tant l’approche de l’élève au cœur du projet que l’insuffisante de mise en œuvre de cette démarche qui peut constituer une des interrogations majeures d’aujourd’hui.

Alors l’école vit une véritable révolution, sans pilotage fort ces dernières années qui permettrait de donner du sens et un sens à l’apprentissage, aux apprentissages. Faute des bons outils et du fait de la banalisation de l’institution, on assiste à des comportements de familles qu’il n’est certes pas question de valider, car ils sont devenus excessifs : combien de familles choisissent de prendre des vacances supplémentaires sur temps scolaire, d’autoriser parfois leurs enfants à ne pas venir à l’école sous prétexte que deux journées à l’école seulement dans une semaine n’ont que peu d’importance ! Les familles les plus modestes sont plus souvent concernées par ce mal des dernières décennies et pour l’école aurait le davantage de sens. Les familles socialement les plus aisées jouent cette carte avec plus de désinvolture car les officines privées jouent parfois le rôle de complément ! Est-ce l’école que nous souhaitons ? Celle de l’inégalité des chances et qui fait que l’absentéisme renforcera ces dernières ? Sans exonérer les familles de leurs responsabilités, c’est de la place de l’école dans la société que nous souhaitons demain sur laquelle il faut s’interroger. (Re) tisser le lien avec les familles, vivre l’innovation pédagogique, développer la formation des personnels des établissements, mettre en place de projets pédagogiques et d’établissement donnant du sens aux apprentissages sont des conditions nécessaires à ce nouvel élan pour l’école. Mais cette question de l’absentéisme, au même titre que d’autres tout aussi fondamentales comme la violence scolaire, nécessiteront la mise à disposition de moyens adaptés, gérés certes plus efficacement, mais en offrant une plus grande autonomie aux équipes pédagogiques.

Ces conditions suffisantes ne seront malheureusement suffisantes que si l’école (re) devient un bien public et une institution qui ne soit pas une marchandise. Cela nécessitera du temps car la banalisation de l’école, en faisant un secteur de l’économie comme un autre – soumis au même régime de réduction des effectifs que les autres secteurs dont on peut penser qu’ils ne sont pas tous aussi stratégiques pour la construction de la société de demain – s’est accélérée ces dernières années.

Redevenue priorité collective, l’école aura la capacité à faire des projets de chacun des jeunes qu’il accueille, l’univers des possibles. Et si l’école devenait notre nouvelle frontière ?


samedi 17 mai 2008

Etre parent ?…un métier difficile…

En ce printemps de l’orientation, les rencontres avec les familles et les jeunes se multiplient. C’est probablement une des périodes sur un plan personnel, qui est, à la fois, la plus intense mais aussi la plus riche d’enseignements. 

C’est avant tout un temps pour la rencontre, l’écoute et l’accompagnement. Je suis convaincu que nous ne prenons jamais assez de temps pour que ces échanges soient suffisamment approfondis afin qu’ils prennent la place qu’il leur revient : le cœur ou plutôt un acte fondateur de la démarche éducative.

S’il s’agissait simplement de réciter un texte présentant l’offre de formation, ce serait d’une banalité et d’une insipidité consternantes. Ce n’est pas le choix que j’ai fait en privilégiant ses moments d’où transpirent souvent des projets, des envies, mais aussi des inquiétudes et des fragilités. Qui est le plus fragile d’ailleurs lors de ces temps de rencontre ? Le jeune, parfois plein de certitudes mais qui ne sont qu’une armure comme la tenue vestimentaire est une carapace à l’age de l’adolescence ? Ou bien l’adulte responsable qui porte en lui un passé scolaire qui peut s’avérer parfois complexe avec l’école ? Lorsque tel est le cas, ce sont souvent des temps de découverte ou re-découverte que l’adulte a tendance à reproduire inconsciemment sur le parcours de son enfant. Cette projection peut être à la fois démobilisatrice ou destructrice. Les parents ou les adultes référents ont aussi leur propre carapace et si nous n’y prenons pas garde, ou si ne prêtons pas suffisamment attention aux mots, aux gestes ou aux regards, nous pouvons passer parfois à côté de l’essentiel.

