(cliquer ici pour aller directement au dernier épisode)
 


Dimanche 3 septembre 2006

Un collège va se raconter. Jour après jour, et à raison d’un épisode par semaine, vous retrouverez ici les petits malheurs et les grands bonheurs d’un établissement scolaire pendant toute une année scolaire. Je ne m’ interromprai que pendant les vacances.

Je vais donc témoigner de tout ce qui fait la vie de mon Établissement :
-         410 élèves en zone rurale,
-         très peu de "turn over" dans l' équipe pédagogique,
-         une Principale "hors norme" qui, hélas, fera valoir ses droits à la retraite en janvier,
-         un nouveau principal adjoint,
-         des collègues qui veulent travailler en équipe... mais d'autres avec lesquels il ne faut même pas en parler. Bref un collège presque "trop tranquille"... en apparence.
 
Un « feuilleton », en fait, dont les épisodes pourront varier en taille. Il se peut que certains "épisodes" soient courts. Il y a, vous le savez comme moi, des semaines plus "chaudes" que d' autres : les semaines de contrôles communs, les semaines de conseils de classes, les jours tant redoutés de visites des IPR-IA, les parfois bien longues soirées de réunions en tout genre et j' en passe !
 
Et puis vous retrouverez deux de mes élèves, parmi tous les autres :

- Une élève de 3ème, Stéphanie (tous les prénoms sont inventés, ainsi que le nom de l’ établissement) que je connais depuis trois ans et qui me suit par le plus grand des hasards. Un "cas" ! Placée en foyer depuis l'âge de neuf ans, une enfance dont je tairai les détails sordides bien entendu, et, pourtant, une élève brillantissime. Elle est capable de tenir une conversation argumentée sur la philosophie des Lumières ou sur Rimbaud dont elle raffole, d'une humeur toujours égale, dévouée, marraine d'élèves en difficulté, une gamine à la fois atypique et, en même temps, sur de bons rails. Vous aurez senti chez moi un petit faible pour cette élève. Je ferai en sorte de ne pas trop la privilégier dans le récit. Elle a aussi des défauts la chipie ! Infatigable bavarde !
 
- Un élève de 6ème :  Pierre. Il est en grandes difficultés, comme on dit…  Je ne le connais pas encore. Nous le découvrirons donc ensemble.
 
Il s’ agit là d’un TEMOIGNAGE. J’espère que vous vous retrouverez dans certaines situations. Il y aura de l'humour, parfois de l'ironie, parfois encore des colères, mais surtout,  beaucoup de passion et d'émotion sans jamais de méchancetés
 
Enfin, de temps à autre, je ferai intervenir ma compagne: 31 ans, 5 ans d' ancienneté, Directrice d'école et en charge d'un CM1/CM2  dans une minuscule école de campagne, un caractère fort et qui ne mâche pas ses mots. Le récit couvrira ainsi la fin du primaire (à petite dose), la 6ème, étape importante dans la vie scolaire d' un enfant, la 3ème d'une pré-adolescente et la vie d'un collège avec ses grands bonheurs et ses petits malheurs.
 
Il ne s’ agit en aucun cas :
 
-         d’une oeuvre littéraire. Vous pardonnerez, j’espère, les quelques imperfections.
-         d’un témoignage ayant valeur d’ exemple. Je ne veux surtout  pas être un donneur de leçons !
 
Je tiens à remercier très chaleureusement Philippe Meirieu qui a accepté ce projet ici sur son site. Sans lui, rien n’aurait été possible.
 
Tout commencera la semaine prochaine… avec Stéphanie, Pierre, mes collègues et moi même. Je m’appelle Frédéric et j’enseigne le français quelque part en Normandie…


Le 9 septembre 2006

Sous le soleil...

Pour la vingt-quatrième année consécutive, je retrouve, sous le soleil, « mon » Collège, « mes » élèves et « mes » collègues.   J'en suis heureux, comme toujours ! PEGC volontaire - j'ai refusé de passer les concours du CAPES et de l'agrégation - , j'enseigne le Français et l'Histoire-Géographie-Education Civique. Je suis un bivalent heureux ! Quel plaisir de passer une heure à faire aimer un poème de Supervielle pour engager tout de suite après l'étude de documents iconographiques sur la vie des paysans au XVIIème siècle ! C' est cette variété qui m'a incité à « rester » Professeur d'Enseignement Général des Collèges. Je ne l'ai jamais regretté. Mon père, ancien « Instit » puis Inspecteur de l'Education nationale, a tiré sa révérence il y a un an jour pour jour... Partir le jour de la rentrée, pour un IDEN... J'ai forcément une pensée pour lui qui aimait tant la p édagogie !

« Mon » collège... 410 élèves, en milieu rural, à l'écart d'un petit bourg qui vit tranquillement sa vie de petit bourg, seulement dérangé par le clapotement régulier d'une rivière et dominé par les ruines de son château où passa, dit la légende, Richard Coeur de Lion de retour des Croisades. Aujourd'hui, les ruines ont oublié le bon Richard et accueillent les élèves qui viennent y partager leurs secrets, leurs amours naissantes et, hélas, leurs cigarettes... Un collège tranquille, loin des débats médiatiques, loin des difficultés rencontrées par mes collègues, ailleurs, « à la ville », comme disent ici les gens. C' est à ces collègues là que j'ai pensé ce 4 septembre. Car j'ai conscience de ma chance, de mon privilège. Ici pas de violence, pas de racket, peu d' incivilités. Des élèves qui disent « Bonjour ! », sourire aux lèvres, qui s'investissent dans nos projets, qui frappent à la porte avant d'entrer dans une salle, qui se lèvent - eh oui ! - quand entre un adulte. Oh bien sûr, des élèves aussi qui bavardent, oublient leurs affaires, apprennent mal leurs leçons (ou ne les apprennent pas), rêvassent en regardant par la fenêtre et n'attendent que la sonnerie qui les libérera de l' emprise du « maître ». Des enfants de leur âge...

Parmi eux, il y a Stéphanie. Je l'ai retrouvée, toujours la même. Espiègle, vive, incorrigible pipelette, incroyablement douée pour tout ce qu'elle entreprend. Pourtant son « parcours » ne la prédisposait pas à une telle réussite. Placée très jeune, de foyer en famille d'accueil, elle rentre chaque soir sans retrouver ses parents, mais son « référent ».

« Monsieur Clément ! » (C'est moi). Le cri est parti du fond du hall, a traversé celui ci en bousculant ses camarades, a contourné la Principale et est venu percuter mes oreilles. La principale a souri en voyant débouler, c'est le mot, cette adolescente de troisième .

« On vous a en Français ! C' est trop bien ! »

Oui, « c'est trop bien !  »... C'est surtout pour ces sourires et ces enthousiasmes naïfs que je ne peux pas détester le métier. Pourtant, il y aurait de quoi parfois... Les réunions qui n' aboutissent à rien, ou si peu ; les conseils de classe où tout est joué d'avance ; la photocopieuse en panne ; les ordinateurs pas assez nombreux et qui « buggent » exactement le jour où vous en avez besoin ; la collègue mécontente parce que vous avez oublié de lui rendre le document qu' elle vous avait prêté ; les parents qu' on n' a pas le temps de rencontrer, sinon lors de la « grand messe » des réunions parents-profs ... Ah les réunions parents-profs ! De grands moments, nécessaires certes...  Mais j'en reparlerai le moment venu...

« C'est l'année du Brevet ! Ca va être beaucoup plus dur non ? »

Plus DIFFICILE Stéphanie ; ta tête est DURE ! Oui l'année du Brevet. Ils sont tous, en troisième, déjà conditionnés par ce Brevet. Je les comprends bien sûr. C'est le premier examen de leur vie. Je me dois de les faire réussir  ! Mais je ne veux pas qu' ils ne pensent qu'à ça, qu'à leur moyenne, qu' à leurs notes. Il faut qu'ils aient envie, qu'ils proposent, qu'ils débattent, qu'ils argumentent, qu' ils m'interrompent, qu'ils vivent et qu'ils aiment ! Pourquoi faut il que quelques rabat-joie se déclarant hautement « anti pédagogues » tentent de nous obliger à oublier cette dimension essentielle du métier ? J'avoue mon incompréhension et, parfois, ma révolte. Est ce nier la culture que d'aimer ses élèves ? Où est la contradiction ? Nulle part car aimer ses élèves, c'est déjà un pas vers un partage raisonné de la culture.

« Oh là là ! Je suis en retard en anglais ! A jeudi, 8h, Monsieur Clément ! »

Oui à jeudi 8h... Elle connaît déjà son emploi du temps par coeur...Pas moi ! Il va falloir que je m'y glisse doucement, que j'en adopte le rythme. Le hall s'est vidé, rendu au silence... J'ai une heure « de creux ». Contrairement à de nombreux collègues, j'aime ces heures de pause. Parfois, en tout début d'année, je profite de ces instants pour marcher, seul, dans les couloirs. Je goûte l'incomparable odeur de neuf, de renouveau, de début d'année scolaire.

Il est 14h. Un mardi de septembre, de rentrée... Il fait très beau !


Le 16 septembre 2006

La machine à café et le tic de Pierre…

Lorsqu’il fait beau en Normandie, c’est qu’il a plu ou qu’il va pleuvoir… Le temps est franchement mauvais, je sais que les élèves seront différents. Parqués sous le préau, à l’abri du déluge ou du crachin qui vous transperce, il s’énervent, se bousculent, s’insultent parfois. Et les débuts de séance sont tendues… De l’influence de la météo sur les cours de français en somme…

Quant à nous, les « profs », la machine a café nous sert de point d’ ancrage. Très important la machine à café ! Un haut-lieu stratégique où les confidences vont bon train, où les amitiés se nouent et se dénouent, où certains, à voix basse, complotent on ne sait quel « mauvais coup », où l’on commente la dernière perle d’un élève, où la pédagogie à très peu sa place. Et le temps s’écoule, rythmé par les sonneries successives.

« Oh non déjà ! ». « Bon, allez, on y va… On se voit à la cantine ? »… Plus rarement, il faut bien l’avouer : « Ah enfin ! ». C’est humain.

La cantine… Un endroit essentiel également de la vie d’un collège. On y est ensemble, réuni en « famille ». Et là, souvent, tout y passe ! Les élèves, la famille, la principale, l’émission télé de la veille, les petites médisances, les émerveillements, la politique. Cette année est électorale et le sanctuaire scolaire n’est pas fermé au message des candidats : l’autorité, la carte scolaire, les incivilités, la formation des enseignants… On refait le monde en mangeant. Une de mes collègues, très à droite - vraiment très, très à droite ! - ne met plus le bout de son tailleur parmi nous entre midi et 13 heures. Elle s’est mise à l’écart, d’elle même… J’ai toujours trouvé ces quarantaines, volontaires ou imposées , très excessives. Lorsque les esprits s’ échauffent, j’attends la sonnerie avec impatience… Je redécouvre des sixièmes. Je n’en avais plus depuis trois ou quatre ans.

Après les présentations d’usage (très rapides avec moi car je me refuse à demander des fiches individuelles ; j’apprendrai à les connaître sans ce moyen), l’explication du plan de la 1ère séquence : Lectures de fables ; types de textes (narratifs, descriptifs, argumentatifs) ; écriture de fables "à la manière de" ; lectures de fables à voix haute et récitations ; travail sur la ponctuation ; classe de mots et typologie des verbes ; types et formes de phrases, après tout cela donc, et en évitant soigneusement tout jargon que certains nous accusent d’ utiliser en 6ème, je termine ma séance en leur lisant à voix haute le chapitre 1 de Vendredi ou la vie sauvage de Tournier. Ce titre n’est pas au programme mais j’ai pris l’habitude, sans doute en lisant Pennac, de lire le plus souvent possible et à haute voix, des extraits d’œuvres parfois difficiles mais là n’est pas, à mes yeux et à leurs oreilles, l’important. Ma réussite est totale lorsque quelques jours plus tard, ayant fait exprès de ne plus lire, des mains se lèvent pour me demander :

« Monsieur, vous nous lisez un extrait ? » Je sais alors que j’ai gagné quelque chose, qu’ils ont gagné quelque chose… Dans quelques jours, ce sera à l’un d’entre eux de lire un passage qu’il aura choisi, comme ça, pour le plaisir de partager un moment de lecture. Et sans les noter. Ça sonne !

«Monsieur, j’ai quelque chose à vous dire… »

Je me retourne. Je dois baisser la tête pour voir, là, près de mon bureau, juste avant la récréation de 10 heures, un petit bonhomme blond, à lunettes lui dévorant le visage d’ une pâleur extrême.

« Oui, Pierre, je t’ écoute. Tu veux me parler seul ou devant tes camarades ?
- Seul Monsieur . »

En une fraction de secondes me reviennent en mémoire ces si nombreux élèves venus se confier à moi. J’ai eu droit à tout ! L’enfant frappé par ses parents, l’envie de suicide d’une gamine de treize ans, le désir de fugue d’ une autre et qui est passée à l’acte, l’aveu du premier rapport non protégé… « Qu’est ce que je dois faire Monsieur ? »… Et nous sommes démunis, peu ou pas préparés à ces drames, aux attitudes à adopter, aux réponses à donner. Dans ces cas là, il ne faut rien dire aux parents, rien à personne. « Vous promettez Monsieur ! ». Et nous mentons parfois ! Car notre devoir nous oblige à signaler ces cas extrêmes. « Je crois que je suis anorexique Monsieur ! ». Tout, j’ai tout entendu ! Je ne suis pas le seul.

« Voilà Monsieur, j’ai un tic. » Ah, ça c’est nouveau. « Je me mets à trembler et dans ces moments là, il faut dire mon prénom à haute voix et tout s’arrête. J’étais comme ça déjà l’an dernier au CM2 et même avant .
- D’accord Pierre. J’y ferai attention. Mais dis moi, tu es soigné ? Tu vois un médecin ou un spécialiste ?
- Non, parce qu’on m’a dit que ça servait à rien.
- Tu as prévenu ton professeur principal ?
- Oui, oui je préviens tous les professeurs.»

Je lui souris… « Allez, sauve toi en récréation ». Immédiatement, par réflexe, je cherche fébrilement parmi les feuilles d’un court exercice que les 6èmes viennent de me rendre. Celle de Pierre est, comment dire…lisible mais incompréhensible au premier coup d’ oeil. Les mots sont coupés en leur milieu ou attachés anarchiquement les uns aux autres ! La ponctuation est inexistante. Pourtant, en reconstruisant, les réponses sont justes, parfaitement justes !

Stéphanie, Pierre… Notre métier se situe là, entre ces deux extrêmes. Toute sa difficulté aussi. En descendant l’escalier, je croise la Principale, une femme à trois mois de la retraite et avec laquelle on peut discuter, débattre même. Elle a son caractère, parfois « ses têtes », mais j’ai connu bien pire !

« Vous êtes au courant du problème de Pierre en sixième ? Il a un tic dont il vient de me parler
- Ah non, du tout ! »

Je l’informe, me dirige vers le hall et sors pour aller fumer ma cigarette. Oui je sais, mauvais exemple, mauvaise habitude… Mais on ne me voit pas…

Il pleut toujours et le ciel est plombé…Tiens au fait, il va falloir que j’aille chercher les livrets d’évaluation de sixième …

Je remonte mon col.


Le 23 septembre 2006

Enseigner, c'est vivre !

Je suis tombé dans l'enseignement comme Obélix dans la potion de son druide bien aimé. Mon arrière-grand père, mon grand père et mon père étaient instituteurs, hussards noirs de la République. Seul mon père a souhaité un jour sortir du rang et devenir Inspecteur de l' Education Nationale. Je lui en ai, pendant un temps, terriblement voulu.

Partis en Algérie pendant les années de sang, de 1955 à 1960, mes parents m'ont fait naître dans cette  Algérie française qui n'était française que par la volonté des colons puis de l'armée. Je n'ai aucun souvenir de mon pays natal, l'ayant quitté à l'âge de trois ans pour le Maroc où sont restés mes plus beaux souvenirs. Jusqu'au jour où mon père, triomphant, nous a annoncé, à ma mère et à moi, qu'il avait décroché le concours d' Inspecteur. J'avais seize ans et ce succès signifiait le retour en France. Un monde s' écroulait ! J'ai compris, plus tard, qu'on n'est pas du pays de sa nationalité, mais du pays où l'on a son passé, ses amis d'enfance et ses premières amours, du pays de son école et des ses maîtres. J'aime la France, bien entendu ! Mais mon coeur a laissé sa trace dans le sable des plages d'El Jadida et de Casablanca, à tout jamais.

Je vois encore mon père, assis à la table de la cuisine, corrigeant les copies pendant que je faisais mes devoirs. C'est tellement mieux d'avoir son père pour demander de l'aide et obtenir réponse. Nombre de mes élèves, en rentrant chez eux, n'ont pas cette chance. Je le regardais, du coin de l'oeil, appliqué à toujours expliquer telle erreur, en rouge, «la couleur du maître et des empereurs de Chine» disait il. Et la soirée s'écoulait, sans télévision. Les nouvelles de France n'étaient audibles, sur France Inter, qu'à partir de neuf heures du soir, et encore ! On écoutait le Pop club de José Arthur... Alors je dévorais les livres comme autant de délicieux loukoums. Il fut mon premier maître.

Ma mère ne travaillait pas, comme on dit bêtement pour une femme qui ne perçoit pas un salaire. Elle a travaillé à m'élever, dans le respect absolu du Maroc, dont j'ai appris la langue, dont j'ai apprécié les coutumes. Chez moi, le jeudi, les amis s'appelaient David, Khadija, Antonio et Jean-Pierre. Jamais nous ne faisions de différences entre juifs, musulmans et chrétiens. Certaines familles françaises nous le reprochaient. Il en aurait fallu bien plus pour impressionner mes parents. Cela me peine d'entendre aujourd'hui dans le pays de Voltaire toutes les intolérances, les soupçons savamment entretenus, les haines. Je ne comprends pas. Je ne peux pas comprendre. Mes amis avaient leurs confessions mais surtout un coeur, un regard et des mots qui me bercent encore. D'illusions ? Peut être...

C' est au Maroc que j'ai entendu pour la première fois le mot pédagogie. Je me souviens très bien des discussions animées le dimanche à la plage entre mon père et ses collègues. Ah Célestin Freinet ! C'est qu'ils en seraient presque venus aux mains, ces grands enfants ! Mais tout se terminait avec l'accent de là-bas dans des éclats de rire... Et du haut de mes dix ans, je me disais déjà que cela devait être un sacré métier si l'on en parlait même le dimanche à la plage. Et ce Freinet devait être quelqu'un d'importance. Peut être qu'il viendrait un jour dîner à la maison ! Plus tard j'entendrai aussi le nom de Philippe Meirieu. Mon père lui vouait une grande admiration.

« Papa, je veux être professeur plus tard. »

Je crois que si j'avais annoncé avoir découvert le trésor des Etrusques, il en aurait été moins fier !

« Mon fils, tu empruntes un chemin noble et difficile mais, écoute moi bien, mon fils-je, l'entends encore, si tu es professeur, il faudra, tu m'entends bien, il faudra que tu aimes avant toute chose, avant toi même, avant ta future femme, que tu aimes tes élèves ! Il n'y a pas d'enseignement sans amour ! Enseigner, c'est vivre et on ne vit pas sans amour ! Tu as compris mon fils ? »

Il avait raison mon père. Il est parti le 4 septembre 2005, le jour de la rentrée, sans prévenir. Le jour de la rentrée ! Il m'a fait ça, à moi ! Je suis certain qu'il l'a fait exprès pour que je pense à lui à chaque début d'année scolaire. Il aurait pu en faire moins le bougre !

Ma mère l'a suivi le 8 janvier 2006. Elle me laissait lire tard le soir. Ils sont restés près de moi pendant toutes mes années d'études. Ils sont près de moi chaque jour.

Je souhaite à tous les enfants de France de trouver leurs parents le soir en rentrant de l'école...

Il faut que je pense à photocopier l'acte I, scène 4 d' Andromaque pour mes troisièmes...

C'est curieux comme la tragédie prend toute son ampleur, toujours, au soleil !


30 septembre 2006

Réunion mardi à 17h !

