Jacqueries

Utilisé depuis longtemps pour désigner le regroupement des membres d’une communauté dans un même quartier, le mot « ghetto » a pris, au XXème siècle, une connotation tragique : le regroupement s’est fait enfermement, la stigmatisation extermination. La charge du terme est aujourd’hui terrible et il est trop souvent utilisé à tort et à travers… Mais cet usage est lui-même significatif : nos contemporains vivent certaines réalités urbaines comme des « ghettos », nos banlieues en particulier. Voilà qui en dit long sur ce qui est ressenti par les habitants de ces quartiers, et aussi sur la manière dont nous les percevons !

Et cet usage n’est pas innocent : quoique Neuilly soit, de toute évidence, une ville de banlieue, quoique la population y soit très largement homogène, sociologiquement, idéologiquement et culturellement, nul ne songe vraiment à qualifier cette commune de ghetto. En réalité, on a tort : comme l’analysent les sociologues contemporains, les ghettos, aujourd’hui, ne sont plus réservés aux pauvres et, si ces derniers cherchent plutôt à s’en échapper, les autres manifestent de plus en plus le désir de s’y enfermer. La ghettoïsation devient une aspiration profonde des classes moyennes et supérieures qui n’aspirent qu’à s’y réfugier. Dans de nombreux pays du monde, on voit se développer de véritables ghettos urbains pour riches : on y vit entre soi, protégé derrière des murailles et des barbelés, avec des gardiens auxquels il faut montrer patte blanche pour entrer, des chiens qui font des tournées toute la nuit et des équipements collectifs réservés, bien évidemment, aux seuls habitants du « lotissement »… Plus trivialement, on voit monter en puissance une multitude de manifestations sociales qui se donnent comme objectif explicite de rassembler exclusivement des personnes de même profession, statut social ou sensibilité. Il arrive, ici ou là, que les chirurgiens-dentistes organisent un cross auquel ni les assistantes dentaires ni les médecins ne sont conviés ! Cela ne semble, d’ailleurs, absolument pas gêner ceux qui pointent du doigt le caractère scandaleux des manifestations grégaires des lascars des cités…. Et qui peut sérieusement prétendre que les lycées Louis-le-Grand ou Janson de Sailly sont moins ghettoïsés que les lycées professionnels du 93 ?

C’est le signe indiscutable que nous nous sentons menacés et que, devant l’invasion hypothétique des barbares, nous reconstruisons des châteaux forts. Comment s’étonner, alors, de la montée des jacqueries ? Les replis des privilégiés sont une invite aux jacqueries permanentes. Des jacqueries sans autre perspective que de dire sa colère et sa jalousie. Des jacqueries sans projet politique. Sans argumentation rationnelle et face auxquels nous sommes totalement démunis : on ne fait pas entendre raison à celui qui n’est pas dans la raison.