AUTORITE

La crise de l'autorité est devenue, aujourd'hui, un lieu commun et semble à l'origine de tous nos maux. À tort et à raison. À tort, parce que, depuis toujours, les adultes se sont plaints de l'arrogance des jeunes générations : les plus vieux textes écrits dont nous disposons déplorent le manque de respect des jeunes envers leurs aînés... Mais à raison aussi : parce que nous ne sommes plus, en France, dans une société théocratique. Le ciel n'est peut-être pas vide, mais, de toute évidence, il est muet : il n'existe plus de parole morale qui s'impose à tous ; chaque parent, chaque éducateur, se retrouve, un jour ou l'autre, devant des situations, plus ou moins difficiles, plus ou moins dramatiques, pour lesquelles il ne dispose pas de réponse toute prête : refus du travail scolaire, conduites de transgression   qui mettent en péril l'intégrité psychologique ou physique d'un jeune, pression d'un groupe ou d'un clan qui s'empare d'un enfant et lui font perdre toute autonomie, comportements sexuels précoces et désordonnés, emprise abusive de la télévision, etc.

Face à ces difficultés, les éducateurs adoptent diverses attitudes. Certains se durcissent et jouent la fermeté absolue. Parfois avec succès, parfois en suscitant, chez le jeune, la révolte, le mutisme, quand ce n'est pas le conflit irrémédiable, voire la fugue. D'autres veulent paraître modernes et se laissent aller au laxisme : " Après tout, c'est ta vie, ce n'est pas la mienne et si tu veux la gâcher, c'est ton problème. Je ne peux par réussir ta vie à ta place ! " Mais, la plupart du temps, nous oscillons entre des sursauts d'autoritarisme et le constat de notre impuissance : " Tu ne regarderas plus la télé qu'un jour par semaine et je vérifierai ton travail tous les soirs... " Mais nos enfants savent bien qu'on ne tiendra pas dans la durée et que nous en rabattrons très vite : " Oh ! finalement, fais ce que tu veux ! Et tant pis pour toi ! "

Car nous savons bien que nous autres adultes, nous sommes constamment menacés par cette oscillation infernale entre " Je reprends tout en mains " et " Fais comme tu veux ! ". Rien n'est pire que cette oscillation qui déboussole complètement les enfants les plus fragiles et laisse les autres perplexes...

C'est pourquoi, il ne faut surtout pas croire les spécialistes du " Y a qu'à... " et du " Je sais tout ". Ceux qui prétendent qu'il suffirait d'un bon rappel à l'ordre pour résoudre toutes nos difficultés sont des imposteurs. Nous aurons peut-être un moment de tranquillité, mais ça ne durera pas. En entrant dans le rapport de force avec nos enfants, nous engageons même une partie de bras de fer qui se retournera immanquablement contre nous : nous légitimons la force comme fondement de notre autorité, nous nous décrédibilisons.  

Au bout du compte, la véritable autorité ne se reconstruira que si les adultes savent montrer que ce qu'ils imposent aux jeunes leur permet de grandir et de réussir leur vie. Un enfant finit toujours par respecter l'adulte qui l'aide à surmonter un échec, à comprendre le monde et à exister dans ce monde sans avoir à s'imposer par la violence. L'autorité de l'adulte n'est crédible que s'il ne contredit pas, par l'exemple qu'il donne, les prescriptions qu'il énonce. S'il n'impose pas des règles qu'il transgresse lui-même allègrement. Et, finalement,, l'autorité des parents et des enseignants ne sera véritablement acceptée que si elle est porteuse de sens : si les enfants et les élèves en comprennent la fécondité, si on prend le temps de leur faire entrevoir les satisfactions futures et le bonheur possible qui les attendent, au-delà des frustrations inhérentes à tout acte éducatif. Ne nous trompons pas : les jeunes d'aujourd'hui sont prêts à sacrifier leur plaisir et leur intérêt immédiat. Ils aiment le travail et l'effort... Mais à condition que le monde que nous leur proposons en vaille la peine. La balle est dans notre camp.

Philippe MEIRIEU

Sur ce thème, lire la conférence donnée dans le cadre des Rencontres internationales de Genève en septembre 2005 : "Quelle autorité pour quelle éducation?"