Cause nationale...

La querelle des méthodes de lecture vient d'être rouverte. Vieille querelle qui reprend vie chaque fois que quiconque prétend connaître et imposer « la solution ». Le problème majeur, c'est que, si nul ne nie l'importance de la méthode d'apprentissage de la lecture, il est impossible de s'en tenir à ce seul facteur pour comprendre la réussite ou les difficultés de lecture. La personnalité, la formation de l'enseignant, sa manière de conduire la classe dans son ensemble sont très importantes, au point que la même « méthode » utilisée par deux personnes pourra donner des résultats différents. De même, quoique, à l'évidence, les filles et les garçons bénéficient du même enseignement, leurs résultats sont très nettement différents : l'avance des filles et le retard des garçons dépassent les clivages pédagogiques. De plus, le retard en lecture est beaucoup plus grave dans les milieux les moins favorisés, alors que les mêmes programmes y sont appliqués et les mêmes manuels utilisés.

Alors faut-il, dans ce cas-là, renoncer à travailler sur une question dont l'importance, pourtant, n'échappe à personne ? Bien évidemment non ! Il faut compter, en revanche, avec le problème essentiel du statut de l'écrit dans nos sociétés. Savons-nous, en effet, que la répartition de l'écrit est, aujourd'hui, plus inégalitaire encore que celle de l'argent ? Selon certaines statistiques, moins de 20% de la population consommerait plus de 80% de l'écrit. Partout l'écrit régresse : on n'écrit plus, on téléphone et le message électronique se réduit souvent à un petit texte bâclé. Nos boîtes aux lettres ne reçoivent plus guère de longues missives d'amis ou de parents, mais regorgent de publicités au message simpliste. Les formulaires administratifs sont de plus en plus dépersonnalisés et indigestes. La lecture de la presse quotidienne subit une crise grave. Dans les revues et magazines, les articles diminuent au fil des ans comme des peaux de chagrin : c'est le règne de la « brève », du slogan ou du jeu de mots... Les médias audiovisuels eux-mêmes se sont convertis au « texto » : il faut faire court, toujours plus court ! Vive l'image qui frappe ! Dehors le discours qui explique !

Dans ces conditions, l'urgence est donc de réhabiliter l'écrit sous toutes ses formes. Il faut décréter l'écrit grande cause nationale... Tout faire pour que chacun retrouve le plaisir de la correspondance et du journal personnel. Imposer que les écrits sociaux soient soignés et personnalisés. Favoriser la presse qui aide à penser. Aider toutes les initiatives en faveur du livre. Et, à l'école, refuser de réduire la lecture à une quelconque mécanique, mais introduire obstinément des écrits qui font sens : la correspondance et le journal scolaires, le livre lu et celui écrit ensemble... Bref à nous de redonner à nos enfants l'envie d'apprendre à lire.