"ll faut sauver La Princesse de Clèves..."

Une chronique littéraire, cinématographique, médiatique, culturelle... et éducative de Christophe Chartreux

Peut-être les lecteurs de passage se demanderont-ils avec curiosité quel danger soudain court La Princesse de Clèves, qu'il faille qu'un professeur lance cette injonction... Le danger est réel, croyez-le bien. Un jour, pris de discours comme d'autres de boisson, notre chef de l'Etat affirma ceci : « Dans la fonction publique, il faut en finir avec la pression des concours et des examens. L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle ! En tout cas, je l’ai lu il y a tellement longtemps qu’il y a de fortes chances que j’aie raté l’examen ! »... Voila pourquoi je décidai ce jour-là de venir au secours de l'héroïne créée par Madame de La Fayette et, à travers elle, à l'aide modeste d'une culture dont manifestement on aimerait que ce pays fût dépourvue.


Chère Princesse de Clèves,

Vous ne lirez jamais ma lettre, vous qui êtes morte deux fois : la première, dans le roman dont Madame de La Fayette et, dit-on, quelques autres, furent les auteurs ; la seconde, il y a quelques mois, par la "grâce" de notre Président - c'est ainsi qu'on nomme aujourd'hui nos souverains - qui vous enterra maladroitement, croyant ce jour-là faire un mot d'esprit quand il ne faisait que l'insulter.

Voici les mots qu'il prononça : ” L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique, ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves ! Imaginez un peu le spectacle. “

Oui, chère Demoiselle de Chartres, devenue Princesse de Clèves, notre "maître" a tenté de vous faire porter une responsabilité qui n'est pas la votre : celle de faire croire au bon peuple de France qu'il existe deux cultures, celle des "mandarins" qu'il hait et celle des "vrais gens" qui n'ont, d'après lui, aucune raison de lire le roman de votre triste vie. Aucun intérêt à le lire. Mal lui en a pris au demeurant puisque votre nom, tombé quelque peu dans l'oubli, est aujourd'hui sur toutes les lèvres. On lit et relit de nos jours votre lente descente langoureuse vers la tombe. Les amours impossibles ne peuvent être que tragiques. Les autres ne sont en général que pures banalités... En tout cas, vous fûtes, chère Princesse, la femme de l'année 2007...

Mais, au-delà de la sinistre farce qui se joue devant nous depuis l'élection de notre maître, car oui chère princesse, c'est nous qui choisissons celui qui nous gouverne, c'est de mépris dont je viens vous parler. Le mépris d'un homme pour une guichetière, une trop simple femme qui ne s'habille même pas en Prada... Le mépris d'un homme pour un jury composé de sadiques ou d'imbéciles, le mépris d'un homme pour les auteurs classiques, le mépris d'un homme pour la syntaxe et la grammaire qu'il assassine allègrement sans que personne jamais ne le traîte, lui, d'inculte. Ce serait d'ailleurs un crime de lèse-présidence. Le mépris d'un homme en fait pour toute culture, et la culture classique en tout premier lieu... Mais pour notre maître, il n'y a pas de place pour l'admiration d'une "love story", lui que ne connait que les "sucess story"...

Le siècle qui s'ouvre sombre, hélas, dans le pire des poujadismes. Il faut protéger les "braves gens", les "vrais gens" de la racaille disait déja notre Président sur la dalle d'Argenteuil. De la même manière, il veut, chère Princesse, protéger le bon peuple d'une culture humaniste. D'une phrase, il jette les humanités dans les poubelles de l'Histoire... Une Histoire qu'il souhaite écrire ! Cela promet ! Vous en fûtes la première victime... Nous en serons les suivantes si nous n'y prenons garde... La culture lui fait peur. Alors il s'en détourne et veut en détourner tout le monde avec lui. Il me fait parfois penser à certains de nos élèves qui, à force d'échecs, méprisent les "intellos" et en font, à tort, les responsables de leurs échecs permanents... Mais voila, tous ces "intellos", toutes ces "guichetières" de l'administration sont pour notre Maître depuis longtemps de trop. Ils sont autant de poids morts qu'il ne veut plus traîner. Autant d' "inutiles" qu'il veut éliminer...

Jusqu'au jour, j'espère, où tous les inutiles répondront au mépris par ce mot simple et beau  : NON !

Respectueusement...

Christophe Chartreux
Professeur


Travail, Chômage, Mépris...

« Je m' appelle Victoria, j'habite dans ce bloque, je fais tout pour 2,50 euros ». Cette phrase est écrite au marqueur bleu à l'extérieur de la porte d'un ascenseur sur laquelle on peut lire aussi, gravé au canif : «PORTE DE L' ENFER». Nous sommes dans un ancien bassin minier transfrontalier, à cheval sur le Nord de la France et le Hainaut belge. Trois cités s'y côtoient, aux noms évocateurs : les Mimosas, les Amazones, les Phares. Pascale Jamoulle, anthropologue, s' y est immergée pendant des mois. Elle a écrit un livre relatant son expérience : Des hommes sur le fil. La construction de l'identité masculine en milieux précaires, La Découverte, Paris 2005, 292 pages, 29 euros.

Le livre de Pascale Jamoulle relate la situation, les parcours et les relations de trois générations d' hommes en milieu précaire. De descriptions en récits, au fil des chapitres, elle explore plusieurs sphères de la vie de ces hommes : l' emploi, le logement, la famille, la bande, la rue, l'entr'aide. C'est encore aujourd' hui le tableau le plus vrai, le plus juste et le plus saisissant de la violence sociale faite aux jeunes et aux moins jeunes dans les quartiers dits sensibles. Une violence souvent retournée contre eux-mêmes par l'intermédiaire des conduites à risques: drogues, défis d'honneur, fugues, vols, automutilations, pratiques sexuelles imposées et/ou à risques.

A qui la faute? s'interroge-t-on spontanément. Ce n' est pas la bonne question. L'auteure ne se la pose pas aussi superficiellement. Les hommes et les femmes de ce bassin minier dévasté en veulent évidemment au «système» et à ses institutions. Ils VIVENT les dégradations de leurs conditions de vie. Chaque jour, ils ont vu leurs parents se réveiller « en train de calculer », tant la pénurie est immense. Devenus parents eux-mêmes, ils vivent la même précarité et ne parviennent pas à « serrer » leurs enfants. Leur autorité se transforme en impuissance devant l' impossibilité d'associer la promesse d'un destin acceptable à la transmission de règles et de valeurs morales. Les générations précédentes rêvaient d'ascension sociale pour ses enfants ; celle d'aujourd'hui espèrent surtout qu'ils ne « tomberont » pas en prison.

Comment éviter les incarcérations dans des cités qui fonctionnent comme des machines de «dépaternalisation»? Sans travail, mis à la porte souvent par leur propre compagne, les hommes ont le sentiment de n'être ni mari, ni pêre. Leurs femmes, accablées de responsabilités, leur reprochent de ne pas assumer leur place. Leurs filles grandissent auprès d'hommes, à leurs yeux, défaillants. Les enfants, les garçons principalement, prennent le pouvoir. Elevés par les mères, rarement par les pères, jamais par les deux à la fois, ils sont perçus à l'extérieur comme des «dégénérés», exposés quotidiennement aux politiques répressives, antijeunes, à toutes les formes de ségrégation et de disqualification spatiale et sociale. Plus d'un « finit » en prison.

Face à ces premiers constats, le débat public s'organise à travers une tension injustice/malheur. La tendance dominante dans nos sociétés est d'y voir tantôt un malheur dû à des forces abstraites (les contraintes objectives), tantôt un défaut moral des victimes (paresse; manque de volonté; refus de s'intégrer dans le corps social). Ces questions ont un point commun: éluder celle de l'injustice sociale. Naître dans l'environnement des cités est à coup sûr une malchance. Mais la multiplication des ghettos ou «quartiers» dans les sociétés occidentales bien portantes n'en est pas un. L' extension des zônes de vulnérabilité sociale renvoie bien à une INJUSTICE faite aux moins chanceux, actionnée par un système sans visage aux mains si nombreuses que les intentions, les responsabilités et les chaînes de causalité se diluent dans la multiplicité des rapports de force. Or parler de «malheur» pour désigner les cités est inapproprié. L' idée de malheur attribue les causes des désastres sociaux aux forces de la nature, à des lois objectives indépendantes de la volonté humaine. Et elle induit les notions de fatalité, de résignation, d'adaptation, de soumission à l'ordre du monde. De fait, et souvent volontairement, l'idée de malheur rend opaque l' injustice, empêche de la comprendre et d'en tirer les conséquences.

L' injustice s'accompagne toujours d'une forme de culpabilité. Un phénomène bien connu où les victimes se couvrent de honte et de mépris d'eux-mêmes. Les témoignages des rescapés des camps de concentration, «coupables» d'en avoir réchappé, sont à ce titre très éclairants. Les habitants des quartiers «sensibles» en viennent eux-aussi à s'auto punir, la honte interdisant de s'ouvrir aux autres:

Les hommes fuient leur famille ; ils se murent dans le silence et la dépression ; ils se réfugient dans l'errance, les conduites à risques, les psychotropes, dans des cas extrêmes, le suicide.

Les jeunes filles s'automutilent, se droguent, se prostituent : « Je me hais et je dois enlever ce qui fait qu'il y a tant de mains non désirées qui ont paralysé mon corps, qio ont fait de ma vie la mort ».L' autoaccusation permet aussi au sujet d' échapper à la responsabilité sans visage trop dure à supporter, c'est à dire le malheur de n' être qu'une victime aléatoire parmi d'autres dans un monde dénué de sens et de règles ou les événements frapperaient arbitrairement.

Y a-t-il un antidote à cette honte de soi? N'est ce pas un antidote à la honte que d'espérer amasser de la « thune » afin de monter un jour son affaire pour entrer dans les « business » légaux? Pour la grande majorité des jeunes rencontrés dans le Nord et le Hainaut belge, les petits trafics illégaux sont une « dépanne », un moyen de surmonter le stigmate qui les frappe: « C' est dans les milieux les plus pauvres qu'on a le plus besoin de paraître. C' est cacher la misère, c'est masquer. Quand tu es sapé comme un seigneur, on vient te dire bonjour. Tu arrives à vivre socialement, à participer avec tout le monde. Il faut être reconnu ».

Prendre des risques dans ces activités, c'est encore un moyen de se faire un nom. D'être comme le père sidérurgiste au train du laminoir ou sur les échafaudages, quoique dans un autre registre, celui de l' illégalité : « Une cité sociale doit avoir une renommée, il lui faut des gamins qui se montrent, sinon on n'est pas une vraie cité ! ».

Et quand on regarde du coté des pratiques de travail légal, la loi n'est pas le bon critère pour comprendre l'injustice. Dans certains secteurs industriels (amiante, nucléaire, sidérurgie, chimie, agro-alimentaire, services), de nombreuses analyses concluent à une véritable mise en danger délibérée de la vie d'autrui pour servir des stratégies de sous-traitances, de délocalisations. Mais on délocalise aussi les risques sanitaires et sociaux en les transférant aux plus faibles: intérimaires et étrangers. (Lire à ce sujet le livre d' Annie Thébaud-Mony, Directrice de recherches à l'INSERM, Travailler peut nuire gravement à votre santé, La Découverte Paris 2007) .

En voici un exemple, celui de Gaetano... Fils de sidérurgiste, habitant une Cité, il rêve de suivre les traces de son père. L' intérim lui en donne l'occasion et il entre, par l'intermédiaire d'une filiale sous-traitante, chez Usinor-Sacilor. Selon son contrat de travail, il devra trier des plaques de tôles. Mais le jour de son arrivée, le chef d'équipe lui ordonne de découper au chalumeau des poutrelles métalliques situées à neuf mêtres du sol. Gaetano tente de refuser la tâche. Mais voilà, le chef d'équipe se fâche, menace, et puis le donneur d'ordres est pressé, le temps est compté, les futurs marchés de l'entreprise sous-traitante pourraient être menacés. Alors Gaetano monte, et commence à découper muni d'un chalumeau qu'il manipule pour la première fois. Par inexpérience, il coupe son harnais. Neuf mêtres plus bas, on le relève mort, tué sur le coup.

Intérimaire, son accident ne figure pas et ne figurera jamais au bilan social d' Usinor-Sacilor. Le procès pénal visera le chef d'équipe et l'entreprise sous-traitante. Certains donneurs d'ordre ont fait de cette «facilité» un véritable slogan, lisible dans certaines brochures internes : « Entreprises, sous-traitez ! Vous diminuerez votre taux d'accidents de travail ! ». Et à partir de cet exemple se posent de nombreuses questions : Dira-t-on de Gaetano qu'il fut un bon citoyen, respectueux de la légalité et de l'ordre public ? Contrairement à cet autre jeune des cités qui se mesure lui aussi, par d'autres moyens, à son père sidérurgiste ? Parce que le second préfèrerait chercher dans le «business» et la «came» la preuve de sa propre valeur ? Du point de vue de l'injustice sociale, Gaetano serait-il un meilleur sujet que lui ? Mais plus malchanceux peut-être ? A-t-il seulement été victime d'un malheur ? L' accident n'aurait-il pas pu être évité ?