Ainsi, les blessures des parents sont parfois profondes. Combien de fois n’ai-je entendu : je ne sais pas m’y prendre, nous sommes dépassés, je n’y arrive pas…Ou parfois pire : je ne comprends plus mon fils ou bien encore, ma fille ne fera rien de bien ! L’époque actuelle sous couvert de transparence ouvre à chacun des espaces de parole qui, livrés tels quels et sans régulation possible parfois mettent en péril une relation fragile ou fragilisée au fil des années. La fracture parfois entre jeunes et adultes est tellement profonde, les outils de compréhension du monde dans lequel nous vivons ont tellement changé, qu’il est parfois difficile de faire du vivre ensemble, une nouvelle frontière pour le groupe familial.    

Les médias, les technologies nouvelles, les pressions en tout genre de la société de marché et en filigrane de la société de consommation ont créé des « bulles » qui vivent de manière parallèle et ne se rencontrent que rarement. Lorsque ces dernières se retrouvent, c’est parfois de manière explosive !

C’est parfois derrière de telles difficultés, un manque de dialogue qui fait que cet écart se creuse. Le mythe du parent parfait a fait de tels ravages, les leçons ici ou là données par des experts en rien mais conseilleurs en tout, que c’est une forme cruelle de détresse qui perle lors de mes rencontres d’orientation ou d’inscription. Ce régulateur qui fait défaut dans la vie au quotidien, c’est peut-être ici encore, à l’école qu’il se trouve ! Je crois profondément que l’école est parfois le dernier lieu où les enfants et parents se parlent. C’est aussi le premier temps de la résilience, de la démarche vers une reconstruction et ré-unification des « bulles » avant qu’elles n’explosent éventuellement… Prendre le temps de l’écoute sans juger, permettre à ces diverses carapaces de se fendre, créer du lien à nouveau : rien ne me semble plus important aujourd’hui dans ma fonction de chef d’établissement. C’est tellement compliqué d’être parent…

Régulateur ? Pourquoi le serai-je la plupart du temps avec les adultes du lycée, parfois les élèves et jamais entre les parents et leurs enfants ? On me dira que ce n’est pas à l’école de prendre en charge toutes les difficultés que peuvent rencontrer les familles. Certes, je ne suis pas psychologue, médiateur, conciliateur, juge de paix…Mais je suis certainement un peu de tout cela à la fois… Et si au final j’étais un peu « éducateur » au service aussi des jeunes et des familles? Loin de me déplaire, cela donne à ma fonction une vraie et belle dimension…


Samedi 23 mai 2008

De la pensée critique

Alors que je partageais le repas avec quelques collègues et une soixante d’élèves français et allemands dans le cadre d’un échange culturel, les échanges nous ont conduit sur les sentiers escarpés de l’école et de sa place au cœur de notre société… Hasard pour les uns ou providence pour d’autres, nous avons engagé cette conversation au moment où l’excellent ouvrage de Philippe Meirieu et Pierre Frackowiak (1) paraissait. Alors que nous interrogions sur la question de la standardisation de plus en plus manifeste de la pensée des jeunes, la principale conclusion que nous en retirions était que les principaux vecteurs et facteurs de cette dernière n’étaient autres que les médias « à vocation commerciale ». Ainsi, la plupart des programmes des médias audiovisuels, propriétés de grands groupes financiers, mais aussi radiophoniques qui constituent pour certains « une véritable religion » de la pensée unique sont au cœur de ce qui mine aujourd’hui notre projet collectif.

Alors que nous étions au début de ce repas empreint de convivialité et d’échanges riches, plusieurs élèves sont venus demander s’il était possible pour eux d’aller visionner le feuilleton quotidien, tend à faire accroire que les scénarios proposés traduisent une forme de réalité qui n’est que très loin de ce qui se vit en réalité au quotidien. Un salmigondis d’aventures plus rocambolesques les unes que les autres, un mélange malsain de la vie des adultes et des adolescents, un regard de dérision sur l’école et le mythe d’une réussite « au rabais » : voici ce qui résume ce que la société propose comme « norme » aux adolescents aujourd’hui. Il en est de même pour les radios les plus écoutées le soir ou bien le matin par les jeunes où la vulgarité le dispute à la dévalorisation d’institutions ou de personnes, en particuliers de l’école et de ses personnels.

