Loup garou

 

Bien des enfants avouent avoir peur. Peur du noir, peur de la méchante sorcière, peur d'être abandonnés par leurs parents, peur de se perdre, peur d'être mangés par un ogre, peur d'être engloutis dans un gouffre qui s'ouvrirait, tout à coup, sous leurs pieds... Rien d'autre, en réalité, que les peurs ancestrales dont nous parlent - avec la distance esthétique qui nous permet de les apprivoiser - les contes et légendes du passé, mais aussi le cinéma et la bande dessinée d'aujourd'hui.

Et cette peur est nourrie, évidemment, par ce qu'ils apprennent, au quotidien, d'un monde plein de « bruit et de fureur », où l'histoire ressemble de plus en plus, comme le disait déjà Shakespeare, à une « histoire racontée par un fou ». Violences et massacres, disponibles en direct sur l'étrange lucarne, ne peuvent que nourrir l'inquiétude d'enfants déjà aux prises avec les angoisses que doit affronter tout « petit d'homme » qui vient au monde. Et, alors qu'on pouvait tenter d'exorciser ces dernières dans une vie intérieure relativement à l'abri des turbulences du monde, les unes et les autres se télescopent complètement aujourd'hui. Il a toujours été difficile de grandir, c'est devenu maintenant une gageure...

Il nous faut donc apprendre à accompagner nos enfants qui ont peur. En les rassurant, bien sûr : inutile de les confronter prématurément à des problèmes auxquels ils ne peuvent se mesurer. Mais, pour autant, nous n'avons pas fini notre travail d'éducateur. Car grandir, c'est apprendre progressivement qu'on doit d'abord avoir peur de soi... Tout adulte un peu lucide sait qu'il porte en lui des forces archaïques qu'il ne maîtrise pas toujours : il est conscient qu'il peut basculer tout à coup dans de terribles colères irraisonnées, pratiquer l'humiliation et la violence... avant de se réveiller et de se demander comment il a été capable de ça ! Tout enfant, d'ailleurs, se demande comment ses parents peuvent être, à la fois, aussi tendres et aussi brutaux parfois ! Et tout enfant a besoin d'images pour penser cette contradiction : nos ancêtres évoquaient le loup garou qui, après avoir été un « homme normal » dans la journée, se transformait en monstre la nuit. L'histoire du vingtième siècle a tragiquement illustré la pertinence de la métaphore... Nous n'avons plus d'excuses : nous savons que nous sommes tous des loups garous et que nous devons, d'abord, avoir peur de nous-mêmes. C'est pour cela qu'il nous faut des lois, des cadres qui nous « contiennent » un peu... C'est pour cela aussi qu'il nous faut faire entendre à nos enfants qu'un homme « civilisé » est un homme qui se méfie d'abord de lui-même... tout autant qu'il invite les autres à se méfier d'eux-mêmes. Apprenons à nos enfants que la méfiance est d'abord à usage personnel... et qu'elle n'exclut pas la confiance, ni à l'égard de soi, ni à l'égard des autres.