Si, comme la plupart des accidents. Mais il aurait fallu pour cela que l'injustice ne soit pas rendue socialement invisible. C' est la raison pour laquelle on ne peut pas espérer lutter contre le «mépris» sans porter dans l'espace public la question des injustices sociales.

Le Parti Socialiste aura tout intérêt, et Ségolène Royal en tout premier lieu, à explorer les pistes de nature à provoquer un vaste débat démocratique autour de ces « licenciements contemporains ». Car tant que l'injustice sociale restera confinée dans l'invisibilité et les espaces privés, la maxime de John Trani, grand patron américain passé entre autres par Général Electric, restera malheureusement et cyniquement d'actualité : « Pour avoir du succès, il faut regarder la réalité telle qu'elle existe sans espérer qu'elle change » (d'après un article...et autres lectures) de Noelle Burgi, Le Monde Diplomatique, octobre 2007. Hélas rien n'a changé depuis...


Le 15 juin : "Si demain je devais dire les plus beaux mots d'amour, "Je t'aime", c'est d'abord sur un mur que je les écrirais..."

Le succès récent aux élections européennes de la liste Europe-Ecologie menée par Daniel Cohn-Bendit montre, démontre s'il en était besoin, à quel point les partis politiques traditionnels, et notamment hélas ceux de l'opposition, ont oublié l'un des penchants les plus motivants du "citoyen-électeur": le rêve...

La gauche, depuis des années, ne fait plus rêver. Où sont passées nos utopies d'antan ? Où sont ces slogans, ces fulgurances de l'esprit qui en une phrase bousculaient jusqu'à faire vaciller les pouvoirs les plus forts, les plus établis. "Sous les pavés la plage...", 1968, Cohn-Bendit (Tiens... déja!)... "Faites l'amour, pas la guerre", décliné dans toutes les langues, écrits sur tous les murs... C'est sur les murs des universités que commençait la révolution. Mais, comme le dit Edgar Morin dans un texte lumineux de clairvoyance ce samedi dans Le Monde : "Le gauchisme aujourd'hui souffre d'un révolutionnarisme privé de Révolution".

Non, ni Besancenot, ni encore moins Aubry ou Bayrou ne font rêver. Ils ont mis de côté la poésie pour tresser des lauriers au pragmatisme froid. Nous mourrons, nous crèverons lentement de ces discours lénifiants seulement obtenus par besoin de voix, d'urnes remplies, remplies mais vides de toute espérances fortes. Nos murs sont vides aujourd'hui de tout slogan ! Les murs ne parlent plus en France. Et lorsque les murs ne parlent plus, c'est que la pensée a perdu ce qui fait sa force : la spontaneité, la virulence, la clairvoyance, le désir d'avenir, la volonté de transformation, de métamorphose au sens "Morin" du terme... Si demain je devais dire les plus beaux, les plus simples mots d'amour, "Je t'aime", c'est d'abord sur un mur que je les écrirais.

Femmes et hommes de gauche, prenez le pouvoir ! Prenez-le en faisant des murs de nos villes les tracts permanents de nos idéaux enfouis. Faites-nous rêver bon sang! Quittez vos bureaux aux plafonds hauts comme des nefs de cathédrales et levez les yeux vers les vrais nuages... Abandonnez vos souris d'ordinateurs, prenez une craie et investissez les palissades, les couloirs d'universités, les murs tristes de nos villes tristes, tristes à crever à force d'anonymat... Faites le mur en quelque sorte... Vous goûterez à nouveau les délices de l'interdit, du politiquement incorrect, de la création utopique... Brisez vos châines, permettez-vous l'impossible, donnez l'espoir sans espoir d'un merci, agissez gratuitement, tournez-vous vers l'autre plutôt que tourner en rond autour de vos nombrils! Oubliez vos egos ! Embrassez La Princesse de Clèves. Serrez Hugo dans vos bras. Et créez-nous un monde vivant pour lequel nous aurions envie d'aller jusqu'à mourir!

"Le calcul appliqué à tous les aspects de la vie humaine occulte ce qui ne peut être calculé, c'est à dire la souffrance, le bonheur, la joie, l'amour" dit encore Edgar Morin. Oh oui ! Cessons de calculer, de tout traduire en chiffres, évaluations, notes, courbes, graphiques, classements. Nos prisons contemporaines. Les geôles de l'imagination. L'imagination au pouvoir ! Je ne sais pas si l'écologie politique est une utopie. Elle est pour moi déja trop ancrée dans le réel. Je crains qu'elle disparaisse dans le consensuel. Déja, elle obéit aux règles des petites manoeuvres d'appareil. Elle pense mais ne rêve pas. Mais elle a au moins le mérite de dire autrement ce que demain peut être. Elle offre des lendemains qui chantent sur une autre musique que celle entendue, lénifiante, depuis des lustres. Alors que la gauche, Besancenot compris - en voila bien un qui ne fait pas rêver du tout... il est anti-capitaliste, mais il est pro quoi ?- ne propose que des aboutissements, que des fins... ce sont des commencements dont nous aurions besoin. Je déteste les fins... L'Homme a horreur des fins au moins autant que du vide. Commencer, c'est naitre et rêver comme un enfant... Aboutir, c'est mourir d'ennui en n'attendant plus rien!

Tout à l'heure, j'irai dans la rue et j'écrirai sur un mur... Je ne sais pas ce que j'écrirai mais j'investirai ce mur pour en faire le support de mes rêves les plus fous. Oui, soyons fous, fous d'espérance, de créativité, de poésie, d'illusions pourquoi pas, de métamorphoses et libérons ce pays du triste réel qui l'étouffe. Je sais ce que j'écrirai  : "Soyons pour autre chose... Ce qui reste à inventer..." Et j'ajouterai sans doute... Je t'aime... Pour rien... Gratuitement!...


Le 1er juin 2009 : Marianne : un magazine "réac" en matière d'éducation...

Non, les méthodes pédagogiques et donc les chercheurs en pédagogie ne sont pas responsables des échecs de notre système éducatif ! Ces pédagogues qui, bien avant les apparitions médiatiques des Jean-Paul Brighelli, Natacha Polony, Marc le Bris et autres, ont alerté sur les difficultés croissantes de nos élèves en proposant des pistes, des solutions ! Jean-Paul Brighelli désormais régulièrement invité par Marianne à donner ses avis (ce qui est son droit à condition - c'est le B-A-BA journalistique - de donner la parole à tous les courants).

Je pose donc les questions suivantes :
- Pourquoi les méthodes pédagogiques dénoncées en France obtiendraient-elles tant de résultats positifs, et reconnus, dans les pays nordiques ou au Québec, entre autres, pour échouer chez nous ? Monsieur Darcos avait fait naître un espoir en se rendant en personne dans des écoles finlandaises... Et en tenant des propos fort élogieux... Espoir vite déçu...
- Pourquoi Philippe Meirieu, ce « grand satan », est-il invité dans le monde entier par les plus grandes universités ?
- Pourquoi Marianne ne dit jamais que, sur les 150 000 jeunes qui sortent du système éducatif sans aucun diplôme, ce n'est en aucun cas de la faute des pédagogues puisque les méthodes pédagogiques mises en cause ne sont que très rarement appliquées en France ? J'exhorte Madame Polony et autres journalistes de Marianne à visiter des salles de classe en écoles primaires. Qu'elle aille observer ! Elle s'apercevra que le public scolaire et ce qui entoure ce public a changé... Beaucoup !
- Pourquoi les Polony / Brighelli / Le Bris / Lafforgue / Boutonnet se gardent-ils de dire que 80% des 150 000 jeunes qui sortent du système sans diplômes appartiennent aux classes sociales les plus défavorisées ? Et qu'il y a, sans doute aucun, une relation de cause à effet ?
- Pourquoi Marianne ne dit jamais que les méthodes pédagogiques fonctionnent lorsqu'elles sont - trop peu - appliquées, comme par exemple au Collège expérimental Clisthène de Bordeaux ?
- Pourquoi Marianne parle faussement de « positions bien pensantes de la gauche pédagogiste » ? On croirait du Zemmour dans le texte (Marianne, numéro 586, éditorial page 52) ! Faussement puisque beaucoup d'enseignants absolument pas de gauche sont aussi d'excellents pédagogues ! Faussement car depuis quelques années, la soi-disant bien-pensance a changé de bord et est revenue du coté du Lagarde et Michard, triste série d'opuscules qui a dégoûté des générations d'élèves de la littérature... Le Lagarde et Michard ne parlait d'ailleurs en aucun cas de Littérature ! (J'ai failli en être, de ces "dégoûtés", sauvé par des parents qui m'offraient autre chose à lire, d'autres outils de découverte, d'autres projets, d'autres plaisirs d'apprendre, de connaissances, de soif de savoir...).
- Pourquoi ne pas organiser un débat entre Natacha Polony (si possible sans ses « béquilles » habituelles que sont les Brighelli / Le Bris) et Philippe Meirieu ?


Une bien-pensance dogmatique ! Les « passéistes » Le Bris, Boutonnet et Brighelli, entre autres, rêvent de classes silencieuses, où chaque élève serait la reproduction clonée de son voisin, alors que dès 1966, Villard dans L'expression écrite à l'école primaire affirmait déjà : « Il n'est pas vrai que le silence et l'immobilité soient les conditions de l'attention, ce sont les conditions du sommeil ». Où chaque élève serait le perroquet docilement dressé dont ils feront un citoyen prisonnier d'une bien-pensance dogmatique. Où l'enseignant n'aurait plus à mouiller sa chemise, car la pédagogie demande des efforts quotidiens et patients, une directivité bien plus grande, mais différente, que le cours magistral ! La France de 2008, et si l'on n'y prend pas garde, jusqu'en 2012, sera celle du silence et de la facilité ! Je souhaite bien du plaisir à Madame Polony lorsqu'elle expérimentera ses « méthodes »dans le 9-3 (mais elle n'y enseignera sans doute plus jamais).
Une bien-pensance rétrograde ! Marianne, un magazine parfois très dogmatique... Et en tout cas de plus en plus "réac"... Quelle tristesse de lire dans Marianne autant de poncifs véhiculés par la bien-pensance rétrograde et mensongère fondée sur un esprit de revanche (contre quoi ? contre qui ?), fondée sur des conclusions qui sont fausses, fondée sur des constats déjà dénoncés par les pédagogues, mais orientés en fonction de ce que l'on veut faire admettre, fondée sur un élitisme dangereux et qui tourne le dos à ce qui fait l'honneur de notre métier : ne laisser personne sur le bord du chemin. Or ce n'est pas telle ou telle pédagogie qui laisse 150 000 jeunes sur le carreau ! C'est une éducation coupée du réel, coupée du monde qui l'entoure, et que des Natacha Polony et Jean-Paul Brighelli vont, volontairement, éloigner plus encore ! Il faut bien respecter les dogmes... Bientôt nous enseignerons devant des clones habitant des quartiers de clones dans un monde de clones... Et l'on aura définitivement enterré La Princesse de Clèves !


Le 17 mai 2009 : Pour en finir avec le "certificat d'études primaires" !


En fouillant les archives entasées dans mon grenier. J'ai retrouvé les Programmes et Instructions de l'enseignement primaire de 1923, 1938 et 1945. C'est un livre rare, paru aux Editions scolaires, dans la Collection Bibliothèque pédagogique EDSCO, 7ème édition. On y trouve les textes officiels de l'époque.

Le bac des années 2000 serait, d'après certains, l'équivalent du Certificat d'études... Cette comparaison revient très souvent dans la bouche des admirateurs de la « belle époque » du certif'. Le certif ? Mais c'était quoi, au juste, le certif ? Tout le monde en parle, mais personne ne sait vraiment. On a oublié. Alors j'ai entrepris de rafraichir les mémoires. Pour ne plus dire d'âneries ! d'après les instructions du 30 octobre 1947 (je les résume, mais toutes les phrases sont extraites du texte officiel)

Les épreuves sont au nombre de 10 :

1- La dictée : Elle ne dépasse pas 10 lignes (120 à 150 mots) ; la difficulté ne doit pas en être excessive ; il n'est pas souhaitable que ces textes, de valeur incontestable, présentent un caractère littéraire ou technique trop spécial qui les rendrait trop étrangers à l'esprit des programmes de la classe de fin d'études. Le zéro est éliminatoire, comme en calcul.

2 - Les questions :

a/ Deux questions relatives à l'intelligence du texte.
b/ Une question relative à la grammaire peut viser, selon la coutume, soit la nature et la fonction des mots, soit la structure des phrases ou des propositions.

3 - Le calcul : deux problèmes : le premier sera relativement court ; le second sera plus étoffé et comportera obligatoirement plusieurs questions successives sur le même thème concret.


4 - La rédaction : Les candidats ont le choix entre deux sujets : le premier peut être un rapport, un compte-rendu, un procès verbal, une lettre d'affaires ; le second peut être une lettre ou un récit. L'orthographe ayant fait l'objet d'une épreuve spéciale, il n'y a pas lieu de la sanctionner à nouveau en rédaction.

