Attention : attention !

Une nouvelle idée s'est emparée des esprits : l'école primaire française ne remplirait plus sa mission ! Pourtant, quiconque va passer quelques jours, ou même seulement quelques heures, dans une école primaire, s'aperçoit du gigantesque travail qui s'y fait. Loin de tout amateurisme, les enseignants font preuve, au quotidien, d'une conscience professionnelle exemplaire. Loin de mépriser les apprentissages fondamentaux, ils s'obstinent à trouver les moyens pour apprendre à tous leurs élèves à lire, écrire et compter. Loin de toute gymnastique non-directive, ils s'efforcent de leur enseigner les règles nécessaires au bon fonctionnement de toute collectivité.

Mais ils se heurtent presque tous, et presque tout le temps, au même problème qui compromet gravement leur efficacité : le manque d'attention, de contrôle et de maîtrise de soi de leurs élèves. Au mieux, ce sont quelques-uns qui s'agitent régulièrement et font perdre un temps précieux aux autres. Au pire, c'est toute une classe qui ne parvient pas à se mettre vraiment au travail. Partout, c'est beaucoup d'énergie dépensée pour tenter de créer les conditions matérielles d'un travail intellectuel efficace.

Certes, avec une bonne formation pédagogique, s'il sait bien organiser l'espace et le temps, installer des rituels efficaces, accompagner chaque élève de manière personnalisée, un enseignant peut parvenir à créer une bonne ambiance de travail... mais au prix d'un investissement considérable et, le plus souvent, d'une grande fatigue. Dans certains cas, même, l'enseignant - à l'image de bien des parents - oscille entre des moments où il tente vainement de faire régner l'ordre en criant... et des moments où il laisse s'installer la dissipation générale.

Or, dans tous les discours sur les difficultés de notre École (bien réelles) ou sa « faillite » (ce qui est une contre-vérité flagrante), ce phénomène n'est jamais pris en compte. Et si c'était le phénomène le plus déterminant ? Et si, à côté des nécessaires réformes institutionnelles, des améliorations indispensables de la formation des maîtres, il fallait s'intéresser aussi, tout simplement, à cette question de l'attention ? S'il fallait regarder de près l'excitation permanente et la fatigue psychologique des enfants ? S'il fallait s'interroger sur la vie quotidienne que nous leur faisons mener ? Si les hommes et les femmes politiques se posaient simplement la question : « Comment faire, concrètement, pour que notre société cesse cette surenchère de stimulations activistes et redonne à chacun la possibilité de se construire calmement et de manière maîtrisée, de sortir de la gesticulation, de retrouver le silence et de nourrir son intériorité ? » Si nous ne nous posons pas sérieusement ces questions, nous continuerons désespérément - et vainement - à rechercher des boucs émissaires à nos problèmes.