L'éducation à l'environnement au coeur de l'école

Depuis la rentrée scolaire 2004, « l'éducation à l'environnement pour un développement durable » est censée être généralisée dans toutes les écoles et tous les établissements scolaires. Après qu'une expérimentation ait été conduite dans dix académies, le ministère de l'Éducation nationale en promet la systématisation, du cours préparatoire à la terminale, et suggère, en particulier, de « développer les partenariats, la conduite d'actions innovantes et la relecture, dans cette perspective, des contenus de programmes scolaires ».

Il faut donc s'attendre à ce que se multiplient les initiatives dans ce domaine : projets disciplinaires et interdisciplinaires menés en relation avec les services déconcentrés de l'État et les élus locaux, enquêtes, travaux de recherche, exposés et expositions, échanges entre classes, écoles et établissements, collaborations de toutes sortes avec les pays du Sud... On devrait ainsi assister à une « relecture des programmes » qui permettra de traiter de questions aussi vitales que le cycle de l'eau, le tri des déchets ou la pollution atmosphérique. Des débats seront organisés, dans le cadre des cours d'éducation civique, sur le principe de précaution et les conditions de mise en oeuvre d'une économie solidaire. Les classes primaires engageront des opérations de récupération et travailleront à évaluer leur portée. Dans les conseils d'administration des lycées et collèges, on évoquera le gaspillage de papier, les effets sur la déforestation, le coût immédiat et à long terme de l'utilisation du papier recyclé. Partout on organisera des jumelages avec des écoles africaines, asiatiques ou d'Amérique du Sud : on envisagera, à cette occasion, la nature de l'aide à apporter aux pays émergents, les questions afférentes à l'agriculture de subsistance, les perspectives ouvertes par le commerce équitable. Les classes seront, par ailleurs, invitées systématiquement à assister, après avoir travaillé la question avec leurs professeurs, aux séances des conseils municipaux qui traitent des questions d'environnement : mise en place d'une rue piétonne, d'une piste cyclable, d'une dérivation pour poids lourds, d'un bassin de décantation... À cette occasion, elles rédigeront leur point de vue sur la question et la presse locale s'en fera largement écho. Bref, chaque élève sera amené, d'une manière ou d'une autre, à réfléchir sur la chaîne des décisions qui déterminent son avenir, celui de son quartier, de sa ville, de son pays et de la planète qu'il habite. Il comprendra qu'aucune décision, aussi insignifiante soit-elle à première vue, n'est innocente au regard de la solidarité qui nous unit, de l'interaction permanente entre tous les éléments qui constituent le monde dans son infinie fragilité... Jeter un papier par terre, consommer inutilement de l'énergie, compromettre l'équilibre écologique deviendront alors des actes d'un autre temps. D'avant la mise en place, dans l'école de la République, de « l'éducation à l'environnement pour un développement durable » !

Malheureusement, et sans verser dans un excès de pessimisme, on peut craindre qu'il n'en soit pas ainsi tout de suite. Outre les questions de formation initiale et continue des enseignants, de nombreux obstacles techniques risquent de compromettre ce programme généreux : poids des programmes et, surtout, des épreuves d'évaluation et d'examen, qui continueront à ne prendre en compte que l'approche traditionnelle des savoirs et ne feront guère de place aux savoirs nouveaux acquis à l'occasion de l'éducation à l'environnement. Plus encore, on imagine la réaction des enseignants devant de nouvelles injonctions qui viennent s'ajouter aux précédentes et semblent alourdir encore leur tâche, déjà bien difficile : après les savoirs fondamentaux - qu'il ne faut surtout pas sacrifier ! - il faut donc enseigner le fait religieux, la sécurité routière, la prévention des drogues et toxicomanies, l'informatique, l'hygiène alimentaire, la critique de l'image... et l'éducation à l'environnement !

En réalité, présenté ainsi, ce nouvel objectif n'a guère de chances de passer dans les faits : l'institution choisit toujours naturellement la facilité et reproduit à l'économie les modèles anciens dès lors qu'elle se sent pressurée de demandes qu'elle ne peut honorer.

C'est pourquoi l'éducation à l'environnement ne doit pas être présentée comme un objectif supplémentaire de l'École, mais, plutôt, comme ce qui permet de repenser l'ensemble de ses programmes et de ses pratiques. Car de quoi s'agit-il, en réalité ? De rien de moins que de l'avenir et de la survie de notre monde. Et quelle est l'ambition de l'entreprise éducative, si ce n'est de mettre les générations qui arrivent en mesure, précisément, d'assurer l'avenir et la survie de la planète ? N'entretient-on pas la nostalgie de l'École de Jules Ferry qui, dit-on, disposait d'un projet fédérateur et mobilisateur : assurer l'unité nationale, préparer la reconquête de l'Alsace et de la Lorraine, développer notre empire colonial. Sacrés enjeux pour l'époque ! Mais celui d'assurer la pérennité du monde ne le vaut-il pas largement ? Ne serait-il pas logique de repenser l'ensemble de nos contenus et de nos méthodes scolaires à travers lui ? Il nous faudrait alors, par exemple, décider des oeuvres littéraires qu'il est absolument essentiel d'avoir rencontrées car elles permettent d'approcher les forces archaïques qui nous menacent, de les symboliser et de les exorciser.   Il nous faudrait repérer les moments fondateurs de l'histoire des hommes, ceux où leur destin a basculé, où les décisions prises ont changé le cours des choses. Il nous faudrait aussi regarder de près l'histoire des sciences et des techniques, étudier la manière dont les civilisations ont pu les utiliser et les bouleversements sociaux qu'elles ont engendrés. Il nous faudrait identifier les outils dont l'homme d'aujourd'hui a besoin pour prendre des décisions qui engagent demain. Savoirs sur lui-même et son propre corps. Savoirs sur le monde biologique et physique. Savoirs sur l'organisation sociale, les droits et les devoirs qu'elle impose. Savoirs sur l'organisation économique et les échanges entre les hommes. Tous savoirs qui ont directement du sens pour la génération qui vient puisqu'ils lui permettront de comprendre et de construire le monde. D'éviter d'en soumettre l'avenir au caprice des hommes, dans un jeu qui, malheureusement, n'est plus un jeu de hasard. Rien d'autre, en réalité, qu'une éducation au futur... si l'on peut se permettre cet étrange pléonasme !

Ainsi conçue, on le voit, l'éducation à l'environnement n'a rien d'un nouveau gadget. C'est, tout au contraire, une manière de fédérer de nombreuses activités et de nombreux enseignements. C'est aussi un travail particulièrement exigeant qui exige un effort important de formation initiale et continue des enseignants. C'est un projet qui requiert que les professeurs mutualisent au plus vite leurs acquis et s'interrogent sur les nouveaux outils à inventer. Qu'ils se rencontrent et publient les résultats de leurs échanges et de leurs recherches. Le présent ouvrage représente, à cet égard, un effort absolument exemplaire et qu'il faut saluer. Ses auteurs, sans jamais perdre de vue les finalités essentielles, ont le souci de proposer des perspectives et des outils que chacun et chacune pourra adapter et mettre en oeuvre dans sa classe. Plus encore que les excellents exemples qu'il développe, il faut s'inspirer de sa démarche. L'enjeu est essentiel.