5 - L'écriture : elle sera notée sur l'épreuve de rédaction. (Aucun critère d'évaluation n?est précisé dans les Instructions officielles.)

6 - Interrogation écrite d?Histoire et Géographie et sciences appliquées : 10 minutes par épreuve ; en Histoire : connaissance d'un fait, dates essentielles, intelligence des événements. En géographie : un croquis rapide permettant de juger la connaissance des traits physiques d'un territoire et de la marque humaine de son exploitation (villes ; voies de communication ; cultures ; industries ; etc.)
Sciences appliquées : Questions tirées au sort à partir des programmes particuliers de chaque catégorie d'école : écoles de filles ; écoles rurales de garçons ; écoles urbaines de garçons. (Les instructions officielles ne donnent aucune précision sur les questions ni sur le programme de cette matière)

7- Dessin : Au choix un « dessin », un travail manuel ou un tracé géométrique usuel.

8 - Lecture : C'est une épreuve évidemment orale. Les examinateurs devront apprécier la sureté, la correction et l'aisance de déchiffrement... Il est recommandé de placer les enfants le plus possible dans les conditions habituelles de la classe. Il n'y a pas d'interrogation sur le texte.

9 - Calcul mental : On a rétabli l'épreuve de calcul mental après avoir constaté la faiblesse croissante des élèves dans ce domaine. (1947 !) L'épreuve consiste en 5 questions collectives (procédé La Martinière) et ne doit pas dépasser 5 à 10 minutes. Il ne doit pas s'agir d'exercices artificiels et abstraits mettant en ?uvre des mécanismes savants, mais de questions concrètes et simples comme il s'en présente dans la vie de chaque jour.

10 - Récitation ou chant : Au choix, une récitation ou une chanson

Voila ce qu'était le « certif »... Rien de plus, rien de moins. Et maintenant qu'on cesse cette stupide comparaison avec le baccalauréat, ou même avec le Diplôme National du Brevet ! Le Certificat d'études n'était en aucun cas très difficile ! Et tout était mis en oeuvre au niveau des consignes de correction, pour faciliter le succès des élèves !


Le 30 mars 2009 : sur L’élitisme républicain, L’école française à l’épreuve des comparaisons internationales, de Christian Baudelot et Roger Establet, Seuil, Paris 2009, un livre à lire absolument

Depuis les chocs pétroliers des années 1970, les parents savent que le diplôme compte, que l’échec scolaire conduit à des impasses, que certaines orientations précoces sont des voies de garage. Ces mêmes parents veulent que l’école prépare au monde du travail. Nous sommes entrés dans la culture anxieuse du résultat.

De fait, l’école devient elle aussi l’objet de jugements de la part des élèves et des parents. La mondialisation, à travers les délocalisations ou les expériences Erasmus, pousse à comparer son école à celle des pays voisins. Pour que ces comparaisons, devenues légitimes, soient utiles, encore faut-il les apprécier en étudiant les mesures sérieuses de compétences acquises par les élèves du monde entier sur les bancs de leurs écoles respectives.

Ce livre propose d’analyser ces compétences en s’appuyant sur les enquêtes menées par le programme PISA. La plupart des difficultés du système éducatif français est soulignée par ce travail :

- élitisme républicain,

- culture du classement,

- élimination précoce,

- tolérance aux inégalités et leur reproduction.

Sous le masque de d’un « égalitarisme » républicain, c’est bien une aristocratie inavouée qui fait tourner le moteur de notre école. L’école française est très et trop tôt, sélective. Elle demeure prisonnière, au XXIème siècle, de ses objectifs hérités du XIXème : distinguer une petite élite sans se soucier d’élever significativement le niveau des autres. La méritocratie reste une course aux meilleures positions pour certains. Pour d’autres, les plus nombreux, elle se traduit par une relégation rapide et coûteuse sur le marché du travail.

Et les résultats, incontestables quoique contestés, sont peu brillants, comparativement aux autres pays riches et développés, pour cette France qui a longtemps cru - croit toujours ? - que son école est la meilleure du monde :

- elle compte un taux très élevé de jeunes en échec,

- elle ne fournit pas des élites assez étoffées pour répondre aux besoins de la nouvelle donne économique,

- elle n’est ni juste ni efficace.

En somme, une école à l’image de la société qui l’entoure : élitiste et inégalitaire. Une société où l’on continue de croire que les intérêts de l’élite ne sont pas ceux de la masse quand, partout ailleurs, tout porte à penser que l’élite est novatrice et abondante si la masse est bien formée et l’échec le plus rare possible. Ironie de l’Histoire de l’école en France : elle ne parvient même plus à former cette élite pour laquelle elle est pourtant organisée.

Les enquêtes PISA, on le sait, ne font pourtant pas l’unanimité. Les responsables politiques les maintiennent dans une semi confidentialité ; les enseignants se méfient de la culture de l’évaluation, qu’ils pratiquent pourtant quotidiennement ; les médias n’en publient que le classement général, spectaculaire mais simplificateur. Mais le fond des enquêtes PISA reste confidentiel et seulement connu des experts. Ce livre rend enfin public les résultats de ces enquêtes, résultats absents du débat public.

Il permet aussi un détour par l’étranger quand le débat français sur l’école reste une « affaire de famille », un huis-clos prisonnier des passions politiques et des héritages idéologiques hexagonaux.

Enfin, les comparaisons établies par les enquêtes PISA permettent de constater et de comprendre pourquoi et comment d’autres pays font autrement et mieux que nous. Sans conclure qu’il suffit de les imiter, la France n’étant ni la Finlande ni la Corée du sud, on peut en revanche identifier les principes généraux qui pourraient présider à l’amélioration de notre système éducatif.

Que nous apprend PISA de ce point de vue ?

1- Les efforts de démocratisation sont payants. La massification de l’enseignement a abouti à une réduction des inégalités sociales.

2- Malgré la crise économique, la valorisation des titres scolaires est loin d’être mauvaise.

3- Les pays les meilleurs sont les plus riches et ils sont les plus riches parce qu’ils sont scolairement les meilleurs.

4- Le niveau a monté ! (Sans quoi la crise serait bien pire). Les écarts ont diminué dans l’accès au sommet même s’il demeure une masse d’échecs initiaux trop importante

5- En ce début de XXIème siècle, justice et efficacité sont condamnées à marcher main dans la main ou à décroitre de concert. Les pays qui occupent les premiers rangs en matière d’efficacité sont ceux qui limitent le plus les inégalités.

Que faut-il en déduire pour le système éducatif français ? Un ordre de priorités en haut duquel se situent le sort de l’école obligatoire et la définition du tronc commun. Ceci sans passer sous silence les problèmes persistants et ce à tous les étages :

- en haut, la dichotomie entre Grandes Ecoles et Universités. Obstacle corporatiste à une vraie recherche fondamentale. Or seule la recherche peut sortir de l’impasse un pays aussi riche en capital économique et culturel que la France.

- au milieu et « en bas », les orientations dans l’enseignement technique sont en contradiction avec les sanctions économiques. Ce sont les formations industrielles qui permettent d’entrer dans une véritable carrière professionnelle. Les formations « tertiaires » obligent en revanche les jeunes à inventer des itinéraires sans rapport avec leur formation de départ. Or ces formations sont aujourd’hui en France les plus nombreuses.

On pourrait pointer bien d’autres problèmes encore. Mais ce que montre PISA, c’est que la France n’a pas su se doter d’un véritable tronc commun assurant une formation élevée au plus mauvais élève sortant du plus mauvais de nos collèges. Elle s’accommode d’un modèle produisant des bataillons d’élèves en échec et d’une élite trop rare quand les transformations de l’économie exigent des élites plus nombreuses et des qualifications plus élevées pour l’ENSEMBLE de la population. En clair, l’école française est la meilleure du monde pour la moitié de ses élèves et l’une des plus mauvaises pour l’autre moitié. On tutoie la Finlande et la Corée du sud pour les meilleurs. On voisine avec la Turquie et le Mexique, dans les profondeurs des classements, pour les plus mauvais.

C’est en s’attaquant à la définition du tronc commun et à l’ambition de l’école obligatoire qu’on mettra fin au gâchis de « capital humain » qui caractérise notre système éducatif. Gâchis alimenté par l’élitisme républicain mais aussi par le sexisme : gagnantes au premier étage, les filles se placent très mal au troisième. Dans le palier médian, elles sont, beaucoup plus que les garçons, victimes des orientations tertiaires.


Le 11 avril 2008 : Hiroshima mon amour... Et si nous n'avions rien vu à Hiroshima...

Sort chez Gallimard un livre magnifique, intitulé Tu n'as rien vu à Hiroshima, illustré de centaines de photos prises par l'actrice Emmanuelle Riva, l'héroîne du cultissime film de Resnais : Hiroshima mon amour... On y voit l'Hiroshima d'après la bombe, celui des années 1958-1960, ces années au cours desquelles les possibles étaient aux coins des rues, réalisables. La guerre était dans les mémoires mais l'espoir d'un futur primait, un futur à construire sur les ruines d'un passé trop lourd, à ensevelir... Les sourires des petites filles d'Hiroshima, prises dans l'objectif d'Emmanuelle Riva, sont autant d'appels à croire que l'Histoire, même la plus tragique, tragiquement absurde, peut prendre d'autres routes, plus sereines, par la grâce de ces petites filles qui jouent au milieu d'un terrain vague... Derrière elles, des ruines... Devant elles, le Japon tout entier, celui d'aujourd'hui, déja... A Hiroshima, on n'a toujours vu que la bombe... Et si l'Histoire était ailleurs...

Oui, nous n'avons rien vu à Hiroshima...

Alain Resnais, lui, a vu. Hiroshima mon amour est un film imprévu, inclassable, Il rompt avec tout ce qui existait avant. Il n'a jamais été imité, approché, atteint dans la rareté qui en fait la beauté unique. Lui aussi est né sur les ruines d'un cinéma dépassé. D'un cinéma atteint par les bombes d'une génération qui donnera Truffaut, Chabrol, Godard... Entre autres... Ils n'étaient pas "de leur temps"... Ils en créaient un autre... Ce sont les hommes qui ont le courage de rompre avec leur passé qui font et sont l'avenir... Ils ne subissent pas l'Histoire... Ils l'utilisent pour écrire des histoires et les donnent à partager, les offrent à la réflexion, contribuent à d'autres "possibles", ouvrent des portes quand celles-ci, une à une, se ferment au nez de celles et ceux auxquels on a confisqué les clefs... Il en est même qui écrivent des histoires d'amour... Hiroshima... Mon amour...

Qu'en est-il aujourd'hui de l'Histoire. Elle est un produit. Un produit de consommation. Tout est "historique"... Le but d'un footballeur, la sortie d'un nouveau modèle de voiture, un défilé de mode, un sommet du G20 qui pourtant ne changera pas le monde mais que le Président Sarkozy s'est empressé de déclarer "historique", les commentateurs zélés lui emboîtant le pas... Le Président se rassure en s'inscrivant lui-même dans l'Histoire. Pas de chance... Il se trompe car on ne s'inscrit pas dans l'Histoire. On la vit, on la crée... Lui ne fait que l'accompagner, que la consommer, que la consumer aussi...

Il est loin, très loin, de ces petites filles d'Hiroshima, souriantes et heureuses, qui offrent à Emmanuelle Riva leurs visages d'enfants déja grandes...

Et si nous n'avions rien vu à Hiroshima...

A Laure, collègue et amie très chère, qui m'a inspiré ce texte...


Il est vain, injuste et dangereux d'attaquer les journalistes, mais...

Mon propos, malgré l'ironie parfois, peut-être la mauvaise foi (qui sait?), ne sera pas de dénigrer les journalistes, leur profession, leur engagement, au péril de leur vie pour beaucoup. J'aime lire et écrire donc j'aime le journalisme et le journaliste, même si l'on ne peut résumer la profession au « lire-écrire ». Je dévore la presse, j'adule la radio, je suis curieux d'images et bien entendu, Internet, le « sixième continent », m'attire, me fascine et j'essaye d'en apprendre les dangers, d'en apprivoiser les techniques, de profiter des facilités qu'il offre. Tous ces moyens d'informations sont un outil de la vivacité démocratique.

Mais... Mais Internet, mais la Démocratie participative appliquée déjà dans de nombreux mouvements associatifs, dans des partis politiques, dans des Etats même, a changé le caractère de la relation journalistes/lectorat (ou journalistes/auditeurs et journalistes/téléspectateurs). Le citoyen, jadis éponge à absorber de l'information, est aujourd'hui plus exigeant parce que justement plus informé. Il ne se contente plus d'absorber. Il lit, écoute, regarde. Comme avant direz-vous... Non ! Avec la conscience éveillée de celui qui veut qu'on le prenne pour ce qu'il est : un être pensant et non un consommateur passif. Seulement passif... Internet y a largement pourvu. C'est un PROGRES naissant, donc à accompagner, à « tenir par la main »...

