Presse-purée : du "bien commun"

C'est un conseil municipal d'enfants, avec des délégués de chacune des écoles de la ville. Ces derniers prennent leur rôle très au sérieux. Ils présentent à leurs camarades, régulièrement, les sujets qui seront débattus et recueillent soigneusement leurs points de vue. Ils siègent en séances plénières après avoir préparé les dossiers en commissions avec des experts adultes. Ils font ensuite part de leurs propositions au maire qui, quand il le juge pertinent, les soumet au « vrai » conseil municipal... Les enfants savent bien qu'ils n'ont pas le droit de prendre des décisions eux-mêmes, puisque le pouvoir appartient aux élus légitimes de la République. Mais ils savent bien aussi que les élus, s'ils arbitrent et décident, ont besoin de savoir ce que pense la population - enfants compris - et de se nourrir de l'inventivité de tous les groupes sociaux qui peuvent faire avancer les choses.

Aujourd'hui, le conseil municipal d'enfants débat de l'épineuse question de la cantine scolaire. Question complexe s'il en est qui permet d'aborder aussi bien les problèmes d'équilibre nutritionnel que ceux des statuts des personnels. Question qui amène à réfléchir sur les règles du « vivre ensemble » et touche, par le biais du problème des tarifs, à la question fondamentale de la justice sociale, du rôle des collectivités, des impôts locaux, etc. Formidable leçon d'éducation civique pour ces garçons et ces filles, dès lors qu'on les aide à quitter le registre des impressions et du bavardage pour examiner sérieusement les problèmes concrets, élaborer des scénarios en anticipant les conséquences des décisions qu'ils proposent, s'attacher à la complexité des interactions au lieu de s'en tenir à un jugement rapide et immédiat.

Reste que le débat est difficile. D'abord, parce que chaque délégué quitte bien vite son rôle d'intermédiaire pour revenir à ses opinions personnelles. Ensuite, parce que, comme toujours, la construction du bien commun se heurte au désir de chacun de voir triompher ses intérêts personnels ou ceux de son groupe. Et il faut beaucoup d'énergie pour tenter de s'exhausser progressivement vers l'intérêt collectif...

Invité à apporter ma contribution à la séance, je pointe la difficulté : « Chacun voudrait, en même temps, garder sa pomme de terre bien à lui et avoir de la bonne purée... Mais ce n'est pas possible ! Pour avoir de la bonne purée, il faut abandonner son instinct de possession et accepter de mettre ses pommes de terre en commun. Il faut aussi accepter de faire fonctionner un presse-purée, une institution qui va parvenir, vaille que vaille, à produire quelque chose où chacun finira par y retrouver son compte. » Les enfants semblent comprendre. L'un d'entre eux s'écrie même : « Mais pourquoi les adultes, ils ne fabriquent pas des presse-purée ? Ce serait bien ! » Effectivement, ce serait bien.