À la Bastille !

Au même titre que chaque individu, chaque pays a besoin de se donner une origine. Et l’origine n’est pas le commencement : le commencement est affaire de génétique ou d’archéologie, l’origine est affaire de mythologie. Notre commencement nous est indifférent, notre origine fait notre fierté. Notre commencement nous précède, notre origine nous survit. Plus encore : nous en héritons et nous la léguons, elle structure l’histoire dans laquelle nous nous inscrivons. Mais, notre origine, pourtant, n’est pas, à proprement parler, notre histoire. Ce sont des événements que nous choisissons dans notre histoire et auxquels nous attribuons une valeur particulière : ils font sens pour nous parce que nous nous y retrouvons et que, simultanément, ils contribuent à nous construire.

C’est pourquoi il est si important de conserver tout son sens à la Fête nationale : non pour entretenir un quelconque chauvinisme – dangereux et obsolète – mais pour rappeler que ce qui fonde notre nation n’est ni une race, ni une langue, ni une classe sociale, ni même une guerre, mais une révolution. Et pas n’importe laquelle : une révolution qui mit à bas le pouvoir absolu de celui dont la volonté personnelle faisait loi. À cet égard, d’ailleurs, il importe peu que la Bastille ait été ou non pleine de prisonniers au moment où elle fut prise d’assaut. La Bastille, c’était, dans l’imaginaire collectif, les « lettres de cachet » et la toute-puissance de la famille royale… La France, républicaine et démocratique, trouve son origine dans l’attaque d’une prison, dans la libération de quelques pauvres hères dont on ne savait pas très bien ce qu’ils faisaient là, mais dont on ne voulait pas qu’ils subissent l’arbitraire et l’humiliation…

Certes, la Révolution française n’a pas vraiment tenu les promesses de la prise de la Bastille et a rempli, à son tour, les prisons sans prendre – c’est le moins qu’on puisse dire ! – les précautions nécessaires. Mais, justement, ce n’est pas la Terreur qui a été choisie pour incarner notre idéal, mais bien l’ouverture d’une prison…

Le 14 juillet devrait donc être, en toute logique, un temps fort de réflexion sur la justice dans notre pays : ne comporte-t-elle pas encore une part d’arbitraire ? Donne-t-elle vraiment à tous les citoyens les moyens de se défendre et d’être traités équitablement ? Et nos prisons, sont-elles vraiment à la hauteur d’une démocratie qui se veut fidèle aux Droits de l’Homme ? Comment peut-on tolérer la surpopulation carcérale et ses terribles conséquences ? Pourquoi la France est-elle si en retard dans la mise en place inventive de peines de substitution ? La course à une répression de plus en plus brutale et précoce est-elle vraiment la solution à la délinquance ? Beaucoup de vraies questions pour une Fête nationale dont il est essentiel de rappeler la véritable nature.