Je veux dire ici et maintenant que le journalisme sans recul, à chaud, partisan, de mauvaise foi, seulement enfermé dans l' « idéologie close », concept cher à Edgar Morin, de l'ironie permanente, ce journalisme là n'a pas d'avenir. Ce journalisme, qui se contente de réagir au lieu de réfléchir, est médiocre et rend médiocre. Que les rédacteurs en chef laissent les « plumes » talentueuses prendre le temps du recul, y compris dans la presse quotidienne. Car la France a d'excellents professionnels, pour certains de vrais écrivains, de véritables penseurs et chercheurs, que l'on gâche en les pressant de rendre leur papier, de fournir des sons et des images, vite, très vite, plus vite que le concurrent...   Je veux dire aussi ici et maintenant que le journalisme seulement partisan, à la botte d'un seul clan, qu'il soit « sarkozyste » ou autre, est dangereux. La concentration des titres, des chaines aux mains de quelques uns, ces « quelques-uns » amis du pouvoir, jurant la main sur le coeur que leurs journalistes sont libres, qu'ils ne pratiquent aucune censure, qu'ils n'exercent aucune pression, est une dérive improbable qui va à contre-courant de l'Histoire et des libertés induites par les technologies nouvelles. Songez qu'il arrive de plus en plus souvent que le citoyen lambda soit informé plus rapidement qu'une salle de rédaction ! Ce qui présente un autre risque : celui de voir le lectorat, l'auditeur, le téléspectateur croire qu'il peut à son tour devenir « journaliste ». Ce risque est le résultat des moyens technologiques mis à la disposition de chacun mais aussi, et la presse doit absolument en tenir compte, celui :

1) De l'appétit des français pour l'information.

2) Des doutes qu'ils émettent, de plus en plus nombreux, sur la qualité et la fiabilité des informations et des commentaires, d'où qu'ils viennent.

Là encore, les chefs de rédaction devraient y réfléchir à deux fois avant d'obéir docilement (mais peuvent-ils faire autrement ?) à leur patron de presse, aux propriétaires des titres, très puissants, très influents...
Vive le journalisme ! Ce journalisme « grand public » qui me fait aimer les quotidiens, magazines et chaines radios-télés lus, écoutés et vus par toutes et tous... La France telle qu'elle est expliquée, donc reçue et comprise... A condition, si possible, d'en faire le décryptage...

Pourquoi pas dès l'école?


Bien pensance de la « gauche anti-pédagogiste » ?

Pour la milliardième fois, mais je le réaffirme ici, les méthodes pédagogiques ne sont pas responsables des échecs de notre système éducatif ! Ces pédagogues qui, bien avant les apparitions médiatiques des Jean-Paul Brighelli, Natacha Polony, Marc le Bris eu autres Rachel Boutonnet, ont alerté sur les difficultés croissantes de nos élèves en proposant des pistes, des solutions ! Et je pose donc les questions suivantes : "

- Pourquoi les méthodes pédagogiques dénoncées en France obtiendraient-elles tant de résultats positifs, et reconnus, dans les pays nordiques ou au Québec, entre autres, pour échouer chez nous ?" Monsieur Darcos avait fait naître un espoir en se rendant en personne dans des écoles finlandaises dont il n'est pas question de demander un copier-coller... Espoir vite déçu...

- Pourquoi Philippe Meirieu, ce « Grand Satan », est-il invité dans le monde entier par les plus grandes universités ?

- Pourquoi le magazine très influent Marianne ne dit-il jamais que, sur les 150 000 jeunes qui sortent du système éducatif sans aucun diplôme, ce n'est en aucun cas de la faute des pédagogues puisque les méthodes pédagogiques mises en cause ne sont que très rarement appliquées en France ? J'exhorte Madame Polony et autres journalistes de Marianne à visiter des salles de classe en écoles primaires. Qu'elle aille observer ! Elle s'apercevra qu'on enseigne en France, pas toujours mais encore trop souvent, comme on enseignait il y a 50 ans. En revanche, le public et ce qui entoure ce public a changé... Beaucoup !

- Pourquoi les Polony / Brighelli / Le Bris / Lafforgue / Boutonnet se gardent-ils de dire que 80% des 150 000 jeunes qui sortent du système sans diplômes appartiennent aux classes sociales les plus défavorisées ? Et qu'il y a sans doute une relation de causeà effet !
 
- Pourquoi Marianne ne dit-il jamais que les méthodes pédagogiques fonctionnent lorsqu'elles sont - trop peu - appliquées, comme par exemple au Collège expérimental Clisthène de Bordeaux ?

- Pourquoi Marianne parle-t-il faussement de « positions bien pensantes de la gauche pédagogiste » ? (Marianne numéro 586, éditorial page 52) Faussement puisque beaucoup d'enseignants absolument pas de gauche sont aussi d'excellents pédagogues ! Faussement, car depuis quelques années, la soi-disant bien pensance a changé de bord et est revenue du coté du Lagarde et Michard, triste opuscule qui a dégoûté des générations d'élèves de la littérature... (J'ai failli en être, sauvé par des parents qui m'offraient autre chose à lire, d'autres outils de découverte, d'autres projets, d'autres plaisirs d'apprendre, de connaissances, de soif de savoir...).

- Pourquoi ne pas organiser un débat entre Natacha Polony (si possible sans ses « béquilles » habituelles que sont les Brighelli/Le Bris) et Philippe Meirieu ?

- Pourquoi lorsqu'il est face à ce même Philippe Meirieu, Monsieur Brighelli (dont les méthodes ont dû, je suppose, envoyer des milliers d'élèves vers les sommets...) est-il beaucoup plus « miel » qu'il ne l'est sur son blog par exemple, où de très nombreux propos sont des caricatures, voire pires ?

Une bien pensance dogmatique !

Les « passéistes » Le Bris, Boutonnet et Brighelli, entre autres, rêvent de classes silencieuses, où chaque élève serait la reproduction clonée de son voisin, alors que dès 1966, Villard dans L'expression écrite à l'école primaire affirmait déjà : « Il n'est pas vrai que le silence et l'immobilité soient les conditions de l'attention, ce sont les conditions du sommeil ». Où chaque élève serait le perroquet docilement dressé dont ils feront un citoyen prisonnier d'une bien-pensance dogmatique. Où l'enseignant n'aurait plus à mouiller sa chemise, car la pédagogie demande des efforts quotidiens et patients, une directivité bien plus grande que le cours magistral !

La France de 2009, et si l'on n'y prend pas garde, jusqu'en 2012, sera celle du silence... et de la facilité ! Je souhaite bien du plaisir à Madame Polony lorsqu'elle expérimentera ses « méthodes » dans le 9-3 (mais elle n'y enseignera jamais), ce quartier sujet d'un reportage remarquable de Frédéric Ploquin et Eric Hadj dans le même numéro de Marianne, ce quartier où les méthodes PEDAGOGIQUES de nos collègues ont fait et font encore des miracles quotidiens ! A quand un reportage dans ces établissements-là ? Cela gênerait Marianne de constater que la PEDAGOGIE, ça fonctionne ?)

Honte à ceux qui mentiront en les dénigrant ! Honte à ceux qui les dénigrent déjà !

Une bien pensance rétrograde ! Marianne, un magazine parfois très dogmatique...

Enfin quelle tristesse de lire dans Marianne autant de poncifs véhiculés par la bien-pensance rétrograde et mensongère fondée sur un esprit de revanche (Contre quoi ? Contre qui ?), fondée sur des conclusions qui sont fausses, fondée sur des constats déjà dénoncés par les pédagogues mais orientés en fonction de ce que l'on veut faire admettre, fondée sur un élitisme dangereux et qui tourne le dos à ce qui fait l'honneur de notre métier : ne laisser personne sur le bord du chemin. Or ce n'est pas telle ou telle pédagogie qui laisse 150 000 jeunes sur le carreau ! C'est une éducation coupée du réel, coupée du monde qui l'entoure, et que des Natacha Polony vont, volontairement, éloigner plus encore !

« Entre les murs », Palme d'or au Festival de Cannes 2008 a évidemment été éreinté par Marianne et Madame Polony...

Il faut bien respecter le dogme...


Journaliste mon frère, dis l'Histoire. Ne l'asservis pas !

J'ai vu ce matin tournoyer d'abord, puis frôler les vagues dans une courbe parfaite, pour se poser enfin sur le grand  bateau blanc, le premier oiseau, un de ces oiseaux perdus de vue depuis tellement longtemps. Nos regards se croisent... Qui suis-je pour lui sinon l'intrus bienvenu lui permettant quelques instants de repos, le temps de lisser les plumes de ses ailes fatiguées ? S'il savait à quel point l'épuisement me gagne... Il est dans ses éléments, l'oiseau marin, l'air et l'eau... Je suis l'étranger, l'étrange étranger... La houle m'a porté, bousculé... La houle de l'actualité battant les flancs des hommes, les secouant, les ballotant à en vomir parfois, l'Histoire faisant peu de cas des trop piètres marins. Elle avance, et la presse - le mot est juste - la reflète, la relate, la transforme, l'embellit, la rend plus laide, la torture et nous laisse assommés, au coin d'une table, dans un fauteuil, dans nos voitures, partout, envahissant tout. Elle nous noie dans de beaux textes ou d'immondes messages, de belles paroles ou quelques mots abjects. L'oiseau regarde la mer... Que voit-il, l'oiseau, sinon l'univers liquide qui est le sien ? Que voit-il l'homme, sinon sa vie, là, devant lui, tempétueuse ou calme, sa vie de houle et de clapot, de grands calmes et d'ennui parfois. Notre Histoire n'est que la demeure des oiseaux... Un univers entier dont nous sommes étrangers. L'Histoire se déroule sans nous... Elle nous échappe... Nous croyons la faire quand c'est elle qui nous modèle, qui nous fait grands ou petits. L'Histoire est l'océan le plus dangereux qui soit... A l'ère médiatique, hyper technologique, l'oiseau dispose du bien dont nous rêvons, toutes et tous, que nous cherchons, qui nous fait rêver, vivre et mourir en même temps, la recherche d'un Graal : Liberté, un mot, un pauvre mot qui cache mille sens, qui brille de mille reflets divers... Mille reflets qui ferment mes yeux à demi quand l'oiseau, reposé, décide de regagner son univers marin... Il vole dans son Histoire... En coups d'ailes presque lents au point qu'on craint qu'il tombe... Il n'est plus qu'un balancement, puis un point, puis plus rien... J'ai vu passer le temps, l'Histoire... Nous, les Hommes, sommes tous des Etrangers. Au milieu du fracas des vagues de l'information qui traduit l'événement pour souvent le trahir... Plus rarement le dire, simplement le dire... Il suffit pourtant de regarder l'oiseau se poser devant vous, de croiser son regard, de le laisser en paix et de vivre avec lui le moment privilégié de l'Histoire qui vous berce... Vouloir faire l'Histoire, avoir cette prétention, c'est Icare qui se tue, c'est l'oiseau que l'on chasse, c'est l'eau qui nous aspire vers des fonds incertains.

Journaliste, mon frère, dis l'Histoire. Ne l'asservis pas !

L'oiseau viendra souvent se poser près de toi.


Alter...

Yann-Arthus Bertrand, immense photographe, propose depuis quelques jours d'entendre les autres, de prendre le temps d'écouter les autres, ces "6 milliards d'autres" , le titre de ce qu'on peut appeler une oeuvre Il est possible, via Internet, de visionner quelques-unes des paroles fortes que disent simplement des femmes et des hommes simples... http://www.6milliardsdautres.org/

Ces jours-ci sort en salle Puisque nous sommes nés réalisé par Jean-Pierre Duret, Andrea Santana et Jean-Marie Straub. Ce documentaire est sorti dans quarante salles en France, notamment grâce au parrainage de Jamel Debbouze qui produit le film. Le spectateur suit, sans misérabilisme aucun, deux enfants, leurs amis, leur famille respective, dans le Nordeste brésilien, une région pas encore atteinte par le "miracle économique" du géant sud-américain. La bande annonce est à elle-seule une invitation au voyage et à la réflexion 

http://www.dailymotion.com/relevance/search/puisque%2Bnous%2Bsommes%2Bn%25C3%25A9s/video/x81k5d_puisque-nous-sommes-nes-bande-annon_shortfilms

Ces deux oeuvres sont pour moi essentielles par le message qu'elles apportent, un message optimiste malgré la gravité des situations évoquées, malgré les douleurs montrées, malgré la vérité crue, nue, brutale et vraie qui en suinte à chaque image, au coeur de chaque phrase où va se loger, pardoxalement, l'espoir ! Un espoir porté par les intervenants, mais aussi par Arthus-Bertrand et surtout Jean-Pierre Duret qui ouvrent des portes : celle des "alter", celle de l'altérité. Le monde, depuis des décennies, a les yeux braqués sur la Bourse, les affaires, la télé-réalité, le libéralisme financier et j'en passe. Les exemples donnés à la jeunesse étaient - et sont encore - le trader multimillionnaire en quelques heures, le banquier sans scrupules, la bimbo richissime, les présidents "bling-bling" dont l'Italie et la France n'ont pas de quoi être fiers, les milliardaires russes, etc. Duret et Arthus-Bertrand nous rappellent, enfin, que la terre est pauvre, aussi ! Qu'il existe des femmes et des hommes dont on a volé la jeunesse et qui n'ont plus que la vie conjuguée au présent. Un présent fait du minimum vital : trouver de quoi tenir un jour, un jour seulement, de plus ! Et ils tiennent ! Avec un courage et une dignité qu'aucune chaîne de télévision ne montre aux heures de grande écoute, préférant baigner le télespectateur dans un "jus" immonde de fric facilement gagné, l'appat du gain étant le seul et unique ressort de ces productions débilitantes.

