L'Ecole : une affaire de climat ?

Rien ne fait plus l'objet de préjugés, de fantasmes, d'emballements médiatiques et de polémiques de toutes sortes que la question du « climat » des écoles et des établissements scolaires. Pour certains, notre École serait devenue le champ clos d'affrontements en tout genre : les maîtres ne feraient plus face, agressés en permanence par de petits caïds sans vergogne ; les enseignants, découragés, ne pourraient plus ouvrir la bouche de peur des réactions de quelques parents activistes et la hiérarchie aurait totalement abandonné ses troupes en rase campagne pour se réfugier dans sa tour d'ivoire technocratique ! Ulcérés par l'outrance de ce tableau, d'autres continuent à affirmer - avec la volonté louable de rétablir l'équilibre - que tout va pour le mieux ou presque ; ils expliquent que la violence est un phénomène totalement marginal monté en épingle - voire créé - par les médias, que les enseignants font face avec une dignité et un dévouement exemplaires aux demandes de plus en plus pressantes et difficiles qui s'exercent sur eux, que les parents sont des partenaires constructifs au sein d'une communauté éducative solidaire et que, s'il reste des progrès à faire, l'Éducation nationale n'a nullement démérité...

Or, ces deux positions sont, en réalité, des postures idéologiques contestables : la première joue sur le registre du dénigrement systématique, confond l'exemple et la preuve et utilise tous les incidents disponibles pour discréditer un système dont la condamnation a été prononcée avant même le procès... La seconde, pour défendre l'immense travail accompli depuis de nombreuses années, refuse de regarder en face la réalité de la dégradation du climat que nous vivons aujourd'hui et s'interdit, ainsi, d'engager le travail nécessaire pour l'améliorer. Georges Fotinos, lui, a voulu rompre avec ces deux postures et aller voir les choses de prés pour tenter de comprendre ce qui se passe exactement dans les écoles.

Il en a tiré le livre que l'on va lire et qui constitue un document infiniment précieux. Précieux en raison de la rigueur de la méthode utilisée. Précieux parce qu'il s'interdit les approximations. Précieux parce qu'il nous livre des analyses inédites que les décideurs seraient bien avisés de prendre en compte.

Il récuse les débats inutiles sur l'importance réciproque des causes exogènes et endogènes. Les phénomènes observés sont, en effet, la conséquence des deux et il faut agir des deux côtés : sur les conditions économiques et sociales des élèves et de leurs familles, mais aussi sur l'organisation du temps, de l'espace et de la pédagogie à l'école. Il ne cherche pas des boucs émissaires, mais s'efforce de repérer ce que ressentent les acteurs, les problèmes auxquels ils ont à faire face et les solutions qu'ils peuvent mettre en oeuvre. Il souligne les spécificités de l'école primaire, comme l'importance du restaurant scolaire et le rôle particulier du directeur ou de la directrice... C'est ainsi qu'apparaît un tableau nuancé, mais néanmoins très inquiétant. Alors qu'on pouvait imaginer que le climat des écoles primaires restait serein pendant que celui des collèges s'aggravait, on découvre que la dégradation paraît plus importante au primaire que dans le secondaire... Peut-être en raison de la pression sociale qui s'exerce de plus en plus sur un segment de la scolarité dont on affirme, à juste titre, le caractère déterminant, mais que l'on charge - bien trop vite - de la responsabilité de la plupart des échecs ?

Quoi qu'il en soit, ce travail a le double mérite de nous ouvrir les yeux et de nous ouvrir des perspectives... quand, en général, ceux qui ouvrent les premiers ferment les secondes et vice-versa ! Il nous ouvre les yeux sur le malaise des enseignants du premier degré, sur la difficulté d'un métier où il devient urgent de faire baisser la tension pour favoriser l'attention. Il nous ouvre les yeux sur les aberrations du calendrier scolaire, sur l'importance de l'organisation et du cadre décisionnel, sur la nécessité d'être plus que jamais attentif à la mixité sociale dans le découpage des secteurs scolaires...Et il nous ouvre des perspectives importantes sur les relations avec les familles, la place de la hiérarchie, le nécessaire sursaut dans la formation initiale et continue... Il nous dit enfin à quel point le dynamisme pédagogique est essentiel dans l'amélioration du climat scolaire. Un dynamisme pédagogique qui doit être, à la fois, rendu possible, encadré et accompagné. Mais un dynamisme pédagogique qui ne peut se passer de l'engagement des acteurs que sont les enseignants. Un dynamisme pédagogique qui suppose une relation de confiance entre les décideurs politiques et les hommes et femmes de terrain. Et là aussi, sans doute, il est temps d'améliorer le climat...

Philippe Meirieu