Enquête... de légitimité

Un récent sondage CSA* commandé par le ministère de l'Éducation Nationale nous apprend que les Français approuveraient massivement l'abandon des méthodes dites « globales » au profit de la méthode syllabique. Une telle information mérite, tout d'abord, des précisions, puis quelques réponses.

1/ En premier lieu, on voit que cette enquête ne s'embarrasse pas de la nécessaire rigueur sémantique. Le ministre a dit que tout ce qui n'était pas syllabique était apparenté à la méthode globale, et c'est cette logique erronée qui s'applique aux questions posées par l'institut, puisque la seule autre méthode évoquée dans l'enquête est la « semi-globale ». Pourtant, répétons-le, la méthode globale, systématiquement   caricaturée dans les débats, n'a jamais été généralisée et a pratiquement disparu des classes françaises. On peut légitimement se demander de quoi parle ce sondage puisqu'il n'est pas prévu de terme autre que celui asséné par le ministre pour évoquer la réalité des pratiques de classe.

2/ En regardant de plus près le protocole d'enquête utilisé par le CSA, on constate qu'une question « filtre » permettait de n'effectuer le sondage qu'auprès des personnes ayant déjà entendu parler de la méthode globale et de la méthode mixte. Si pour 71 % des interrogés la méthode globale évoque quelque chose (on aimerait bien savoir quoi... certainement Ovide Decroly !), ils ne sont plus que 58 % à ne pas être totalement étrangers à la méthode syllabique. Et encore... 15 % d'entre eux en ont déjà entendu parler « mais ne savent pas ce que c'est ». Ce qui ne les empêchera pas de répondre !

Mais, en réalité, le grand intérêt de ce sondage, c'est d'apprendre... qu'il existe !

En effet, il nous renseigne, non pas sur la volonté des Français, mais sur celle du ministère. Au-delà du coût inutile qu'un telle commande représente, on voit mieux comment va être instrumentalisée la vox populi. Le ministre aura beau jeu de dire : « Nous prenons les décisions que réclame le peuple, c'est démocratique, ils veulent de la syllabique, parole d'experts ! ». Hier institution dont la mission dépassait la simple satisfaction de ses usagers, l'Education Nationale ne serait plus   qu'un simple "service public" à la recherche systématique du satisfecit populaire.

Tout aussi inquiétant est l'obscurcissement recherché par ce stratagème. Confusion entre opinion et savoir, entre sondage et démocratie. Y aurait-il 1011 spécialistes de la question comme pourrait le suggérer le panel ? Est-il honnête de mettre sur un même plan une réponse à la sauvette par téléphone et 30 ans de recherche pédagogique ?

Par ailleurs, il n'est pas étonnant qu'il se soit trouvé plus de sondés à avoir entendu parler de la méthode globale que de la méthode syllabique. Même si beaucoup d'entre eux auront rencontré dans leur jeunesse la seconde sans en connaître le nom, ils n'auront pas été sourds au continuel matraquage médiatique et politique de ces derniers mois.  

Ce que nous dit encore ce sondage, c'est que les chaînes de télévision, privées ou publiques, mais aussi certains journaux dont on espérait mieux (Marianne, Télérama) auront été les porte-voix d'un ministre qui préfère la communication à la concertation. Un jour chez Ruquier, un autre chez Fogiel, à quand la Star Ac' ? Pour la syllabique, tapez 1. Pour la semi-globale, tapez 2. Pour la globale, tapez... fort !

Sylvain Grandserre

* Sondage CSA réalisé sur un échantillon national représentatif de 1011 personnes âgées de 15 ans et plus interrogées du 11 au 12 janvier 2006.