Ces deux oeuvres rappellent également que d'autres politiques sont possibles. Les altermondialistes réunis récemment à Bélem pendant que les nantis, quelque peu inquiets ces derniers temps, se retrouvaient au milieu des bouteilles de champagne de Davos, offrent et appliquent, avec difficultés, des projets alternatifs aux libéralisme triomphant. Ce libéralisme qui envahit jusqu'à l'Education et que Philippe Meirieu, sur ce site, a magistralement dénoncé. Nécessairement dénoncé car il en va de la survie des fondements de notre service public ! L'altermondialisme n'a peut-être pas réponse à tout mais il ouvre les yeux sur cet enfant du Brésil dont l'horizon ne va pas au-delà d'une route sillonnée de camions remplis de nourriture, de biens de consommation... Cet enfant du Brésil sans école, donc sans avenir, presque "mort vivant" au sens propre du terme. Cet enfant du Brésil qui pourrait être du Sahel, de certains plateaux du Chili, de la Chine pauvre car elle n'est pas que riche...

Merci vraiment à ces deux artistes d'ouvrir des fenêtres sur les autres. Ces autres dont nous sommes. Et que nous avons oubliés souvent au point de mettre en danger toute la planête. Non, Monsieur le Président, le libéralisme que vous nous avez vendu n'est pas la panacée. Bien au contraire! Il n'a fait que creuser les écarts entre ceux qui peuvent se projeter dans l'avenir en s'achetant leurs rêves et ceux, de plus en plus nombreux, qui ont oublié ce que signifiait demain en vivant de cauchemard!

Continuez ainsi, n'écoutez pas Arthus-Bertrand, Duret et ceux qu'ils nous donnent à écouter... et vous verrez le monde s'ouvrir sous vos pieds. Je refuse de voir "mes" deux enfants du Nordeste s'engloutir avec vous !

J'ai encore moins envie de vous accompagner dans l'enfer que vous nous construisez...


Le 25 janvier 2009 : Sollers, le voyageur du temps...

Je voudrais aujourd'hui vous parler du Temps... Alors que Philippe Sollers publie ce qui pour moi est et restera un chef d'oeuvre, son chef d'oeuvre puis désormais le nôtre, Les Voyageurs du Temps, jamais sans doute ce mystère n'aura été autant présent dans l'actualité. Plus-que-présent... Un nouveau temps, pas grammatical pour un sou. Avec la grâce féminine qui caractérise la plûme de Sollers, le lecteur est invité à vivre quelques jours dans une toile de Vermeer ou de Picasso, dans une chanson d'Aretha Franklin, dans un Aria de Vivaldi, dans un essai de Barthes... Quel infini bonheur de lire et d'oublier ce temps que nos politiques, nos experts en tout s'acharnent à précipiter et, ce faisant, effacent les oeuvres en les réduisant à des témoignages qu'on appelle "classiques", "modernes", "contemporains"... Des catégories qui, au sortir du livre de Sollers, n'ont plus aucune signification... Elles restent scolaires, au mauvais sens du terme, alors que Watteau et Picasso sont tous deux résolument classiques ET modernes ET contemporains. Le génie traverse le temps, les temps, les cloisons. Il est immémorial. L'enfermer dans un catalogue, c'est ne rien comprendre, c'est mentir, c'est déformer, c'est empêcher d'aimer tel texte de Stendhal, telle variation de Bach - "encore Bach, toujours Bach" comme dit Sollers -, telle chanson de Gainsbourg, tel air de jazz un soir au fond d'un bar enfumé, Chett Baker à la trompette... Lire Sollers, ce livre-là en tout cas qui défiera lui aussi le temps - surtout ne le classons pas ! -, c'est aimer lire sans avoir appris à le faire... C'est s'interroger en se demandant d'ailleurs si l'on peut apprendre à aimer lire. Sollers est certain du contraire. "Qui veut lire lira" dit-il souvent... Peut-être devrions-nous, à l'école, au lycée, à l'université, cesser de faire du Lagarde et Michard pour simplement lire par AMOUR. J'entends d'ici les cries d'orfraies des gardiens du Temple qui ont si peur de voir leur "temps" livré à la passion. Tout obnubilés qu'ils sont par l'efficacité, leur savoir froid, sans âme, sans désir sinon celui d'obliger à aimer lire... Sans s'arrêter sur la futile mais si nécessaire envie de "donner à vouloir", de transmettre le goût, de mettre en valeur l'inaccessible, de faire toucher le sublime d'un mot, d'une phrase, d'une métaphore, d'un vers sans se soucier de leur siècle...

Et puis Sollers - enfin Sollers vint pourrait-on écrire ! - nous offre au milieu de la vulgarité, de l'ironie permanente, du "toujours-plus-vite", une raffraichissante leçon d'intelligence partagée, de lucidité et de considération. Au sens où il considère le lecteur, non pas comme ce consommateur de petites phrases, d'images volées, d'émissions voyeuristes frôlant la pornographie (j'ai toujours pensé qu'un film pornographique était plus "honnête" que certaines productions de télé-réalité...) mais comme son ami auquel il enseignerait l'art de voyager dans le temps, au-delà du temps, dans un monde où peut-être le temps se verrait aboli pour laisser sa place à l'Homme et à ses oeuvres... L'auteur des Voyageurs du Temps réussit à rendre ce temps inutile puisque nous l'accompagnons au lieu de le subir. Tels des noyés volontaires qui, plutôt que résister aux tourbillons, se laissent emporter par la houle et les courants... Avec délectation... Une noyade amoureuse avec Anna Karénine qui nous tendrait la main et Ronsard pour nous sécher sur la rive peinte par un Cézanne inspiré...

Enfin - mais peut-on dire "enfin" ? - Sollers cloue au pilori tous ceux qu'il considère comme des "parasites": ceux qui commentent, ceux qui se moquent, ceux qui trahissent, ceux qui médisent, ceux qui professent au lieu d'enseigner, tous ceux qui martyrisent la réflexion au profit d'une perte vertigineuse de temps inutile, tous ceux qui ont fait de la vitesse, de l'immédiateté leur credo, tous ceux qui chapardent nos vies... Il préfère à juste titre nous faire entendre le dialogue de Dante s'entretenant avec André Breton... Il le rend possible, remplit le vide et laisse au Temps sa majuscule beauté... Il tue le temps vulgaire et minuscule de notre époque... On crierait preque : "Vive Sollers l'assassin !" Ce livre est une splendeur !

Les Voyageurs du temps, Éditions Gallimard, 244 p., 17, 90 €.


Le 18 janvier 2009 : Reconstruire l'opposition !

Nous vivons en ce début de XXIème siècle une crise de l'opposition. Une crise dans les formes d'opposition, dans les outils. Il y a un siècle, le syndicalisme était puissant parce que la société était encore ouvrière. Combien aujourd'hui reste-t-il d'ouvriers? Le syndicalisme s'est éteint avec les ouvriers qui peu à peu disparaissent de notre paysage social. Ne perdez jamais de vue le chiffre effarant suivant : 8% des salariés français sont syndiqués. (80% en Suède). Dans certaines branches, les syndicats restent puissants et influents. Ils pèsent dans les négociations et ils jouent un rôle dans le jeu des rapports de force. Qu'ils en soient remerciés car il ne s'agit pas de faire leur procès. Mais comment voulez-vous rendre crédible une grêve votée à main levée par 50 syndicalistes dans une entreprise de 3000 salariés ? Comment voulez-vous rendre crédible une occupation de lycée ou d'université décidée par 200 étudiants (et encore!) dans une fac de 10 000 ? C'est du pain béni pour TF1 (et le pouvoir) relayant ces images d'un groupuscule imposant sa loi à une majorité silencieuse ou hostile. Soyons clairs : il ne s'agit pas de condamner ces organisations représentatives mais de constater l'existant... De même, que représentent vraiment ces organisations quand on connait les taux affligeants de participation aux élections syndicales ? C'est difficile pour moi d'écrire cela, mais c'est la réalité du temps.

Alors, comment s'opposer aujourd'hui efficacement et peser démocratiquement, faire entendre sa voix, faire aboutir des luttes, obtenir satisfaction parfois ? Même la gauche, toute entière, est inaudible. PC, NPA, Verts, PS... ces partis sont restés sur des modèles de lutte dignes du XIXème siècle. Efficaces à l'époque. Mais les temps ont changé. Les manières de lutter doivent changer. Je n'ai pas de recettes miracles. J'ai néanmoins quelques convictions. Je suis persuadé depuis longtemps que les syndicats et partis politiques doivent absolument rendre les adhésions financièrement accessibles. A regarder les cotisations, pour certaines, c'est devenu un luxe inabordable.

L'opposition doit aussi être d'abord et avant tout constructive et force de propositions. Il faut inventer, réinventer, donner à rêver. Sans reproduire les utopies de 68 mais en nous appuyant ce qui fait bouger les générations montantes :
- l'Education (Nationale et Populaire),
- l'environnement et les politique écologiques,
- l'accès au nouvelles technologies du futur,
- la vie associative et les politiques du "Vivre ensemble",
- les politiques favorisant l'accès au premier emploi,
- la formation continue,
- l'accès à Internet pour tous (la France est TRES en retard)avec des actions pédagogiques pour une utilisation d'Internet facilitant la vie,
- l'aide aux démunis avec de vraies actions d'insertion/réinsertion,
- une révolution de notre politique de santé allant vers plus d'efficacité en direction des plus faibles,
- une politique culturelle favorisant les "spectacles vivants", les initiatives associatives en créant des réseaux synergiques,
- des actions concrêtes et urgentissimes en direction des banlieues avec de vrais contrats de partenariat "gagnant/gagnant". Le plan Fadela Amara est respectable mais ne dispose d'aucun moyen et laisse les ghettos se ghettoïser ! Un comble ! Les banlieues regorgent de talents...
- des politiques permettant le dialogue entre les générations,
- etc.

Enfin (mais c'est un sujet ouvert), l'opposition doit proposer, c'est son rôle, de véritables formations pédagogiques en direction des militants. Et surtout pas seulement idéologiques mais aussi et surtout fondées :- sur les expériences à l'étranger
- sur ce qui fonctionne ici ou là..
- sur l'utilisation d'Internet, sur l'aide à la création de sites, de blogs, interactifs et en réseaux. Afin de fédérer les actions qui partent dans tous les sens, sans cohérence donc qui perdent en efficacité, ce qui n'enlève rien à la formidable passion de celles et ceux qui se lancent.
- sur l'apprentissage précoce des diverses utilisations de la télévision: savoir choisir; savoir regarder; savoir éteindre sa télévision aussi...

L'avenir n'est plus dans les grêves d'un jour, dans les banderoles et les slogans que les télévisions ne montrent même plus. Il n'est pas non plus dans l'action violente. Je croirai toujours en la force de la raison, de la réflexion et des intelligences partagées. Toutes générations confondues ! Toutes classes sociales confondues ! En avant et au travail 


Le 10 janvier 2009 : Quand l'ironie permanente devient une "non-pensée"...

Hier, vendredi 9 janvier à 19h05, dans l' émission Le Grand Journal de CANAL +, trois journalistes (toujours les mêmes) étaient invités pour commenter l'actualité. Ou du moins ce que les médias estiment être l'actualité comme cet événement majeur pour la France et le monde qu'est la maternité de Madame Dati. Passons... Il s'agissait de Philppe Val, Alain Duhamel et Catherine Nay. Lorsqu'il fut question de Ségolène Royal, même si celle-ci travaille actuellement plutôt dans la discrétion, les trois journalistes entreprirent d'ironiser, comme ils le font de manière permanente depuis trois ans. Heureusement pourtant qu'ils peuvent compter sur Ségolène Royal pour les faire travailler, les ventes des quotidiens ayant connu des pics vertigineux à chaque fois que la candidate du PS à la présidentielle apparaissait en "une". Ce fut la même montée de l'audimat lorsque Ségolène Royal intervenait dans tel ou tel journal télévisé.


Mais revenons en à l'ironie... Comme je l'ai souvent écrit ici et ailleurs, l'ironie seule est ce qui reste quand la réflexion échappe... Et je tiendrais exactement les mêmes propos s'il s'était agi du Président Sarkozy ou de Xavier Darcos... L'ironie comme arme permanente est un totalitarisme. Car elle nie l'argumentation, l'élimine. C'est le contraire de la pensée. C'est même une "non-pensée", le summum du vide. Utilisée de manière récurrente, elle devient acharnement. Une idélogie close, contrairement à ce qu'en a dit Jankélévitch dans son essai sur l'ironie, qui enferme tout le monde: les utilisateurs dans la bêtise de la superficialité; les victimes -qui plus est absentes et ne pouvant répondre- dans une caricature...