Chaque professeur a un casier. Tout un monde administratif et privé dans une petite boite, le plus souvent marron, où s'entassent pêle mêle des copies, des brochures syndicales, des prospectus, un pain au chocolat, des marqueurs, un ou deux manuels, des photocopies - pas beaucoup avec moi, je préfère qu'ils écrivent -, des bulletins de salaire...L'inventaire d'un Prévert enseignant. Et, redoutées, les convocations aux réunions pédagogiques, "obligations de service, je vous le rappelle", tonne ces jours là notre Principale !

Assis au fond de la classe, je regarde mes élèves de troisième. Penchés sur leur copie, ils planchent par groupe de quatre sur la rédaction d'une scène, à la manière de Ionesco. La lecture de La Leçon les a emballés! Ce dialogue qui peu à peu se transforme, l'absurdité qui s'en dégage, qui porte même la pièce vers son aboutissement, le meurtre/viol, rituel final, et l'entassement des cartables de la dernière scène soulignant le dévoilement du premier serial-killer au théâtre. Ils ont découvert un autre théâtre.  

« Mais c'est complètement idiot Monsieur ! Ils disent n'importe quoi ! »

Stéphanie fut, évidemment, la première à donner son avis. Avec sa spontanéité habituelle. Et je lui ai, au début, donné volontairement raison.

« Oui, oui, c'est idiot. Continue Stéphanie, continue. Lis la suite... »

Je regarde mes élèves. Je les regarde souvent lorsqu'ils travaillent. Ils y mettent du coeur et de l'application. Toi Julien, toi Marie, toi Mehdi, où serez vous dans quelques années ? Que seront mes élèves devenus, que j'avais de si près tenus, et tant aimés... Il faudra que je leur fasse découvrir Rutebeuf   en leur faisant écouter la chanson de Joan Baez. Oh, ils vont me dire qu'ils préfèrent écouter NRJ. Je me perds un peu dans mes pensées... J' ai un peu de fièvre aujourd'hui. La grippe qui couve...

« Bonjour Monsieur, Madame la Principale m'a demandé de vous rappeler la réunion de ce soir... »

Je n'avais pas entendu la surveillante arriver. Ma porte de classe est toujours ouverte. Oui, la réunion...Il s'agit de quoi déjà ? Ah oui, faire le tour des élèves de troisièmes en difficultés. En difficultés...Mais ils ont tous leurs difficultés. Les meilleurs aussi.

« Monsieur, ça doit faire combien de lignes ? »

Cette question, nous l'entendons à chaque fois qu'ils doivent rédiger. Elle a le don de m'énerver un peu. Je leur ai dit pourtant : entre une page et une page et demie. L'important n'est pas seulement la longueur mais le contenu. Mon père m'avait prévenu : l'enseignement c'est l'art de la répétition...

Une heure de cours, une séance, c'est tout ça. Une multitude de petits moments qu'il faut maîtriser et rendre cohérents. Il n'y a pas de place pour le moindre relâchement. Mettre en place, fixer les objectifs, donner les outils, faire participer, interroger et faire s'interroger, faire réaliser, conseiller, ramasser les copies, corriger. Et puis les rendre. Je ne classe jamais les notes, je ne fais aucun commentaire à haute voix. Elève, j'ai subi les sarcasmes, et apprécié aussi les félicitations, des professeurs qui prenaient un malin plaisir à humilier. Je me souviens de réflexions particulièrement blessantes. Je ne peux pas pratiquer ainsi ! Je ne fais pas ce métier pour casser des élèves. C'est tellement plus facile d'abaisser un adolescent que de lui donner l'estime de soi. Comment certains peuvent ils encore se complaire dans une telle attitude ?

« On a fini Monsieur ! En fait, ce n'est pas si idiot que ça ce texte. Absurde, mais pas idiot... »

Eh oui, Stéphanie. Absurde, mais révélateur. On en reparlera.

Ils ont tous quasiment terminé. Le paquet de copies va rejoindre mon casier. Et ils me harcèleront, dès demain, pour connaître leurs notes. J'ai un gros défaut ! Je suis lent à la correction. Et la note, pour eux, c'est l'essentiel. Parfois je rends des travaux sans les évaluer. C'est tout juste si je me fais pas envoyer sur les roses ! Ils ne travaillent que pour la note !

La salle s'est vidée. Je dois rejoindre mes collègues, l'équipe pédagogique des troisièmes. J'abandonne Stéphanie, Ionesco et Rutebeuf. Je dois revenir sur terre.  

« Bien, nous commençons par les troisièmes 1. Qui est le professeur principal?»

Une réunion de plus... absurde aussi parfois...

J'ai de plus en plus de fièvre !


Samedi 7 octobre

Quand tout se bouscule...

Ça y est ! Pierre a fait sa première crise. Je l'ai vu blêmir puis ses mains se sont mises à trembler. Impressionnant ! J'ai alors, comme il me l'avait demandé, prononcé son prénom : «Pierre! »

Il a sursauté, m'a regardé, comme un enfant qu'on réveille brutalement. Il était de nouveau dans le monde. Il revenait à lui. Moi je n'en revenais pas du tout ! C' est un enfant vif, qui s'exprime fort bien à l'oral, qui intervient intelligemment, qui comprend et applique sans difficultés les consignes et qui lit très bien. Là où les choses se gâtent, c'est à l'écrit : Leperson nage quipar le dans letexteest l eheros . Voilà ce que je dois, et mes collègues avec moi, déchiffrer. Un bel exercice certes, mais il ne s'agit ni de dysorthographie, ni de dyslexie. C'est autre chose. A la fin de la séance, je fixe un rendez-vous aux parents. Il faut agir. Au moment où j'écris, je ne sais pas ce qu'il faut faire. Comment cet enfant a-t-il traversé toutes ses années de scolarité sans jamais perdre son merveilleux sourire ? Comment a-t-il fait pour ne pas se décourager ? Comment aucune trace de son problème n'apparaît dans son dossier scolaire ? N'est-il pas trop tard ? Que dois-je faire ? Que puis-je faire ? Et tout se bouscule dans ma tête.

L' Ecole ne remplirait-elle plus son office de contrôle, d'avertissement ? Les quatrièmes 2 attendent déjà dans le couloir. Je dois oublier Pierre pour passer à l'étude d'un extrait de L'Esprit des Lois du bon Marquis de la Brède, Monsieur de Montesquieu. L'esprit des Lumières est à leur programme. Ma collègue d'histoire m'a demandé de les faire travailler à ce sujet, ce que j'ai volontiers accepté. J'aime le travail en équipe et Montesquieu est un de mes auteurs favoris. Mais ce n'est pas lui qui va m'aider à régler le problème de Pierre !

Les quatrièmes lisent en silence le fameux texte où Montesquieu jette les bases de notre système de gouvernement en proposant la séparation des pouvoirs. Ils doivent le comparer à un article de notre constitution actuelle et surligner les ressemblances. J'aime particulièrement les aider à construire des ponts entre hier et aujourd'hui, leur faire prendre conscience que tout ce qui se passe autour d'eux est le résultat d'un long processus, que l'Histoire, même ancienne, a déterminé notre présent : «Monsieur, c'est quoi le pouvoir exécutif ? »

Et la discussion s'est naturellement installée, nous avons parlé du pouvoir, des pouvoirs, de l'élection à venir, de la puissance des médias, de philosophie. Peu à peu, chacun découvre qu'il est capable d'argumenter en écoutant l'autre. Et la transition est toute trouvée pour les séances à venir qui porteront sur le discours argumentatif. Ils viennent de le pratiquer. A moi maintenant de formaliser un peu tout ça. Je sens bien que cela les intéresse nettement moins.

« On va écrire Monsieur ? »

Si je les laissais faire, on passerait des heures à discuter. Nos élèves adorent communiquer, parler, donner leur avis. En quatrième , ils commencent à avoir un début d'esprit critique. Leur personnalité se forme. Ca part dans tous les sens parfois. Ceci dit, OUI on va écrire !

« Frédéric, tu fais encore partie du Conseil d'administration cette année ? »

Non, j'ai déjà donné deux années de suite. Il faut tourner. A vous les jeunes collègues d'apporter votre enthousiasme, votre esprit neuf.

« Vous avez rentré les résultats d'évaluation de sixième dans l'ordinateur ? » Oui, oui, c'est fait.

Pierre, les quatrièmes, le Conseil d'administration, les évaluations de sixième, bientôt les réunions parents-professeurs, le Conseil pédagogique  -une nouveauté -, Stéphanie qui me court après dans les couloirs : « Vous avez corrigé notre contrôle ? J'ai combien ? Allez, dites le moi ! Je suis sûre d'avoir raté ! »

Ils sont toujours certains d'avoir raté !   Non Stéphanie, tu n'as pas raté ! Mais tu auras ta copie en même temps que les autres. Il est 16 heures. Je suis fatigué. Tout s'est bousculé aujourd'hui. Il y a des journées comme ça, sans vrai fil conducteur. On se demande où est l'important. On a fait mille choses et on a la désagréable impression de les avoir toutes mal faites. Ce métier est fait d'immenses bonheurs et d'une multitude de frustrations.

« Dis Stéphanie, tu crois que j'ai raté moi aussi... »

Elle est déjà repartie...


Samedi 14 octobre

L'insurgé

Je suis d'un naturel emporté. Mes racines de pieds-noirs y sont pour quelque chose. C'est en tout cas l'excuse que je me trouve. Notre profession présente un caractère très paradoxal. Nous sommes maîtres après Dieu quand nous refermons la porte de la classe derrière nous. Notre liberté pédagogique est un droit essentiel Mais, dans le même temps, nous sommes en permanence évalués, comparés, soupesés, estimés, dénigrés et j'en passe. En ce 14 octobre 2006, un Inspecteur du premier degré est montré du doigt par le Ministre de l' Education Nationale, passible de sanction administrative pour avoir osé discuter la fameuse directive au sujet de l' apprentissage de la lecture en primaire : « Du B-A-BA et rien que du B-A-BA ! ». Comme si les difficultés, réelles, de certains de nos élèves n'avaient pour cause que la méthode globale, méthode au demeurant inexistante aujourd'hui puisque supplantée par celle dite mixte.

Je ne vais pas me lancer dans ce débat. D'autres le maîtrisent mieux que moi. En revanche, je suis scandalisé qu'en 2006, un ministre, quel qu'il soit, adopte l'attitude d'un père fouettard, d'un Directeur de Pensionnat de Chavagnes. Sommes nous donc si irresponsables au point de ne pas être conscients, nous qui sommes sur le terrain, des difficultés de nos élèves ? Au point de ne même pas être consultés pour tenter d'apporter des remèdes ? Au point d'être menacés de dénonciation par des collectifs tels que SOS Education ? Tout cela m'énerve au plus haut point ! Jusqu'à quand abusera-t-on de notre patience ? Quo usque tandem abutere patientia nostra comme disait le père Cicéron dans ses magnifiques Catilinaires ? Oui, jusqu'à quand ?

« Monsieur, c'est aujourd'hui qu'on apprend le fantastique ?»

Mes élèves de quatrième me rappellent aux douces réalités du jour. Heureusement ! Le genre fantastique est sans contestation celui qu'ils abordent avec le plus d'envie... un appétit d'ogre ! La lecture d'un extrait du Dracula de Bram Stoker les a fait vibrer et ils ont très rapidement fait la différence entre le fantastique et le merveilleux.

«Ca fait trop peur parfois !»

En effet, mais comment l'auteur y parvient-il ? Quels chemins tortueux et sombres utilise-t-il ? Le décor joue-t-il un rôle ? Je me suis régalé, et eux avec moi. Nous nous sommes amusés à nous faire peur en imaginant des situations fantastiques appliquées à la vie du collège. Et tous ont réussi à écrire de magnifiques situations initiales à la manière de Mérimée ou de Maupassant. Mais aucun des deux n'a détrôné le Comte Dracula !

Il n'y a pas de bonheur plus grand qu'une classe qui "tourne"  ! Moi qui adore les vieilles voitures, le bruit des cylindres, je compare souvent ces mécaniques de génie à l'enchaînement des découvertes qui amènent les élèves à comprendre et à aimer. Oh, je me plante aussi ! Les pistons ont parfois des ratés et la séance tourne au concert de grimaces. Mais cela permet de remettre de l'huile dans les rouages.

Stéphanie est triste en ce moment. Son amoureux, un troisième comme elle, l'a lâchement abandonnée pour une autre, une quatrième en plus !

« Tous les mêmes Monsieur ! Vous vous rendez compte, une gamine de quatrième ! J'ai trop honte ! »

Ils vivent très sincèrement ces premières amours. Et ils ne peuvent cacher ce qu'ils éprouvent. Cet age est celui des découvertes : le fantastique, le sentiment amoureux... Et l'amour parfois, Stéphanie, n'a rien de fantastique. Mais un jour, tu verras, il sera merveilleux...

« Avec tout ça, je vais rater mon brevet ! Vous verrez ! »

Je n'ai pas répondu. Elle aura son brevet. Et de doctes penseurs viendront nous reprocher de le brader, oubliant, niant, effaçant tout le travail d'une année, leur travail !

Je me sens un peu  comme Jules Vallès : Insurgé !

Vivement lundi !


Samedi 21 octobre

Ma directrice d'école

Ma compagne est une jeune directrice d'école de 31 ans, en responsabilité d'un CM2. Curieusement ou heureusement, nous parlons peu de notre métier. Mais quand on en parle, c'est passionnément.

L'école primaire est un monde que je connais peu, d'autant moins que je n'ai pas d'enfants. Que bien des enseignants de collège, et encore plus de lycée, connaissent peu. Combien de professeurs de collège ont lu les programmes de CM2 ? Quels professeurs de collège savent exactement ce qui se fait en primaire, comment on le fait, quels objectifs sont fixés, quels outils sont utilisés ? Très peu. Moi-même ne m'y suis intéressé que depuis ma rencontre avec ma compagne, il y a 13 ans. J'ai suivi sa formation, excellente, en IUFM, puis ses premiers pas. Et, la vie s'installant, j'ai repris mes mauvaises habitudes d'enfermement involontaire dans la bulle qui est la mienne : le collège.

Pourtant je suis convaincu, quand je l'écoute, et je l'écoute quand même très souvent, que nous aurions beaucoup à apprendre mutuellement en nous rencontrant davantage. Que nos élèves de CM2 et de sixièmes franchiraient ce délicat passage d'un « système » à l'autre plus aisément. Il me semble même que tout professeur d'école exerçant en CM2 et tout professeur de collège ayant la responsabilité de sixièmes devraient effectuer un stage, les uns en collège, les autres en école primaire. Les passerelles sont rompues depuis des années, comme elles le sont d'ailleurs entre la troisième et la seconde.

« J'ai l'impression qu'on n'exerce pas le même métier. », me dit elle souvent.

Je suis plus nuancé. En fait, nous exerçons le même métier, mais sans le savoir, sans partager, sans nous connaître. Quand je regarde ses préparations, les cahiers d'élèves, les manuels utilisés, quand je lis les circulaires qu'elle reçoit en tant que directrice, je suis tout à la fois étonné, épaté, scandalisé parfois. Bref, je m'aperçois que je ne sais rien de ce qu'ont fait mes élèves de sixième deux mois avant la rentrée ! Et je ne suis pas le seul.

On dit souvent que le collège est le maillon faible de l'Education nationale. C'est en partie vrai. En partie, car je pense que le maillon est non seulement faible mais aussi, et c'est encore plus grave, coupé du maillon précédent. Je suis toujours effaré de constater que de nombreux collègues ne demandent jamais (j'étais comme eux avant) à leurs élèves de sixième de leur apporter en septembre quelques uns des travaux qu'ils ont gardés avec eux à la maison. Je ne leur jette pas la pierre ! Cette ignorance est devenue la règle, elle s'est installée. J'y ai moi aussi participé.

Ma Directrice d'école constate aussi, il faut avoir le courage de le dire, qu'un certain mépris se fait jour entre les professeurs de collège et les professeurs d'école. Certains, comme Jean Paul Brighelli entre autres, leur dénient même ce titre de professeur sous le fallacieux prétexte que le mot instituteur serait plus convenable à leur fonction. Les mots sont porteurs de sens en français. Et cette attitude démontre à quel point nous ne pouvons plus parler d'Education nationale au féminin singulier mais au féminin pluriel. Il existe aujourd'hui des éducations nationales, cloisonnées, fermées aux autres, ignorantes entre elles. C'est dramatique et dangereux pour l'avenir !

J'ai annoncé à ma troisième que nous allions bientôt entamer toute une séquence fondée sur des textes poétiques. Tollé immédiat !

«Vous allez nous parler de quatrains et d'alexandrins ? L'horreur ! »

Pourquoi diable les dégoûte-t-on à ce point en les bombardant de techniques ? Pour les rassurer, je leur ai lu ceci :

Un hémisphère dans une chevelure

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

Charles Baudelaire, Petits Poèmes en Proses

«La vache, c'est beau ! Il était drôlement amoureux ! C' est de la poésie ça ?», demanda, circonspecte, Stéphanie.

Oui Stéphanie, c'est aussi de la poésie. C'est même toute absence d'utilisation de techniques qui fait que ce texte n'est que poésie. On en reparlera...

Et tout en lisant, mes pensées, innocentes , me ramenaient à la chevelure de ma directrice d'école...


4 novembre 2006

Les vacances ...

Ah ces vacances ! Les enseignants ont tout entendu à ce sujet. Nous sommes des privilégiés paraît-il. Je ne dirais pas cela. Les vacances sont un privilège, c'est incontestable. De là à nous ranger parmi les privilégiés...

J'ai rencontré, par hasard, Stéphanie en ville. Elle montait et remontait la rue principale. C'est l'activité quasiment unique des adolescents le samedi ou pendant leurs congés. Ils descendent des bourgs environnants et viennent respirer l'air marin, cet air que l'on sent avant même d' avoir aperçu la mer. Ils viennent aussi se montrer, attirer les regards...

« Oh Monsieur Clément ! Bonjour ! Vous profitez des vacances ? »

Oui je profite des derniers jours. Et toi Stéphanie, qu' as tu fait pendant cette Toussaint ? Elle n' a pas grand chose à me dire. Mes élèves sont des ruraux et le Pays de Caux n' offre pas beaucoup de distraction. Les villages sont éloignés les uns des autres. Les fermes isolées sont nombreuses. La vie, comme le climat, y est rude. Maupassant et Flaubert, nos célébrités, l'ont dit mieux que moi, ce Pays. Le horsain, celui qui n' est pas né ici, est encore regardé de travers. On soulève discrètement le rideau à carreaux pour observer l'étrange étranger. Et on laisse aboyer le chien longtemps dans la cour avant de répondre au coup de sonnette de l'importun. Forcément importun. Même s'il pleut...Surtout s'il pleut ! On dérange toujours dans le Pays de Caux. Mais on sait aussi être solidaire. Tradition de marins. Les hommes y ont les doigts épais et crevassés de ceux qui remuent la terre ou qui remontent les filets. Ils ont les yeux bleus et fatigués des agriculteurs endettés jusqu' à la gorge, des pêcheurs qui voient le port se vider de tous les bateaux, remplacés par ces cochons de plaisanciers , les parisiens comme ils les appellent. Quand on n'est pas d' ici, on est de Paris de toute façon !

Je les aime ces hommes là ! Les vacances, eux, ils en entendent parler.

Et leurs enfants ne veulent pas poursuivre l'activité du père. Trop dure ! En vongt-cinq ans de métier, mes principaux de collège ont souvent affiché une note qui annonçait la disparition d' un parent d' élève. Le suicide est fréquent en Pays de Caux. Mais l'enfant est là. La vie doit continuer, heureusement. Ils ont les ambitions de leurs parents, modestes. Même ceux qui sont doués ne veulent pas poursuivre des études trop longues. Il faut travailler, gagner un salaire, rapidement. Les filles veulent être coiffeuses, les garçons mécaniciens. Et on peut tout essayer, ils n'en démordent pas ! C' est qu'on est têtu en Normandie !

