Maturité ?

On utilise souvent, pour les enfants, des qualificatifs empruntés à l'horticulture : ainsi parle-t-on de leur épanouissement, comme s'ils étaient des fleurs, ou de leur maturité, comme s'ils étaient des fruits. Leur histoire semble même calquée sur le cycle des végétaux : la graine, le développement sous l'oeil bienveillant d'un affectueux jardiner, la fleur qui s'épanouit ou le fruit mûr... avant une sorte de dégénérescence dans l'adolescence : l'enfance se flétrit, l'enfant se gâte ! Là où l'on avait un gentil petit qu'on appelait « mon grand », on découvre un grand gaillard boutonneux qu'on appelle « mon petit » ! Le paradis enfantin s'éloigne... surtout pour nous, d'ailleurs, qui préfèrerions continuer à nous occuper d'une coquette miniature et rechignions à voir grandir notre progéniture.

Il y a, dans cette manière de parler de l'enfance, toute une poésie de pacotille qui témoigne de notre sentiment étrange à l'égard de celui ou celle qui vient au monde : on ne sait pas trop ce qui le fait grandir, quelle est la part qui vient de nous et ce qui émane de lui. La beauté de la fleur ou le goût du fruit disent ici notre émerveillement désemparé et témoignent de notre tendresse... Mais ces images peuvent aussi nous jouer des tours. Ainsi, par exemple, utilise-t-on la notion de « maturité » à tort et à travers et de manière un peu magique : qu'un élève ne parvienne pas à faire une soustraction, qu'il ait du mal à s'intégrer dans une acticité sportive ou qu'on échoue à le faire lire et l'on dira volontiers : « Il n'est pas suffisamment mûr pour cela ! ». Comme si son développement naturel avait eu quelques ratées et qu'il fallait simplement attendre que la croissance normale reprenne.

Cette conception est, en réalité, très dangereuse et peut signer notre démission : « Il n'est pas mûr ! Attendons qu'il le soit ! Il ne réussit pas en classe... faisons le redoubler pour qu'il prenne du plomb dans la tête ! Il n'est pas capable de participer à des activités avec un groupe... laissons-le seul en attendant ! » En réalité, le développement d'un enfant n'a rien à voir avec la croissance d'un végétal qu'il suffit d'accompagner avec un arrosage et une exposition au soleil suffisants. S'il y a, évidemment, des âges plus propices pour accéder à certaines activités, il ne suffit pas d'attendre patiemment que ces âges arrivent pour proposer ces activités. Car, éduquer, c'est se situer toujours un peu en avant du développement, proposer quelque chose qui soit, à la fois difficile et accessible... quelque chose que l'enfant ne paraît pas pouvoir encore faire, mais qu'il pourrait néanmoins, avec notre aide, parvenir à faire. Comme au saut en hauteur, il faut apprendre à mettre la barre au bon endroit : pas trop haut pour qu'on ne se décourage pas, pas trop bas pour qu'il faille faire un effort pour passer l'obstacle.