La vie à l'essai

Nous connaissons tous des jeunes récemment sortis du lycée, de l'université ou d'écoles, titulaires d'un BTS, d'un DUT, d'un DESS, d'un master ou d'un doctorat, qui désespèrent de trouver un emploi. Et pourtant, ils cherchent, multiplient les démarches, envoient des dossiers un peu partout. Et que leur propose-t-on le plus souvent ? Des stages bénévoles ou indemnisés deux ou trois centaines d'euros par mois. Des stages qu'il leur faut, d'ailleurs, aller quémander humblement auprès d'employeurs qui leur font comprendre qu'ils n'acceptent cette main d'oeuvre gratuite que par bonté d'âme et les préviennent d'emblée qu'ils ne perdront pas beaucoup de temps pour les former au métier.

Certains, cependant, ont un peu plus de chance : ils finissent par décrocher un contrat à durée déterminée. Deux, trois ou six mois pour un remplacement ou pour donner un coup de main sur un projet précis. D'autres vont « profiter » du fameux « contrat nouvelle embauche » qui, pendant les deux premières années, peut être rompu unilatéralement par l'employeur, sans motif, par l'envoi d'une simple lettre recommandée.

Ainsi nos jeunes commencent-ils leur vie professionnelle sous le signe de la précarité. Avec les conséquences en cascade qu'on imagine : impossible de trouver un logement décent si l'on n'a pas la chance d'avoir des parents qui peuvent se porter caution ; impossible d'acheter une voiture - que l'employeur réclame souvent - sans contracter des crédits dont le remboursement sera aléatoire ; impossible, parfois, d'adhérer à une mutuelle de santé dont le coup est disproportionné... Et, au bout du compte, impossible de s'installer durablement avec un compagnon ou une compagne et d'envisager de fonder une famille !

Rien d'étonnant, en effet, que les jeunes adultes ainsi traités reculent systématiquement le moment de l'engagement personnel. La société elle-même ne les engage qu'à l'essai. Comment pourraient-ils, eux, s'impliquer sur le long terme ? Ainsi regrettons-nous des comportements que nous secrétons. Ainsi gâchons-nous l'entrée dans la vie adulte de nos enfants... Comment s'étonner, en effet, des multiples ruptures de leur vie affective quand nous organisons celles-ci dans leur vie professionnelle ? Comment s'étonner de les voir camper dans une adolescence prolongée quand nous leur refusons les moyens matériels pour assumer une vie d'adulte ? Comment s'étonner que, entre 20 et 30   ans, les jeunes boudent les consultations électorales, quand la société les tient systématiquement pour des mineurs ? Nous serons jugés, un jour, sur la manière dont nous aurons permis à nos enfants d' « entrer dans la carrière », comme dit La Marseillaise qu'on apprend désormais dans les écoles. Puissions-nous ne pas nous contenter d'en faire chanter les paroles à des enfants auprès desquels nous aurons perdu tout crédit !