La pédagogie entre le dire et le faire - 1 : Le courage des commencements, Paris, ESF éditeur, 1995
Avec cet ouvrage, Philippe Meirieu engage un travail, rarement fait, d'épistémologie du discours pédagogique. Il s'efforce de comprendre comment fonctionne ce discours, loin de toute prétention scientifique, mêlant descriptions, injonctions, témoignages, développements philosophiques et références religieuses. Ce discours - qui n'est, le plus souvent, étudié que comme un objet de curiosité historique et qui a tendance à être exclu des "sciences de l'éducation" - est porteur d'enseignements essentiels : il montre comment les hommes tentent de se dépêtrer avec ce phénomène étrange : la naissance d'un enfant que l'on a quelque temps dans les bras, avant de l'avoir "sur les bras"... la nécessité d'accompagner dans le monde l'émergence d'une liberté qui inquiète... la volonté de combiner maîtrise et émancipation, continuité assumée et rupture nécessaire. Il faut comprendre les discours pédagogiques, en leurs failles mêmes, comme une exploration de cette étrange entreprise éducative. Et il faut tenter d'en tirer, sinon des conclusions, du moins des enseignements susceptibles de nous permettre de penser et de mettre en oeuvre une "action sensée".

Voilà aujourd'hui plus de deux siècles, depuis Rousseau et Pestalozzi, que la réflexion pédagogique s'est affrontée à la rude tâche d'élaborer des propositions pour permettre au plus grand nombre l'accès aux savoirs et a la socialité. Elle a ainsi produit une multitude de discours et de projets qui constituent un formidable réservoir de possibles... Mais, étrangement, ces discours ne semblent produire que peu d'effets : les pratiques ne changent guère et les « expériences pédagogiques » s'essoufflent vite dès que leurs initiateurs viennent à disparaître. Les « militants pédagogiques s'épuisent à ramer à contre-courant et il arrive, parfois, que ceux-là mêmes qui préconisent le changement aient le plus grand mal à le mettre en ceuvre. Tout se passe donc comme si, en pédagogie, iI ne suffisait pas de savoir ce qu'il faut faire pour le faire... au point que bien des éducateurs et des enseignants se demandent pourquoi il est si difficile de mettre en application ses propres convictions pédagogiques.

Pour comprendre cette difficulté, Philippe Meirieu s'interroge d'abord ici sur ce qui fait la spécificité du discours pédagogique. Ni spéculation philosophique, ni recherche scientifique, ce discours peut d'abord se comprendre comme un effort pour entrer dans l'intelligence des contradictions éducatives. Il peut ensuite s'interpréter comme un travail sur cette « résistance » inévitable que semble opposer tout individu à qui veut l'éduquer. II est, enfin, cet effort formidable d'inventivité pour imaginer des moyens qui puissent « travailler cette résistance », non pour la briser mais, pour faire de la transmission éducative une occasion de développement de la personne et de partage d'humanité, un dialogue permanent entre la singularité et l'universalité.

Mais l'auteur n'en reste pas la : il présente les savoirs pédagogiques dans leur cohérence et propose des outils pour en saisir les enjeux. Il montre ainsi que ces savoirs ne peuvent être appliques mécaniquement et que l'écart entre le dire et le faire n'est réductible que par une reconsidération complète du statut du pédagogique, la reconnaissance de son fondement éthique, la renonciation à toute certitude didactique, le fait de placer l'inventivité et la formation du jugement au coeur de sa démarche.

C'est dire que tous les éducateurs trouveront dans cet ouvrage une analyse de leurs difficultés, un ensemble de références et d'outils permettant d'agir au quotidien et une réflexion sur les conditions pour trouver « le courage des commencements »... et la force de tenir ses engagements.