Gaston Bachelard, l'inattendu - Les chemins d'une volonté, Jean-Michel Wavelet, Paris, L'Harmattan, 2019

Encore un livre sur Gaston Bachelard dira-t-on, alors qu'ils ne manquent pas (comme en témoigne d'ailleurs l'abondante bibliographie qui termine cet ouvrage). Car c'est un livre de facture savante, écrit par un IA-IPR de l'académie de Nancy, titulaire d'un DEA de philosophie. Mais c'est un livre   tout à fait original sur un homme au parcours  o combien singulier (et qui peut donc être riche d'enseignements surprenants) : Gaston Bachelard.

Bachelard a connu une certaine célébrité dans le monde universitaire et même dans le monde pédagogique en raison notamment de la notion de ''rupture épistémologique'' qui portait sur l'origine de certaines difficultés de la connaissance: une problématique intéressante pour les chercheurs et pour les enseignants . Il a été connu aussi (et peut-être davantage encore) pour ses considérations dans ce qui paraît a priori un autre domaine (bien à tort d'ailleurs) celui de l'imaginaire.
Jean-Michel Wavelet ne manque pas de revisiter tout cela à sa façon (il avait d'ailleurs consacré son mémoire de maîtrise de philosophie à la notion de ''rupture'' chez Bachelard) en deux  forts chapitres: le chapitre 3 portant sur ''le chemin de la science et des mathématiques; la force du connaître"  et le chapitre 5 portant sur "le chemin de l'imaginaire; inventer et créer''  (avec en intercalé, et ce n'est pas un hasard, le chapitre 4 portant sur ''le  chemin de la pédagogie; apprendre en construisant'').

La première grande originalité du livre de Jean-Michel Wavelet, c'est qu'il ne sépare pas en fait le penseur de l'imaginaire de l'épistémologue des sciences  contrairement à ce qu'il se passe dans la plupart des ouvrages consacrés à Gaston Bachelard.

La deuxième originalité de ce livre, comme Jean-Michel Wavelet le souligne à juste titre dans sa conclusion, c'est qu'il montre que "éclairée par la pratique des sciences modernes, la pédagogie construite par Bachelard est centrale dans son œuvre. Elle sert de trait d'union entre les sciences et l'épistémologie, comme en témoigne l'usage pédagogique puis épistémologique du concept d'obstacle; elle sert aussi à repenser l'esthétique à travers une réflexion sur l'enseignement très raisonné de la rhétorique et de la littérature"; C'est dire combien ce livre peut concerner les enseignants et les pédagogues au premier chef car c'est un aspect de l'œuvre de Gaston Bachelard généralement négligé ou sous-estimé.

La troisième originalité de l'ouvrage de Jean-Michel Wavelet, c'est qu'il s'est intéressé de très près (et même avec passion) à la ''construction'' d'un homme remarquable que rien ne destinait à avoir le parcours qu'il a eu. Un exemple et une analyse qui peuvent être précieuses pour tout éducateur, surtout pour ceux qui se veulent ''progressistes'' et soucieux des trajectoires  (pour ne pas dire du ''destin'', un terme qui serait en l'espèce fort mal venu) des enfants d'origines populaires.

Fils d'un cordonnier de Bar-sur-Aube, Gaston Bachelard a quitté l'école après l'obtention du baccalauréat pour travailler comme surnuméraire des postes à Remiremont. En dépit de la longueur de ses journées de travail, il se forme par lui-même et obtient une licence de mathématiques et de physique. A la veille de la guerre, il échoue de peu au concours d'ingénieur des télégraphes et des téléphones. Après 39 mois de tranchées, il débute à trente-cinq ans dans l'enseignement comme professeur auxiliaire de physique-chimie au collège de Bar-sur-Aube, tout en élevant seul sa fille après le décès de sa jeune femme et de ses parents. Et c'est donc à 38 ans qu'à la tête d'une famille monoparentale Gaston Bachelard commence une carrière de penseur hors-norme.

Pour Jean-Michel Wavelet, l'œuvre  produite par Bachelard s'inscrit dans un parcours accidenté qui contribue en retour à son originalité. Ce parcours accidenté a été considéré par beaucoup de biographes ou de commentateurs de Gaston Bachelard comme accidentel. Et c'est pourquoi ils passent rapidement là-dessus, bien à tort comme le montre Jean-Michel Wavelet, en particulier dans le chapitre 2: "le chemin de la technique; la fabrique de la pensée''. Bachelard n'a cessé la pratique télégraphique qu'au bout de seize années et Jean-Michel Wavelet met en évidence que quelque chose de fort s'est joué dans ce monde alors prestigieux et aux contraintes techniques exigeantes: "avant le désir de philosophie, il y eut la tentation technologique en vertu de laquelle on ne s'instruit que de ce que l'on construit. Loin d'être accidentelle, cette expérience s'inscrit dans la continuité d'une histoire et se révèle déterminante dans la construction d'une pensée aussi originale que dynamique"
Mais il ne faudrait pas non plus oublier le rôle de ''l'imaginaire'' pour ce penseur hors norme qui s'est particulièrement illustré dans ce domaine. Trois chapitres y sont consacrés. Le premier: ''tracer sa route en rêvant sa vie; ouvrir l'avenir''; le chapitre 5 (on l'a déjà évoqué) et le dernier chapitre, comme un fait exprès : ''le chemin des rêves, vivre les rêves''.
On allait oublier de mentionner un chapitre, le chapitre 6, et il a pourtant un titre et surtout un sous-titre tout à fait significatifs et au total centraux: ''le chemin de la philosophie, la construction de soi''..
Tout est annoncé et dit. Il suffit maintenant de lire.

Claude Lelièvre,

professeur honoraire d'histoire de l'éducation à l'Université René Descartes