Chanson de gestes

Un des plus beaux films sur l’éducation est, sans doute, Le moindre geste de Fernand Deligny. Dans une situation-limite, avec cette ascèse de l’expression qui caractérise un pédagogue voué alors à accompagner des enfants autistes, Deligny y dit à quel point la détermination éducative s’éprouve à ras de terre, au plus près des choses et des êtres, quand toute l’intentionnalité de l’adulte se condense dans ce que certains prennent pour des détails et d’autres pour de simples « techniques ».
Rien n’est plus dense, en effet, qu’un geste, même à peine ébauché. Un mot, même à peine prononcé… dès lors qu’ils sont porteurs d’une espérance d’humanité qui appelle l’autre et le reconnaît à la fois.
Rien n’est plus important que cette attention en actes qui dit, même furtivement, la confiance et l’exigence de l’éducateur envers les petits d’hommes… dès lors que la volonté d’aider à grandir ne dépossède pas l’autre de sa liberté de le faire.
Rien n’est plus fondateur que ce moment où un adulte entend la singularité d’une situation, et, sans rien renier de ce qu’il est, entre dans l’histoire qui se joue là… dès lors qu’il permet à chacune et à chacun de se mettre en jeu, de se mettre en je.
Rien ne touche plus au cœur du pédagogique, au plus prés de ce qui institue l’humanité dans l’homme, que cette capacité à faire récit du quotidien… dès lors que la lucidité nécessaire ne se laisse pas aspirer par une scientificité hautaine.
Rien n’est plus essentiel que de donner sens aux événements de la classe, d’apprendre à les lire en les décrivant, de les décrire pour permettre à d’autres d’apprendre à les lire… dès lors que se donnent à voir, là, les enjeux essentiels de l’éducation.
« Le moindre geste » fait trace. Les chansons de gestes multiplient les traces. Traces ouvertes déposées dans la mémoire pédagogique. Inscrites dans l’histoire de cette entreprise insensée et indispensable à la fois : transmettre en émancipant, émanciper en transmettant.
Martine Boncourt nous offre une superbe chanson de gestes. Elle explore les voies les plus modestes et les plus ambitieuses de l’entreprise éducative. Indissociablement. Les voies du quotidien pédagogique. Là où l’humain se révèle. Là où l’humain se relève. Là où l’enfant s’élève. Quand on fait l’école.