Imaginaire…

C’est un petit garçon comme tous les autres. Il avait à peine quatre ans quand, un jour, il a dessiné un chat. Un chat bizarre, avec huit pattes. À sa mère qui lui demandait pourquoi ce chat avait autant de pattes, l’enfant avait répondu : « Parce qu’il marche ! » Extraordinaire réponse : le gamin venait d’inventer, en même temps le cubisme et le cinéma ; il avait compris le principe de la décomposition du mouvement et la manière de le figurer instantanément sur une surface plane ! En voyant le chat marcher, il avait immédiatement intégré et traduit ce qui se passait sous ses yeux, tant sur le plan artistique – son chat était superbe, fier dans sa marche, le corps de profil et la tête de face – que sur le plan scientifique – son dessin était une belle introduction à la cinétique !

Maintenant le petit garçon a un peu plus de sept ans. Il est toujours dans la même chambre et le dessin du chat à huit pattes, qui a suscité tant d’admiration dans toute la famille, est toujours affiché au-dessus de son lit. Son oncle qui passe par là lui repose la question : « Pourquoi ton chat, il a huit pattes ? » et le petit garçon répond : « Parce que je me suis trompé. » Terrible réponse. Le « principe de réalité » est passé par là : un chat ne peut pas avoir huit pattes, il n’en a que quatre et personne ne peut s’autoriser à en dessiner huit sans encourir les foudres des correcteurs, de ceux et celles qui savent et disent ce qui est vrai et juste…

Certes, l’entrée dans la vie et dans l’école doit apprendre à l’enfant à distinguer ce qui relève de son imaginaire de ce qui relève de « la réalité » stabilisée par les hommes. Il faut distinguer ce que l’on voit de ce que l’on croit voir. Il faut aussi apprendre ce que parler veut dire et, ne pas confondre le verbe avoir avec l’expression sembler avoir. Tout cela fait partie de l’éducation de base : apprendre à renoncer à tout interpréter à sa manière, à ne pas mélanger les plans, à utiliser le bon niveau de langue et les termes justes.

Mais, pour autant, ne sous-estime-t-on pas l’apport extraordinaire de l’imaginaire à l’éducation, au point de culpabiliser les enfants quand ils ont le malheur de s’y adonner ? L’école n’a-t-elle pas trop abandonné ce domaine pour une normalisation réaliste excessive ? Et cette dernière ne nuit-elle pas au développement de l’intelligence, à la fois artistique et scientifique ? Enfin, à déserter ainsi tout un pan de la personnalité ne condamne-t-on pas l’enfant à aller chercher de quoi exprimer son imaginaire chez les marchands d’illusions et les fabricants de standards enfantins de pacotille ? Ne devrait-on pas, plutôt, rendre possible, en éducation, l’expression de cet imaginaire en s’efforçant simplement d’éviter les confusions : « Quand il marche, on dirait que le chat à huit pattes et ça permet de dessiner le mouvement ! ».