Quelle laïcité pour aujourd'hui ?

Rien n'est plus urgent aujourd'hui que d'engager un véritable travail sur la laïcité. Certes, il est peu de sujets qui ont suscité plus de textes, de professions de foi et de pamphlets de toutes sortes. Mais un travail qui tente de sortir des déclarations de principes, d'un côté, et des enquêtes journalistiques, de l'autre, pour tenter d'entendre à travers les pratiques éducatives ce qui se joue vraiment dans ce domaine, point.

Jusqu'à ce très beau livre de Gérard Fath : jusqu'à ce que l'on s'interroge sur ce qui se trame en matière de laïcité dans l'Intégration et l'adaptation scolaire, dans les Zones d'éducation prioritaires, dans le quotidien de la vie des écoles et établissements scolaires, les contenus des activités, les relations entre les acteurs. Jusqu'à ce que l'on tente de sortir de l'opposition absurde entre les « connaissances objectives » qu'il faudrait débarrasser de l'empreinte du moindre « croire », de toute trace de singularité et d'expression de la personne... et les « manifestations subjectives », définitivement excommuniées par les nouveaux prêtres de la religion laïque. Jusqu'à ce que l'on s'efforce de dépasser la querelle, vaine à tous égards, entre le relativisme - même quand il se drape dans la valeur du respect de la différence - et le positivisme - même quand il se fait passer pour de l'universalisme.

Gérard Fath récuse cette manière de penser et propose de penser la laïcité à partir d'une approche anthropologique. Il suggère de s'appuyer sur une « pédagogie de l'imaginaire » et voit dans la laïcité une exigence et non une norme. Une exigence qui permet de construire l'École comme un lieu possible d'alliance entre des êtres qui apprennent à accueillir l'altérité et à « faire société ». Un lieu de tension féconde entre tous et chacun, entre le personnel et l'impersonnel...

Dès lors, il n'est plus question de restaurer un ordre ancien, ni même d'imposer un ordre nouveau. Il s'agit de se recentrer sur les valeurs laïques partagées au quotidien et qui émergent du travail pédagogique lui-même. De sortir d'une vision dogmatique de la laïcité et de se mettre au travail pour faciliter l'émergence de pratiques laïques, leur donner forme et s'appuyer sur elles pour susciter une espérance.

D'aucuns, qui auront survolé la complexité et la diversité des analyses y conduisant, trouveront les conclusions de Gérard Fath « médiocres ». Rien de grandiose, en effet, dans le travail éducatif au quotidien. De la tâche obstinée, animée par de hautes exigences théoriques, plutôt que des proclamations enflammées. Mais nous avons appris, depuis Aristote, que seul le « médiocre » est à hauteur d'homme. C'est là - et rien que là - que réside la promesse d'un avenir pacifié.

Philippe Meirieu