« Il fallait le faire ! »

Nul doute qu’à l’issue de la lecture de ces pages, le lecteur, comme l’auteur de cette préface, laissera échapper un évident « Il fallait le faire ! ». Expression polysémique s’il en est qui dit, tout à la fois, l’admiration devant le culot et le courage de l’auteur, mais aussi l’enthousiasme pour l’à-propos, la pertinence et la force de son discours.


Le culot, d’abord : au moment où, surfant sur l’individualisme et se nourrissant à l’envahissante littérature du « développement personnel », les médias exaltent le « sauve toi toi-même », Sylvain Wagnon nous montre que nos enfants ne pourront se sauver qu’ensemble.


Le courage aussi : quand notre société tout entière est tentée par le repli dans l’entre-soi et que fleurissent des écoles qui se veulent « alternatives » mais ne sont souvent que des refuges pour privilégiés, Sylvain Wagnon dit son attachement à une école publique qui soit, en même temps, une école pour toutes et tous et une école du commun, une école accueillante avec chacune et chacun, d’où qu’il vienne et quel qu’il soit, et une école qui prenne soin de notre monde commun.


L’à-propos également : jamais, en effet, nous n’avons autant eu besoin de rappeler qu’avant d’être une valeur, la solidarité est un fait. Que nous le voulions ou non, nous sommes solidaires. Pour le pire peut-être. Pour le meilleur, si nous le décidons. Et l’idéal de coopération que l’Éducation nouvelle avait proposé au nom de considérations morales et sociales s’impose aujourd’hui comme un enjeu civilisationnel. Car, si, au-delà des réformes de tuyauterie, nous cherchons un sens à nos institutions scolaires, si nous ne voulons pas les laisser se transformer en machines technocratiques au service de la concurrence généralisée, il n’y a guère que là que nous puissions le trouver.


La pertinence encore : quand tant d’écrits sur l’éducation débitent des lieux communs éculés sur l’épanouissement de l’enfant et la réussite de tous – comme si quiconque pouvait se porter en faux contre de telles généralités bienfaisantes ! –, Sylvain Wagnon montre clairement les enjeux et n’hésite pas à identifier des lignes de clivage. C’est, d’abord, le principe d’éducabilité contre tous les fatalismes… le fatalisme des dons et celui de la reproduction sociale, celui de tous les « c’est comme ça ! » et de tous les « on n’y peut rien ! ». C’est aussi la « pédagogie active » dès lors qu’elle n’est pas confondue avec la systématisation du bricolage et fait une priorité de l’activité mentale qui apprend à « penser par soi-même ». C’est, également, la visée émancipatrice à travers un usage de la raison qui permet de résister à toutes les formes d’emprise et de préférer la recherche de la vérité à l’enfermement dans les certitudes. C’est, enfin, un projet résolu de démocratisation de l’accès aux savoirs libérateurs, contre toutes les formes de confiscation et d’élitisme.


Saluons, pour finir, la force du propos. S’engager pour une « pédagogie solidaire », c’est aujourd’hui le seul moyen pour faire échapper l’éducation à la concurrence mortifère dans laquelle les technocrates et les « managers » voudraient l’enfermer. C’est promouvoir, à tous les niveaux, l’entraide et la coopération. C’est s’attacher, dans les projets les plus ambitieux comme dans « le moindre geste » quotidien, à ce qui unit les humains entre eux. C’est montrer concrètement à nos enfants qu’il y a plus de plaisir à partager l’inépuisable – les connaissances scientifiques et les créations artistiques, les engagements pour un avenir meilleur et les joies du « faire ensemble » – qu’à consommer frénétiquement l’épuisable jusqu’à notre anéantissement. Car n’en doutons pas : le véritable projet des adultes se lit moins dans leurs déclarations d’intention que dans ce qu’ils offrent à leurs enfants pour investir leur désir de grandir. Et que peut-on leur offrir de mieux aujourd’hui qu’une « pédagogie de la solidarité » ?

Philippe Meirieu
Professeur émérite à l’université LUMIERE-Lyon 2