Instituts universitaires de formation des maîtres

Les Instituts universitaires de Formation des Maîtres, implantés dans chaque académie depuis 1991, ont été créés en application de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989. Ils s’inscrivent dans la perspective générale de ce texte qui s’efforce de créer les conditions afin que la démocratisation de l’accès à l’enseignement (souvent nommée « massification ») se traduise par une véritable démocratisation de la réussite dans l’École. En effet, la France a, depuis 1959 et l’instruction obligatoire jusqu’à 16 ans, fait des efforts considérables pour accueillir le plus grand nombre d’élèves – y compris dans les lycées – et les amener jusqu’au plus haut niveau possible de scolarisation. Mais, faute d’une adaptation des structures et de la pédagogie, le système scolaire est resté très inégalitaire. La loi d’orientation de 1989 entend donner une impulsion décisive à la démocratisation en passant d’une logique de la gestion des flux à une logique de l’accompagnement de chacun : elle insiste, pour cela, sur la différenciation des parcours d’apprentissage et promeut une autre conception de l’évaluation, susceptible de permettre d’identifier à temps les difficultés de chacun et de s’appuyer sur ses points forts pour l’aider à réussir. Afin de mettre en place cette évolution, la loi prévoit, parmi un ensemble d’autres dispositifs, la création d’instituts spécialisés dans la formation des enseignants du premier et second degré, de l’enseignement général et de l’enseignement professionnel.

Auparavant, en effet, la formation des maîtres était cloisonnée : les instituteurs étaient formés dans des Écoles normales, les professeurs d’enseignement général bénéficiaient, pendant leur stage, d’une formation dispensée par les Centres pédagogiques régionaux, tandis que les professeurs de lycées professionnels étaient formés dans les Écoles normales nationales d’apprentissage. Les IUFM regroupent ces trois voies. Politiquement, cette unification donne satisfaction à une revendication des maîtres du premier degré qui demandaient la création d’un « corps unique » où le primaire soit traité à égale dignité avec le second degré. Institutionnellement, tous les enseignants, désormais baptisés « professeurs » - les instituteurs deviennent des « professeurs d’école » - sont recrutés à la licence et bénéficient du même cursus : une année de préparation au concours de recrutement et une année de formation professionnelle en alternance. Pédagogiquement, ils doivent tous recevoir une formation articulée autour de trois pôles : les savoirs disciplinaires, la gestion des apprentissages et le fonctionnement du système scolaire. Cette formation est encadrée par des formateurs ayant plusieurs statuts et points de vue sur le métier : universitaires, formateurs de terrain, inspecteurs, enseignants-experts, spécialistes dans différents domaines spécifiques (l’informatique, la voix, etc.).

Malgré des efforts institutionnels significatifs et un investissement fort de leurs responsables, les IUFM ne sont pas vraiment arrivés à réaliser les missions qui leur étaient affectées. D’abord, ils n’ont jamais vraiment mis en place de « formation commune » entre les différents corps dont les parcours ont été simplement juxtaposés dans la même institution (mais, souvent, dans des locaux différents) : ainsi la continuité et la cohérence éducatives entre les niveaux de l’enseignement français comme entre les types d’établissements n’en ont nullement été renforcées. Ensuite, ils ne sont guère parvenus à faire vraiment travailler ensemble l’ensemble des formateurs autour d’un même projet : l’universitarisation s’est réduite, souvent, à l’existence d’enclaves universitaires coexistant sans échanges véritables avec les autres formateurs. De même, la formation par alternance n’y a pas suffisamment été travaillée : les enseignements théoriques et les stages pratiques ont été mis en place sans suffisamment penser leurs interactions, avec, à terme, inévitablement, une survalorisation des stages par les maîtres en formation, et un désintérêt pour les autres apports, jugés trop abstraits et loin de la pratique.

C’est qu’en réalité les IUFM ont été, dès le départ, marqués par un « péché originel » : quand il aurait fallu concevoir deux véritables années de formation en alternance avec des stages permettant de découvrir progressivement la classe – d’abord en observation, puis avec un maître expérimenté, puis en responsabilité –, on a placé le concours au milieu, faisant de la première année une année de préparation très intensive à des épreuves académiques et de la deuxième année une année de découverte précipitée, désordonnée et surchargée du métier.

