Des hommes et des femmes debout

L'Entraînement mental dont il est question dans ce livre se veut " une méthode d'autoformation ".

Or, proposer une " méthode d'autoformation " peut paraître un bien étrange paradoxe : dès lors qu'il y a " méthode ", n'y a-t-il pas toujours, derrière, un formateur et, au-delà, un projet de formation ? Comment une méthode peut-elle permettre de " se former soi-même " puisqu'elle impose, à sa manière, un chemin, une démarche, une manière d'avancer dans la résolution des problèmes et, plus largement, de se situer devant le monde ? Une méthode, c'est justement tout l'inverse de l'autoformation : c'est un moyen pour ne pas être seul devant les mystères du monde, les énigmes de la connaissance, l'inquiétude et la peur que suscite toujours l'inconnu...

Mais, à l'opposé, que serait une " méthode " qui enfermerait un sujet dans une vision étroite des choses, qui lui imposerait d'adhérer à une idéologie plus ou moins secrète, de s'aliéner à un groupe ou à un gourou quelconque ? Que serait une méthode qui ne porterait pas en elle les moyens de s'émanciper à l'égard de toute forme d'assujettissements et, en tout premier lieu, de celle qu'elle est susceptible de représenter elle-même ? Que serait, en fait, " une méthode de formation " qui ne serait pas aussi - et indissociablement - " une méthode d'autoformation " ?

Tel est l'enjeu de toute démarche véritablement éducative. Je ne peux pas me passer des autres, des savoirs et des procédés qui se sont sédimentés tout au long de l'histoire des hommes. Je n'ai jamais les moyens de m'élever tout seul et, à l'instar du fantasque et improbable Baron de Münchhausen, de me tirer moi-même par mes propres cheveux pour m'empêcher de me noyer ou me sortir du gouffre de l'ignorance. Et pourtant, rien ne m'éduque contre mon gré. Je n'apprends rien que je ne doive construire et m'approprier. Les savoirs des autres ne me sont utiles que si je suis capable de me les incorporer, s'ils m'apparaissent nécessaires dans une démarche où je suis véritablement acteur.

Qui n'a pas entendu cette double exigence n'entendra rien au formidable courant de l'Éducation populaire : revendication de connaissances, expression d'une extraordinaire fringale d'apprendre, révolte devant un monde où les livres et la culture sont accaparés par une minorité de clercs... Et, simultanément, refus de se soumettre à l'autorité aveugle de spécialistes de l'apprentissage qui décideraient à notre place de ce qu'il faut apprendre et de comment le faire. Curiosité immense et insatiable devant le trésor des savoirs accumulés par les hommes et rejet viscéral de se placer, pour y accéder, dans la dépendance de quiconque... au risque de retomber dans un danger aussi grave que l'ignorance, " le savoir aveugle ".

Il y a, dans cette double révolte, la clé de notre émancipation : une manière d'apprendre à hauteur d'homme, la tête haute, en regardant l'avenir en face, en refusant aussi bien l'exclusion du cercle de l'humain que l'académisme scolaire sous toutes ses formes.

Il y a, dans cette démarche, quelque chose de radicalement et consubstantiellement révolutionnaire : l'exigence d'une pensée libre, qui ne se prive de rien de ce que l'histoire nous a livré mais qui ne l'ingurgite pas goulûment pour exhiber sa différence et jouer dans le seul registre de " la distinction ".

Il y a, dans la " méthode " de l'Entraînement mental, quelque chose qui honore et interpelle l'intelligence de chacun, quelque chose qui le met en route et le respecte à la fois. Une forme d'accompagnement de la conscience qui ne brutalise pas le sujet. Un respect du sujet qui ne l'abandonne pas dans le désert de l'ignorance.

Que cette révolte, cette démarche, cette méthode aient été imaginées par des hommes issus de la mouvance du Front Populaire, des hommes ayant eu le courage de rompre avec le régime de Vichy, des hommes engagés dans la Résistance et qui ont pris leur place dans l'immense chantier de reconstruction de l'Espérance après le passage de la barbarie... n'est pas un hasard.

Que nous n'ayons pas à nourrir une quelconque nostalgie à leur égard ni à nous déchirer dans des querelles de succession relève, évidemment, de l'exigence la plus élémentaire. Nous leur devons bien ça. Comme cet effort pour relire leurs propositions et nous montrer ainsi aujourd'hui à la hauteur de ce qu'ils ont fait hier. Comme le livre que vous avez entre les mains. Plus qu'un livre : le témoignage d'hommes et de femmes debout.