Je rêve de voir un jour Catherine Nay devant Ségolène Royal ou quelqu'autre de ses "victimes"... Ce serait...amusant ! Elle (Catherine Nay) n'a pas, et Val ni Duhamel non plus, cette finesse du véritable ironiste qui sait, lui, ne pas abuser de son art consistant, comme disait Pascal, à parler "peu de tout et non pas tout d'une seule chose". Madame Nay, dont on apprit hier qu'elle accepta la Légion d'Honneur "pour faire plaisir à sa mère", manie l'ironie sans talent ni art, celui qui permet d'effleurer, de butiner sans abuser. Non vraiment, Catherine Nay n'est pas Socrate... Elle n'est, avec ses complices en journalisme de paillettes désireux de parler de tout, d'avoir réponse à tout, que "l'ironiste (qui) s'étouffe dans sa triste opulence et dans sa vide plénitude, car être tout, c'est n'être plus rien". (Jankélévitch... lucide lui!)

Triste époque que celle qu'on nous impose décidément. Qu'on impose surtout à celles et ceux qui n'ont pas la chance, comme nous, d'avoir les capacités ni les moyens de prendre le recul, la distance, le TEMPS de la réflexion. Combien de Français, hier, ont ri et riront demain de bon coeur aux moqueries d'un Zemmour, aux saillies d'un Duhamel, aux élucubrations économiques d'un Jean-Marc Sylvestre, à la ségophobie d'un Bruce Toussaint ? Ceux-là, entre autres, "font" l'opinion. Ils la modèlent comme de tristes sculpteurs sans talent, mais - hélas ! - disposant d'une arme à l'efficacité redoutable : les médias. Ils sont partout et inondent les esprits de leurs avis, sans appel ni contradicteurs la plupart du temps. Pire, ils se font souvent les zélateurs dociles d'un pouvoir qui n'a même pas besoin de demander leur soutien. Ce trio de journalistes, et quelques autres, n'ont en fait, à y bien réfléchir, rien d'ironique. Ils ne manient que la moquerie, ce parent pauvre et bête d'un art qu'ils ne possèdent pas.


Le 26 décembre 2008 : L'indécence, mal du siècle?

Il y a pire que tout... Il y a toujours pire que le pire... En cette année 2008 finissante, me reviennent en mémoire quelques souvenirs de lectures, de choses vues et entendues, souvent sans le vouloir... Oui, l'avez-vous remarqué ? Jadis, nous allumions la radio, la télévision, ouvrions un journal et tous ces gestes "magiques" étaient des actes volontaires, choisis. La soirée s'organisait autour de tel film, de telle émission... Le journal s'étalait sur la table de la cuisine recouverte d'une toile cirée... Le chat dormait sur un fauteuil, celui du grand-père quand il venait encore à la maison...

Aujourd'hui, c'est la télévision, la radio, les titres étalés qui s'imposent à nous. Ils nous "allument" presque. Le téléspectateur, l'auditeur, le lecteur, s'il n'est pas éduqué, s'il n'est pas éclairé, se laisse alors, sans même s'en rendre compte, happer, engloutir, enfermer dans des torrents d'images, de sons et de textes dont 80% sont d'une rare indigence, d'une absolue indécence... L'indécence des titres raccoleurs qu'on lit en passant vite, en remontant son col car les courants d'air sont terribles dans les couloirs du métro, avant de rejoindre le bureau. L'indécence d'émissions de télévision dont le crétinisme le dispute au voyeurisme. Il suffit de réunir quelques invités ayant "une actualité", c'est à dire ayant quelque chose à vendre, de les faire réagir en se moquant de tout - y compris du téléspectateur qui lui ne se doute de rien -, de les faire de disputer très artificiellement puis, sans avoir construit le moindre début de réflexion, sans avoir abouti à aucune proposition, le "présentateur vedette" - car la vedette c'est lui - conclut par une pirouette avant la publicité et un feuilleton cathodique maintenant l'audimat à flot. Il n'y a d'ailleurs plus que l'audimat qui soit à flot... Le reste est noyé depuis longtemps dans l'indécence de croire que le téléspectateur, l'auditeur, le lecteur est le dernier des imbéciles auquel il suffirait de donner quelques miettes pour que, tels les pigeons des Jardins du Luxembourg, ils viennent consommer sa pitance quotidienne d'imbécilité et de crétinisme.

Je n'ose dire ici quelques mots des émissions dites de "variétés". Mes propos pourraient dépasser des limites que ces mêmes émissions pourtant ont très largement outrepassées. De même les radios, dites "libres" il y a quelques années - les années Mitterrand" - et devenues aujourd'hui prisonnières plus encore que sous de Gaulle. Elles déversent des "sons" au kilomêtre, des propos sans autre objectif que de coller l'adolescent au "poste" et de le pousser à consommer... A lui aussi, quelques miettes quotidiennes...

Et tout cela recouvre indécemment le génie toujours vivace de ce pays, ce pays qui préfère Angot à Le Clézio... Tout est dit dans ce comble de l'indécence... Comment peut-on préférer Zemmour à un Jean-Claude Guillebaud ? Comment peut-on se passer d'une Florence Aubenas, remarquable plume journalistique pour lui préférer Eric Nolleau? Comment peut-on interviewer sur TOUTES les chaînes un Bernard Tapie, théâtreux poussif, acteur d'une rare nullité et délaisser tous ces anonymes du vrai spectacle vivant ? Les délaisser à les laisser crever de faim ! Comment peut-on laisser une Arlette Chabot interroger les puissants avec une prudence presque douteuse quand un Julliard, voire un Laurent Joffrin d'il y a quelques mois - sa remise en place, indécente, par le Président de la République, lors d'une conférence de presse de sinistre mémoire pour lui, l'a profondément changé - seraient plus percutants? Comment peut-on laisser, sans mot-dire, ces fielleux, ces moqueurs de bas-étages, ces caricaturistes qui insultent Daumier, ces menteurs, parfois, faire la pluie et le beau temps, tous complices, toujours les mêmes, usant de leur jeton de présence sur les plateaux où ils s'invitent ?

Comment peut-on laisser l'indécence prendre le pas sur l'intelligence partagée ? Il y a là des sujets de révolte, de "saines colères", de profondes inquiétudes aussi. Car c'est l'indécence qui triomphe aujourd'hui et par-là, c'est l'intelligence et la beauté qui meurent... A celà, un seul remède qui soit à ma modeste portée : le dire, l'écrire, le hurler et souhaiter que d'un cri naisse la conviction qu'il faut en finir, vite, avec l'indécence qui voudrait faire de nous des imbéciles irréfléchis... qui voudrait faire de nous des consommateurs passifs... qui voudrait faire de nous d'obéissants toutous... qui voudrait faire de nous des électeurs dociles... qui voudrait faire de nous des cerveaux éteints... qui voudrait faire de nous des lecteurs aveugles, des auditeurs sourds, des spectateurs toujours admiratifs et d'accord...

Au secours ! Je n'en peux plus !


Le 14 décembre 2008 : Le malaise enseignant face au "collège unique"...

Aux récriminations habituelles des milieux néo-conservateurs dont les chantres sont, parmi d'autres moins attirés par les lumières des plateaux, Messieurs Brighelli, Le Bris et Finkielkraut, s'ajoute en France un malaise de plus en plus ancré face à la réalité quotidienne du collège unique, le problème de la gestion des classes et de la transmission du savoir. Une enquête, commandée par la FSU (principal syndicat enseignant) au début des années 2000, indiquait que les trois-quarts des enseignants de moins de 35 ans estimaient que demander au collège d'accueillir tous les élèves était irréaliste. (La même enquête révélait aussi qu' une majorité écrasante de parents était favorable au maintien du collège unique). Or, et ceci n'est JAMAIS relevé, cette défiance enseignante, savamment et méthodiquement alimentée par les néo-conservateurs passeistes, a atteint un pic au moment où le collège commençait à devenir unique pour ne l'être déjà plus puisque l'âge minimum d'entrée en apprentissage a été abaissé à 14 ans depuis février 2006. Le désarroi enseignant est donc bien plus vécu face aux réalités quotidiennes que face aux désillusions engendrées par les conséquences à long terme du collège unique, lesquelles n'ont d' ailleurs jamais été évaluées sérieusement.

Pour comprendre ce désarroi, il convient de rappeler certains éléments. La France et le Luxembourg sont les deux seuls pays d'Europe à recruter leurs enseignants du secondaire sur concours AVANT qu'ils n'aient reçu une formation pédagogique. D'où sans doute les difficultés à gérer ensuite des classes hétérogènes, difficultés multipliées par le fait que rien dans le passé de ces mêmes enseignants ne les a préparés à relever ce défi pédagogique. Ils ne sont de toute manière pas recrutés pour leurs qualités en la matière.

Rien de tel en Europe du Nord ni au Royaume Uni où le recrutement est placé chaque année sous la responsabilité des autorités éducatives locales en fonction des besoins de chaque école particulière. L' expérience professionnelle spécifique prime sur la formation initiale générale. Rien de tel non plus au sud de l'Europe où les postulants sont recrutés sur concours APRES que ceux-ci aient reçu une formation pédagogique. En France, et c'est un cas unique sur le Vieux Continent, les enseignants sont recrutés car étant avant tout de bons élèves dans leur discipline. Ce modèle était très bien adapté au système sélectif de l' immédiat après-guerre. Il ne l' est plus du tout au collège unique. Il crée même un déphasage complet entre l' apprentissage et la pratique, ce qu' avait semble-t-il bien senti Luc Ferry qui déclarait en 2003 : « Il est nécessaire de revoir l'organisation des concours de recrutement des professeurs du second degré et de s' assurer que les futurs enseignants reçoivent la formation adaptée à leur futur métier et ne se font pas de celui-ci une représentation inexacte, source de déception et de frustration ». Voeu sans suite...

Comment s'étonner alors qu'un grand nombre d'enseignants soit réceptif à l'idée selon laquelle tout le monde ne peut pas assimiler le même enseignement secondaire? Comment demander aux «meilleurs élèves» d' une génération de transmettre ce qu'ils savent à l'ensemble de la génération suivante, « mauvais » et moyens compris? Il faut bien comprendre et faire comprendre qu' il n'y aura jamais que quelques « meilleurs élèves » par génération, toujours. Comprendre et faire comprendre que l'excellence pour chacun est un devoir enseignant, mais que parvenir à l'excellence restera toujours le fait de quelques-uns.

Les autorités politiques françaises, de droite comme de gauche, peinent à surmonter ces contradictions. Pourtant, l' expansion scolaire par le biais du collège unique a été une réussite en se traduisant par une amélioration incontestable des destins sociaux sur le long terme. Beaucoup, sans ce volontarisme, se trouveraient aujourd' hui sur le marché du travail sans aucune qualification secondaire. Le surcroît de formation dont ont bénéficié les enfants de milieux modestes au fil des générations d' après-guerre s'est traduit par une amélioration très sensible de leur situation salariale à l'âge adulte. Malgré ces incontestables avancées, la France peine à franchir une nouvelle étape dans le processus de la démocratisation.

Les Etats-Unis, le Canada, les pays nords européens n' ont jamais eu de système de sélection des élèves les plus faibles vers des filières de relégation (contrairement à l'idée copieusement répandue, jamais contestée par les médias et donc acceptée par le plus grand nombre). Les politiques de « collège unique » n'y ont donc pas d'équivalent immédiatement comparable. Au contraire, ces pays ont mené de vigoureuses politiques d'allongement de la durée obligatoire de scolarisation (15% des Etats américains ont aujourd'hui un age de fin de scolarité obligatoire de 18 ans). Grace aux travaux de Philippe Oeropoulos, on sait que ces politiques ont eu des conséquences, à moyen et long terme, très positives sur le salaire et la santé des interessés.

La France serait donc bien avisée de retrouver une vision plus optimiste et volontariste de l'avenir de son école, dont le collège unique fait partie. Un collège unique non pas ancré dans une mythique « égalité des chances », mais dans la réalité d'une «école pour tous», gérée de plus en plus par un Ministère décentralisé laissant aux Régions le soin de gérer ses personnels éducatifs tout en maintenant évidemment le caractère national des diplômes... Une réflexion inspirée du livre d'Eric Maurin, La Nouvelle Question Scolaire, Seuil Paris 2007

PS : Et je dirais que plutôt qu'une "Ecole pour tous", si nous parlions d'une "Ecole pour chacun"?... Ce qui ne fait pas appel aux mêmes réflexes décisionnels... Il faudra bien ça pour sauver notre Princesse de Clèves...


Le 26 novembre 2008 : Je voulais qu'Elise m'emmène avec elle...