 « On commence la poésie alors, vous êtes sûr ? »

Oui Stéphanie, on commence la poésie. Tu verras, je vais te surprendre ! Il faut toujours les surprendre ! Chaque cours doit être un cadeau à leur faire. On n' y parvient pas à tout coup. Tout se joue dans les cinq premières minutes. Si vous parvenez à accrocher leur regard, leur attention et leur curiosité, alors c'est gagné. Ils vous suivront au bout du cours, au bout du monde, sur des bateaux imaginaires. La classe sera l'île de Robinson, la scène du Bourgeois Gentilhomme, la Guerre de Troie y aura lieu et la conjugaison, la grammaire et l'orthographe prendront du sens. Eh oui, Monsieur le Ministre, l'enseignement n' est pas qu'affaire d' experts ou de donneurs de leçons ! Il est aussi, surtout, affaire de passion et d' amour.

Je les aime ces enfants là ! Les vacances, ils les ont bien méritées.

«  A lundi Stéphanie ! »

Le froid est vif. Mais il fait un soleil magnifique. Je me dirige vers le port pour aller regarder les hommes sur les quais, réparant un filet ou rangeant leurs casiers. J'irai peut être même boire un café avec eux. J'aime les entendre parler. Ils parlent si bien de leur vie et de leur bonheur. Jamais de la dureté de leur existence.

Et pourtant, ils en auraient des choses à dire, eux qui n'ont que très peu de privilèges !


 Le 11 novembre 2006

35 heures... et poésie !

La semaine s'achève sur un 11 novembre bien gris. La Normandie a pris ses couleurs automnales. Du beige, du pourpre... On se croirait en certains endroits quelque part du coté de Montréal.

Je suis d' humeur chagrine. Comme le temps. La profession connaît un de ces moments de débat dont elle seule a le secret. Une candidate à l'élection présidentielle, dans une vidéo opportunément révélée au public- ah Internet ! - a osé abordé un tabou : le temps de travail des enseignants de collège et l'idée de les maintenir trente-cinq heures sur le lieu de travail. Qu'a-t-elle dit là ? Et tout ça dans un climat très malsain.

En regardant les emplois du temps de mes élèves, en particulier de quatrième, j'ai été effaré par la grille que j'avais devant moi. Pratiquement pas un moment de pause !

« Mais dites moi, le soir vous rentrez à quelle heure chez vous ? »

Certains, une minorité, sont à la maison à dix-sept heures trente, d'autres, beaucoup plus nombreux, à dix-huit heures, voire dix-neuf heures. Les circuits de ramassage scolaires sont mystérieux par les méandres qu ils utilisent.

« Donc vous faites vos devoirs et apprenez vos leçons ? »

Ah non ! Ils mangent d' abord et vers vingt heures-trente se mettent à leur travail. C'est impensable de continuer ainsi. Il faudra, un jour, mettre à plat le sujet essentiel de nos emplois du temps... qu'il faudrait d'ailleurs appeler, comme me l'a soufflé un collègue, temps partagé. Oui, partagé entre tous dans des travaux en commun .

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle... pourvu que jamais nous n'ayons le regret de ne pas avoir osé le changement.

« Je ne voyais pas la poésie comme ça ! »

Stéphanie a adoré ! Oh, j'y suis, un peu, pour quelque chose mais, elle s'enthousiasme pour tout ! Elle a adoré ma séance sur la poésie. C'était une présentation. Je voulais leur mettre l'eau à la bouche. J'ai commencé par leur demander de me dire un mot chacun en relation avec la poésie :

« Quatrain ! Tercet ! Alexandrin ! Ennuyeux ! - ah un original - Vers ! Rimes ! Lenteur ! Récitation ! Par coeur ! Punition ! - Celui là, il a souffert... - Rimes croisées, embrassées ! Morale ! Merci La Fontaine ! Enjambement ! »

Une élève écrivait tout au tableau, sur la partie gauche, au fur et à mesure. Je les ai félicités d'avoir retenu autant de mots savants, techniques. Ils se méfiaient de mon petit sourire. Je n'ai fait aucun commentaire sur ennuyeux et punition. Et je me suis dirigé vers la partie droite de mon beau tableau blanc. J y ai simplement dessiné le logo d'une marque bien connue. Ils ont identifié immédiatement d' ailleurs. Se demandant bien où je voulais en venir. Ils m'en ont proposé d autres aussi. Et petit à petit, nous voilà embarqués dans une conversation au cours de laquelle le mot symbole a très vite été prononcé. Du symbole à la métaphore il n'y avait qu' un pas.

Un papillon, c'est une marguerite qui vole !  Vendredi, dans le Robinson de Tournier, dit cela à son ami d' infortune. J'écris la phrase au centre du tableau. Et leur demande d'en créer sur ce modèle. J'ai obtenu des choses simples, mais magnifiques !

Une goutte d'eau c' est une larme du ciel.

Un livre c' est un téléviseur immobile.

Un baiser c' est «Je t'aime » en silence ! Celui là, c' est Stéphanie, incurable romantique !

Et une fois tout cela écrit sur le classeur - il faut une trace écrite ! - j'ai choisi des textes et je les leur ai lus, sans commentaires. Un pot pourri : Ronsard et sa mignonne, la Fontaine et son Chat Grippeminaud, mais aussi Barbara, Pierre Perret et même un extrait - audace suprême ! - d'un des derniers textes du chanteur Raphaël. Bref, je voulais les réconcilier avec un genre littéraire qu'ils exècrent ! Sans, bien sûr, négliger les fondements classiques ! Et les noms de poètes, leurs oeuvres, leur siècle respectif et chronologique venaient au centre du tableau blanc. Alors j' ai demandé à mes élèves d' éliminer deux mots de la liste du début. Et nous avons effacé punition et ennuyeux à la quasi unanimité...

Trente-cinq heures dans ces conditions là... cela me semble insuffisant ! Oh, je sais ! Je choque et provoque. Mais les habitudes tuent à petit feu !

Elles ont tué leur appétit poétique... Elles tueront nos enthousiasmes pédagogiques !

Un papillon c' est une marguerite qui vole...


 20 novembre

La victoire de Pierre

Pierre, « mon »  petit sixième à l'orthographe désarticulée mais grammaticalement juste, parfois agité de mouvements le faisant ressembler quelques secondes à sa manière d'écrire, progresse doucement. Mais qu'est ce que « progresser », pour un enfant que l'institution n'a manifestement pas su, pas pu, pas voulu (je ne sais pas) accompagner ? Ses progrès, que je constate et qui sont à mettre à son crédit d' abord, à celui de toute l'équipe pédagogique ensuite, à celui de ses parents enfin, ne correspondent pas aux canons de ce que nous appelons habituellement progrès . Mais enfin, écrire n'est plus, pour lui, une torture. C'est déjà SA victoire sur un exercice qu'il craignait par dessus tout. Avoir peur d'écrire... Il vit avec cette compagne, la peur, depuis le CP ! Se doute-t-on des angoisses permanentes vécues par cet élève depuis cinq ans déjà. L' école vécue comme une torture, une peur, une angoisse...Combien sont-ils dans son cas ? Et encore, lui, son handicap, car c'en est un, est visible. Mais que cache le silence permanent de Sophie ? Elle ne pose aucun problème... Ah oui ? Pourquoi Steven ne sourit-il jamais ? On sourit à douze ans. Pourquoi Emilie et Tania se retrouvent-elles toujours seules dans un couloir, à l' abri des regards, sans participer aux jeux, aux discussions entre copines  ? La récréation est un lieu si révélateur... Doisneau l'avait compris avant tout le monde.

La période des grands-messes approche . Les conseils de classe, les réunions parents-profs. Et avec elle, la litanie des plaintes des collègues :

« On va encore terminer à quelle heure ? J'ai ma fille à aller chercher moi ! Ils se rendent compte ? »

« Attends, j'ai une mère qui voulait un rendez-vous à 19h20 ! Mais c'est n'importe quoi ! ».

« De toute façon, les conseils de classe, on ne peut rien dire. Tous nos élèves sont des anges et tout doit être fait pour qu'ils aient de bonnes notes ! »

Tout doit être fait pour qu'ils aient de bonnes notes. C'est la seule réflexion à peu près juste dans ce propos, qui me fait mal. Car on sent poindre comme un regret de donner une bonne note. C'est terrifiant ! A peu près juste, en effet, car je ne sais pas si le but premier doit être la bonne note. Celle ci ne devrait être, dans l'idéal, que le résultat d'un bonheur d'apprendre, de savoir, de curiosité partagée. Et pourtant, en 2006, au vingt et unième siècle, il existe encore des enseignants, jeunes en plus, qui regrettent de devoir donner de bonnes notes ! Je me souviens d'un conseil de classe, il y a un ou deux ans, où une collègue m'avait reproché une moyenne de classe bien trop élevée et qui ne correspondait pas, non pas à la réalité de ce groupe, mais à l'idée qu'elle se faisait a priori d'une moyenne de classe ! Terrifiant aussi !

C'est dimanche. Je passe en ce moment des journées difficiles au collège. Mon engagement assumé et déclaré pour une candidate socialiste, Ségolène Royal, m'est vivement reproché. Certains ont changé d'attitude à mon égard. Les 35h de présence au collège sont passées par là, avec leur cortège d'incompréhension. Cette femme est un danger public ! Qu'importe...Je ne renierai rien car elle ne fera rien sans nous... J' y crois et cela me suffit.

Pierre progresse ! Voilà l'essentiel ! En ce dimanche ensoleillé je pense à lui, à eux, à Stéphanie qui doit à peine se réveiller alors qu' il est onze heure et demie...Ils passent leur soirée à écouter NRJ ou FUN Radio, cachés sous les draps, les écouteurs sur les oreilles, parfois des nuits entières ! Ils se saoulent de sons, de mots... Je pense à eux qui vont faire leurs devoirs à la maison...Les uns aidés par papa, les autres aidés par personne. Je pense à ces cent cinquante mille Pierre, Stéphanie, Steven, Aicha, Vincent, Carine, Camille, Pauline, Grégoire qui sortent de notre système sans diplôme...

Et si c'était plutôt ça le danger public ?

Tout une institution désarticulée, comme l'orthographe de Pierre...


25 novembre

Les petits soucis quotidiens...

Enseigner, c' est gérer une multitude de petits soucis quotidiens. Parfois aussi, mais c'est heureusement plus rares, de graves problèmes...

Un vendredi comme tous les vendredis... ma «grosse » journée, avec sept heures de cours d'affilée, coupées seulement par le repas et qui se termine par deux heures d'Itinéraire de Découverte avec des quatrièmes.

7h50  : J'arrive au collège. Impossible de se garer, l'établissement est en travaux et depuis une semaine, c'est « galère »... Après un difficile créneau entre une haie et un engin de chantier, traversée du hall principal. Il pleut, les élèves sont à l'abri et je fends la foule...

« Monsieur Clément ! »

Mon Principal adjoint m'apprend que la clef USB sur laquelle j'ai enregistré mes notes en vue d'établir les bulletins présentait un défaut...Tout à refaire pour midi ! Le bonheur ! Je mangerai plus vite, ou pas du tout.

« M'sieur, M'sieur, vous avez corrigé nos contrôles ? »

Oui j'ai corrigé et je vous les rends tout à l'heure. Bonjour Stéphanie...Bonjour Tania...Tu vas bien Arnaud ? J'ai à peine posé la main sur la porte de la salle des professeurs que ma collègue de français me saute dessus ! Frédéric, tu as pensé à préparer le devoir commun des troisièmes  ? Bon sang, j'ai oublié ! « Promis, je te donne ça demain à huit heures, on a encore le temps tu sais ! ». Pas très contente la collègue... Et là, étalés et sagement rangés dans des pochettes de couleurs différentes, les bulletins déjà imprimés. Machinalement, j'en consulte quelques uns, je lis les appréciations.

« Peut mieux faire »... On écrit encore ça ! Comment il peut mieux faire, ça c'est une autre histoire. Mais on n' a pas de place sur ces formulaires pour conseiller... bien sûr.

« Ne peut pas atteindre le fond, il l'a transpercé ! » Véridique !

« Excellent élève, bravo ! »... quand même !

Et la matinée commence, enfin . C'est encore avec mes élèves que je me sens le mieux. De l'étude du Dormeur du Val à l'évocation de la mort de Louis XVI - heureuse bivalence ! -, en passant par un débat argumenté sur la notion de citoyenneté en éducation civique, les quatre heures matinales passent vite, seulement distraites par le passage d'une surveillante qui collecte les billets d'absence vers neuf heure et quart. On ne dira jamais assez l'importance de ces surveillants. Ils sont en première ligne eux aussi. Je prends toujours le temps de leur parler un peu. Et comme la porte de ma classe est ouverte en permanence, ils ne me dérangent pas.

Midi ! Déjeuner au lance-pierre et enregistrement de mes notes sur une nouvelle clef USB ! Un collègue, un ami, me chambre gentiment : « Ah tu vois, quand on aura nos bureaux individuels avec de beaux ordinateurs, on sera tranquille ! ». Vivement demain alors ! Stéphanie fait son apparition dans la salle des professeurs, transgression qu'elle peut se permettre en tant que délégué des délégués du collège.

« Monsieur Clément ! Excusez moi mais j'ai perdu mon classeur de Français ! » Elle est au bord des larmes ! Je la rassure et lâchement lui dis qu'on verra ça en cours... Elle repart, un peu déçue... Elle le retrouvera, j'en suis certain !

13h  : Quatre heures de cours à venir ... Les après-midis, je les consacre à davantage de travail en petits groupes, au calme. Eux aussi sont fatigués. Pour eux aussi, les journées sont longues. Je vais d'une équipe à l'autre, corrigeant l'un, orientant l'autre... En sixième, j'ai la surprise de découvrir un nouveau visage. Une blondinette que la principale me confie. Problèmes familiaux... « C'est un cas pour vous  ça  ! » m' a t elle dit le lendemain ! Une excellente élève manifestement ! Mais des soucis familiaux gravissimes. L' école est sa seule chance...

17h  : J'ai terminé. Le temps est exécrable, il fait déjà nuit. Il pleut. Stéphanie m'interpelle depuis la vitre de son car de ramassage. « J'ai retrouvé mon classeur  Monsieur Clément ! »

Elle rit aux éclats ! Je suis fatigué et trempé ! Dans la voiture, j'écoute du Bach... par Glen Gould, l'unique, le meilleur !

 

Post scriptum :

Conseil de classe de sixième : une élève a obtenu... 4.35 de moyenne générale au premier trimestre. Après avoir constaté l'ampleur des dégâts, notre principale pose la seule question qui vaille :

« Et maintenant, on fait quoi ? »

Je propose alors de « sortir » cette élève de sa grille d' emploi du temps, de ne surtout pas lui ajouter d' heure de soutien et de lui consacrer une heure par semaine par enseignant, en particulier en français (j'ai cette élève en français justement). Grand silence !

Le principal adjoint demande des volontaires... J' ai été le seul à accepter. Autant dire que cela ne servira à rien !

Et dès la fin du Conseil, j' ai évidemment eu droit à la remarque assassine...

« Tu travailles bénévolement, Frédéric ? Avec de telles propositions, tu vas les faire rapidement les trente-cinq heuresdans l'établissement ! Mais bon, si ça   te plait... »

Je n' ai pas répondu...


 2 décembre

Les parents terribles...et merveilleux !

Les réunions parents/professeurs ont commencé. Avec elles approche la trêve de Noël. Ces réunions, je les redoute un peu par leur longueur, toujours placées en fin de journée ; je n'ai pas la lucidité nécessaire pour rendre chaque entretien « productif ». Elles sont pourtant très riches d' enseignement, c'est le cas de le dire... Certains viennent avec leurs enfants, y compris les frères et soeurs. Et c'est une ribambelle bruyante qui investit la salle, vide. Je me dis parfois que s'ils pouvaient venir avec les grands-parents et les oncles et tantes, ils le feraient  !

Les familles des élèves de sixièmes sont toujours nombreuses à défiler. On vient voir le professeur, le regarder, voir « comment c'est fait « un prof ». Je ne les blâme pas. C'est humain. Et puis, dans mon collège rural, les occasions de sorties sont rares. On vit encore quasiment en autarcie dans certaines fermes reculées. Il y a quelques années, un agriculteur m'a apporté un coq, soigneusement enveloppé dans du papier journal. Le problème pour moi, c'est qu'il avait encore tout ses belles plumes roux-vif ! Je n'ai jamais osé dire à ce monsieur que je m'étais débarrassé de son coq sans y toucher...

"Alors, comment ça se passe pour le petit, Monsieur...Monsieur ? 

- Monsieur Clément... Je suis le Professeur de Français de Mathias.

- Ah oui, c'est ça. " Et je laisse parler. Il arrive souvent qu'on ait dit trois phrases sur « le petit ». Le reste du temps, on a parlé de la ferme, des soucis, de l'endettement, des quotas laitiers et de la vache qui va véler bientôt... Pourvu qu'il ne m'apporte pas un veau un jour ! Ils sont à des années-lumières des préoccupations qui font notre quotidien. Le petit sera agriculteur, de toute façon...

« A quoi que ça sert tout ça ? Mon petiot, y sera sur la tracteur dan un an. Alors vous savez... » En mettant ma main dans leur lourde paluche d'hommes de la terre, je me dis aussi parfois, à quoi que ça sert tout ça ? Mais je me reprends vite ! Allons, allons, l' Education, la culture, le collège pour tous...

Et puis, évidemment, il y a LE parent enseignant ! Et la plupart du temps, LE parent enseignant est dubitatif sur vos méthodes, toujours critique sur le Professeur de CM2, nullissime évidemment, ce qui explique les difficultés de la petite. Celle-ci sera (nous sommes en sixième) médecin, avocate, professeur... sa voie est tracée. Et pour ce faire, elle fera anglais-allemand, surtout pas espagnol, latin évidemment. Vous avez beau lui faire comprendre que Julie a quand même de très sérieuses difficultés et qu' avant de penser à son baccalauréat, il faudrait peut-être s'intéresser à son présent , rien n'y fait !  

« Elle sera avocate. C'est une enfant très éveillée vous savez. Elle fait du piano, de l'équitation... Elle lit beaucoup, et des livres déjà difficiles pour son age. Je les choisis moi-même ! 

- Et ça lui arrive de... comment dire, de ne rien faire et de choisir ses livres ? »

En général, l'entretien tourne court à partir de cet instant... Et je m'amuse à penser qu'il me prend pour un affreux pédago ! Et je m'attriste à penser à la petite... Il lui aura choisi ses livres... Il lui choisira sa robe d'avocate...

Il y a aussi la superbe blonde qui vous félicite, vous encense, vous admire, inonde votre salle de classe de parfum, et finit par vous proposer de passer prendre le café à l'occasion... "Mais et votre fils... Ah oui, mon fils ! Tout va bien ? De toute façon on a toute confiance en vous, Monsieur Clément. Alors si vous avez toute confiance..."

Enfin, il y a les autres, tous les autres... ceux qu'on ne voit jamais  ! Pourtant ce sont ceux qu'il serait essentiel de rencontrer. Leurs enfants sont des « crétins », comme dit Monsieur Brighelli sans se rendre compte du mal qu'il engendre. Ils souffrent en silence ses parents-là. Certains disent que, si on ne les voit pas, c'est qu'ils s'en fichent. Peut-être pour une minorité. Mais les autres, les autres ? Ceux qui ont peur, oui PEUR d'entrer dans un collège où ils y ont de mauvais souvenirs . C'est à vous que je m'adresse ici, même si vous ne me lirez pas :

"Vos enfants ne sont pas des crétins ! Vous êtes des parents respectables ! Pourquoi ne venez vous jamais ? Pourquoi cette honte ? Pourquoi ce rejet ? L' école sélectionne les enfants, elle sélectionne aussi les parents. A quand une école des parents ? Je l'appelle de mes voeux... "

Noël approche. Ma « brune » est revenue enchantée du sapin de noël de l'école primaire minuscule qu' elle dirige.

« Tu aurais vu les yeux des gamins ! »

Je lui souris... Pourvu que les yeux de tes gamins soient toujours éclairés par les étincelles du bonheur d'aller à l'école...


9 décembre

La salle de classe...

Après vingt-cinq années de bons et loyaux services, j' éprouve toujours un petit pincement, quelque chose d' indéfinissable avant d'entrer dans ma salle de classe. Je dis ma car je fais partie de ces professeurs bénéficiant du privilège, un peu stupide mais oh combien utile, de disposer d'une salle unique et permanente pour tous mes cours. Privilège de l'ancienneté sans doute...

