Elève appliqué(e)

Lu mille fois, à quelques minuscules variantes près, dans des hebdomadaires de télévision ou des critiques de cinéma : « Malgré une belle histoire et interprétation remarquable, le film pêche par sa mise en scène trop appliquée. » Voilà qui est, en général, le signe d'un film « lourd » et « didactique » : les images sont trop bien léchées, le montage trop classique, les dialogues trop explicites. On veut nous faire passer « un message » et, au lieu de le suggérer, on le martèle. On comprend qu'il y ait là, dans le domaine artistique, des défauts rédhibitoires. L'art rechigne à la démonstration, il s'adresse à la sensibilité et doit permettre à l'imagination de gambader ! Pourtant, il y a quelque chose d'irritant dans cette condamnation systématique de l' « application ».

On la trouve, en effet, sur les médias où elle permet de ridiculiser toute personne qui n'est pas spontanément à l'aise dans les mondanités de droite ou de gauche. On la trouve dans la vie quotidienne pour moquer ceux et celles qui font des efforts trop visibles pour bien faire... et montrent, par là, que, justement, il ne savent pas faire. On la trouve à l'école où l'adjectif « appliqué » accolé au nom d'un élève est une condamnation dont on a du mal à se relever : il - ou, plutôt « elle », car ce sont massivement les filles que l'on désigne sous ce vocable - compense son manque d'intelligence par un labeur trop besogneux !

Ainsi faut-il, pour être reconnu, loué ou admiré, paraître toujours improviser, ne jamais montrer qu'on débute et qu'on fait des efforts. Il faut être « brillant » et abolir miraculeusement dans l'éclat du résultat - un bon mot, une prestation, une tâche - tout le travail de sa préparation. Il faut donner à voir un individu spontanément à l'aise, toujours prêt à improviser, ne se laissant jamais démonter par l'imprévu. Il faut répondre du tac au tac, ne jamais s'interrompre pour chercher une expression ou une idée, ne jamais se référer à des notes ou des documents. Regardez les talk shows télévisés : en dehors de l'animateur ou de l'animatrice, personne n'a de notes, personne ne prend des notes... Cela ferait trop « appliqué » ! Cela ne serait pas conforme à l'image que les peoples veulent donner d'eux : des êtres capables d'être brillants sans travailler, d'improviser sans préparer... des être « naturellement » intelligents, quoi !

Pas étonnant, dans ces conditions, qu'il faille prêcher « le goût de l'effort » : les jeunes ne peuvent y croire quand tout, autour d'eux, dévalorise le travail. C'est pourquoi, il faut oser - contre toutes les convenances - ouvrir l'arrière-boutique, avouer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés... et casser, enfin, le mythe de la génération spontanée. « Le génie, disait Paul Valéry, c'est de travailler quinze heures par jour. » Et la sagesse, de ne pas chercher à le cacher.