DE CHOSES ET D'AUTRES...

La chronique de Christophe Chartreux

Le 21 mai 2022

Après le nomination du nouveau ministre de l'Education nationale... quelques réflexions reprises à partir de mes messages sur twitter...

- Je lis partout: "Pap Ndiaye: l'anti Blanquer". J'aurais préféré qu'il fût anti Macron et refusât le poste. Car si Pap Ndiaye applique la politique éducative voulue par l'Elysée, l' "anti" mutera bien vite en un "pro" très zélL'écart idéologique entre JM Blanquer et Pap Ndiaye ici... La preuve, par la nomination du second, de l'absence totale de scrupules chez E Macron qui utilise un homme brillant, courageux et honorable à des fins de basses oeuvres politiciennes. 

- L'écart idéologique entre JM Blanquer et Pap Ndiaye est tellement immense qu'on ne peut s'interdire de penser que la nomination du second n'est qu' un coup politique destiné à gêner la @NUPES_2022 dont la progression inquiète. Jusqu'à quand Pap Ndiaye acceptera-t-il ce rôle ?

- Le machiavélisme macroniste consistant à nommer Pap Ndiaye pour l'utiliser en paratonnerre attirant les foudres de l'extrême droite et de LR est une réussite. Tout cela pour faire oublier l'absence d'incarnation écologique. Entre autres grands vides.

- Un détail vestimentaire, certes futile mais symbolique lui aussi, m'a frappé hier rue de Grenelle. M. Pap Ndiaye est - était ? - toujours en jean et chaussures de sports. Même dans ses plus hautes fonctions. Hier il était en costume/cravate. Pour lui, un quasi déguisement...

- Tout a été dit - y compris hélas le pire - sur le "symbole" Pap Ndiaye. Alors revenons trivialement sur terre: parlons point d'indice, valorisation des salaires, refus de la nomination de collègues par les dir. d'école, création de postes, classes surchargées...

- J'apprécie qu'on parle beaucoup des mérites incontestables de M. Pap Ndiaye. Il serait maintenant temps d'évoquer l'état de l'école et les chantiers qui attendent ce ministre. Très loin du symbolique ! Vraiment !

- J'ai vainement cherché des écrits ou interviews dans lesquels M. Pap Ndiaye parle d'éducation, notamment dans le 1er degré ou encore au collège. Je n'ai strictement rien trouvé. Le MEN est un ministère très technique. Les actes seront je le crains ceux dictés par l'Elysée.

- Pap Ndiaye, je l'espère pour lui, à l'estomac solide. Car il va devoir avaler bien des couleuvres. Voire des boas. En conseil des ministres, il sera assis aux côtés de personnalités qu'il déteste et qui le détestent. Jusqu'à quand supportera-t-il ?

- "...grande concertation sur l’école voulue par E Macron. Des rencontres seront organisées localement avec la communauté éducative et les collectivités locales – a minima – afin de définir les modalités de déploiement du programme du Président" - @libe P Ndiaye appliquera donc...

- Je reste surpris - je ne suis pas le seul - de voir Pap Ndiaye dans ce gouvernement, assis à la même table que des ministres qui le détestent, validant des politiques allant à l'encontre de TOUS les principes qu'il a défendus toute sa vie avec talent, avec conviction. Bonne chance

- "Quant à E Macron, au centre droit, s’il lui arrive de s’exprimer avec éloquence comme lors du 10 mai, à propos de la mémoire de l’esclavage, on peine à discerner une politique, ou même un point de vue consistant." - P Ndiaye/2019 dans Le Monde

- La gauche doit condamner les âneries et horreurs lues et entendues depuis la nomination de P Ndiaye. Mais pas y passer son temps. Le ministre saura se défendre et même mépriser ces propos. A la Macronie d'assumer les choix stratégiques de son Président.

- Ma plus grande crainte est que Pap Ndiaye, historien brillantissime et homme d'une immense générosité de coeur, ne soit qu'un instrument bien pratique entre les mains d'E Macron. Jusqu'à quand Pap Ndiaye acceptera-t-il d'avaler des boas ?