J'aime fouiller les greniers. J'ai retrouvé un vieux manuel de français, de Chevaillier, Audiat et Aumeunier, intitulé Les nouveaux textes français, publié chez Hachette en... 1948 et destiné aux classes de troisième. Mon père, sans doute, l'a-t-il utilisé comme le démontre le tampon en page trois, surmonté de sa signature fine à l'encre bleue.

Sous chaque texte sont posées des questions. Neuf fois sur dix, celles-ci sont identiques par leur formulation : Pourquoi ? Comment ? Quel jugement portez-vous ? Comment jugez-vous ? Quelles impressions.... ? Retrouvez les trois parties du texte et donnez-leur un titre... Expliquez l'émotion du héros... Montrez que... Relevez... Quel souci transparaît dans les vers 11 et 12 de ce texte de Boileau ? Quel trait de caractère ?... Partagez-vous l'opinion de l'auteur ?...(En l'occurrence, Mallarmé... Rien que ça !) Quels sentiments éprouvez-vous à la lecture de ?... Et quels que soient les textes, qu'ils soient proses ou vers, qu'ils soient courts ou longs, qu'ils soient chansons de geste ou théâtre, littérature épistolaire ou philosophie, du moyen âge à Jules Renard, les mêmes questions, toujours...

Alors j'imagine, penchés sur le livre, les élèves de 1950 torturés par l'envie d'en finir avec l'explication de texte qui n'explique rien pour rejoindre au plus vite qui sa Caroline, qui sa Sophie, dans la cour où règnent des platanes centenaires, aux troncs gravés de mots d'amour naïfs et frais, des mots d'amour qui ne s'embarrassent ni de « pourquoi » ni de « comment »... mais qui s'embrassent en cachette, en mots doux murmurés, maladroits, innocents et si interdits pourtant...

Et puis me voila face à un de mes compagnons de route lorsque j'étais en quatrième : le Lagarde et Michard, édition 1969, année érotique d'après Gainsbourg... Il est une chose certaine : le Lagarde et Michard 1969 n'avait rien, mais vraiment rien, d'érotique !... Quoi que... Feuilletant l'ouvrage d'un doigt distrait, il me revint en mémoire que les illustrations nombreuses faisaient rêver l'adolescent... Ah le sourire de Micheline Boudet page 257, dans Le Bourgeois Gentilhomme ! Mais que dire alors du décolleté de la même, page 273, dans Le Malade Imaginaire, au coté d'un Jean Piat qui ne sait où donner de la prunelle !

Prunelle que je pris le temps de jeter au bas des textes. Et là, je ne pus que constater la répétition des questions, les mêmes qu'en 1948 dans le Chevaillier, Audiat et Aumeunier... Pourquoi ?... Comment ?... Quel sentiment ?... Relevez... (Dieu que j'ai pu « relever » !) Distinguez les trois parties du récit... (Parfois une variante, quelle audace ! « Indiquez les grandes parties du récit...». Et nous passions des heures à découper de beaux textes en morceaux... Jamais on ne m'a dit à quoi cela servait...).

Par hasard, je tombe sur un « morceau choisi » - on raffolait à l'époque des « morceaux choisis » - de L'Avare. Question 6 en fin de texte, page 219 : « Quelle doit être, à votre avis, l'attitude d'Elise ? »

Mais je ne voulais pas donner mon avis sur l'attitude d'Elise, moi ! Je voulais qu'Elise m'emmène avec elle, qu'elle ait l'attitude de son choix, qu'elle me parle, m'aime, m'embrasse ou me gronde, bref qu'elle vive sa vie ! J'aurais adoré écrire à Elise... Pourquoi diable Lagarde et Michard, que je ne connaissais pas, voulaient-ils à tout prix me faire dire des choses que je ne voulais pas dire ? Elise, je la voulais libre ! Libre d'être ce que le texte nous donnait à lire et non ce qu'on nous imposait à penser d'elle...


Le 8 novembre 2008 : Une crise des idées ?

"La France, ce vieux pays", comme l'a très joliment dit Dominique de Villepin dans un discours remarquable prononcé à la tribune de l'ONU, est considéré à l'étranger comme un pourvoyeur d'idées nouvelles, iconoclastes. Pourtant cette capacité d'invention me semble en danger. Les temps que nous vivons sont ceux de la toute puissance de la norme. Il faut nous conformer aux pensées dominantes et, même, nous conformer, parfois d'un jour sur l'autre, à des idées contradictoires. Hier, le libéralisme était incontournable. Rien ne pouvait ébranler le dogme. C'était la "bonne nouvelle" annoncée par les messies de Wall street et les médias souvent complices, anesthésiés par une paresseuse envie de ne pas "penser plus loin"... Aujourd'hui, ces mêmes commentateurs ne trouvent pas de mots assez forts pour fustiger ce qu'ils ont exigé qu'on adore en idole païenne. L'Etat redevient Providence...

La France de 2008 a perdu, à quelques exceptions près, l'envie de se révolter. J'entends par "révolte" cette capacité non violente à ne pas se plier aux diktats en vigueur, aux discours relayés au quotidien, à la domination d'une pensée unique qui se targue de détenir la vérité. Pire même, de la fabriquer ! La Révolte n'est pas seulement le désir de détruire, de briser l'existant sous le seul prétexte qu'il ne correspond pas à un idéal personnel ou collectif. Elle est la permanente et nécessaire capacité des hommes à réfléchir avec distance en observant le réel, en le faisant apparaître tel qu'il est et non tel qu'on veut nous le montrer. Car le réel, paradoxalement, se cache souvent sous l'illusion entretenue par quelques maîtres en matière de manipulation. Le risque est grand de transformer facilement le citoyen libre en marionnette attachée. La révolte, c'est couper les fils qui nous relient invisiblement à ceux dont le pouvoir légitime exigerait pourtant qu'ile en usâssent avec discernement. La révolte c'est retrouver la liberté d'invention... La volonté de dire : "Je propose autre chose".

Comme disait Bernanos - et Jean Claude Guillebaud le cite avec justesse dans sa chronique toujours remarquable du Nouvel Obs TV, page 66 : "Le mensonge a changé de répertoire".

Pourtant ma Princesse de Clèves a encore quelques raisons d'espérer. Le monde enseignant, en particulier, continue d'explorer des chemins remarquables de créativité. De très nombreus collègues, chaque jour, sont à la pointe de la "révolte". Ils défrichent, innovent, se battent seuls ou en collectif. Hélas, là aussi, je crois que l'envie est grande de normer, de lisser. A l'inventivité, on oppose la peur. Ce pouvoir a peur ! Triste est celui qui craint d'être mis en question... La mise en question, pourtant, devrait être la permanente activité des hommes. La révolte, sa permanente préoccupation...

Un joli film sort dans les salles cette semaine : Les Bureaux de Dieu. Il y est question de jeunes femmes, de contraception, d'amour et de vie, de mort, d'angoisses et de rires. Claire Simon, très lucidement, sans voyeurisme, nous décrit par la bouche d'actrices non professionnelles disant des paroles toutes autenthiques enregistrées au planning familial, des jeunes filles prises au piège de l'amour mais qui se relèvent parce qu'elles se révoltent. Mais déja quelques organisations "bien-pensantes" accusent cette oeuvre de promouvoir l'avortement...

La fatalité... Voila l'ennemie. Avec l'ignorance et la résignation, elles forment le tryptique d'une France endormie... Jusqu'à quand?


Le 25 octobre 2008 : Deux ou trois choses à la volée...

Parfois l'information dépasse nos capacités mentales d'enregistrement. En ce moment, c'est le cas. Le Président de la République fait feu de tout bois. Pour lui, la crise financière, même s'il ne l'a pas provoquée, le ravit, comble son ego. Il est partout. Même là où personne ne l'attend. A tel point qu'on n'arrive plus à le suivre, à l'écouter. Car l'excès d'informations, d'annonces est le meilleur ennemi de l'efficacité. Et, pour le moment, sans que cela me fasse le moindre plaisir car je pense à celles et ceux qui en souffrent, la crise creuse son sillon, creuse la tombe des espérances placées bien maladroitement, bien aveuglément dans le libéralisme fou.

Notre Ministre de l'Education Nationale, moins hyperactif heureusement, n'en est pas moins au diapason. On réforme, on tranche dans le vif, on affirme, on dénonce, on provoque et, parfois, on frôle l'overdose. Mais ce ne serait pas si grave si, en même temps, on ne mettait en avant, on ne faisait une promotion éhontée des pires représentants d'une "pédagogie" (les guillemets s'imposent !) dont l'objet n'est que de briser LA Pédagogie (la majuscule s'impose !), les Pédagogues en général, les vrais ! Décorer Marc Le Bris est un geste symbolique qui ne trompe personne. Le message est reçu...

La lecture de la lettre, admirable, de Guy Mocquet est passée inaperçue. Et c'est un comble ! Car en effet, l'objectif présidentiel, il y a un an, n'était-il pas de mettre cette lettre et ce qui l'entoure en lumière ? N'était-il pas de faire de cette lettre un moment de réflexion ? On ne peut pas dire la volonté de l'Elysée ait été couronnée de succès. Non pas à cause de la levée de boucliers, légitime, qui avait suivi l'annonce - une de plus - de notre Président, mais à cause de la précipitation permanente qui n'est en aucun cas la marque d'un Homme d'Etat. Vouloir ne suffit pas... Il faut - Pédagogie oblige - faire oeuvre de patience, user d'explications, montrer l'exemple, donner à réfléchir, laisser du temps au temps. Tout ce que ne veut pas faire le Chef de l'Etat.

Une grêve chasse l'autre. Le 20 novembre, nous arrêterons de travailler pendant une journée ; nous défilerons réclamant des postes et des moyens. Oui, mille fois oui ! Des postes et des moyens ! Mais, de grâce, n'en restons pas là ! Le temps est venu de mettre en avant une autre demande, d'autres mots d'ordre ! Car enseigner avec plus de moyens, plus d'enseignants pour les mêmes résultats, les mêmes conditions de travail, les mêmes méthodes, à quoi bon ? Demandons l'impossible... Des collèges Clisthène, par exemple et entre autres...

En 1981, François Mitterrand libérait les ondes. Les radios devenaient libres. Comme ce temps paraît lointain. De l'insolence des années 80, nous sommes aujourd'hui les témoins et, parfois les acteurs, d'un déferlement de poncifs, de vulgarités, de temps perdu à écouter, à commenter. Car toutes les radios usent et abusent d'interactivité. L'auditeur est sollicité, donne son avis, et se berce de l'illusion qu'il joue un rôle quand il n'est qu'un jouet. L'insolence est devenue tristement loghorrée verbale. La démocratie participative aura bien besoin, elle aussi, de pédagogues pour en faire l'usage indispensable qu'il nous faut.

Mes élèves de cinquième, alors que j'avais prévu une leçon traitant des discriminations, à partir de quelques textes et images, après quelques instants d'observation ont provoqué l'un de ces moments rares qui font espérer en l'avenir et donne corps à nos convictions pédagogiques. Alors que je maitrisais les questions et réponses, que j'indiquais telle ou telle piste, que je faisais scrupuleusement recopier le déroulé du cours, de la problématique à sa résolution, bref alors que je faisais mon métier, mes élèves se sont peu à peu emparés du cours... Ils s'interrogeaient, s'écoutaient, se contredisaient sans agressivité, débattaient. Je n'avais plus qu'à écouter moi aussi. Alors toute ma préparation en a été chamboulée. Et pendant un quart d'heure de grâce, j'ai vu et entendu des enfants respectueux construire le cours à leur manière, autrement que ce que j'avais prévu. Pourtant, l'objectif fut atteint, la problématique résolue. Un très beau moment...

Je terminerai ces quelques petites choses par ce qui illustre notre époque. En cliquant, comme on dit, sur le site "amazon.fr", rubrique "Rentrée littéraire", je suis tombé, presqu'au sens propre, sur les meilleures ventes qui annoncent les deux livrets "vaudou" accompagnant deux poupées à l'effigie des finalistes de la dernière présidentielle. Drôle d'époque qui raille Le Clézio dans un article du Monde ("Jean-Marie Le Clézio ou le Nobel immérité", par Frédéric-Yves Jeannet, 18 octobre) et qui fait de deux poupées des stars. Le superficiel et le ridicule, l'ironie et l'injure sont la "culture" du XXIème siècle.

"Sauver la Princesse de Clèves" s'avère une tâche bien difficile... Mes élèves de cinquième, qui sait, s'y emploieront...


Le 12 octobre 2008 : Pourquoi l'homme a-t-il trahi le monde ?