On ne sait JAMAIS ce qui va se passer vraiment dans cette salle de classe. Les seuls éléments dont soit sûr est qu'on trouvera le tableau, les tables et les chaises sagement rangées, l'armoire de rangement toujours à sa place et les volets roulants à ouvrir chaque matin puis à ne surtout pas oublier de redescendre le soir au risque de se faire sévèrement réprimander par le personnel de service, ce magnifique personnel de service dont on ne dira jamais assez l' importance ! Quant au reste, c'est à dire le cours, la séance, l'heure que vous passez avec vos élèves, alors là vous ne savez rien, n'êtes certain de rien et cela vaut bien mieux !

J'ai TOUJOURS douté avant une séance et je douterai jusqu' à la dernière. Ces quatre murs qui nous enferment, vingt-cinq à trente élèves et un adulte embarqués dans un voyage dont on connaît le point de départ, dont on a fixé le point d' arrivée par les objectifs à atteindre, ces quatre murs donc vous obligent à saisir l'espace, à l'occuper et surtout à le rendre vivant, jusqu'à presque palper physiquement le patient cheminement vers ce mystère renouvelé qu' est la compréhension. Comprendre pour que tombent les murs de l'ignorance, pour que soient satisfaites les curiosités des élèves, pour que vos doutes un à un tombent jusqu' à la sonnerie libératrice pour chacun.

« Monsieur Clément, pourquoi vous laissez la porte de votre classe ouverte quand vous faites cours ? »

C' est vrai Stéphanie, ma salle reste ouverte sur le couloir. Ma légère claustrophobie y est pour quelque chose, mais pas seulement. Il y a du symbole dans cette démarche. Il vaut ce qu'il vaut et je n' en fais nullement un exemple à suivre. Mais cette porte ouverte, c'est une manière de dire aux élèves : vous n'êtes pas enfermés, NOUS ne sommes pas enfermés. La connaissance, le savoir, la découverte, le questionnement, le débat, le travail, la réflexion, la recherche individuelle et collective, bref notre quotidien commun sont OUVERTS sur la vie, sur l'extérieur. Et ils sont autant de clefs qui, je l'espère et avec l'apport de mes collègues, vous permettront d'ouvrir d' autres portes un jour. Ce que Stéphanie ne sait pas, c'est que j' ai également eu l'insigne honneur de choisir ma salle. Et j'aime cette salle dont les fenêtres donnent sur un paysage de champs, de prés verts et de bosquets couvrant les collines normandes dévalant l'horizon. Un paysage de carte postale, mais un paysage vivant, changeant avec les saisons. Parfois, quand je sens mes Stéphanie et autres Pierre un peu dissipés - je ne suis pas infaillible - j'arrête ma séance et je leur dis de souffler un peu.

« Regardez dehors, ouvrez une fenêtre et respirez un grand coup. »

Alors pendant deux ou trois minutes, nous sortons, nous quittons la salle de classe et nous allons cueillir quelques fleurs pour égayer le quotidien des journées de classe, pas toujours drôles il faut bien le constater. Désormais, Stéphanie me demande parfois, sans en profiter exagérément :

« Monsieur Clément, on peut aller cueillir des fleurs deux minutes là ? »

Et la salle de classe ouvre ses fenêtres. C'est long, très long deux heures de français en troisième. Ma Principale ne supporte pas de me voir les autoriser à sortir un peu dans le couloir à l'interclasse, sous ma surveillance. Je n'ai jamais cédé. Ce moment est propice aux discussions, aux confidences parfois, aux jeux évidemment. Propices à autre chose tout simplement, mais un autre chose qui reste de l'enseignement !

Donnons à nos élèves, même si ce n'est que factice, l'impression qu'ils conquièrent parfois quelques parcelles fleuries d'une liberté nécessaire. Cette liberté qui les rend à eux-mêmes et les aide à grandir. Cette liberté qui vous pince le coeur, de peur qu'ils n'en profitent trop... Cette liberté qui DOIT rester vivante, maîtrisée mais VIVANTE, entre les quatre murs de notre salle de classe...


Samedi 16 décembre

"Jamais le droit de rien..."

« On nous dit tout le temps : tu n'as pas le droit de ceci, tu n'as pas le droit de cela ; c'est injuste à la fin ! On n'a jamais le droit de rien ! »

Stéphanie dans son style inimitable, s'emporte en exagérant un peu. Pas le droit... Pourtant l'enfant, l'élève a des droits. Affirmer le contraire serait avouer que l'école est un espace de « non-droit ».

« Mais si Stéphanie, tu as les droits de chaque élève dans ce collège, des droits évidemment limités par le respect des règles de vie en commun, limités par un règlement intérieur que tu dois, comme tous, connaître et accepter. »

Pas convaincue la Stéphanie... Elle me parle d' humiliation. Humiliation ? Diable ! Alors me revient en mémoire une enquête que Pierre Merle avait menée auprès d'étudiants de l' IUFM de Bretagne. Elle date un peu, certes (1980). Je l' ai retrouvée et relue attentivement. Il existerait deux types d' humiliations liées aux pratiques pédagogiques, celles sans intentions et celles avec intention claire (plus ou moins consciente). Ces humiliations peuvent concerner un seul individu, le « mauvais » élève servant alors de mauvais exemple. Elles peuvent viser un groupe comme lors de division d'une classe en « bons » et « mauvais », reproduisant alors les dérives d'une hiérarchisation sociale déjà et toujours en place. Comment expliquer ces comportements ?

Pierre Merle met d'abord l'accent sur une idéologie scolaire du classement qui autoriserait la stigmatisation de l' élève jugé faible, les jugements professoraux reproduisant alors les positions sociales dans l'ordre scolaire. Puis il avance une seconde explication : l'enseignant doit maintenir un ordre dans sa classe pour assurer la transmission des savoirs, ce qui impose l'utilisation de techniques de contrôle. Or la situation actuelle de l'école (pas partout certes, mais...) montre son impuissance à faire sanctionner les règlements. L'humiliation devient alors une « sanction non réglementaire » visant à maintenir l'ordre.

« Ben vous voyez bien qu'on n'a pas le droit ! Qu'on n'a jamais le droit de rien ! »

Le droit...La reconnaissance des droits des élèves est loin de faire l'unanimité dans notre milieu. Moi même ne suis pas exempt de reproches à ce sujet, bien entendu... Pourtant c'est là une notion essentielle si l'on veut permettre aux élèves l'apprentissage des règles de la Démocratie. Sans angélisme excessif, qui ferait manquer la cible à coup sûr !

« Allez, entrez, ça a sonné... »

Et Stéphanie, dans un immense sourire de me dire :

« Vivement les vacances ! Vous devez en avoir marre aussi non ? »

Parfois...parfois... Mais pas forcément de ce que tu crois Stéphanie.


 dimanche 24 décembre

François-Marie Arouet avait déjà un pseudo...

C'est Noël. Les élèves ont « fui » le collège avec des rires et des cris pleins la bouche !

« Alors Pierre, est-ce que tu sais ce que tu auras pour Noël ? »

Il ne sait pas, mais il m'avoue malicieusement qu il a des doutes parce qu'il a trouvé la cachette et, d' après l' emballage... Sans doute du matériel informatique... Ils sont loin nos jouets de bois, nos trains électriques et autres jeux de constructions ou « Circuits 24 » qui m'ont pourtant permis de passer des dimanches pluvieux. Si, si, il pleut aussi au Maroc...

Stéphanie est heureuse. Elle va retrouver ses parents, elle qui vit en foyer toute l'année. C'est ça son plus beau cadeau... Se retrouver au milieu des siens. J' ai beaucoup parlé de Noël avec eux ce dernier jour. De Noël, de cet élève mort à Meaux, tragique événement sur lequel se sont précipité, un peu vite à mon goût, les politiques de tous bords, des solitaires qui ne partageront leur bûche qu'avec leur solitude, des guerres qui ne connaissent pas la trêve. Et j' ai aussi parlé de Voltaire ! « Voltaire a inventé le pseudo ! » leur ai je déclaré, un peu sentencieux... Ils n'ont rien compris au début. Alors je leur ai expliqué l'extraordinaire parcours de ce lumineux philosophe, François-Marie Arouet, dit Voltaire. Et je leur ai lu cette prière à Dieu

Prière à Dieu

Ce n'est donc plus aux hommes que je m'adresse; c'est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s'il est permis à de faibles créatures perdues dans l'immensité, et imperceptibles au reste de l'univers, d'oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un coeur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d'une vie pénible et passagère; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil; que ceux qui couvrent leur robe d'une toile blanche pour dire qu'il faut t'aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire; qu'il soit égal de t'adorer dans un jargon formé d'une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau; que ceux dont l'habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d'un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d'un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères ! Qu'ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l'industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.


Traité sur la tolérance (1763), chap. XXIII.

Ce qui les a d'abord surpris, c'est de constater que Voltaire connaissait la Californie ! Quant au Siam, ils l' ont rapproché de la Rue du même nom que chante Reggiani dans Barbara de Prévert. Prévert, Voltaire... que de raccourcis, mais pourquoi pas ? Je les admire parfois de pouvoir et d'AIMER parler de tout ça. Ils adorent réfléchir et y prennent PLAISIR ! Mais oui, Monsieur Brighelli, PLAISIR...   Alors nous avons parlé de la religion, de la tolérance, de la guerre, de la haine, de l'amour, bref...nous avons parlé des hommes qui vont fêter Noël.

Joyeux Noël Pierre... Joyeux Noël Stéphanie... Un jour peut être, même le Père Noël aura un pseudo.


  14 janvier 2007

Janvier 2015...

J'ouvre la porte de mon bureau. Il est neuf heures, un lundi matin de janvier 2015. C'est l'une de mes dernières années de ce métier qui m'a tant apporté. Comme chaque début de journée, je consulte mes mails. Des collègues avec lesquels nous sommes en liaison constante me font part de leurs expériences, de leurs succès et échecs. Le Centre National de Recherche et de Documentation Pédagogique nous fait parvenir sa lettre hebdomadaire accompagnée d' adresses de sites/ressources. Je m'y suis abonné comme 95% des collègues du collège et de France, d'après les dernières statistiques. C'est un formidable soutien une mine d' informations, d'idées partagées, de débats, de contributions venues de l'étranger même. Chaque enseignant dispose d'un correspondant.

Les trois notes du carillon indiquant le début des séances de travail résonnent dans les couloirs. Avec une professeur de mathématiques, je me rends dans ma salle, disposée, celle-là, en amphithéâtre, pour une intervention sur l'Histoire des mathématiques. Les élèves auront, grâce aux ordinateurs individuels dont chacun dispose en plus des classeurs, la possibilité d' effectuer leurs recherches, de commencer leur dossier, de choisir leurs documents servant d' illustrations. Tout cela sous notre autorité bien entendu et dans le respect des consignes. Après une trentaine de minutes de débat, de discussion pendant laquelle les intervenants s'écoutent et se répondent, chacun se plonge dans son travail. On entend seulement le cliquetis des claviers, quelques discussions aussi sans que cela gène qui que ce soit. Ce n'est pas « le meilleur des mondes »... Non, simplement une séance de travail, de recherche, de réflexion partagée.

« Monsieur, j'ai terminé. Je peux me rendre à la bibliothèque ? »

Sur une séance d' une heure trente, nos élèves doivent, c'est la règle, rester une heure. Ensuite, ils ont la liberté d'occuper leur temps comme bon leur semble à condition qu'il s'agisse d'une activité de travail.

Onze heures... J'ai rendez vous dans mon bureau avec deux élèves qui doivent me soumettre le résultat d'un « mémoire ». L'un d'eux est le tuteur du second. Ce dernier, en grandes difficultés, a choisi sont tuteur et à intervalles réguliers, d'après un calendrier strict et discuté en commun avec leurs parents, doit respecter un programme de travail qui lui permettra de reprendre ensuite le rythme des cours. Aucune note, mais des appréciations et des corrections très détaillées viennent évaluer ses progrès. Nous passons quarante cinq minutes ensemble. Ils ont quatorze ans tous les deux... Il y a quelques années, jamais ils n'auraient eu l'opportunité de travailler de la sorte. Un élève en difficulté en sixième restait souvent en difficultés jusqu'en troisième ! « De toute façon, il ne s'en sortira pas ! » entendait on   souvent.

Treize heures... J'ai le choix de rester au collège pour honorer des rendez vous avec des parents, de futurs intervenants, répondre à mon courrier électronique, préparer mes cours ou corriger des travaux. Les notes seront directement transmises aux élèves sur leur « boite de notes » et, bien entendu, une correction sera établie avec eux. L'informatique n'a pas « remplacé » la parole. Elle n'est qu'un outil de travail au service de toutes et tous. Mais je peux aussi réunir un groupe d'élèves dont j'ai la responsabilité et qui a pris du retard dans telle ou telle activité. Ils sont « libres » à cette heure et jusqu'à seize heure. Chacun s'est réparti dans les ateliers d'activités choisies ou imposées en début d'année. Ils peuvent les interrompre à tout moment sur simple demande d'un enseignant. Et si deux collègues choisissent d'intervenir à la même heure, une rapide concertation règle ce petit souci. Je peux, si rien ne me retient, rentrer chez moi. Ou participer à une réunion de l' équipe pédagogique, partielle ou totale, selon les besoins et urgences du moment. Jamais le chef d'établissement n'intervient dans ce domaine. Les enseignants sont maîtres de leur pratique pédagogique. Seuls les conseils de classes permettent d'échanger avec notre principal. Ou, enfin, recevoir un professeur d'école... Nous travaillons aussi avec eux depuis quelques années. On se parle...

« Monsieur, je dois clore mon dossier d'orientation. Savez vous si les conseillers sont là aujourd'hui ? »

Chaque établissement dispose d'un ou deux conseillers d'orientation, formés pour cela, et à disposition des élèves comme des enseignants. C'est un « plus » incontestable ! Je me souviens des difficultés d'il y a dix ans ! Moi même me perdais souvent dans le dédale des filières et des moyens d'y parvenir, ou d'en sortir !

... « Monsieur Clément, ça a sonné ! On vous attend ! »

Je sursaute ! Je reconnais la voix de Pierre ! Pierre ? Oh ! bon sang... Je me suis assoupi sur un canapé de la salle des professeurs et il vient me chercher ! J' ai cours ! Il est seize heures ! Mes vingt huit élèves de sixième me réclament ! Une heure en fin de journée pour une suite de leçons sur les compléments circonstanciels de lieu et de temps !

Nous sommes en janvier 2007... Tout reste à faire... TOUT !

« Allez Pierre ! On y va ! »


21 janvier 2007

"Nos élèves ont peur..."

Notre principale a fait valoir ses droits à la retraite. Elle est partie le 12 janvier après une petite cérémonie bon-enfant. Elle avait du caractère ! Une principale à l'ancienne, un peu maternaliste parfois, mère-fouettarde d'autres fois... Il fallait savoir lui tenir tête. Son remplaçant n'est avec nous que jusqu'en juin puis nous changerons toute l'équipe dirigeante en septembre. Cela ne me fait plus grand-chose. J'en ai vu tellement passer... Les jeunes collègues sont inquiets. Ils apprendront vite que l'équipe pédagogique, c'est d'abord nous tous, ensemble .

Pierre, mon petit sixième aux tremblements spontanés si impressionnants progresse doucement. Il devient même un peu bavard. C'est bon signe ! Sa graphie est toujours révolutionnaire mais il parvient désormais à séparer les déterminants et les substantifs ! Ce qui donne des phrases de ce type : Le conducteuradérapésur une plaquedeverglas ... Bon, il y a encore du travail ! Mais je ne désespère pas ! En revanche, je désespère pour Céline, une autre élève de la même classe dont je souhaitais m'occuper une heure par semaine. On m'avait félicité, en haut lieu, blâmé parmi les miens, pour l'initiative. Ne voyant rien venir, j'ai demandé quelques nouvelles...

« C'est impossible, Monsieur Clément. Nous avons relu les textes ; on ne peut pas sortir une élève du cursus normal. Et puis, vous ne pouvez légalement pas vous occuper d'une élève toute seule...

- Et on fait quoi alors ?

- Nous aviserons... »

Autant dire qu'on ne fera rien... Elle continuera de s'enfoncer et nous assisterons, nous participerons à la noyade ! Pourtant voilà des années que Pierre et cette petite connaissent les pires tourments en classe. Voilà des années que les constats alarmistes ont été portés. Et voilà des années qu'ils souffrent, car ils souffrent, des retards accumulés, des moqueries des camarades, des mauvaises notes collectionnées, des colères des parents. C'est désespérant ! Ah bien sûr, mon cher Principal adjoint me dit : pédagogie différenciée ! Certes... Mais il est des cas qui ne dépendent plus de la pédagogie différenciée, à laquelle je crois et que j'utilise. Je vais devoir aviser tout seul... et vite ! Nous sommes en janvier... déjà !

Stéphanie a passé les épreuves du brevet blanc... La veille, stressée, en plein cours, prise de nausées, elle a du sortir avant de vomir tout son déjeuner dans le couloir ! Mais pourquoi sont-ils si inquiets, angoissés ? C'est une excellente élève. Ceux en difficultés éprouvent les mêmes symptômes à des degrés divers. Est-ce cela l'Ecole ? Une suite ininterrompue de peurs ? A les voir, à les entendre, je crains que oui... Ce matin, elle m'a littéralement agrippé... Monsieur Clément, vous avez lu ma copie ? Alors... Alors ? J'ai lu une véritable terreur dans son regard ! Et j'ai pensé à Pierre qui passera lui aussi son brevet... Que de peurs à venir !

Il faudrait les connaître tous ! C'est difficile. Pourtant pour bien enseigner le français à Pierre, à Stéphanie, il faut connaître le français, mais ne faut-il pas connaître mieux encore Pierre et Stéphanie ?

« Frédéric, n'oublie pas que dans le barème de la rédaction, on retire des points à partir de la quatrième faute d'orthographe ! Je sais que tu n'aimes pas, mais nous ne pouvons pas être laxiste sur l'orthographe ! Tu ne veux pas l'admettre mais le niveau de nos élèves n'a jamais été aussi bas ! ». Mais oui, chère collègue... Elle a deux ans d'ancienneté... Et je suis fatigué de vouloir les convaincre dans ce débat à propos du niveau !

Je n'ai jamais été laxiste sur l'orthographe... En revanche, je n'aime pas ce mot faute. Parlons d'erreur plutôt... Et puis, pourquoi retire-t-on toujours des points sanctionnant l'erreur sans jamais en donner lorsqu'une difficulté est franchie ? Je crois que je quitterai ce métier sans avoir rien compris à la notation de l'orthographe... Ou plus exactement avec la certitude, hélas, que l'orthographe est un implacable juge de paix, qui ne sert qu'à   trancher, faucher,   punir, qui enferme dans le respect absolu du bon usage ! Loin de moi l'idée de laisser passer la moindre erreur, mais loin de moi l'idée que l'élève faible en bon usage doit inéluctablement être mauvais en français. Et si l'on faisait une fête de l'orthographe ? Si l'on en faisait un moment agréable ? Plutôt que de lire la peur, encore, sur les visages de celles et ceux qui depuis des années font des cauchemars de fautes d'orthographe  !

Pierre a subi une attaque de spasmes ce matin... Stéphanie obtiendra une excellente note au brevet blanc... Pierre a quatre ans devant lui pour rejoindre Stéphanie...Mais sa graphie si surprenante sera pour lui un handicap éternel...

Maudite orthographe !


 27 janvier 2007

Donner du sens...

«  Ca sert à rien le collège !  » Nous avons, toutes et tous, entendu des dizaines de fois cette affirmation ne souffrant aucune contestation dans la bouche de nombre de nos élèves. A la longue, on n' y prête plus attention. Et pourtant... souvent, ce sont les élèves les plus en difficulté qui proclament ainsi, de manière évidemment provocante, mais révélatrice aussi, leur incompréhension. Il y a des variantes : « Ca sert à quoi de savoir tout ça ? »... « Pourquoi vous nous apprenez ça ? »... « Ca veut dire quoi ? »... « On s' en fout de savoir ça ! »... « Plus tard, j' aurai pas besoin de ça !  »...

