La rhétorique des voeux

Les traditionnelles cérémonies de vœux sont propices aux exercices rhétoriques les plus sympathiques, mais aussi les plus convenus… Rien de plus normal, évidemment, que de souhaiter une bonne santé à chacune et à chacun. Rien de plus naturel que d’espérer pour tous de belles réussites personnelles et professionnelles. Rien de plus évident que de vouloir un avenir meilleur où tous les hommes et toutes les femmes puissent trouver leur place dans un monde de paix… Mais, au-delà de ces banalités aussi générales que généreuses, nous assistons aujourd’hui à une surchauffe stylistique quasiment révolutionnaire.

Car « la rupture » est à la mode ! « Cours, camarade, le vieux monde est derrière nous ! » disait-on en mai 1968… Quarante ans plus tard, les soixante-huitards apparaissent comme des enfants de chœur. Le discours est infiniment plus radical : « Nous n’avons que trop tardé ! Nous sommes enkystés dans des habitudes d’un autre âge ! Nous avons pris un retard intolérable. Il faut changer complètement notre manière de penser... » C’est que, nous dit-on, depuis plus de cinquante ans, nous faisons totalement fausse route. Prisonniers de modèles archaïques, nous refusons de voir que l’avenir, devant nous, impose des révolutions absolues… Et la rhétorique s’emballe. Il suffit d’appuyer sur le bouton de l’ordinateur pour qu’elle se dévide au kilomètre  : « Nous devons faire face aux défis du futur, tenir notre place dans un univers de plus en plus incertain, préparer, pour demain, un monde délivré des errances du passé, imaginer un avenir digne des plus grandes pages de notre histoire… bla… bla… bla… » Inutile de prolonger le discours, tous nos journaux en sont pleins !

Le plus étonnant, c’est qu’après cette logorrhée ultra-révolutionnaire et qui appelle, nous dit-on, des « solutions hardies et radicalement nouvelles », on nous ressert les recettes les plus éculées. Les enfants ne travaillent pas bien en classe : revenons aux « méthodes qui ont fait leurs preuves dans le bon vieux temps » ! Le lien social se délite : un subtil dosage de la carotte et du bâton devrait faire l’affaire ! Nous avons du mal à avoir un service public de qualité : privatisons le, selon les vieux principes du libéralisme du 19ème siècle, et tout ira bien ! Les prévisions en matière de réchauffement climatique sont catastrophiques : nul ne songe à mettre en question sérieusement l’hégémonie de la bagnole et du transport routier. L’individualisme ronge notre société : on n’imagine même pas de développer de nouveaux modes de vie, mutualisant les équipements, permettant de travailler autrement, privilégiant la solidarité…

Nous ne cessons de proclamer, avec un prophétisme de pacotille, la nécessité de grands changements... tandis que nous puisons nos solutions dans les images d’Épinal. Cela ne pourra sans doute pas durer très longtemps !