Culture manga

Quiconque fréquente les grandes librairies voit aujourd’hui l’importance du phénomène : les rayons consacrés aux livres mangas sont de plus en plus importants ; ils constituent presque l’équivalent du secteur « tourisme » et dépassent les livres policiers. Le soir après l’école, le mercredi et le samedi, ces rayons sont envahis par des centaines d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes qui feuillettent les ouvrages, discutent entre eux et avec les vendeurs, s’assoient par terre pour lire, parfois pendant plusieurs heures, les livres qu’ils ne peuvent s’acheter…

Il faut regarder ces livres de près. D’abord pour découvrir qu’ils sont imprimés à l’envers et se lisent à partir de ce qui est traditionnellement chez nous la dernière page. Les vignettes et les bulles sont également à l’envers et il n’est pas facile d’entrer dans ce type de lecture : il faut renouveler complètement nos habitudes : bon exercice pour nous autres, adultes… Ensuite, on découvrira l’extrême diversité de ces étranges bandes dessinées : certaines sont d’une violence terrible, d’autres d’une affligeante médiocrité, mais d’autres, aussi, d’une très grande qualité graphique et d’une extrême sensibilité. On y trouve des « histoires à l’eau de rose » destinées, en principe, aux jeunes filles, de la science-fiction, des épopées guerrières, des énigmes policières, des œuvres poétiques… En fait, comme dans toute forme d’expression, on y trouve le meilleur et le pire…

C’est pourquoi il ne faut pas céder à la tentation de récuser en bloc « la culture jeune ». Pas question, évidemment, de la totémiser et de s’ébahir par principe sur tout ce que lisent, écoutent et regardent les ados. Mais pourquoi refuser d’aller regarder cela d’un peu près et de tenter de les aider à exercer leur discernement ?

Car, notre rôle d’éducateur n’est pas de diaboliser le présent pour exalter le passé. Il est de transmettre ce qui a construit notre passé dans ce qu’il a de meilleur : l’exigence. Qu’est-ce qui caractérise une « œuvre » ? Sa capacité à aller au plus près de l’humain, à symboliser ce qui nous habite, à exprimer ce qui nous relie. C’est cela que nous devons faire découvrir dans les trésors de notre culture classique. Et c’est le même mouvement que nous pouvons aider à repérer aussi dans les oeuvres d’aujourd’hui. L’universel tâtonne, à chaque génération, à travers de nouvelles formes d’expression. Ne les ignorons pas. Considérons les comme un moyen de former les jeunes à l’esprit critique, à l’exigence, au discernement. Le mépris pour « la culture jeune » ne produira qu’un repli et des crispations sur celle-ci. Parce que nous aurons abandonné notre rôle d’éducateur, d’accompagnateur vers l’exigence et l’universel, nos enfants se réfugieront dans le clanique, ils s’enfermeront dans le mimétisme et seront la proie des « marchands du temple »…