HOMMAGE A GILLES FERRY, DECEDE LE 22 JUIN 2007 :

"UN EDUCATEUR A HAUTEUR D'HOMME"

 

Grande figure des sciences de l’éducation à l’université Paris X–Nanterre, Gilles Ferry nous a quitté le vendredi 22 juin à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Pour ceux qui, comme moi, ont grandi dans la mouvance de l’Éducation populaire et qui ont, ensuite, tenté de comprendre ce qui se joue dans l’acte éducatif, il restera une référence majeure. L’homme, pourtant, n’a jamais cherché à se mettre en avant : étranger à tout carriérisme, il avait une modestie qui imposait le respect et donnait à ses propos une densité étonnante. Ses écrits sont de courts textes parfaitement ciselés, avec la volonté d’aller au plus juste et le souci de ne pas en rajouter. Sur la pratique du travail de groupe, la formation des enseignants, les récits de vie ou la question de l’éthique en éducation, ses apports ont été déterminants. Même s’il n’a pas toujours été écouté comme il aurait dû (que n’a-t-il pas été entendu, en particulier, sur la question de la formation des maîtres !), il a marqué en profondeur de très nombreux chercheurs, formateurs et praticiens de l’éducation.

En particulier, il a été l’un des premiers, en France, à attirer l’attention sur les phénomènes de groupe dans les classes et les groupes de formation. Non qu’il fût fasciné par une agitation spontanéiste dont il était le premier à voir les dégâts possibles, mais parce qu’en observateur attentif de l’humain, il avait compris que, quoiqu’on en pense, dise ou sache, il se passe toujours, dans ces groupes-là, autre chose que de la « transmission pure ». Avec la délicatesse caractéristique de qui refuse de rentrer par effraction dans l’intimité des autres, il s’efforçait de donner aux acteurs les moyens de comprendre ce qui se joue sous leurs yeux. Sans illusion sur une possible transparence, mais sans jamais se résigner à laisser jouer tranquillement le jeu des complicités affectives et sociales. Avec un regard fondamentalement positif sur les formateurs les maîtres, les étudiants et les élèves, il aidait chacun à trouver sa « juste place » : ni toute-puissance, ni fatalisme pour soi… ni angélisme, ni mépris à l’égard des autres. C’était un « pédagogue de l’estime » : convaincu qu’on ne fait rien qui grandisse les hommes sans les estimer. Convaincu, aussi, qu’on ne peut agir qu’ « à l’estime » : en postulant la confiance et en excluant toute certitude arrogante. Gilles Ferry était un grand éducateur dans notre modernité tâtonnante : un éducateur à hauteur d’homme.

Philippe Meirieu, Université de Lyon

Voir la postface au livre de Gilles Ferry Le trajet de la formation