En fait ces questions, ces affirmations, dites souvent dans des moments d'échec, ne sont elles pas aussi des appels. « Dites nous pourquoi on apprend ça, et justement ça ! »... « Apprenez nous à comprendre ! » ... «  Apprenez nous à apprendre ! »... « Intéressez nous ! »... Dessinez nous un mouton... Faites nous rêver en accrochant nos modestes ambitions à vos connaissances, à votre savoir, a ces programmes que l' on ne sait pas, nous vos élèves, mettre en correspondance avec nos réalités quotidiennes, nos espoirs.

« Je veux être coiffeuse Monsieur Clément... - Moi je serai pêcheur sur le coquillard (*) de mon oncle »... Il faut sous-entendre alors : « Mais à quoi ça va me servir de connaître les théories de Keynes - programme de troisième en Histoire - ou de faire la différence entre comédie et tragédie ?  ». Il faut en permanence donner ou redonner du sens à nos enseignements. Souvent, en les regardant travailler, assidûment selon les moyens de chacun, je culpabilise. Cet exercice, cette leçon, ce sujet, leur ai-je dit pourquoi ils étaient en train de le faire, de l' apprendre, de le traiter ? Non, pas toujours. On oublie, on n'a pas le temps, on s'habitue. Pour nous, c'est évident. Et puis c'est au programme donc, ils doivent acquérir ces connaissances là, ce savoir-faire là sans se poser de questions. Pourtant ils s'en posent ! Et je n'y réponds pas... Alors, dans le silence de l'incompréhension, s'insinuent leurs doutes et parfois, la révolte de certains.

«  Monsieur Clément, n'oubliez pas la journée de stage auquel vous êtes inscrit... ». Mon principal adjoint me connaît. Je suis parfois très étourdi. Non, je n'oublie pas. Un stage intitulé : «  Comment venir en aide aux élèves en difficultés ?  ». Une charmante professeur responsable de ce stage est venue en repérage informer les collègues. Nous allons travailler sur la gestion mentale à partir des travaux d'Antoine de la Garanderie. Elle a donné du sens à ce que nous allons faire...

Hier, en troisième, j'avais organisé mon cours autour de l'idée de la guerre, en liaison avec leur programme d'histoire. Le vingtième siècle a quand même été l'un des plus meurtriers et abominables qui soit. A partir d'un extrait de La Guerre de Troie n'aura pas lieu de Giraudoux. Cette pièce, écrite en 1935, résonne comme un terrible avertissement. Et le personnage d'Andromaque, une femme debout face aux malheurs, à la fatalité qu'elle refuse, à la médiocrité des vanités, m'en rappelait d'autres... J'ai gardé cela pour moi. Et je leur ai demandé, comme je l'exige à intervalles réguliers, de prendre des notes. Beaucoup dans cette classe iront au lycée. Et la marche est haute...

Petit à petit j'ai essayé alors de donner du sens, non pas seulement au texte de Giraudoux, mais à mon cours, tout simplement. Et les questions sont venues... Les réflexions aussi... « En fait, il prévient les gens de ce qui va se passer en 39/45 ! »... Oui Stéphanie, il prévient, il annonce. Souvent les écrivains ont été et sont encore des visionnaires... Il faut haïr la guerre ! J'espère avoir donné du sens à cinquante cinq minutes de bonheur partagées avec eux... Partagées avec Andromaque et Hector qui n'aime plus la guerre... Pour qu'aucun homme n'aime plus jamais la guerre !

ANDROMAQUE

Et la guerre a sonné faux, cette fois ?

HECTOR

Pour quelle raison ? Est-ce l'âge ? Est-ce simplement cette fatigue du métier dont parfois l'ébéniste sur son pied de table se trouve tout à coup saisi, qui un matin m'a accablé, au moment où penché sur un adversaire de mon âge, j'allais l'achever ? Auparavant ceux que j'allais tuer me semblaient le contraire de moi-même. Cette fois j'étais agenouillé sur un miroir. Cette mort que j'allais donner, c'était un petit suicide. Je ne sais ce que fait l'ébéniste dans ce cas, s'il jette sa varlope, son vernis, ou s'il continue... J'ai continué. Mais de cette minute, rien n'est demeuré de la résonance parfaite. La lance qui a glissé contre mon bouclier a soudain sonné faux, et le choc du tué contre la terre, et, quelques heures plus tard, l'écroulement des palais. Et la guerre d'ailleurs a vu que j'avais compris. Et elle ne se gênait plus... Les cris des mourants sonnaient faux... J'en suis là.

ANDROMAQUE

Tout sonnait juste pour les autres.

HECTOR

Les autres sont comme moi. L'armée que j'ai ramenée hait la guerre

Acte , Scène 3

« Eh bien, si seulement on écoutait plus souvent les écrivains ! ». Stéphanie, et les autres, avaient trouvé le mot juste pour conclure. Je suis sorti heureux ce jour là. Eux aussi, j'espère...

(*) Un coquillard est de ces petits bateaux de pêche ventrus qui se remplissent de coquilles Saint-Jacques. 


4 février 2007

« On change tout ! »

Notre nouveau principal a pris ses fonctions. Et il a décidé de laisser son empreinte manifestement. Tout d'abord, ma bivalence n'existera plus l'an prochain. J'enseignerai en histoire-géographie. Le français, ma première valence, passe de vie à trépas. « C'est provisoire, Monsieur Clément ! Cela me permet de créer un poste en lettres... » . Et il me bombarde de chiffres, de blocs horaires... « Vous savez, ma spécialité c'est quand même le français. J' ai un DEA de lettres... ». Je n'ai pas obtenu de réponse... Ce sera du provisoire qui dure...

Je suis sorti de son bureau un peu abasourdi quand même. Vingt-cinq ans d'une bivalence heureuse qui s'arrête pour des raisons comptables. Comme ça, en dix minutes d'entretien. J'aurais pu refuser...Il m'a gentiment fait comprendre que vis à vis des collègues, vous comprenez, ce pourrait être mal perçu... L'Education Nationale marche sur la tête, s'en rend compte et, manifestement, s'en soucie fort peu. Il faut croire que cela arrange tout le monde. A la fin de cette année, je suis quasiment certain que j'enseignerai le français pour la dernière fois. Un collègue, très brighelliste, m'a dit que je n'avais pas à me plaindre. Tu n'avais qu'à avoir le CAPES ! Ah j'oubliais... Je ne suis que PEGC... On en deviendrait paranoïaque. Je me suis néanmoins offert le plaisir de lui faire remarquer que ma troisième avait obtenu les meilleurs résultats en français au brevet blanc... Grâce à moi un peu ; grâce à eux surtout ! Pas de réactions... Seul le principal adjoint a trouvé la situation absurde. Il me l'a dit, en off...évidemment. Le silence est d'or parfois dans le métier... Je pense déjà à mon dernier cours de français au mois de juin... Une page qui se tourne... Et ça fait mal !

Quant aux IDD (Itinéraires de découvertes), là aussi on casse tout ! Un professeur/une classe ! Je travaillais depuis trois ans avec mon collègue d'arts plastiques. Nous étions une fois par semaine ensemble pendant deux heures devant une classe. J'ai beaucoup appris à son contact. Nous avons abordé la calligraphie de Fables de La Fontaine, la fabrication de blasons, que sais je encore... J'assurais la partie français/histoire-géographie... Il en faisait plus que moi ! Mais nous nous complétions et les élèves en semblaient heureux. La sentence est tombée : les textes n'obligent pas deux enseignants à travailler ensemble en même temps ! Et les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes !   Alors si les textes le disent... Quant à l'intérêt des élèves, n'en parlons pas... Une autre page qui se tourne... A ce rythme là, on va vite finir le livre...

« Monsieur Clément, il faut que je vous parle en particulier... ». Oh là là ! Stéphanie veut se confier... Que se passe-t-il ?

«  Vous savez pourquoi Bérengère, ma copine du foyer, est absente depuis une semaine ? Elle est en fugue ! Mais il ne faut pas le dire ! ». En fugue, déjà, à quatorze ans... Heureusement, l'administration est au courant. Ne t'inquiète pas Stéphanie, on retrouve quatre vingt dix pour cent des adolescents en fugue... Je me rassure aussi, lâchement... Et certains affirment que la vie de nos élèves doit être ignorée. Ils sont là pour apprendre ! Nous savons ; eux ne savent pas. C' est tout ! Sans doute savons-nous... Mais savons nous toujours ce qui fait partie de « leur essentiel » ? Devons nous le savoir ? Je pense que oui... Ceci ne pardonne pas un travail non fait ; mais cela permet de mettre en perspective notre enseignement et leur propre vécu. Lorsque je termine une leçon, je me demande toujours comment ils l'ont reçue. Certains, tels des éponges, absorbent tout ; d'autres, comme Bérengère, étaient plutôt du genre granit ... Et mon petit bloc de granit est je-ne-sais-où à l'heure qu'il est... Quand elle va revenir, je ferai comme si elle n'était jamais partie... Et elle comprendra... Ils comprennent et sentent beaucoup de choses à leur age... Beaucoup de choses !

Une semaine un peu triste... C'est ça aussi le métier. Gérer tous les moments... Franchir les obstacles... Ah si, j'ai quand même eu un moment heureux ! Ségolène Royal a déclaré qu'elle refuserait toujours qu'on dise que le niveau baisse... En disant cela, elle a rendu hommage à tous les enseignants ! Je l'aurais embrassée !

« Monsieur Clément, on vous aura l'an prochain en français ? ». Claire, une quatrième, veut déjà savoir...

Décidément, ils sentent vraiment beaucoup de choses...


 

28 février 2007

« J’adore ce passage ! »

Chaque dernier cours précédant les vacances, avec chaque classe, j’ai pris l’habitude depuis une vingtaine d’années de  profiter de cette ambiance de fin de cycle pour lire quelques passages à haute voix de livres que mes élèves m’apportent et que j’apporte aussi. Un échange de textes… Un dialogue différent… On peut les commenter, ou pas. On les commente souvent ! Je suis à chaque fois surpris par leurs choix, beaucoup plus classiques qu’on ne pourrait le croire. Stéphanie par exemple, ma troisième si douée et au sourire ravageur, nous a lu ceci :

" Chère Kitty, (…)

Je tremble de peur que tous ceux qui me connaissent telle que je me montre toujours ne découvrent que j’ai un autre côté, le plus beau et le meilleur. J’ai peur qu’ils ne se moquent de moi, ne me trouvent ridicule et sentimentale, ne me prennent pas au sérieux. J’ai l’habitude de ne pas être prise au sérieux, mais c’est " Anne la superficielle" qui y est habituée et qui peut le supporter : l’autre, celle qui est "grave et tendre" n’y résisterait pas. Lorsque, vraiment, je suis arrivée à maintenir de force devant la rampe* la bonne Anne pendant un quart d’heure, elle se crispe et se contracte comme une sainte Nitouche* aussitôt qu’il faut élever la voix, et , laissant la parole à la Anne n°1, elle a disparu avant que je ne m’en aperçoive.

Anne la tendre n’a donc jamais fait une apparition en compagnie, pas une seule fois, mais dans la solitude, sa voix domine presque toujours. Je sais exactement comment j’aimerais être puisque je le suis… intérieurement, mais hélas ! je reste seule à le savoir. Et c’est peut-être, non, c’est certainement la raison pour laquelle j’appelle ma nature intérieure : heureuse, alors que les autres trouvent justement heureuse ma nature extérieure. A l’intérieur de moi, Anne la Pure m’indique le chemin ; extérieurement, je ne suis rien d’autre qu’une biquette détachée de sa corde, folle et pétulante.

1er août 1944."

Journal d’Anne Franck

Et Stéphanie, presque des sanglots au fond de la gorge, dans un silence de cathédrale dit à ses camarades qu’Anne sera arrêtée le 4 août 1944 pour mourir plus tard en déportation… « Pourquoi as tu choisi ce texte Stéphanie ? » lui ai-je demandé ?

« Parce qu’il me ressemble… a-t-elle répondu.

- En quelque sorte, tu as parlé de toi…

- En quelque sorte… »

Je n’ai évidemment pas insisté… Il y a des silences qui en disent long…

Pierre, lui, mon petit sixième qui progresse à grands pas mais tellement vite qu’il en devient bien bavard, avait choisi de lire l’extrait suivant :

« Lorsque Robinson reprit connaissance, il était couché, la figure dans le sable. Une vague déferla sur la grève mouillée et vint lui lécher les pieds. Il se laissa rouler sur le dos. Des mouettes noires et blanches tournoyaient dans le ciel redevenu bleu après la tempête. Robinson s'assit avec effort et ressentit une vive douleur à l'épaule gauche. La plage était jonchée de poissons morts, de coquillages brisés et d'algues noires rejetés par les flots. À l'ouest, une falaise rocheuse s'avançait dans la mer et se prolongeait par une chaîne de récifs. C'était là que se dressait la silhouette de La Virginie avec ses mâts arrachés et ses cordages flottant dans le vent. Robinson se leva et fit quelques pas. Il n'était pas blessé, mais son épaule contusionnée continuait à lui faire mal. Comme le soleil commençait à brûler, il se fit une sorte de bonnet en roulant de grandes feuilles qui croissaient au bord du rivage. Puis il ramassa une branche pour s'en faire une canne et s'enfonça dans la forêt.

Les troncs des arbres abattus formaient avec les taillis et les lianes qui pendaient des hautes branches un enchevêtrement difficile à percer, et souvent Robinson devait ramper à quatre pattes pour pouvoir avancer. Il n'y avait pas un bruit, et aucun animal ne se montrait. Aussi Robinson fut-il bien étonné en apercevant à une centaine de pas la silhouette d'un bouc sauvage au poil très long qui se dressait immobile, et qui paraissait l'observer. Lâchant sa canne trop légère, Robinson ramassa une grosse souche qui pourrait lui servir de massue. Quand il arriva à proximité du bouc, l'animal baissa la tête et grogna sourdement. Robinson crut qu'il allait foncer sur lui. Il leva sa massue et l'abattit de toutes ses forces entre les cornes du bouc. La bête tomba sur les genoux, puis bascula sur le flanc. »

Vendredi ou la vie sauvage de Michel Tournier

« J’adore ce passage ! »… Et en sixième, quand on adore, on le fait savoir bruyamment, mais qu’importe au fond… Si ce bruit, peu à peu, laisse place à l’envie d’en lire encore… « Allez, lis nous la suite Pierre ! »… Ses camarades en redemandaient ! Alors il a lu… Et ils ont écouté… Ils ont échangé, aussi bien Stéphanie que Pierre, des moments privilégiés avec leurs condisciples de classe. Quant à celles et ceux qui « n’aiment pas lire », ils se sont pris au jeu… « La lecture comme ça c’ est trop bien M’sieur ! ». Parfois, il suffit de peu de choses pour les débloquer… Et quand les lectures ont fini, faute de matière, que la réalité est revenue comme les lumières au cinéma après le film, j’ai vu comme de la déception dans leurs yeux… Je n’ai jamais été aussi heureux de les voir déçus !

Nos élèves aiment lire ! Mais il nous faut, chaque jour, trouver des biais, les tromper un peu en somme, pour ne pas faire de la lecture seulement un pesant et indigeste exercice parmi d’autres. Je ne crois pas que la lecture puisse être un exercice. Plus exactement, QU’UN EXERCICE. J’ai un jour scandalisé une collègue lorsque je lui ai dit que je conseillais à mes très jeunes élèves de sauter les passages qui ne les intéressaient pas… « Mais enfin, ils ne peuvent pas savoir ce qui leur plait ou pas ! Et puis ils n’ont pas à choisir ! ». Ah bon… Pourtant je continue de penser qu’on ne pourra faire aimer la lecture à nos élèves qu’en leur apprenant à choisir justement… Puis, plus tard à échanger, à argumenter, à débattre… Et toujours, à rêver…

« Allez bonnes vacances ! ». Ils ne liront peut être pas beaucoup pendant ces congés… Ils sont sollicités par tellement d’autres choses… Mais j’ai la faiblesse de croire que mes moments de lecture n’auront pas été tout à fait inutiles…

Stéphanie, Pierre, ils étaient très beaux vos passages… Ils vous ressemblaient.


11 mars

De petites notes de musique…

Les vacances s’ achèvent. Les jours allongent et le matin vient plus tôt cogner aux volets de la chambre. J’aime cette saison qui hésite encore entre le froid et la chaleur, entre les ombres et les lumières… Le ciel est clair, limpide, le contraire de ces « ciels de peintre » qui ravissaient Monet. La Normandie regorge du souvenir de monstres sacrés, d’artistes monumentaux. Ils nous écrasent même. Flaubert se promène encore le long des bords de Seine en croisant Hugo descendant vers Villequier pour aller déposer, sur une tombe oubliée,  « des bouquets de houx verts et de bruyères en fleurs ». Manet et Georges Braque boivent une absinthe Place de la Cathédrale et Guy de Maupassant interpelle une jeune fille aussi blonde que les blés… C’est une terre de géants, un espace vert ou la mer et les falaises de craie s’épousent dans des orgasmes tempétueux. Et, par dessus tout ça, Camille Saint Saëns égrène de petites notes de musique qui s’échappent par les minuscules fenêtres du Château de Dieppe ou trône encore son piano… dit-on aux visiteurs.

Cette terre de paysans et de pêcheurs, durs au mal, « taiseux » comme on dit ici, murés dans leurs silences mais aux regards d'un bleu profond qui vous embrassent ou vous fusillent, c’est selon… cette terre et cette mer sont fortes des malheurs qui les accablent. Il ne se passe pas une année sans que disparaissent quelques marins, engloutis corps et biens. Les veuves se réconfortent ; les orphelins reprendront le métier, car c’est ainsi. On ira mettre une plaque, un ex-voto dans l’Eglise perchée sur la falaise de Neuville, et dont les murs ont disparu sous des centaines de ces témoignages accrochés là depuis un siècle. « Oh combien de marins, combien de capitaines… ». Hugo encore… Hugo toujours… Quant aux « bouseux », ces paysans endettés, ils s’accrochent à leurs champs, à leurs bêtes qui colorent en meuglant le bocage, les hêtraies et les valleuses  normandes… Maupassant les a vus se tuer au mal. Ils se tuent toujours, parfois volontairement. Pas une année sans une note accrochée dans la salle des profs : « Le père de Mathieu est décédé (suicide). Je vous demande de bien vouloir en tenir compte. Le Principal »… On y est presque « habitué »…

Je ne suis pas d’ici. Je ne suis qu’ un « horsain », ces étrangers atterris par les hasards de la vie en Normandie. Et on me l’a souvent fait sentir. Ces « horsains » qu’on observe derrière les rideaux à carreaux. « D’où qu’y vient celui là ? »… Même mes élèves ont toujours voulu savoir… Ils adorent ça… « Vous êtes né où ? »… « Vous avez des enfants ? Vous êtes marié vous ? »… La méfiance en Normandie est une seconde nature… Oh elle n’est pas agressive ! Non, c’est juste que le normand veut savoir à qui il s’adresse. Il ne se confie pas lui… Il faut aller le chercher… Pas de longs discours, pas de belles phrases… Les silences sont souvent assourdissants… Des regards, des poignées de mains, et l’affaire est faite… On donne sa confiance comme on vendait une bête aux comices agricoles… Emma n’est jamais loin… Et on se prend à l’aimer…

Demain je retrouverai mes élèves. Comme à chaque fin de vacances, j’en suis heureux. Mes quatrièmes auront changé… On change très vite à cet âge. Stéphanie va me harceler ! J’ ai un paquet de copies à leur rendre… « J’ai combien ? J’ai combien ? »… Le brevet approche maintenant. Les troisièmes vont recevoir une seconde liste de livres à lire, et j’espère, à aimer… Pierre sera bavard… Les conseils de classe sont programmés… Les choix d’orientation vont être discutés… Rapidement, trop rapidement… Peut-être évoquerai je les élections à venir… On en parle peu en fait. Mes collègues sont en majorité normands… On se jauge plus qu’on ne se confie… « Taiseux », eux aussi… J’espère que nous ferons le meilleur choix… Le mien est fait.

