ECHEC SCOLAIRE


Voir aussi la synthèse rédigée à l'occasion de la première journée du refus de l'échec scolaire :

La notion d’échec scolaire est assez récente. Elle n’apparaît guère avant les années 1960 et ne devient un véritable problème social et politique que dans les années 1980. Car, dans la tradition élitiste française, les échecs étaient plutôt des solutions… au problème de la sélection. Dès lors que l’héritage des charges et des biens ne pouvait plus être – au moins en théorie – le critère de structuration de la hiérarchie sociale, la réussite scolaire, et son corollaire, l’échec, permettaient de faire le tri !

Cela nous est devenu aujourd’hui insupportable. Pourquoi ? D’abord, parce que nous avons appris que ce « tri » ne s’effectuait pas sur le seul critère du mérite, mais renvoyait à des conditions économiques, à l’apprentissage familial du métier d’élève qui n’étaient pas équitablement répartis dans le champ social. Entre l’enfant qui dispose d’une bibliothèque et d’un ordinateur à la maison, à qui ses parents lisent des histoires tous les soirs, qui bénéficie d’un environnement stimulant… et celui qui, très tôt, « rouille » au bas des tours, « l’égalité des chances » est une vaste escroquerie ! D’autre part, nous savons qu’il existe une spirale de l’échec qui, par le truchement des étiquetages et orientations successives, condamne les plus fragiles à une série d’exclusions successives. Plus encore : en France, la « deuxième chance » de la formation continue n’est donnée qu’à ceux qui ont bénéficié d’une formation initiale de haut niveau réussie ! Enfin, si l’échec scolaire nous est insupportable, c’est que nous ne pouvons nous résigner à avoir des citoyens à plusieurs vitesses… La complexité des situations impose que chaque sujet dispose d’une formation lui permettant de les comprendre et d’y agir lucidement. Quand montent, de toutes parts – dans la publicité comme dans les intégrismes de toutes sortes –, de terribles phénomènes d’emprise, il est plus que jamais urgent de former chacun et chacune à « oser penser par soi-même ». Sans cela, c’est notre projet démocratique lui-même qui sera compromis.

Il faut donc lutter contre l’échec scolaire et le gâchis qu’il représente : gâchis psychologique pour des enfants qui se voient assignés à la « nullité » et risquent de basculer dans la violence… gâchis social de ces élèves coagulés dans des groupes fusionnels où le rejet de l’école et de la pensée critique fait fonction d’identité… gâchis économique de ces orientations trop prévisibles dans des emplois sans perspective qui ne contribuent pas à faire augmenter la richesse nationale… gâchis politique qui condamne les générations futures à remédier sans fin à ce qu’on n’aura pas su prévenir…

Mais, pour lutter contre l’échec scolaire, il faut comprendre qu’il n’est pas la conséquence obligée d’une cause unique, qu’elle soit sociale ou scolaire, culturelle ou économique. L’échec scolaire est la conséquence d’un ensemble de facteurs irrémédiablement entremêlés. Alors, bien sûr, il est facile pour les différents acteurs de se renvoyer la balle : « Ce n’est pas la faute des enseignants, mais des familles ! Pas la faute des familles, mais des associations ! Pas la faute des associations, mais de l’École refermée sur elle-même ! » Rien ne sera possible tant qu’on se repassera ainsi l’élève en échec comme une « patate chaude ».

Mais rien ne sera possible, non plus, tant qu’on ne comprendra pas que, dans le domaine éducatif, la responsabilité, c’est pas comme un gâteau. Dans un gâteau, plus j’en prends, moins il en reste. En matière éducative, plus chaque acteur joue son rôle, le mieux possible, et plus les autres peuvent jouer le leur. Trois instances essentielles sont nécessaires à l’éducation d’un enfant : la famille - lieu de la filiation -, l’école - lieu de la transmission systématique des savoirs - et les « tiers lieux »… Il faut absolument, en effet, des espaces où l’on rencontre des pairs et des ex-pairs, où les animateurs ne soient pas investis d’un pouvoir institutionnel, où la parole peut s’inscrire résolument du côté du tâtonnement, de la recherche commune de solutions, de l’exploration de la liberté. Les « tiers lieux » n’ont vocation à marcher sur les plates-bandes de personne. Mais on aurait tort d’en sous-estimer l’importance : aucune forme de « soutien scolaire » ne pourra les remplacer. Dans les « tiers lieux », de jeunes passeurs introduisent les enfants dans le monde. Au moment où, de tous côtés, des douaniers consacrent tant d’énergie à demander aux enfants leurs « papiers », il est plus que jamais nécessaire que des passeurs les aide à trouver les chemins de la réussite. Et l’on aurait bien tort de prendre ces passeurs pour des contrebandiers !