Philippe Meirieu

illustrations de Pef

KORCZAK

Pour que vivent les enfants

Rue du Monde

Paris, 2012

UN LIVRE POUR ENFANTS ET ADOLESCENTS, A LIRE SEUL OU AVEC LES ADULTES, SUR UNE FIGURE EXCEPTIONNELLE DE L'HISTOIRE DE LA PEDAGOGIE

Janusz Korczak est né en 1878 dans une famille juive de Varsovie. Pour son instruction, il est confié à une école « triste et sévère » où l’on bat les enfants à la moindre occasion : il en restera profondément marqué. Adolescent, Korczak devient précepteur afin de contribuer aux ressources de sa famille. Puis il s’intéresse aux gosses qui errent dans son quartier et organise une sorte d’« école de la rue ». Après avoir hésité, il abandonne ses études littéraires et décide de devenir médecin : « La littérature, c’est seulement des mots, explique-t-il, la médecine ce sont des actes. C’est le moyen d’offrir à tous une vie meilleure. » Après avoir voyagé en Europe pour étudier les expériences de « communautés d’enfants » qui se développent alors dans la mouvance de « l’Education nouvelle », il ouvre, en 1912, la première Maison des orphelins. Mobilisé en 1914, il découvre les situations désespérées que vivent les enfants ballottés dans la guerre et bien souvent abandonnés à eux-mêmes. Il écrit Comment aimer un enfant. À son retour à Varsovie, il ouvre de nouveaux orphelinats, publie Le Roi Mathias Ier, un livre pour enfants. Puis il lance La Petite Revue, hebdomadaire écrit par et pour les enfants. Il met aussi en place une « école expérimentale », sans notes, sonneries, ni emploi du temps imposé à tous, et où les élèves choisissent leurs activités et sont évalués sur leurs réalisations de fin d’année. En 1934, il anime une émission de radio qui aura un immense succès, Les Causeries du vieux docteur, et multiplie les engagements en faveur de l’enfance, jusqu’en octobre 1940 où, après l’invasion de la Pologne par les nazis, il doit s’installer dans le ghetto.

Dès son retour de la guerre, Korczak n’a cessé d’interpeller les autorités sur le sort des enfants abandonnés. Très vite, il propose que l’on définisse les Droits de l’enfant. Pour lui, l’enfant est, tout à la fois, un être complet et inachevé. C’est un être complet et non un simple « adulte en miniature » ou une « cire à modeler » car, tout petit, il a déjà une multitude d’émotions et participe de ce que Montaigne appelait « l’humaine condition » : « Les chagrins des petits ne sont pas des petits chagrins », disait Korczak et l’enfant a le droit d’avoir une vie personnelle avec ses secrets, ses histoire souvent complexes et ses problèmes qui ne sont pas plus faciles à résoudre que ceux des adultes… C’est pourquoi l’adulte doit entendre l’enfant, prendre au sérieux ses réactions et ne pas fuir les échanges, y compris sur des questions difficiles comme la solitude, l’amour ou la mort. Et la bienveillance de l’adulte n’exclut nullement – bien au contraire - une exigence essentielle à son égard : exigence de qualité d’expression, de lucidité, d’information, de probité… exigence qui est un appel à s’exhausser au-dessus de lui-même et à grandir…
Être complet, l’enfant n’en est pas moins aussi un être inachevé : à ce titre, il doit être protégé dans son intégrité physique et psychologique, à l’abri de la violence et de l’exploitation, entouré d’adultes qui lui fournissent les ressources nécessaires à son développement. Complet et inachevé, l’enfant doit donc bénéficier de deux types de droits inséparables : les « droits de… » et les « droits à… », deux types de droits qui sont conjoints dans un droit fondamental : le droit à l’éducation.

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Korczak n’est pas un idéaliste : il sait que les enfants et les adolescents ne sont pas toujours faciles, il décrit les orphelins comme « bruyants, violents, excités et insolents ». Pas question de s’y résigner ! Le « respect de l’enfant » n’a rien à voir, pour lui, avec l’admiration naïve d’une enfance idéalisée. Respecter l’enfant, ce n’est pas refuser les contraintes, c’est chercher les contraintes fécondes, non pas celles qui permettent aux adultes d’« avoir la paix », mais celles qui permettent à l’enfant de progresser.
Pour cela, Korczak attache une importance essentielle au sursis. Sursis à la violence d’abord avec, par exemple, un astucieux système de « points » pour réguler les bagarres : « Voilà que les enfants se mettent à réfléchir avant de se battre », note Korczak. Sursis à la demande pressante, à l’exigence immédiate, à la pulsion : il propose aux enfants qui veulent obtenir quelque chose de lui écrire plutôt que de le persécuter toute la journée avec leurs questions pressantes : « Ainsi apprend-on à attendre une réponse au lieu de l’exiger sur-le-champ, à expliciter une demande et à réfléchir. » C’est que Korczak a perçu, bien avant que les neurosciences ne nous le confirment, le caractère profondément formateur de « l’inhibition » de la réaction immédiate qui permet le développement de la pensée. Il a bien montré qu’éduquer, ce n’est pas céder à tous les caprices de l’enfant – au risque de l’enfermer dans la toute-puissance -, mais que ce n’est pas, non plus, tout lui interdire sans autre forme de proçès – au risque d’en faire un dissimulateur. La véritable attitude éducative est de dire à l’enfant : « Non, pas tout de suite… Oui, peut-être ? Mais prenons le temps d’y réflechir ensemble. » C’est ainsi que l’on contribue à son véritable développement moral et intllectuel.
Et puis, Korczak met aussi en place un ensemble de rituels qui permettent aux enfants d’apprendre à vivre ensemble en réfléchissant sereinement aux conditions de l’existence de leur collectif : un tribunal d’arbitrage, avec un « code » très précis, des panneaux d’affichage mis à jour régulièrement qui formalisent les droits et les devoirs, la participation de chacune et de chacun aux tâches collectives. Tout cela constitue un ensemble de « dispositifs pédagogiques » qui expriment bien ce qui fait la richesse de sa pédagogie : assumer le devoir d’éducation de l’adulte en respectant l’enfant, un « respect » qui ne l’enferme pas dans ce qu’il est, mais lui permet de se dépasser.