C’est dimanche. Le soleil illumine le jardin et les premières jonquilles… J’irai sans doute sur la plage tout à l’heure, écouter les galets faire l’amour avec la mer dans un roulement continu de caresses inachevées… Et les mouettes, en hurlant, participeront aux ébats. J’aurai un regard pour le château, sentinelle éternelle, d’où échappent, dit-on, certains soirs de tempête, de petites notes de musique…


 18 mars 2007

Petites confidences entre amis…

La salle des professeurs est un espace mythique. Pour les élèves, c’est une pièce dont la porte, toujours soigneusement fermée, est, évidemment, inaccessible. C’ est normal. Alors, celles et ceux qui parviennent à la forcer sous divers prétextes deviennent de véritables héros ! Car la salle des professeurs, c’est notre espace, notre lieu de vie, notre sas de décompression, notre havre de paix…Enfin, de paix, pas toujours. Car il s’en dit, il s’en passe des choses dans la salle des professeurs…

« Tu savais que Valérie était en froid avec le principal ? » ; « Il paraît que Thierry va divorcer… » ; « La photocopieuse est encore en panne ! » ; « Michèle est en arrêt de maladie, vous avez des nouvelles ? » ; « Anne-Sophie commence sérieusement à m’énerver ! » ; « Ah quand même, les bulletins sont disponibles ! » ; « Qui achète les croissants pour la récréation de samedi ? »… Oui car le samedi n’est pas un jour comme les autres. Les professeurs qui travaillent le samedi forment presque une catégorie à part. J’ai toujours voulu travailler le samedi matin. Les élèves sont différents ce jour-là. Peut être parce qu’ils savent que la journée sera plus courte, peut être sont-ils fatigués… Et nous sommes différents, nous aussi. Tout semble plus simple. Ce qui aurait provoqué un scandale le mardi se résout facilement en ce début de week-end. Et la récréation de dix heures s’éternise un peu, autour du café, du thé et des croissants… sous l’œil bienveillant du principal adjoint qui profite lui aussi de cet instant privilégié, qui partage avec nous les confidences des « samedi matin ».

L’équipe pédagogique d’un établissement scolaire est un monde en soi. Des affinités se créent ; des amitiés se font et se défont ; parfois des alliances de circonstances font bouger les lignes… Nous ne sommes en fait que de grands enfants. Entre nous, les jalousies existent, les petites phrases, les rumeurs insignifiantes traversent les murs. Les vraies et solides solidarités existent aussi. Heureusement ! Nous avons pleinement conscience d’appartenir à un corps de professionnels compétents et passionnés, chacun avec ses méthodes, ses réussites et ses échecs. J’aime mes collègues. Je les aime car j’apprends d’eux. Mais je ne suis pas exemplaire, loin de là… Moi aussi j’ai commis des erreurs, moi aussi j’ai parfois « tiré au flanc ». Oui, j’ai moi aussi mes faiblesses, mes instants de découragements et de révolte. Quand je me retourne sur ces bientôt trente ans de carrière, le bilan reste néanmoins positif. Je ne regretterai jamais d’avoir suivi le chemin de mon père, de mon grand-père et de mon arrière grand-père. Quoi qu’ on en dise, nous faisons le même métier : transmettre, accompagner nos élèves vers leur excellence possible, les emmener à les dépasser parfois. Les méthodes, les outils, la vie ont changé. Mais la classe, l’élève, l’enseignant, la leçon, les connaissances à acquérir, les compétences à développer, tout cela est resté.

Je suis parfois seul dans la salle des professeurs. Je n’y travaille jamais. Je préfère l’isolement de ma salle vide. Rien ne me plait en effet autant que de respirer une salle de classe. On y entend les voix de nos élèves, actuels et anciens. A cette place, on se rappelle  ce garçon timide, incapable de prononcer un mot… Il est comédien aujourd’hui ! Et cette petite brune, excellente élève, dont on ne sait plus rien… Quel âge peut elle avoir ? Vingt-cinq ans ? Trente ans peut être. " Que sont mes élèves devenus… ? "  Oui je les entends à chaque fois que je regarde ma salle, vide mais si bruyante de mes souvenirs… Dans la salle des professeurs, je ne me rappelle jamais mes collègues partis sous d’autres cieux. Je suis et resterai marqué par mes élèves. A tout jamais… Par certains plus que par d’autres évidemment… En fait, dans une salle de classe vide, je ne suis jamais seul.  Je suis persuadé que notre métier est un art collectif au service des autres, un art à partager en permanence et mis en question chaque jour, chaque heure, y compris dans la solitude apparente.. Me revient en mémoire ce passage du Discours de Suède d’ Albert Camus. On ne saurait mieux dire. Alors taisons nous et écoutons…

« Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel. » Albert Camus,10 décembre 1957


25 mars 2007

Tolérance et rigueur…

Un élève que j’avais croisé en sixième me revient cette semaine. Scolarisé, si je puis dire, à la rentrée, il avait fait une apparition en septembre et puis, plus rien. Sylvain traîne dans son village, passant ses journées à faire pétarader sa mobylette et à se battre avec les adolescents de son âge quand il ne boit pas bière sur bière. Nous sommes en mars… Il reprend « normalement » les cours… Passant devant moi en entrant dans la salle de classe, je lui dis bonjour, comme à chacun de mes élèves tous les jours depuis vingt-cinq ans. Pas de réponse… Il s’assied, n’ôte pas son lourd anorak noir, ne sort rien de son cartable et baisse la tête. Ses camarades attendent ma réaction… Lourd silence…

C’est la première fois que j’ai à gérer, avec mes collègues, un cas aussi lourd que ce silence. Que faire de cet élève qui ne sait strictement rien de ce qui a été réalisé jusqu’à ce jour ? Comment le réintégrer ? Faut-il le réintégrer ? Que veut-il ? A quoi pense-t-il aujourd’hui au milieu des autres ? Lequel de nous deux, lui ou moi, est le plus mal à l’aise ? J’entame ma séance mais ma concentration est ailleurs. Je parle sans m’entendre. Je tente de saisir son regard. Nous nous observons… les autres m’observent eux aussi. Deux chats qui se jaugent… Tolérance ou rigueur ? Je ne peux pas choisir pour le moment, mais je ne peux pas non plus trop attendre pour décider… Alors je saisis l’occasion de la lecture d’un texte d’Eve Curie parlant de sa mère, Marie.

« Prêtez un livre à Sylvain et lis nous le passage page 228 s’il te plait… »

Et là, sous les yeux de toutes et tous, j’ai vu un adolescent s’effondrer. Il a regardé le livre, puis moi, puis de nouveau le livre… Il a cherché un instant le secours impuissant de ses camarades et, pour la première fois de ma vie d’enseignant, j’ai entendu un élève me dire, la mâchoire serrée… « Monsieur, je peux pas… je sais pas lire…». Aucune réaction des autres… Mais moi, je me dois de répondre… Je ne me suis jamais senti aussi seul, au bord de la panique… Et bêtement, je n’ai trouvé qu’un pauvre « Mais essaye au moins »… Et il a essayé… Il ne sait plus lire ! Il a quatorze ans et il a tout oublié. Il baisse la tête. A-t-il honte, s’en fiche-t-il totalement ? M’en veut-il ? Je ne sais pas…Je ne sais plus rien non plus ! Alors sans réfléchir, je suis venu m’asseoir à coté de lui, j’ai pris le livre et je lui ai dit :  « Je vais le lire… Ecoute bien… ». Ce sera mon seul contact avec lui jusqu’à la sonnerie.

A la récréation, mes collègues sont aussi ennuyés que moi. Tous, sans exception, ont éprouvé le même malaise. Que faire ? Non pas que faire de lui mais que faire pour lui ? Et nous ne savons pas ! L’administration l’a rescolarisé. A nous de nous débrouiller…

Il fait gris ce dimanche… Je pense à lui… Il doit tuer le temps dans un monde qu’il rejette. Oh, pas d’angélisme ! Il a des torts bien sûr ! Il aurait dû… Il aurait fallu que… Oui, mais maintenant il en est là ! Et un si lourd passé se rattrape difficilement… Ma « brune » prépare son voyage scolaire… Elle part ce soir en Haute-Savoie avec ses CM1/CM2 pendant dix jours. Sylvain a peut être connu lui aussi ces veilles de départ en voyage… Il a peut être été un élève « comme les autres »… Quand et pourquoi a-t-il basculé ? Je déteste me retrouver seul, je hais la solitude ! Lui aussi doit être bien seul… Mais bon, je ne vais quand même pas me culpabiliser !

« Frédéric, tu n’oublieras pas de sortir les poubelles… »

Mais non ! Et j’oublierai comme d’habitude… Mon naturel distrait fait le bonheur de mes élèves et de mes collègues. J’ai, un jour, commencé un cours devant une classe qui n’était pas la mienne ! Un haut fait-d’armes que l’on me rappelle gentiment souvent. Depuis j’ai appris la rigueur… je m’y astreins en tout cas… Elle est nécessaire avec des pré-adolescents. Sylvain sera-t-il là demain ? Je ne sais pas…

Quelle impuissance parfois devant l’échec annoncé… Et ni la rigueur ni la tolérance n’y changeront rien !


      

8 avril 2007

Grosse fatigue…

« Monsieur Clément, est-ce vous qui avez déposé la Lettre aux enseignants » de Ségolène Royal sur la table de la salle des professeurs ? »

Oui, c’est moi… Mon engagement en politique est récent. En fait il correspond à l’émergence d’une femme dans ce monde d’hommes en complets gris. Je ne sais quasiment rien d’elle, ci ce n’ est ce qu’en rapportent les médias… C’est à dire rien ! Ma militance toute neuve, sincère et enthousiaste, ne m’a pas attiré que des sympathies. Mais je n’ attendais pas qu’on me suive dans mes idées uniquement parce qu’elles étaient les miennes. Ce serait trop facile…

Je la connais bien cette Lettre. Je pourrai quasiment la réciter. Elle n’est pas parfaite mais elle existe et je la sais sincère… « Frédéric, avec elle une fois de plus on fera tout pour les mauvais, rien pour les excellents élèves ! Arrête avec ton angélisme de pédago ! »

Il y a quelques jours, à moitié somnolent dans un fauteuil de notre salle commune, ces mots me sont parvenus dans ma grosse fatigue de grippé : « Mauvais élèves »... « Excellents élèves »… Et la litanie du discours rabâché : « En nous occupant de ceux qui ne veulent rien faire, les bons élèves n’avancent pas ! Ils n’ont rien à faire au collège ! D’ailleurs désormais, je ne m’occupe plus d’ eux ! Ils me fichent la paix, ce n’est déjà pas mal… »…  Alors, tel Grippeminaud, le chat fourré de Rabelais et La Fontaine, j’ai ouvert un œil et surmontant ma fièvre, j’ai laissé monter la révolte… « Oui, et puis ces mauvais élèves, on pourrait aussi les pendre ou les noyer… Parce que votre rêve, chers collègues, c’est bien de rester entre vous n’est ce pas ? Enseigner aux meilleurs dans des classes idéales, celles que vous avez peut être connues et d’où les mauvais avaient été soigneusement écartés. Du moins est-ce le souvenir que vous en avez. Car il est évidemment plus aisé de maintenir des élèves entre quinze et dix-huit de moyenne que d’en faire progresser d’autres de cinq à seulement neuf ! »

Grippeminaud, ce jour-là, n'a attiré que sarcasmes et rires narquois. Pourtant, n’est ce pas en faisant travailler toute une classe, sans afficher un tel mépris, parfois une haine de la différence, que l’on peut avoir la satisfaction d’avoir fait progresser les plus faibles - et non « mauvais » - sans du tout ralentir les meilleurs, que je ne manque jamais ni de féliciter, ni de pousser à aller plus loin encore dans la recherche de l’excellence. Je suis fatigué d’entendre des enseignants tenir de tels propos. Oh, je ne les juge pas… Je pense qu’ils font fausse route. Et je n’ai pas toujours les arguments nécessaires, ni la manière, pour les convaincre qu’il existe d’autres voies vers l’excellence pour tous… A chacun son excellence, évidemment… J’ai l’impression souvent que seuls le Latin et le Grec, ou la filière « S », ont les seuls dont ils faillent se préoccuper. Mais nous sommes en 2007… Et certains rêvent d'une éducation 1950 ! Et j'ai refermé les yeux… pour me souvenir…

Je me souviens de mes maîtres à l’Ecole, au Collège, au Lycée puis à l’Université… Je n’étais pas un bon élève. J’ai redoublé ma troisième. Seuls m’intéressaient le sport et les filles. Et puis, j’ai eu des maîtres… De ceux-là qui savent vous faire aimer  apprendre sans vous y forcer… Cette professeur d’Histoire-Géographie qui a su me donner confiance, cette professeur de Français qui restait à coté de moi -j’ ai encore son parfum en mémoire -  pour me guider dans le terrible exercice du commentaire composé, ce professeur de linguistique que j’admirais pour la patience dont il faisait preuve à mon endroit, et enfin Françoise Joukovsky, celle qui a, en partie, fait de moi ce que je suis. La tolérance incarnée, mais pas la tolérance à tout va, non ! La tolérance face à l’erreur, à l'échec, aux difficultés après avoir fait le maximum pour les surmonter. Oui, ceux là m’ont donné envie de me surpasser. Sans eux, je serais resté ce mauvais élève, graine de racaille. Ils m’ont regardé, écouté, pris la main… Ils m’ont donné les outils de l’excellence, de ma modeste excellence… J’étais mauvais et ils m’ ont rendu bon… Je leur dois beaucoup ! Alors chers collègues, souvenez vous vous aussi de vos maîtres d’hier… Etiez-vous si doués qu’on n’ait même pas à vous guider ? A notre tour de guider celle ou celui qui attend qu’on lui tende la main. Jusqu’au jour où vous constaterez que vous lui avez appris l’essentiel. Il apprend et s’est dépris de vous… Quel bonheur de constater aujourd’hui que Pierre parvient, seul, à enfin séparer ces mots dans une phrase ! Devais-je, de lui aussi, ne pas m’occuper et me satisfaire qu’il me fiche la paix ? Devais-je, tel Grippeminaud le chat fourré faisant sa chattemite, ce Raminagrobis dévorant les plaignants, condamner à mon tour un enfant ?

Nous ne sommes pas des Juges ! Nous sommes des Enseignants !


Dimanche 15 avril

Le dormeur du val

"C'est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons."

Les vacances ont commencé… Stéphanie m’a dit derrière son éclatant sourire de jeune fille métissée : « Je vais réviser comme une folle ! Il me le faut ce Brevet ! »…Oui Stéphanie, il te le faut et tu l’auras ! Tous ont repris leur car dans un soleil magnifique de printemps…Il accroche, lui aussi, ses rayons aux joues roses et pleines de mes élèves… Pierre, mon petit sixième, continue sa lente reconquête de l’orthographe. Il faudra de la patience, mais il y parviendra… Fier comme la montagne, il me montre ses exercices : « C’ est mieux hein Monsieur ? »… Oui Pierre, c’est de mieux en mieux… Que vas tu faire pendant tes vacances ? La pêche à la rivière Monsieur, avec mon père… Ici, nos élèves vivent avec la nature et les trous de verdure ne manquent pas… Et vous M’sieur ? Oh moi, j’ai de quoi m’occuper…

"Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut."

Tout est calme dans le collège maintenant vidé de son sang… Je croise quelques collègues encore présents… Bonnes vacances ! Tu pars ? Non, je reste… Les élections me retiennent. Je n’ai pas envie de manquer cette page d’Histoire de France… Quelques élèves, en courant vers la sortie, se bousculent en riant… Dans l’après midi, je ferai peut être une petite sieste dans l’herbe sous la nue… Je n’aime pas ces débuts de congés. La rupture de rythme est brutale. Nous nous habituons à nos emplois du temps réglés comme de petites musiques. Chaque journée est remplie de petites cases, toujours les mêmes et toujours différentes… La lumière normande pleut sur la campagne piquetée de fleurs multicolores… Cliché ? Oui sans doûte… Mais il est des clichés qui reflètent la réalité d’un instant… . « M’sieur, vous aviez oublié votre montre sur le bureau ! »… Ah, je resterai à jamais un étourdi ! 

"Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid."

J’ai appris hier le décès d’un de mes maîtres. Il m’avait beaucoup appris, sans donner l’impression de m’ apprendre quoi que ce soit. Je ne savais jamais très bien où il voulait en venir au début de ses séances. Je ne lui ai jamais connu le moindre cartable, la moindre note, le moindre cahier. Il enseignait le français en première… Il savait nous intriguer. Nous nous questionnions : « Comment va-t-il commencer aujourd’ hui ? Que va-t-il inventer ? ». Certains ne l’aimaient pas… C’est un fou ! Oui, c’était un fou ! Un fou d’enseignement… Et en quelques minutes, la séance prenait forme, les idées, les réflexions mettaient en place une pensée, un raisonnement auquel nous participions avec avidité… Sans nous en rendre compte, il laissait ses élèves s’emparer du cours…Ce n’était pas un fou ! C’était un magicien ! J’essaye de lui ressembler sans y parvenir jamais… Avec lui, nous apprenions à nous désapprendre du maître, à donner le droit à Stéphanie et à Pierre de prendre en mains les prémices de la liberté…

"Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit."

Le pays de mon enfance, le Maroc, connaît des heures difficiles. Des hommes se font exploser en pleine rue… Quelle horreur d’ être à ce point prisonnier d’une « pensée », au point d’ en mourir… Les parfums ne feront plus frissonner leurs narines…

Je hais la guerre et tous les intégrismes qui les accompagnent… Combien perdront la vie, le coté droit percé de rouge ?


Dimanche 22 avril

L’espoir…

Il n’en reste que deux… Mon cœur battant à l’unisson de mes convictions militantes profondes, et mon choix depuis longtemps affirmé et affiché, j’espère que ce sera Elle. Voter n’est pas un acte anodin. Il vous engage et, par delà votre geste dicté par une réflexion mûrie, modelée par votre passé, vos parents souvent, votre éducation toujours, il participera à l’engagement de tout un peuple.

« L’Education, encore l’Education, toujours l’Education ! » a-t-Elle coutume de dire… Je trouve la formule un peu « slogan » mais puisque l’Education, notre passion plus encore que notre métier, est mise en lumière, alors acceptons et relayons ce slogan. Oui l’Education… « Qui a eu cette idée folle un jour d’inventer l’école » fait on dire faussement à Charlemagne dans une chanson bien connue ? Ah oui, quelle folle idée et que de combats elle a engendrés pour donner naissance à bien d’autres encore à venir… Car il n’ y a pas UNE Education mais DES éducations. Faisons un rêve en imaginant qu’elles s’accordent pour l’unique objet de notre profession : faire en sorte d’amener chaque élève à sa propre excellence avec des moyens identiques pour toutes et tous. Là réside le secret d’une Education partagée  plutôt que le leurre trop longtemps offert de l’égalité, restée à jamais hypothétique, des chances.

Les vacances allongent les journées. Il fait un temps magnifique. J’ai ressorti les outils de jardin et ma brune passe ses journées dehors. Elle a la main verte, main que j’ai si peu. Et elle enrage de me voir passer des heures devant cette diabolique invention qui vous attache autant qu’elle vous libère vers des inconnus merveilleux ou agressifs : l’informatique ! Nos élèves y excellent ! Souvent ils me conseillent en riant : « Mais non, pas comme ça Monsieur Clément ! Bon, poussez vous ! Je vais vous montrer comment on peut faire ça plus vite ! ». Et je me pousse volontiers, observant Stéphanie, Pierre ou d’autres, manipulant cet outil avec dextérité. Oh, tous ne sont pas des virtuoses du clavier. Elle, si ! Mais beaucoup, trop nombreux encore, n’ont pas Internet, pas d’ordinateurs à la maison. Vous avez dit « égalité des chances » ? « Frédéric ! Apporte moi l’arrosoir ! »… Ah oui, l’arrosoir ! Autre diabolique engin que je ne peux remplir ni transporter sans perdre le tiers de son contenu avant d’arriver à destination ! Entre l’ordinateur et l’arrosoir, je ne suis décidément pas très doué à grand chose… Sinon à rêver peut être entre les deux, ne sachant trop lequel je dois maudire le plus…

L’Education… Mon père me le disait souvent : « Il n’est rien de plus beau que de transmettre ; mais il faut transmettre avec méthode, patiemment, avec amour de la matière et de celui qui t’écoute et qui attend de toi avant, un jour, de se passer de toi. Ce jour-là, tu as gagné et lui encore plus ! ». Il aurait jubilé, mon père, de savoir que « la petite » était au second tour. Et il se serait battu pour qu’elle batte l’adversaire…Car il est dangereux cet adversaire… Il parle de valeurs et de projet alors que les libertés publiques sont en danger avec lui… Elle les porte, Elle, ces Libertés là ! Parmi ces libertés fondamentales, bien sûr, l’ Education, encore l’ Education… Vive la Laïque comme disaient nos anciens ! « Frédéric, sors de ton bureau je t’en supplie ! » Ah ce brutal retour aux réalités terre-à-terre ! Et quand je dis terre… avec ma brune, il faut aimer ça ! Sans retenue ni retard !