"Je veux écrire pour une autre parole, qui ne maudisse pas, qui n'exècre pas, qui ne vicie pas, qui ne propage pas de maladie. Quand le monde, à l'aube, est tendu, transparent et pur comme un gemme, air clair, mer bleue, rochers étincelants, ciel immense, horizon où les vagues sont visibles; quand le monde, à midi, est parcouru de terrible victorieuse lumière, et que les arbres sont incendiés, et que l'asphalte mou reçoit les marques de pneu des voitures; quand le monde glisse dans le crépuscule du soir lentement, s'apaise parmi ombres et fumées; quand le monde est dans la nuit noire, froide et dense, et que rutilent les milliers d'étoiles, quelquefois une seule lune... Comment alors peut-on désirer autre chose, comment peut-on dire autre chose ? Pourquoi l'homme a-t-il trahi le monde ?" J.-M. G. Le Cézio, L'inconnu de la terre, Gallimard, 1978

Tous les lauriers vont désormais s'abattre sur Jean-Marie Gustave Le Clézio. Ils sont mérités. Qui suis-je d'ailleurs pour ôser accorder cette appréciation ? J'ai découvert Le Clézio il y a fort longtemps, formule facile quand on a oublié le jour où, au détour d'un rayon de librairie, mais peut-être était-ce chez un ami qui avait laissé ouvert L'inconnu de la terre sur la table basse du salon, feuilletant au hasard, une phrase, puis dix, puis cent vous emportent et ne vous lachent plus. Ecrire c'est faire en sorte de saisir son lecteur, où qu'il soit, dans quelque état qu'il soit, pour ne plus s'en séparer. Il devient l'ami qui lit... Nous partageons les mots de l'ami qui écrit... En lisant, en écrivant, nous sommes les mêmes. Avec Le Clézio, j'avais et j'ai toujours cette certitude de pouvoir écrire comme lui... Incroyable, impossible mais si agréable vanité que seuls les grands, très grands auteurs peuvent offrir.

La presse unanime, les radios, les chaînes de télévision ont soudain été prises d'une frénésie assez insupportable : faire semblant de donner toute sa place à la littérature, cette télévision qui la massacre chaque jour et qui s'offre le pardon en éditoriaux ennamourés, en exégèses savantes, en interviews déférentes. Qu'on n'espère pas trop néanmoins : une fois Le Clézio "rangé", les impératifs de nos gestionnaires reprendront, reprennent déja, leurs droits et l'Homme - une partie en tout cas - peut alors poursuivre en toute impunité ses trahisons du monde... Polluer la planête ne lui suffit pas cher Jean-Marie, il pollue aussi les esprits dont vous essayez, avec une discrétion qui doit, en ces jours de gloire, être très inquiète, de sauvegarder la santé... Je m'aperçois que j'écris en maudissant ceux-là qui abiment et mettent en danger les générations futures. Ils mettent même en danger le présent désormais. Tout va tellement vite que l'immédiateté a un sens qu'il n'avait pas jadis... Quand on tue en 2008, on le fait dans l'instant... Il faut tuer vite pour pouvoir en tuer beaucoup....

Je souriais ce matin en constatant qu'Amélie Nothomb était en tête des ventes... Il y a les Prix Nobel et les têtes de gondoles... Chacun à sa place...

Les bourses partout s'effondrent, nous dit-on. J'avoue ne pas tout comprendre à ces chiffres en dizaines de zéros. En revanche je sais déja qui paiera : nos enfants et tous les pauvres de la terre, tous ceux que l'Homme a trahis... Et il continue de le faire... L'ironie va même plus loin encore puisque nos dirigeants vont ces jours-ci jusqu'à se battre pour sauver, sans le changer beaucoup, un système qui nous a menés au bord du gouffre ! C'est décidément une habitude de nos ministres que de vouloir à tout prix recopier fidèlement les erreurs du passé... Ce faisant, ils sont traîtres à leur mission...

Pourquoi l'homme a-t-il trahi le monde? C'est la seule question qui vaille d'être posée. Ma réponse serait la suivante : parce que l'ingratitude a partout été élevée en principe, celui des égoïsmes. Même chez ceux qui n'ont à la bouche que le mot "justice sociale" et qui sont mes camarades de combat, on est allé jusqu'à railler Ségolène Royal, qui a osé, l'outrecuidante, faire crier le mot Fraternité... Dans Libération de ce matin, en dernière page, un portrait est consacré à Bernie Bonvoisin, chanteur mythique des années 80. La seule phrase mise en exergue par le quotidien est la suivante, en rouge : "J'imagine la tête de Bernie quand il a vu Royal en Jeanne d'Arc à bouclettes" (Antoine de Caunes)

La trahison du monde commence par la trahison de soi-même ! Et la gauche se trahit quand elle s'abaisse à ce point de bêtise assumée, d'ironie récurrente. On a le droit de ne pas aimer... On a le devoir de critiquer, de s'opposer... On n'a pas le droit de s'acharner et de s'enfermer dans la certitude de sa propre haine.

Merci Jean-Marie Gustave Le Clézio (son nom est à lui seul une phrase...) d'avoir su rester toujours à l'écart des haines et surtout, restez-en toujours le plus éloigné possible... A l'heure où tout s'effondre, l'argent, toutes les fraternités, restez debout Monsieur...

La princesse de Clèves vous en sera reconnaissante...


Le 25 septembre 2008 : En parler ou pas?

Aujourd'hui sort en salles, après son triomphe cannois, le film de Laurent Cantet intitulé Entre les Murs. J'ai hésité. Dois-je être un de plus à en parler ? Dois-je donner à mon tour mon avis ? Dois-je attendre demain pour livrer ma critique ? La réponse est là : je n'en dirai rien. Non pas que je ne le souhaite pas, mais des kilomètres de commentaires ont déja été entendus et lus. Ici même, Philippe Meirieu en a dit tout le bien qu'il en pensait, toute la distance aussi qu'il prenait devant une oeuvre d'art, surtout et seulement une oeuvre d'art. Mon propos n'ajouterait rien. Il comblerait seulement mon plaisir égoïste d'exister sur la Toile. Inutile et ennuyeux...

Inutile et ennuyeux comme le sont devenus tous ces plateaux de télévision, ces studios de stations de radios qui organisent tous les jours, y compris les fins de semaine, des débats traitant les sujets d'actualité. Les propos qui y sont tenus, quels que soient le thème proposé, font entendre leur petite musique orchestrée par les mêmes, pour les mêmes et avec les mêmes "musiciens". La télévision et la radio sont devenues des donneuses de leçons d'un dogmatisme affligeant. Partout vous entendrez les mêmes vérités assénées : "La gauche est morte"; "L'idéologie n'existe plus" ; "La mondialisation est un mal inévitable" ; "Le niveau baisse" (ça, c'est déja TRES ancien!) ; "Il n'y a plus de culture française"... Tout cela passe en boucle, sautant de TF1 à BFM TV en passant par France 2/3, La 5, LCI, CANAL + et j'en oublie. Mais il y a plus pernicieux...

Observez par exemple quels sont ces commentateurs, responsables de rubriques, experts invités, éditorialistes d'un jour - mais d'un jour qui se répête - et autres journalistes qui passent plus de temps dans les salles de maquillage que dans celles de leur rédaction. Ce sont toujours les mêmes ! Qui n'a pas vu Christophe Barbier, au demeurant excellent journaliste à L'Express, belle plume ? Qui n'a pas entendu Raphaelle Bacqué ou Ariane Chemin, journalistes talentueuses au Monde et récurrentes invitées dès qu'il faut donner un avis éclairé sur... à peu près tout. Qui n'a pas souffert devant Alain Finkielkraut, brillantissime philosophe, médiatique au possible, défendant "sa" culture, "son" école, "ses" idées sans accepter un seul instant qu'il pût en exister d'autres ? Tous ces experts en tout et en n'importe quoi servent docilement, servilement la soupe aux stratèges de l'intoxication et du dogmatisme les plus médiocres. Quant aux téléspectateurs - oui, car il y en a quand même - ils sont noyés dans l'idéologie, mais une idéologie pernicieuse au point qu'on en nous dit qu'elle est morte quand elle n'a jamais été aussi vivante, dangereuse, envahissante et totalitaire !

Ah pauvre Princesse de Clèves!... Toi qui as échappé au ridicule de l'ironie permanente qui fait l'air du temps... Tu étais si belle, si rayonnante, si joliment boudeuse dans le film de Christophe Honoré, La Belle Personne, si précieuse en ce XXIème siècle débutant... Même Bégaudeau s'y met ! François Bégaudeau... Vous ne pouvez pas l'avoir manqué... C'est l'acteur principal d'Entre les murs... Lui aussi "fait dans la télé"... Chez Ardisson où le superficiel le dispute à l'ennui... Bégaudeau qui vient de publier un Antimanuel consacré à la littérature, chez Bréal, de 336 pages. Il faut dire qu'il a le temps maintenant l'ex-collègue... Dans son glossaire il a ce mot : "Ironie : j'ai acheté le dernier album de Cali".

Méfie-toi, collègue... L'ironie permanente est aussi une idéologie et tu t'y enfermeras avant ceux que tu penses atteindre... Préfère, et de très près, les "belles personnes".


Le 13 septembre 2008 : La trilogie ennuyeuse...

Lorsque j'ai commencé à réfléchir au premier billet qui ouvrirait la série de ceux qui vont suivre, j'ai immédiatement pensé à parler d'école. C'était l'évidence... Il ne pourrait en être autrement. Professeur, passionné d'éducation et de pédagogie, amoureux des livres et des textes, transporté par les sourires ou les larmes des enfants, attendri par un paysage, catastrophé de constater les ravages de la bêtise télévisée, je devais parler d'école, d'élèves, d'enseignants, de pédagogie, du métier, du plus beau métier du monde, celui qui comble l'immensité entre les générations, celui qui fait de nous des "passeurs", des amants du langage, des amoureux des savoirs, de tous les savoirs qui appartiennent à tous sans exclusive et qu'il nous est impératif de donner en partage. Qui fait de nous des découvreurs de terres vierges, "Christophe Colomb" abordant les Amériques de la littérature et des sciences, non pour les asséner magistralement à un public passif, résigné, esclave de son ennui mais pour les délivrer à des élèves heureux...

Je devais parler d'école quand, il y a quelques jours, je tombai sur quelques articles consacrés à une autre rentrée : la rentrée littéraire... Pas de cloches qui sonnent, pas de cahiers neufs, pas de cris dans les cours, pas de mains qui se lèvent... Non, juste la mise en lumière de trois grâces ! Car on parle beaucoup, et beaucoup trop, de nos trois grâces : Catherine Millet, Christine Angot et Amélie Nothomb... Accordons à Catherine Millet le mérite d'avoir écrit un beau livre traitant la jalousie : Jour de souffrance (Flammarion, Paris, 2008). En revanche, il y a Amélie Nothomb ou pire, Christine Angot narrant par le menu ses amours avec Doc Gynéco !... Pourquoi la critique littéraire met-elle en avant des auteurs à la mode, même quand les livres sont mauvais ? Car les deux derniers sont mauvais ! Mais ils sont à la mode, dans l'air du temps... Quel triste temps ! Laissez donc ces stars surfaites de coté... Et lisez, si vous aimez les ailes féminines, Nina Bouraoui. Son dernier ouvrage est un régal des sens et de l'esprit, l'un et l'autre intimes : Appelez-moi par mon prénom (Stock, Paris, 2008). Quelques lignes : « Dans la rue mon regard couvrait les hommes et les femmes. J'imaginais le nombre de rendez-vous manqués. L'amour dépendant du hasard en devenait fragile et irréel. Je me sentais appartenir au monde, à son coeur, à ses pulsations. La vie me semblait liquide. Tout coulait autour de moi comme la sève des arbres, comme la salive ou la sueur, comme les pluies d'orage, comme tout ce que j'imaginais de lui, son odeur et son souffle, sa force et sa douceur ».

Par comparaison, je ne résiste pas au « plaisir » de vous livrer quelques lignes de Christine Angot dans Le Marché des Amants (Seuil Paris, 2008). C'est Claire Devarrieux dans Libération qui dit avoir beaucoup aimé. Du second degré j'espère ! Même pas sans doute ! « J'essaierai de t'expliquer comme t'es difficile à vivre. Mais t'es une fille bien comme on dit chez nous » (Doc parlant de Christine). « Il dit voilà, voi-là en montant sur la dernière » (syllabe). Commentaire de la critique de Libération : « C'est l'un des charmes de l'écriture d'Angot : on entend tout ce qui se dit ». Pourquoi alors préciser, chère Christine : « ...en montant sur la dernière » ? Le silence, le vrai, a des charmes que vous semblez ne pas connaître... Et Claire Devarrieux de s'embraser enfin : "Quelle fille ne se reconnaîtra pas, à l'arrière du scooter, dans la phrase suivante : (c'est bien connu, les filles ne sont JAMAIS à l'avant des scooters - note de l'auteur du présent billet) : « Mes bras autour de Bruno, sur ses flancs bien doux, bien ronds, je me calais derrière lui, je glissais mes mains sous son blouson » ?... « Il était spontané, impulsif, dans l'instant, moi j'avais besoin de m'organiser » Et il y en a plus de 300 pages... quand même !

Je devais parler d'école... J'en ai parlé... L'école est dans le monde, et non à côté de lui. Il en est d'elle comme des livres... Elle est ouverte à nos curiosités ; elle se "lit" elle aussi, avec délectation, comme les phrases de Nina Bouraoui, l'école et ce qu'on imagine d'elle, "son odeur et son souffle, sa force et sa douceur"...