QUESTIONS :

Dans le cadre des problèmes qu'on nomme pudiquement « de discipline », je souhaiterais quelques explications et conseils sur l'entrée en classe et le démarrage du cours. Vous dites qu'il faut des rituels : lesquels et comment les mettre en oeuvre ?

ELEMENTS DE REPONSE :

Il existait traditionnellement des rituels qui scandaient les différents moments des activités scolaires. En particulier, l'entrée dans la classe se faisait, le plus souvent, en rang et chaque élève restait quelques instants debout auprès de sa table, immobile et en silence. Ce rituel, largement accepté par tous, avait un sens : il marquait la césure et, en quelques secondes, l'esprit de l'élève devait « pivoter » pour se rendre disponible à une activité intellectuelle nouvelle.

Bien sûr, ce rituel ne fonctionnait que parce qu'il était porté par toute l'institution qui en assumait la portée et qu'il était accepté par chaque élève qui, plus ou moins consciemment, en percevait la fécondité. Ce rituel était aussi lié à la perception générale de l'institution scolaire : l'Ecole « en imposait » et son architecture, le climat qui y régnait, favorisaient certains comportements, un peu comme c'est encore le cas aujourd'hui pour un opéra, un théâtre, un tribunal, etc.

Or, à quoi assistons-nous aujourd'hui ?

Les écoles et, surtout, les collèges ont beaucoup perdu de leur signification symbolique : l'architecture de la « maison scolaire », l'organisation matérielle de la classe ne « parlent » plus aux élèves ? Nous avons, dans ce domaine, un déficit considérable et il faut absolument développer les recherches en architecture ou en ergonomie scolaires. Il nous faut aussi, très concrètement, travailler sur l'organisation, la décoration et l'installation de nos classes. Il ne faut pas nous résigner à la « boîte à chaussures » indifférenciée... et nous devons faire entendre notre voix, sur cette question, dans les différentes instances de nos établissements.

Cela dit, il reste à répondre très concrètement à l'urgence que vous évoquez... Il ne me paraît pas possible de revenir, de manière autoritaire et artificielle, à des rituels considérés comme désuets. En revanche, nous devons inventer, dans les contraintes et les situations qui nous sont imposées, des rituels féconds : c'est à dire des rituels qui rendent visibles les césures nécessaires à l'organisation scolaire et qui soient utiles pour les élèves et leurs apprentissages. Permettez-moi un exemple emprunté à ma pratique de professeur de Lettres, aussi bien en collège qu'en lycée professionnel : convaincu de la nécessité de mettre les élèves « en situation mentale » propice au travail que je devais faire avec eux, j'ai décidé de faire figurer, au début de chaque séquence de mes cours, une citation littéraire au tableau avant l'entrée des élèves. Je me mettais ensuite à la porte et faisais entrer les élèves un par un en silence. Durant les cinq premières minutes du cours, chaque élève devait noter cette citation sur son carnet et s'efforcer de l'apprendre par coeur. A partir du second trimestre, je passais le relais aux élèves : chacun d'entre eux, à son tour, devait venir inscrire une citation au tableau... Triple avantage : 1) on institue ainsi un temps de césure qui favorise une disposition mentale et permet de démarrer le cours dans de meilleures conditions ; 2) on favorise la mémorisation, on enrichit le vocabulaire et les structures syntaxiques des élèves ; 3) on développe la culture des élèves et on nourrit leur curiosité intellectuelle.

Bien évidemment, cette proposition n'est qu'une technique parmi d'autres adaptée à une discipline particulière. Il convient de réfléchir, chaque fois, en fonction de l'âge des élèves et des spécificités de la matière enseignée, à la nature du rituel le plus fécond (ce ne sera évidemment pas le même en EPS, en géographie, en physique et en langue vivante...).

Enfin, il faut également réfléchir aux césures à l'intérieur d'une séquence de cours. Il est très important, en effet, de marquer, par des rituels adaptés, les passages entre le travail collectif, le travail individuel, les travaux de groupes, les moments d'expérimentation, de lecture silencieuse, etc... Chaque fois, il est indispensable de clarifier les attentes auprès des élèves : « Qu'est-ce-que l'on va faire ? Qu'est-ce-que cela exige de chacun ? Comment on va y parvenir ? ». Il est aussi fondamental d'être ferme sur les consignes, d'éviter de laisser des situations flottantes où plus personne ne sait exactement ni ce qui est attendu de chacun, ni ce qui est interdit. Le principe essentiel est qu'à chaque moment le maître incarne et mette en place concrètement une situation d'apprentissage clairement identifiée.