Pulsion et désir…

Dans le grand bazar des fêtes de fin d’année, la pulsion d’achat triomphe. Tout est fait pour cela : la publicité, sur laquelle les agences travaillent depuis un an, nous vante les produits, les objets, les cadeaux qu’il faut absolument acheter. Pour en comprendre le mécanisme, regardons de près les ouvrages de marketing : les annonces, y lit-on, doivent déclencher, chez le consommateur une « envie irrésistible de possession » ; il s’agit de produire, « par des répétitions et des variations ajustées et programmées », le sentiment que « l’achat est inéluctable, sous peine de culpabilité, voire d’une stigmatisation des pairs ». Traduisons : si vous n’achetez pas ce qui vous est prescrit, vous ne vous en remettrez pas, vous vous sentirez exclu… pire encore : votre entourage vous considérera comme un « traître », quelqu’un qui, non seulement « n’est pas dans le coup », mais qui n’est pas vraiment digne d’appartenir au groupe. On se moquera de vous. Vous serez humilié…

Continuons la lecture des manuels pour publicitaires : « L’achat ne doit pas être différé. Un achat différé est un achat incertain. Il laisse place à la réflexion et, donc, à la concurrence ». Bel aveu ! Il faut acheter tout de suite. Dès qu’on « flashe » sur quelque chose on doit se précipiter au magasin ou sur Internet, ne plus vivre que dans l’obsession de la possession… Nous sommes, ici, en pleine régression infantile : le caprice devient le moteur de l’économie. Ce dont les éducateurs doivent délivrer les enfants est réinstallé comme principe de fonctionnement des adultes eux-mêmes. La toute-puissance de la pulsion abolit le désir.

Car ce qui caractérise la pulsion, c’est l’immédiateté de la satisfaction : la pulsion vise à faire disparaître la pulsion. La pulsion est toujours, plus ou moins, pulsion de mort, puisqu’à court terme, elle tend à restaurer un état sans pulsion, à abolir le déséquilibre psychique qu’elle constitue pour produire un électroencéphalogramme plat. Le désir, en revanche, pactise avec la temporalité : il ne vise pas à sa disparition, mais à son propre développement. Le désir grandit avec le temps, prend de l’ampleur, se déplace et découvre de nouveaux horizons. Le désir se reconnaît à ce qu’on désire toujours ce que l’on croit avoir déjà. Parce que l’avoir n’est plus, ici, une réponse à un stimulus éphémère, mais la découverte de potentialités nouvelles. Désirer un être, ce n’est pas vouloir le posséder, c’est vouloir le séduire : c’est donc lui reconnaître une intentionnalité. À lui de répondre à ma demande. Grâce à lui, je poursuivrai ma quête… De la même manière, désirer un objet, ce n’est pas se satisfaire de sa possession et de sa maîtrise, c’est en faire une occasion d’autres découvertes, c’est le faire découvrir à d’autres pour mieux le découvrir soi-même. Désirer, finalement, c’est partager.

Philippe Meirieu