Dans ces conditions, les IUFM ont tenté de concilier des exigences contradictoires, mais ne sont pas parvenus à associer un haut niveau de formation universitaire avec une formation d’adultes, professionnelle et par alternance. Là où, sans aucun doute, ils ont été le plus attaqués, et à juste titre, c’est sur leur difficulté à mettre en place des modalités de formation adaptées à des professionnels adultes ayant, par ailleurs, des élèves en responsabilité et qui se trouvent , bien évidemment, infantilisés dès lors qu’on les traite de la même manière qu’ils traitent leurs jeunes élèves. De plus, en raison de leur création par la loi d’orientation et de l’implication dans celle-ci de quelques grandes figures de la pédagogie française – comme André de Peretti, Antoine Prost ou Louis Legrand – ils ont, très vite subi le feu de critiques caricaturales : on les a accusés de sacrifier les savoirs au bénéfice d’une vague formation à l’animation des groupes de jeunes… Or, toutes les enquêtes montrent que, s’il y a eu quelques dérives dans ce sens, elles sont restées extrêmement marginales. Au contraire, les questions de didactique (afférentes à la transmission des savoirs disciplinaires en fonction de leur logique interne) y ont été dominantes, tandis que les problèmes pédagogiques (relatifs aux conditions humaines et institutionnelles, méthodologiques et éthiques, nécessaires à la transmission de savoirs à des personnes singulières) ont été traités de manière anecdotique ou, au moins, seconde. En réalité, c’est l’absence de véritable articulation entre les unes et les autres qui a compromis la « professionnalisation » des enseignants.

Dans un débat éducatif français qui ne cesse de s’enfermer dans des oppositions stériles entre savoirs et pédagogie, rigueur intellectuelle et attention aux élèves, intérêt pour les connaissances et intérêt pour les personnes, les IUFM ne sont pas parvenus à montrer et, surtout, à incarner cette évidence que si l’on enseigne toujours quelque chose, on l’enseigne toujours à quelqu’un. Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les enseignants formés dans les IUFM, n’avaient pas plus de formation que leurs aînés dans le domaine de la psychologie de l’enfant et de l’adolescent. Et, surtout, s’ils avaient assisté à quelques cours sur cette question, il s’agissait, trop souvent, d’enseignements universitaires et non d’une réflexion assortie de mises en situations et d’analyses de pratiques.

Compromis dès leur naissance par un concours mal placé, incapables de mettre en œuvre une véritable alternance, tant en raison des contraintes d’organisation que du manque de travail sur cette notion, les IUFM ont donc, très rapidement après leur création, été menacés. Pour une partie de l’opinion publique, ils ont été identifiés à une « pédagogie molle » sacrifiant les impératifs de la transmission culturelle au profit de ce que l’on nomme le « pédagogisme ». Ils ont été vécus par certains étudiants et stagiaires – qui ont publié des ouvrages de témoignages au vitriol – comme un espace d’abêtissement et d’endoctrinement. Ils ont été perçus par les universités comme des établissements d’enseignement supérieur de seconde zone, au statut et aux contours incertains… Ainsi, dès le changement de majorité politique, en 2002, ils font l’objet de projets de réformes visant à leur démantèlement. En 2005, la nouvelle loi d’orientation sur l’École prévoit leur intégration dans les universités. Et, en 2008, une réforme complète de la formation des maîtres programme leur disparition : dorénavant, tous les enseignants seront formés à l’université et passeront, dans les composantes de ces dernières, un master qu’ils devront réussir pour passer, la même année, le concours de recrutement. Ils seront ensuite directement envoyés dans des classes où ils feront l’objet d’un accompagnement par des « professeurs expérimentés ».

Nul ne peut prévoir, en 2008, les conséquences de ce dispositif, tout aussi imprévu qu’inédit au plan international. Il est possible que, dans certaines universités, des masters professionnels bien conçus réussissent là où les IUFM avaient échoué. On peut, cependant, nourrir de grandes craintes : d’une part, en raison du caractère très aléatoire et inéquitable sur le plan national des formations ainsi mises en place. D’autre part, en raison de l’abandon du principe de la formation professionnelle par alternance : comment imaginer qu’un étudiant, aussi brillant soit-il dans sa discipline, puisse l’enseigner à n’importe quel public sans véritable formation pédagogique ? Le métier d’enseignant risque ainsi de devenir un des rares métiers pour lequel aucune véritable formation spécifique ne sera requise. On est loin de ce qui avait présidé à la création des IUFM : la conviction que la démocratisation de l’École et de l’accès aux savoirs requiert des enseignants formés dans une institution bien identifiée, avec un travail de préparation rigoureux, associant une forte mobilisation sur un enjeu politique – au sens le plus noble du mot -, l’acquisition de compétences précises et la formation du jugement… afin de leur permettre d’agir dans des contextes nouveaux auprès d’élèves concrets, de manière à ce que, en même temps, ils acquièrent des connaissances et grandissent en humanité.

Philippe Meirieu

Develay M., Peut-on former les enseignants ?, Paris ESF éditeur, 1994.

Meirieu P., Enseigner : scénario pour un métier nouveau, Paris, ESF éditeur, 1989.

Robert A.D., Terrail H. Les IUFM et la formation des enseignants aujourd’hui, Paris, PUF, 2000.

LIRE LA PREFACE DE PHILIPPE MEIRIEU A L'OUVRAGE D'A. D. ROBERT ET DE H. TERRAIL