Loin d’entrer dans une démarche qui viserait à proposer une autre forme de normalisation purement conservatrice et qui se substituerait à l’envahissement par le libéralisme de tous les interstices de la société, ce qui semble le plus dramatique n’est autre que la disparition progressive de la pensée critique. Alors que le modèle d’économie de marché débridée aboutit à la constitution de monopoles et donc à la limitation de l’espace de liberté, la construction de la société de marché, aboutissement au niveau sociétal,  comme conséquence de la marchandisation, se traduit par une standardisation de la pensée qui nous ramène aux heures les plus sombres de notre histoire.

Derrière ce rouleau compresseur économico-médiatique, c’est effectivement de la place de l’éducation dans le projet de société dont il est question. Peut-on sans réagir, laisser le moteur de la construction de la République disparaître peu à peu, faire de chaque jeune une personne interchangeable ? Veut-on aider, dans nos établissements, le jeune à devenir un citoyen demain ? L’école n’est pas un outil technique, mais un lieu, un creuset de la République. Les choix pédagogiques ne sont aujourd’hui pas neutres, comme le discours qui se veut dominant veut nous le faire croire. Si la réponse est affirmative, alors pour les jeunes que nous accueillons, parfois fragiles scolairement, socialement peu solides, notre devoir est clair : faire que l’école revienne au cœur de notre projet du vivre ensemble que nous souhaitons, où la liberté puisse reposer sur ce qui fait le sel de l’institution scolaire, la démarche d’une véritable pensée critique. Faire des jeunes qui passent dans nos établissements des citoyens de demain ! Quel plus beau défi à relever pour les éducateurs que nous sommes, quelque soit la fonction que nous occupions dans ces remparts contre la médiocrité, que sont nos écoles.

(1) L’éducation peut-elle être encore au cœur d’un projet de société ?, Philippe Meirieu, Pierre Frackowiak, l’Aube, 2008.


Dimanche 1er juin

Enseignant...

La période de fin d'année est propice au temps du recrutement de nouveaux enseignants. L'enseignement agricole dispose de cette possibilité de faire de la contractualisation publique de nouveaux enseignants, un outil au service d'un projet d'établissement. En tous les cas, c'est la conception que je me suis faite de cette « souplesse » qui est une vraie responsabilité.

Demain, je vais recevoir des candidats qui ont postulé et souhaitent rejoindre l'équipe éducative. C'est au-delà des compétences techniques, un regard sur la conception de l'école que je vais avoir en arrière plan, afin de faire le choix le plus utile pour les jeunes qui vont être accompagnés par ce nouvel enseignant.

La liberté pédagogique sera au coeur de l'échange que je souhaite avec chacune et chacun des candidats. Il me paraît essentiel que cela traduit un regard alternatif sur l'école que l'on veut nous imposer aujourd'hui.Transmettre et émanciper en même temps et non transmettre puis émanciper consitute le clivage essentiel entre celles et ceux qui font de la pédagogie le coeur du métier d'enseignant et d'autres qui n'ont que le mot de liberté à la bouche, mais considèrent que l'élève n'est  jamais assez prêt pour l'aider à se construire sur ce chemin. C'est la pédagogie de la liberté qui offre cette respiration permettant la pensée critque, outil essentiel de la co-construction du citoyen de demain.

Au-delà des questions rituelles, convenues que je poserai lors de ces entretiens successifs, ce sont bien de questions de fond sur lesquelles il s'agira de se pencher: l'école est-elle un lieu où l'on doit aider chaque élève à se dépasser? Peut-on ou doit-on intégrer, comme futur enseignant, un établissement sans se poser la question du projet collectif et donc du contrat avec les jeunes, leurs familles? Quel est la nature du métier d'enseignant aujourd'hui? Suffit-il de transmettre des connaissances pour que les jeunes apprennent?

Peut-être ces interrogations lors d'un entretien sont elles hors de proportion. Elles sont certes ambitieuses, et en une bonne heure d'échanges, les sujets ne seront certainement pas épuisés. Les échanges seront parfois déstabilisants car « hors des normes » classiques. En parlant de standards d'ailleurs, je pourrai glisser sur le terrain d'une école technocratique dont les décideurs aujourd'hui veulent faire un modèle, visant à faire des classements par taux de réussite les seules références « objectives »!

Je me fais de ce temps de recrutement un moment clé de la vie de l'établissement. Donner du sens à cette démarche, c'est aussi faire que demain, les jeunes accueillis profitent des fruits de l'innovation pédagogique, de cette capacité renouvelée à susciter le désir, coeur de la motivation afin de comprendre que l'école est une chance et non une contrainte.