L’espoir d’un monde meilleur pour celles et ceux qui souffrent. Ce devrait être facile, simple puisque tellement évident. Et pourtant, pendant deux longue semaines, des femmes et des hommes qui ne se connaissent pas vont se déchirer pour que leur champion parvienne au pouvoir, à la magistrature suprême. Mais le pouvoir n’a de sens que par ce que l’on en fait, par pour lui même… C’est comme pour le jardin, en soi cela ne sert çà rien, mais si l’on en fait quelque chose de beau, quelque chose d’agréable et d’harmonieux au regard, quelque chose où il fasse bon vivre, un lieu d’accueil, de repos, de réflexion, d’échanges et de partage, de rires et d ‘émotions communes, alors ce jardin devient un univers…

A bien réfléchir, ma brune, son jardin, c’est un peu déjà ma République…


Samedi 5 mai

A mes maîtres… et puis la peur…

Longtemps je me suis levé de bonne heure… Car moi aussi je fus élève. Et je me souviens aujourd’ hui de quelques uns de mes maîtres…

Michelle R... Ce devait être au cours préparatoire… Elle était grande, brune, toujours souriante. Le soleil du Maroc dans la petite cité anciennement portugaise d’ El Jadida, sur la côte Atlantique, avait tanné la peau de son visage. Elle m’a appris par le sourire, la patience et la douceur. J’étais un enfant timide. Avec elle, j’osais. Nos élèves souvent n’osent plus, ou osent mal…J’adorais le timbre de sa voix. Il résonne encore, loin dans ma mémoire. Elle a guidé mes premiers pas vers la découverte, la curiosité, l’envie de bien faire…

Monsieur D. Mauvais souvenir ! Au cours élémentaire… il était, je le dis tout net, d’une cruauté perverse. Nous en avions peur. Les gifles, les oreilles tirées, les vexations permanentes, les coups de règles, nous avons tout enduré. Je me souviens d’ une matinée entière passée à genoux dans un coin de la salle de classe ou de ces tours de cours sous un soleil de plomb… C’était un « maître »…Il ne m’a rien appris ! Si, peut être de ne jamais être comme lui. Je lui voue, encore aujourd’hui, une rancune tenace.

Monsieur R. Ah quelle belle année que celle de mon Cours moyen deuxième année. Monsieur D. était un pédagogue né. A moi, si faible en calcul - je le suis toujours -, il a donné les clefs pour comprendre ces abominables chiffres et leurs combinaisons piégeuses. Il savait être sévère, mais toujours juste. C’est avec lui que j’ai préparé l’examen d’entrée en sixième. Cela existait à l’époque…

Mais je m’interromps…

Je reçois aujourd’ hui cette lettre d’une inconnue… On se fait tant d’amis sur Internet…

Je m'interrompt… et j’ ai peur…

Dans trois jours...

J’avais 10 ans en 1981 lors de l’élection de François Mitterrand. Dix-sept ans lors de sa réélection en 1988. J’ai eu du mal, comme tout le monde, à comprendre la politique. J’ai voté aux présidentielles la première fois, en 1995 : pour Jospin au second tour - peut-être même au premier, je ne m’en souviens plus. En 2002, je n’ai pas voté pour lui au premier tour - ça, je m’en souviens.

Je ne suis inscrite dans aucun parti. Je n’étais pas née en 1968.

Je suis écrivain. J’habite en région parisienne. J’ai des enfants. Ce matin, j’ai entendu un extrait du discours de Nicolas Sarkozy durant son meeting d’hier à Paris. J’étais en train de boire mon café. Je l’ai entendu, bêtement, dans ma cuisine.

J’avais plutôt bien dormi ; l’orage de la veille avait allégé l’atmosphère estivale de ces derniers jours. Le soleil pointait quelques rayons. Tout était paisible. Dans la radio, Nicolas Sarkozy exhortait une foule. La foule répondait par sa clameur enthousiaste. C’est bien normal, dans un meeting.

Il y a quelques jours, j'ai achevé l’écriture d’un roman. En me levant ce matin, j’étais prête à le relire, à le corriger, à tenter de lui faire rendre ce jus d’humanité qui se niche dans les personnages. Dans le poste, Nicolas Sarkozy réclamait les bulletins de vote. Jamais, a-t-il dit, JAMAIS un candidat n’a autant eu besoin du peuple. La foule prenait acte en hurlant.

Mes enfants s’apprêtaient à partir au collège. La veille, j’avais commencé à songer aux vacances d’été. Le Lot ou les Pyrénées ? Randonnée, oui, mais avec ou sans sac à dos ? Ce genre de questions.

Le discours de Nicolas Sarkozy se poursuivait. Il a dit : « Il faut liquider une bonne fois pour toutes Mai 68. »

C’est fou ce qu’il a fait beau et chaud durant ce mois d’avril, non ? Sans même partir en vacances, on s’y croyait, avec les odeurs de barbecue dans les jardins, les transats, les terrasses, et plein de gens qui avaient pris des coups de soleil. Le dimanche précédent, le 22 avril, j’avais fait la queue longuement dans le bureau de vote, puis des amis étaient venus passer la journée dans mon jardin. Parmi eux, certains avaient voté Royal, Besancenot, Bayrou, peut-être même autre chose ; on n’était pas tous d’accord, on discutait. À la radio, Nicolas Sarkozy a crié que Mai 68 nous avait imposé le relativisme moral et intellectuel.

La fenêtre de la cuisine était ouverte. J’entendais, au loin, la rumeur de la route. Le lundi matin, il y a toujours des bouchons. J’ai pensé que beaucoup de gens, dans leurs voitures, écoutaient au même moment que moi ce discours sur France Inter. RELATIVISME MORAL, INTELLECTUEL.

J’ai posé ma tasse de café. Et là, alors que tout était si paisible, si normal, je me suis mise à pleurer.

Je vous jure que c’est vrai. J’ai éclaté en sanglots. Mes enfants sont partis au collège, un peu défaits de me voir comme ça. Peu avant, la météo avait annoncé une belle journée. Je n’arrivais pas à m’arrêter de pleurer. Je suis peut-être trop sensible. J’ai peut-être reçu trop de mails ces derniers jours tendant à démontrer le caractère dangereux de Nicolas Sarkozy. J’ai peut-être accordé trop d’importance à ses propos sur la génétique, sur l’inutilité de la littérature ancienne.

J’ai peut-être mal lu, dans les mauvais journaux, les articles dénonçant les rapports qu’il entretient avec les patrons, la finance, la scientologie. J’ai peut-être mal interprété ce qu’il a dit sur France 2 l’autre soir, au sujet des prérogatives d’un président de la république qui, d’après lui, doit se mêler de tout - être le chef, sans partage.

Je ne suis sans doute pas raisonnable. Je n’ai sûrement pas les pieds sur terre, mais ce matin, j’ai entendu ses vociférations, ses cris, les intonations terrifiantes de sa voix, j’ai senti sa puissance, son populisme, sa démagogie. J’ai senti la haine qu’il porte en lui.

RELATIVISME (définition du Robert) : « Doctrine qui admet la relativité de la connaissance humaine. Doctrine d’après laquelle les valeurs (morales, esthétiques) sont relatives aux circonstances (sociales, etc.) et variables. »

Nicolas Sarkozy veut liquider ça. Autrement dit : la pensée. Comment un pays, comment la France, peut-elle porter au pouvoir un homme qui refuse la pensée ? La pensée n’est ni de droite ni de gauche, je suppose. Elle est juste l’essence de l’homme, sa caractéristique fondamentale.

Quel genre d'animal politique peut tenir des propos pareils ? Je vous l’ai dit : je ne suis pas raisonnable. J’adorerais me tromper.

Anne-Laure

Ah mes chers maîtres ! Nous en sommes là ! On pleure en France en 2007… de PEUR !


 Dimanche 13 mai

« Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge… »

(A Catherine, un amour d’enfance…)

Nicolas Sarkozy est élu Président de la République.

Stéphanie, le regard noir, m’aborde dans le hall… « Monsieur Clément… Maintenant on ne dira plus il fait un temps de chien, on dira il fait un temps de Sarko ! Je lui souris… On en reparlera tout à l’ heure…

Et j’en ai parlé… Car mon devoir est de recadrer, d’expliquer sans prendre parti… L’élection, ils l’ont vécue avec passion…Ils ne sont qu’en troisième mais en 2012, ils voteront quasiment toutes et tous. Et je leur ai donc dit ceci : « Quelles que soient les opinions des uns ou des autres, quelles que soient les miennes que je n’ai pas à défendre ici, la légitimité de cette élection est indiscutable. C’est l’honneur même du suffrage universel, si chèrement acquis ! Donc nous avons un Président et celui-ci doit être respecté comme tel. »

Ils m’ont regardé, surpris. Certains, dont les parents sont des amis, connaissent mes convictions. « Mais on ne peut pas le laisser faire ce qu’il veut quand même ! »… Alors, j’ai abordé calmement le rôle du Parlement, de l’opposition, des syndicats, du Conseil Constitutionnel. Je suis revenu sur les manifestations violentes et je les ai très fermement condamnées. La politique doit être une confrontation d’idées, pas une suite de jets de pavés. Bref, une belle occasion de faire de l’éducation civique.

Ceci dit, j’ai mal… Et j’ai peur de voir notre métier changer dans un sens que je pense mauvais. Voilà vingt-six ans bientôt que j’enseigne. Les passéistes aujourd’hui triomphent en assénant contre-vérités sur contre-vérités avec la complicité des médias… Tout était mieux avant ! Avant Mai 68 ? Alors comme l’a très justement dit mon ami Philippe Meirieu, bienvenue en…67 ! 1967…J’avais onze ans…

 Je me souviens de Catherine qui avait osé porter une jupe au dessus du genou. Elle l’avait raccourcie elle même… Elle était jolie Catherine à onze ans…Elle est toujours jolie d’ailleurs… Elle est encore au Maroc où elle enseigne en école primaire…La Surveillante Générale l’avait fait appeler dans son bureau et, à l’aide d’une paire de ciseaux, avait rétabli la jupe à sa « juste » longueur ! Sous le genou, ah mais ! Cachez cette jambe que je ne saurai voir…Catherine est revenue en larmes dans la classe, humiliée…Un détail ? Certes… Mais bienvenue en 1967 ! Liquidons l’esprit de Mai 68 n’est ce pas ? Liquider l’esprit ? Quel terrible aveu ! Comment liquide-t-on l’Esprit Monsieur le Président ? Il est vrai que d’autres avant vous ont failli y parvenir… Failli seulement ! Elle avait de jolies jambes Catherine…

Le programme d’Histoire en quatrième, par un hasard heureux, permet d’aborder la naissance des mouvements ouvriers, du syndicalisme au dix-neuvième siècle. A huit ans, des enfants descendaient dans les mines du nord…Ils poussaient des wagonnets et à trente-cinq ans crachaient leurs poumons pour mourir de silicose à quarante… Les femmes cachaient leur grossesse…Une femme enceinte, ça ne produit plus…Alors parfois, les ouvriers se révoltaient et on envoyait la troupe…Comment cette racaille aurait elle le droit de mettre en danger l’ordre établi, n’est ce pas ? « Comme dans Germinal alors ? »… Oui Paul, comme dans Germinal…Qui a lu le livre ? Peu de mains se lèvent…Lundi, nous regarderons le film…celui avec Renaud et Depardieu…Vous permettez Monsieur le Président que je rappelle à mes élèves ce que fut l’esprit de ces années là ? Ou faut-il aussi liquider ces souvenirs qui ont construit la France au moins autant que la bourgeoisie triomphante ?

Dans trois jours, Monsieur Sarkozy prendra officiellement ses fonctions. J’accrocherai un chiffon rouge à mon rétroviseur…

Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge
Une fleur couleur de sang
Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge
Lève-toi car il est temps

Allons droit devant vers la lumière
En levant le poing et en serrant les dents
Nous réveillerons la terre entière
Et demain, nos matins chanteront

Compagnon de colère, compagnon de combat
Toi que l'on faisait taire, toi qui ne comptais pas
Tu vas pouvoir enfin le porter
Le chiffon rouge de la liberté
Car le monde sera ce que tu le feras
Plein d'amour de justice et de joie

Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge
Une fleur couleur de sang
Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge
Lève-toi car il est temps

Tu crevais de faim dans ta misère
Tu vendais tes bras pour un morceau de pain
Mais ne crains plus rien, le jour se lève
Il fera bon vivre demain

Compagnon de colère, compagnon de combat
Toi que l'on faisait taire, toi qui ne comptais pas
Tu vas pouvoir enfin le porter
Le chiffon rouge de la liberté
Car le monde sera ce que tu le feras
Plein d'amour de justice et de joie

M. Fugain

M. Vidalin

http://deljehier.free.fr/telechargements/le_chiffon_rouge.mp3


Dimanche 27 mai

« Entre ici Jean Moulin… »

Cher Guy Môcquet,

Tu dois, là où tu es, là où tu n’es pas, te poser les mêmes questions que moi, que beaucoup d’entre nous, que même mes élèves m’ont posées : « Mais à quoi ça sert ? Pourquoi aujourd’ hui ? ». Oui à quoi pourra bien servir cette lecture de ta lettre poignante à tes parents quelques heures, quelques minutes avant que la mort vienne mettre fin à ton combat pour en faire lever d’autres à l’instant de ton dernier soupir en ce jour d’octobre 1941 ?

Car comme tu le sais, ta lettre est lue chaque année par des milliers d’enseignants et d’élèves. On te connaît bien. Tu es l’exemple toujours vivant du refus de l’esclavage érigé en dogme et de l’amour éclatant dans ton sourire adolescent de la Liberté. Notre Président de la République a eu l’idée de la faire lire chaque début d’année, comme ça, sans autre explication que celle de donner aux générations futures l’image, à travers toi, d’une France héroïque et sans tache, certes exemplaire, mais seulement exemplaire. Toi qui n’as pas eu le temps de pratiquer l’Histoire mais qui en es mort et y es entré les pieds devant, tu sais bien que ta lettre admirable de courage et de force est le résultat d’un long processus abominable.

Stéphanie, souviens toi de Guy Môcquet ! Souviens toi de son père arrêté parce que Communiste puis interné à Maison-Carrée en Algérie… Souviens toi, Pierre, de l’ arrestation de Guy, jeune homme un peu plus âgé que toi, et qui, parce qu’il distribuait des tracts n’appelant d’ailleurs même pas à la résistance, mais dénonçant le caractère impérialiste de la guerre, paiera du plus ultime des sacrifices, celui de sa vie, son engagement militant.

Céline, Kader, Fabien, souvenez vous aussi de Pierre Pucheu, Préfet français, livrant dans une froideur administrative glaçante et criminelle une liste de noms parmi lesquels le tien, Guy Môcquet… Souvenez vous des ces policiers français montant la garde jusqu’à son dernier matin, à Châteaubriant, complices objectifs de l’occupant…

Alors au regard de l’Histoire, de TOUTE l’Histoire au service de la compréhension du présent, de votre présent, alors et en plagiant Malraux accueillant Jean Moulin au Panthéon, entre ici Guy Môcquet, dans le cœur des hommes, « comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique et les combats d'Alsace, entre ici, Guy Môcquet avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle - nos frères dans l'ordre de la Nuit...  Commémorant l'anniversaire de la Libération de Paris, je disais : " Écoute ce soir, jeunesse de mon pays, ces cloches d'anniversaire qui sonneront comme celles d'il y a quatorze ans. Puisses-tu, cette fois, les entendre : elles vont sonner pour toi. "  

L'hommage d'aujourd'hui n'appelle que le chant qui va s'élever maintenant, ce Chant des partisans que j'ai entendu murmurer comme un chant de complicité, puis psalmodier dans le brouillard des Vosges et les bois d'Alsace, mêlé au cri perdu des moutons des tabors, quand les bazookas de Corrèze avançaient à la rencontre des chars de Rundstedt lancés de nouveau contre Strasbourg. Écoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du Malheur. C'est la marche funèbre des cendres que voici. À  côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France... »

Voilà mon cher Guy ce que je dirai à mes élèves. Et je ne leur dirai pas tout cela en début d’année scolaire, quand le soleil de septembre vient encore éclairer ta tombe de sa lumière ! Je n’obéirai pas à un homme, tout légitime soit-il et dont je respecte la légitimité, car son ordre ne correspond à rien de ce que l’Histoire enseigne ! Lire ta lettre, soit. Mais alors TOUT dire ! Ne rien cacher ! Ne rien transformer ! Tu n’es pas au service d’un destin personnel ! Tu fais partie de notre Histoire commune avec ses éclairs et ses ombres…Hélas, on veut, je crois, t’instrumentaliser ! Ce sera sans moi et ce sera mon misérable acte de résistance…

On ne me fusillera pas…

Au revoir Guy

Frédéric

Le discours d’André Malraux/Archives de l’INA : http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php?vue=notice&id_notice=CAF89027428


Dimanche 3 juin

Comme une petite musique…

Juin ! Le mois du brevet pour les troisièmes ! « Le vrai » comme dit Stéphanie… Le mois des derniers conseils de classe, ceux à la fin desquels les délégués de classe, à peine sortis de la salle, se précipitent sur leur portable pour annoncer les bonnes ou mauvaises nouvelles. « Tu passes ! »… Le mois qui termine l’année scolaire dans la moiteur de l’été qui s’annonce. Le mois des dossiers et des dernières sorties. Certains partent cette semaine en Espagne, à Barcelone. Je suis content pour eux. Les voyages ne font pas que former la jeunesse… Ils construisent et matérialisent leur vision d’une Europe qui, lentement, se fait.

Juin, c’est une petite musique différente. Nos séances, nos attitudes, nos conseils, résonnent différemment. Tout semble se détendre, s’écoule dans des moments d’être, comme disait Proust, des moments d’être qui prennent fin. Je vis cette période comme au ralenti. Le stress engendré par les mille et une obligations qui rythment nos journées communes s’estompe. Il laisse place à une forme étrange de quiétude, mais aussi de questionnements : auront-ils tous leur Brevet ? Ai-je tout fait pour que Pierre, enfin, soit libéré de son enfermement maladif face à l’écriture ? Stéphanie est-elle armée pour son passage en seconde ? Qu’aurai-je pu ou du faire d’autres pour cette quatrième difficile ? Mais il est trop tard désormais. Juin, c’est le point final d’un chapitre, le silence qui va s’installer dans l’établissement, le dernier cours, les au-revoir des plus grands qui ne reviendront pas… Quelques uns nous ont côtoyés pendant quatre ans. Je les ai aimés, parfois détestés mais cela ne durait pas. Nous les avons accompagnés, sur le chemin, chaque collègue mettant le meilleur de lui-même pour construire ce voyage mystérieux qui mène de l’enfance timide ou dissipée à la pré adolescence responsable, qui mène à la connaissance par le savoir-faire libérateur.