Je conçois bien volontiers que tout ceci est une démarche de longue haleine, qu'elle nécessite réflexion, recherche, efforts. Il est vrai qu'une telle proposition peut paraître complexe, très éloignée d'une offre courante d'emploi. Mais l'école n'est pas un lieu commun, un bien de consommation, un produit substituable, comme les « marchands de l'école des marchands ». Venir y travailler au quotidien n'est pas un choix anodin. Cela mérite mieux que d'entourer cette proposition de termes technocratiques.

Lieu d'apprentissage de la démocratie, de la citoyenneté, de la connaissance, de l'exercice de la pensée critique, cette école alternative au modèle dominant, mérite des adultes qui se sentent investis par l'ambition d'aider chaque jeune à réussir ! C'est le contrat que je proposerai à celui ou celle qui aura à coeur de particper à notre aventure collective.


le 10 juin 2008... DERNIER EPISODE !

Tout est à (re)construire…

Jamais le monde de l’éducation n’aura été soumis à tant de mouvements contradictoires. La frénésie de « réforme » depuis quelques années a trouvé son point d’orgue avec les quelques dizaines de mois qui viennent de s’écouler. Suppression du samedi matin dans les écoles élémentaires, nouveaux programmes alors que ceux, consensuels de 2002, n’avaient pas encore atteint leur rythme de croisière, réduction massive de moyens se traduisant par des suppressions de postes, institution d’un parrainage – mort-né - sur le thème de la Shoa puis de l’abolition de l’esclavage, liberté pédagogique de façade « restaurée » alors qu’il n’est pas question de pédagogie de la liberté… Réforme du lycée et mise en place d’une filière professionnelle en 3 ans, mise en place d’un service minimum d’accueil financé avec les fonds des retenues sur salaires des personnels grévistes…

La liste est longue, mais derrière cette politique de gribouille, deux axes en filigrane apparaissent déterminants dans les choix actuels : une orientation purement budgétaire et la volonté de ré-utiliser des recettes du passé, d’un âge d’or d’une école qui n’a que peu de chose à voir avec celle d’aujourd’hui, après que la massification et la démocratisation aient été conduites avec parfois des insuffisances.

Dire que l’on peut « fonctionner » avec 99 au lieu de 100, expliquer que les taux d’encadrement moyens demeureront sensiblement les mêmes, que 15% d’enfants « illettrés » sont seulement le produit de l’apprentissage par la méthode globale, constituent des impostures majeures.

Oui, l’école a besoin de temps, les personnels et enseignants de considération, l’école de réformes accompagnées et construites en pleine concertation ! Comment expliquer que demain, faire du « vivre ensemble » sera une des conditions de la mise en place d’une pédagogie de liberté s’appuyant sur une réelle liberté pédagogique, si l’on ne regarde que dans le rétroviseur  pour construire demain ?

A-t-on aujourd’hui la volonté de mettre l’école au cœur d’un projet de société qui fasse des élèves qui sont accueillis dans nos établissements des citoyens de demain ? Cette réflexion sur l’école n’est semble-t-il plus de mise, l’action se substituant à la réflexion, les mesures s’enchaînant les unes après les autres sans que leur mise en place n’ait été concertée, étudiée et approfondie.

Tout au long de cette année scolaire, j’ai eu le plaisir, lors de cet espace de liberté de ton et d’expression, de rencontrer des lectrices et lecteurs. Avec le regard d’un Chef d’Etablissement dont je considère qu’il doit être le premier éducateur de sa communauté… Coups de cœur, de « gueule », interrogations, impatiences, interrogations : j’ai livré avec bonheur mes questionnements tirés d’une expérience de terrain irremplaçable. Les regards, les mots, les gestes partagés avec tous les acteurs de la vie de l’établissement, les rencontres, ont nourri ces chroniques hebdomadaires. Au terme de cette belle aventure, une certitude demeure, comme les lignes ci-dessus le confirment : l’école est à (re)construire afin qu’elle nourrisse et se nourrisse du projet de société que nous voulons construire pour demain. N’oublions jamais de combattre ce qui abaisse l’Homme et fait de l’école au cœur de la société de marché, une simple marchandise !

Puisque la réforme des institutions à venir vise à inscrire la reconnaissance des langues régionales dans notre loi commune, je vous dis bien volontiers « Adizchats » !