Souvent je me suis demandé : que seraient-ils sans nous ? Mais je me demande aujourd’hui ce que je serais sans eux ? C’est dans cette double interrogation que se trouve je crois le Mystère, au sens quasi mystique du terme, du lien très fort qui unit le Maître à son disciple, l’élève au professeur. Jamais notre enseignement ne pourra accomplir pleinement ses missions si nous occultons le fait oh combien vivant du « vivre ensemble ». Oui Stéphanie, oui Pierre, j’ai vécu avec vous ! Vous avez vécu avec moi ! J’ai été votre professeur et vous avez été mes élèves. Mais NOUS avons appris les uns des autres. Juin, c’est aussi cela : la perception d’une aventure commencée qui s’achève. Et l’on se souvient des fous-rires, des bonnes et des mauvaises notes, d’une leçon réussie et d’une autre manquée, des ces conversations au détour d’un couloir ou à votre table à la cantine. Que vous étiez fiers que je prenne le temps de m’arrêter pour vous écouter, vous regarder rire, vous inquiéter parfois... Et nous riions ensemble… Tu m’oublieras, Stéphanie… Mais si…Ne dis pas le contraire même si cela me fait plaisir que tu veuilles, sans le savoir, me mentir…Tu m’oublieras et il faut que cela soit ainsi. Bientôt tu côtoieras d’autres Maîtres, d’autres amis…Tu éprouveras d’autres sentiments, contradictoires et passionnés. Tu deviendras une citoyenne…Tu deviendras une femme. Tu apprendras encore car on apprend toujours et pas seulement à l’école… Quant à toi, Pierre, je te retrouverai peut être, en septembre…Et nous continuerons l’aventure…Tu veux bien ?

Juin ! Déjà… Tout est passé si vite…

Une année scolaire, la vingt-sixième de ma carrière…Déjà aussi ! Et comme une petite musique, j’entends mon père me dire : « Alors, ils ont grandi tes élèves ? »… Jamais il ne m’a demandé s’ils étaient meilleurs… Je n’aurais pas su quoi répondre…Meilleurs ? Meilleurs que qui, que quoi ? « Ils savent plus de choses papa… » Alors, m’a-t-il écrit un jour dans une lettre précieusement conservée, « ils ont forcément grandi et l’essentiel est là Frédéric. Fais-les grandir en leur faisant aimer apprendre et aime apprendre avec eux ! Joue leur ta petite musique, bats la mesure et marche avec eux au milieu des savoirs. Le reste ne t’appartient pas. Ils s’en empareront parce que tu auras su leur donner l’envie de t’accompagner vers le monde incertain de l’age adulte. Ils t’en seront reconnaissants même si, jamais, ils ne te le diront. De toutes les manières, nous ne sommes pas là pour être remerciés mais pour lire dans leurs yeux le désir de comprendre… »

Les paroles de mon père ont toujours résonné comme une petite musique… Puissiez-vous, Stéphanie, Pierre et tous les autres, l’entendre à votre tour…


Dimanche 10 juin

A une jeune collègue…

Chère Anna,

Je t’ai rencontrée en septembre, puis côtoyée sans vraiment te parler ni te connaître pendant toute une année scolaire. Jeune professeur, j’ai lu ton enthousiasme, tes doutes et tes certitudes. Tu débutes dans la carrière et je me suis bien gardé de te donner le moindre conseil. Qui suis-je pour être un « conseilleur » ? Peut-être les as-tu souhaités… Mais tu ne m’en as rien dit… Alors nous avons vécu, en parallèle, toi ne sachant même pas que, sans indiscrétion aucune, je t’observais…

Ce métier, en collège en tout cas et je ne connais que lui, offre toutes les occasions imaginables de travailler ensemble, de partager nos expériences, d’échanger nos idées. Et pourtant nous ne le faisons que rarement. Il faut parfois des années à deux enseignants du même établissement pour s’apercevoir un jour que bien des choses les rapprochent. Mais voilà, chacun ferme sa porte de salle de classe, ne l’ouvre que pour faire entrer les élèves du groupe suivant. Puis vient la sonnerie, celle d’une fin de journée qui pour les uns se termine à midi, pour d’autres à quatorze heures…Nous nous croisons bien plus que nous ne nous voyons…Oh bien sûr, il y a les récréations, la machine à café et la cantine… Mais les dialogues sont toujours un peu les mêmes, les propos sont pesés et soupesés… De quel droit pourrais-je te demander ce que tu fais dans ta classe, comment tu parviens à obtenir de Cécile ou de Mokhtar ce que je n’obtiens pas ? De quel droit pourrais-je te dire que j’ai fait lire Sébastien, que Marie apprend ses leçons alors qu’avec toi elle n’y parvient pas ? Oui, de quel droit ?

Un jour, t’en souviens-tu, en conseil de classe je t’ai dit tout bas comme un élève soucieux de ne pas se faire prendre, remarquant que tu ne prenais jamais la parole :

« Vas-y, dis ce que tu as à dire… allez… »

Mais les mots ne sont pas venus… Ou tu n’as pas voulu… Curieux métier qui nous fait tant parler à nos élèves mais si peu ou si mal de nos élèves… Un jour, Anna, tu la prendras cette parole à ton tour… Tu seras alors entrée vraiment dans la carrière. Espérons qu’on t’écoute… Mais ça, c’est une autre histoire…

Dans quelques jours les vacances vont séparer les collègues. Toi, tu ne reviendras pas. Ton statut-quelle horreur !- te fait aller de collège en collège… Je penserai souvent à toi, jeune enseignante car je me suis revu en toi il y a vingt-six ans. Moi non plus je ne parlais pas beaucoup. Je ne partageais pas. Je ne partage toujours pas plus que nécessaire… Par pudeur sans doute… Et nous avons bien tort ! Notre profession souffre, nous et nos élèves avec, de tous ces lourds silences, de ces portes closes sur nos pratiques et le poids du secret étouffe nos enthousiasmes. Parlons-nous ! Engueulons-nous même s’il le faut ! Cela vaudra toujours mieux que tous les non-dits…

Chère Anna, je te souhaite d’aimer ce métier, le plus beau du monde. Je te souhaite de ne pas voir passer les heures, les journées ni les années. Je te souhaite de croiser des regards et des sourires sur les visages de tes élèves, ces regards et ces sourires qui nous font les aimer, les haïr aussi…Cela arrive… Oui Anna, exprime-toi ! Dis ce que tu penses, fais ce que tu dis et dans vingt-six ans, en repassant le film, n’aie aucun regret ! Tu es Professeur !

Fais-toi plaisir !

Bon voyage…

Frédéric


Dimanche 17 juin

Les idées reçues

J’aime me mêler aux gens… Ces gens qui sont loin de nos préoccupations professionnelles. J’aime les écouter parler de notre métier. Ce qu’ils en disent est un florilège d’idées reçues et générales :

  • Les élèves ne respectent plus les professeurs
  • Les élèves ne se lèvent plus quand le professeur entre dans la classe
  • Les Professeurs ? Toujours en grève !
  • Le niveau baisse ; les élèves ne savent plus écrire
  • Les diplômes sont donnés, bradés ; et puis ils ne servent plus à rien
  • C’était mieux avant
  • On ne fait plus d’éducation civique

Et j’en passe… Je souris en entendant tout cela. J’essaye de convaincre du contraire. Oh, tout n’est pas faux, mais tout est excessif. Notre école ne va pas bien, c’est un fait. Mais selon sa chapelle, les maux et les remèdes, les causes et leurs conséquences diffèrent très largement. Pierre écrit mieux depuis quelques mois. Avant guerre, des élèves comme Pierre, il y en avait beaucoup plus, et aucun n’a eu la chance de poursuivre une scolarité en collège. Alors oui, évidemment, une fois le tri effectué, c’était mieux avant… Mieux pour qui, pour combien ? Pour combien d’oubliés, recalés, mis de coté sans solutions ? Malgré tout, notre école va mal…ou, comme le dit très justement Philippe Meirieu, ne va pas bien :

« Disons le tout net : le Président et la droite ont raison de dire que l’École ne va pas bien… et ce n’est pas le discours faussement consensuel de la gauche sur « les immenses progrès accomplis » grâce à elle qui lui permettra de regagner la confiance des Français.

L’école ne va pas bien parce que ses moyens ont été progressivement réduits, que les budgets pédagogiques ont été renvoyés aux collectivités locales et à l’inégalité, que la hiérarchie s’est enkystée sur des postures autoritaristes, que les parents n’ont plus confiance dans l’institution, que l’opinion imagine qu’on retrouvera la qualité par la mise en concurrence systématique et non par le renforcement du service public. L’École ne va pas bien, surtout, parce que les professeurs ont perdu confiance et que leur métier est devenu de plus en plus difficile… »

Les élèves aussi ont perdu confiance. Perdu même conscience de l’utilité d’apprendre et plus encore, du plaisir de chercher pour trouver, d’apprendre pour reproduire puis inventer. A qui la faute ? A toutes et tous sans doute, de l’Institution aux parents en passant par l’élève, aux médias complaisants véhiculant les à-priori et à-peu-près, aux pédagogues divisés et aux anti-pédagogues revanchards mais enfermés dans un discours passéiste, aux Professeurs d’école démunis et découragés, aux chefs d’établissements privés de marge de manœuvre, aux réformes et contre-réformes politiciennes, aux parents baissant trop vite les bras et considérant l’école comme une garderie, à moi aussi, trop laxiste ou trop sévère et naviguant à vue, comme tout le monde…Tous les liens doivent être recréés. Entre les différents cycles, entre élèves et professeurs, entre parents et enfants, entre l’Institution et ses fonctionnaires, entre tous en fait…Sans ce lien, social et culturel, les projets les plus ambitieux, les mieux ficelés se heurteront au délitement général. Sans moyens humains, ils se briseront sur les écueils du découragement.

Me voilà bien pessimiste tout à coup…Non ! Je crois toujours et croirai jusqu’à ma dernière heure de cours à ce métier. Il a subi bien d’autres crises dont il est sorti renforcé. Mais j’en appelle au sursaut urgent des élus de ce pays, toutes tendances confondues : Pierre et Stéphanie ont besoin de projets, d’ambition, mais ils ont surtout besoin d’enseignants pouvant enseigner…Un poste qu’on supprime, qu’on ne remplace pas, c’est un élève qui souffre et, à terme, qui échoue. Est-ce cela que l’on veut ?

« Frédéric ! Quitte cet ordinateur ! Il fait si beau dehors… »

Ah, ma brune me rappelle aux réalités simples de la vie…Ma Directrice d’école souffre aussi des idées reçues qui affaiblissent son métier…Mais tant qu’elle peut encore m’obliger à prendre l’air, tous les espoirs ne sont pas perdus…

Alors allons profiter du soleil…et de l’arrosoir qui m’attend certainement dans un coin du garage…


 Dimanche 24 juin

« Prêts ? Partez ! »

Et ils sont partis… Par le « jeu » des impératifs d organisation du Diplôme National du Brevet, je ne retrouverai le collège que samedi. Les deux premiers jours de la semaine qui vient vont en effet m’éloigner de mes élèves puisque, étant correcteur jeudi et vendredi prochains, je n’ai pas à participer à la surveillance des épreuves. Stéphanie, de nouveau amoureuse, a déjà obtenu ce qu’elle désirait : intégrer le lycée de son choix mais une petite déception est venue assombrir son sourire : elle est sur liste d’attente des candidats à la seconde européenne … Pour le moment, sa seule certitude, c’est qu’ elle va évidemment échouer au « Brevet ». Et évidemment, elle l’obtiendra avec mention qui plus est…

Ils sont donc partis. Je n’ai jamais aimé cette étrange période des grands départs. Les troisièmes, surtout, celles et ceux avec lesquels on commençait à partager des conversations et des travaux de plus en plus aboutis, ceux là s’en vont quand on les connaissait enfin… Pour certains, nous les avons accompagnés pendant quatre ans ! Ce ne sont pas nos enfants ; ce sont bien nos élèves et surtout nos élèves…Mais que de souvenirs ! Je revois Stéphanie en sixième, espiègle, déjà meneuse de troupes, déjà douée pour beaucoup de choses, déjà si charmeuse… Aujourd’hui si grande !

« Monsieur Clément ? Monsieur Clément ! Vous rêvez ou quoi ? »

C’est elle qui me sort de ma torpeur. Ils révisent ; je les autorise à se rassurer, mais aussi à se préparer à la première épreuve scolaire de leur vie. C’est leur premier examen, leur première expérience avec la confrontation à des sujets, au décorum des salles préparées, aux vérifications administratives, à une surveillance stricte, à l’exigence de la concentration. Certains affirment que ce Diplôme est sans valeur. Je ne partage pas cet avis qui dévalue les efforts consentis pendant l’année par l’immense majorité de nos élèves de troisième. Il a la valeur de la satisfaction légitime qui sera la leur lorsqu’ils viendront lire les listes des reçus ; il a la valeur des larmes et des mines déconfites de celles et ceux qui auront échoué. C’est le premier examen de leur vie… J’aimerais tant qu’aucun ne soit triste dans quelques jours…

« Non, non Stéphanie, je réfléchissais à l’exercice suivant… ». Sa moue me laisse imaginer qu’elle a éventé mon mensonge… On se connaît bien maintenant… On se connaît bien, et c’est maintenant que nous allons nous séparer…Mais c’est bien mieux ainsi !

« On ne vous oubliera jamais, Monsieur Clément ! »

Mais si vous m’oublierez…Vous nous oublierez tous…En revanche vous n’oublierez pas nos lectures, nos débats, nos prises de becs au sujet de la métaphore et de la comparaison, de la valeur des temps toujours difficiles à comprendre et à expliquer, nos émerveillements partagés sur une page de Maupassant, un poème d’Hugo, un extrait de Giraudoux. Oubliez-moi mais n’oubliez rien ! En tout cas, gardez ce que vous avez aimé…

Je consulte ma montre, nerveusement… Dans quelques minutes, je sais que je vais les regarder sortir, un par un, sans en oublier un seul. Et comme depuis vingt-six ans, à chaque sourire échangé ou pas, à a chaque regard croisé, mon cœur se serrera de les voir disparaître dans les couloirs. Je ne devrais pas pourtant, je le sais… Dès septembre, je retrouverai d’autres élèves qui attendront de moi, de nous, qu’on les accompagne de notre autorité bienveillante, stricte sans être injuste, de nos compétences éclairées mai surtout éclairantes, de notre compréhension et non de notre amitié. Nous ne sommes en aucun cas les amis de nos élèves, mais bien leurs professeurs, leurs maîtres, et c’est ainsi qu’ils nous estiment. Mais comment faire pour ne pas tomber en amour devant ce sourire éclatant qui accompagne cette sortie, définitive ?

« On pourra venir vous dire bonjour l’an prochain quand on viendra chercher notre Diplôme Monsieur Clément ? »… Mais oui vous pourrez…

Ma porte restera toujours ouverte sur le couloir, ce couloir qui aujourd’hui vous engloutit et vous enlève, ce couloir qui vous guide vers d’autres lieux, vers d’autres maîtres, vers d’autres savoirs, vers ailleurs…

VOTRE ailleurs où je n’ai plus ma place…


 Dimanche 1er juillet

Quand mûrissent les blés…

La campagne normande, humide sous un ciel gris qui n’en finit pas de pleurer, frissonne sous le vent. Les blés sont encore verts mais déjà hauts. Je marche seul sur un chemin qui descend vers le bourg. Il s’étale, se vautre presque, alangui le long de la rivière qui chante en accompagnant les cris aigus des élèves. Les vacances sont là, toutes proches désormais. Je m’arrête un instant et je regarde, j’écoute. Je m’enivre des parfums tout neufs, exhalés de mille fleurs dont je ne sais rien d’autre que la beauté. Je sursaute au chant d’un oiseau apeuré et qui fuit. Voilà vingt-six ans, j’arrivais ici, jeune enseignant enthousiaste et heureux de suivre les pas de mon père. Les ruines du château côtoient toujours l’architecture hideuse du collège. Je me suis toujours demandé pour quelles étranges raisons nos établissements scolaires étaient parfois si laids… Et pourtant, quel bonheur chaque matin de retrouver les couloirs, la salle de classe, MA salle de classe et MES élèves ! « Bonjour Monsieur Clément ! Alors en ballade ? ». C’est un parent d’élève, juché sur son tracteur, qui m’interpelle… Oui en ballade, une ballade loin de tout, à l’écart du monde, de ses soubresauts, de ses drames petits et grands, sur un chemin vert qui pourtant me ramènera forcément vers le collège, forcément et heureusement !

Pierre, le petit Pierre passe en cinquième. Avec des difficultés majeures encore. Mes collègues et moi-même avons pansé les plaies de son orthographe meurtrie. Il sépare les mots maintenant… Son bonheur fait plaisir à voir. Blond comme on l’est souvent en Normandie, terre viking, le visage pâle transformant son sourire en éclat vermillon. Dans deux mois, Pierre reviendra s’asseoir devant ses professeurs… Pourvu que les vacances n’effacent pas ses efforts…

Stéphanie a, m’a-t-elle dit, réussi son Brevet. Je n’en doutais pas. Aussi brune que Pierre peut être blond, elle rit. Elle rit toujours ! Le lycée va lui ouvrir ses portes et elle y réussira, je le sais. Par ses efforts, son bonheur d’apprendre, sa curiosité toujours en éveil, ce petit oiseau fou prendra son envol. Nous l’y avons aidée… Elle quitte le nid… Bel oiseau dans le ciel de son propre avenir, un ciel bleu celui-là…

Je reprends ma marche, en relevant mon col. Il pleut et l’eau s’infiltre partout. Un grand nombre de collègues quitte le collège cette année. Une équipe pédagogique est un terrain mouvant. Mais c’est peut être bien ainsi. De nouveaux partenaires vont arriver, expérimentés ou pas. Il faudra recommencer, apprendre à nous connaître, peut-être à nous défier… J’ai toute la côte à remonter et la pluie redouble…Dans le bourg, les parapluies se précipitent vers les voitures garées sur la place. Un ballet de parapluies multicolores, des petits ciels de plastique sur lesquels viennent mourir les gouttes…Les seize années de mon adolescence au Maroc m’ont définitivement fâché avec la pluie… Il faudra que je demande mon emploi du temps de l’an prochain…Cela ne m’a jamais inquiété. Je n’ai jamais contesté les moindres répartitions horaires. A quoi bon ? Pourtant, certaines d’entre elles comportaient des aberrations…Deux heures de français en sixième de quinze a dix-sept heures ! Quelle ineptie ! il y aurait tant à faire à ce sujet… A mes jeunes collègues de se battre pour démolir les murs de la bêtise… Je les y aiderai. Un chien se jette à la barrière en m’entendant accélérer le pas… Même les chiens se méfient des passants en Normandie…

Enseigner ! Je souhaite à toutes celles et ceux qui ont choisi ce métier de l’aimer. Oh je sais parfaitement que je suis un privilégié, en aucun cas un exemple. Ces quelques chapitres n’ont été qu’un témoignage de ma passion, exercée dans un établissement rural, à l’abri des soucis quotidiens de mes collègues urbains. Je sais leurs difficultés, leur découragement, mais aussi leur patience et leur foi. Notre profession a besoin de considération. La considération de notre hiérarchie, des parents, des élèves. Mais pour l’obtenir, ne faudrait-il pas tout simplement nous considérer nous-mêmes et considérer les autres ? Echanger, partager davantage…Oser les expériences, le dialogue permanent… Accepter l’erreur pour mieux la corriger…Féliciter l’élève brillant sans blâmer celui en difficultés…Refuser l’à-peu-près pour permettre à chacun d’atteindre « son » excellence. Sortir enfin des discours de chapelles pour participer ensemble à la refondation nécessaire de notre Education Nationale.

J’ai rejoint le parking… Ma voiture m’attend… Je regarde le collège… Il ruisselle quand mûrissent les blés… Il pleure peut-être de ne plus voir ce qui en fait sa raison de vivre : les élèves, nos élèves !


Epilogue

L'école des beaux-arts

Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant ses enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Émerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
A la minute
Devant eux.

Jacques Prévert


                             

Je tiens à remercier :

  • mes élèves et, en particulier, Stéphanie et Pierre,
  • mes collègues,
  • mes parents dont le souvenir est omniprésent,
  • et tous les anonymes ou pas qui m’ont fait connaître leur sentiment à la lecture de ces lignes…
  • ma « brune », si patiente et que je vais enfin pouvoir aider à arroser le jardin…

Enfin, ce feuilleton est dédié à Philippe Meirieu, qui a accueilli en toute confiance les épisodes successifs sur son site Internet, sans même me connaître. Jamais, sans ses encouragements, je n’aurais écrit la moindre ligne. Je salue en lui le maître qu’il a été et qu’il est toujours…

Merci Philippe…

« Frédéric Clément… »

Professeur d’Enseignement Général des Collèges

Dimanche 1er juillet 2007