Le 3 avril 2022

Une nécessité : refonder la légitimité du « métier » d’enseignant

Un malaise profond et insidieux atteint aujourd’hui le corps enseignant. Si l’aggravation des conditions de travail - souvent mise en avant - est loin d’être négligeable, les débats permanents dont s’empare la société civile à son encontre sont un élément de fragilisation essentiel qui brouille l’image de la mission des enseignants qui devrait être au contraire clarifiée et renforcée aujourd’hui.

En effet, opposer de façon rhétorique « instruction » et « éducation » , faire croire que les savoirs sont porteurs intrinsèquement de leur « transmission » et que l’érudition du maître suffit à assurer des apprentissages efficaces , considérer comme antinomiques les aspects savants et pédagogiques du métier enseignant sont des propos d’un autre temps, voire irresponsables.

D’ailleurs, souvent, ce ne sont pas ceux qui les tiennent qui assument au quotidien ce métier. Soyons clairs : c’est bien la société et sa représentation politique qui choisissent les savoirs à enseigner en fonction de finalités culturelles, sociétales, sociales… et politiques. Les objets de savoirs à transmettre incorporent nécessairement des valeurs qu’ils sont censés représenter. Les disciplines scolaires ont leur propre logique, culturelle et civique, avec les tensions inhérentes à cette double nature. Pour ne citer qu’un exemple, l’histoire-géographie-éducation civique doit aider à construire en même temps l’esprit critique du futur citoyen actif dans la cité, et, un patrimoine culturel commun, socle d’un sentiment d’appartenance à la France et … à l’Union européenne1.

Enfin, sur un plan purement cognitif, les outils intellectuels dont disposent les élèves se construisent selon une genèse beaucoup plus longue qu’on ne le pense souvent et varient considérablement d’un élève à un autre. Enseigner est un métier qui s’apprend, certes. Mais la société des citoyens doit aussi faire confiance à son École.

Pour construire cette autre École du XXIème siècle, il convient par conséquent de refuser les débats réducteurs, de tracer une troisième voie : celle d’une École offrant à chacun, quelle que soit son origine, une véritable éducation populaire alliant les fondamentaux essentiels, l’héritage culturel, aux savoirs nécessaires pour le monde de demain. Seule la clarté de ce message politique courageux peut refonder la légitimité des enseignants à assumer sereinement leur mission intellectuelle, éthique et civique.

1Pilier 5 du Socle commun des connaissances et des compétences, p. 17.

Le 27 mars 2022

Election présidentielle 2022 : Pour des politiques de formation pédagogique, d'ouverture vers la recherche et la documentation, de fin des « ghettos scolaires »

Pour une politique de formation pédagogique des personnels éducatifs et des acteurs sociaux en général.

Un établissement pédagogique constitue une communauté éducative où chacun a sa part dans la prise en charge des enfants et des jeunes qui lui sont confiés. À la création des MAFPEN (Missions académiques de formation des personnels de l’éducation nationale) par Alain Savary, en 1982, une pratique s’était développée dans certaines académies de ne pas réserver la formation « pédagogique » aux seuls enseignants. Certains chefs d’établissement novateurs trouvaient pertinents de proposer à l’ensemble des personnels de leur établissement (enseignants, surveillants, documentaliste, personnel administratif) des formations généralistes (l’évaluation, la Pédagogie de projet, l’orientation par exemple, la violence) sur des journées banalisées. Révolutionnaire, dans le contexte : un établissement fermé pour que l’équipe éducative pense collectivement l’éducation. Certes la situation était très inégale d’une académie à l’autre et la création des IUFM en 1989 a quelque peu « cassé » ce processus au profit de formations plus ciblées, voire teintées de corporatisme. Mais cette vision globale, généreuse, serait sans doute à revisiter. Dans les zones sensibles par exemple, cela permettrait – pour la communauté des adultes de l’établissement – de parler un langage commun.

Pour une politique d’ouverture vers la recherche et la documentation pédagogique

La recherche pédagogique et didactique souffre en France d’une absence de diffusion et de vulgarisation intelligente. Les revues disciplinaires spécialisées restent le plus souvent confidentielles. La documentation pour la classe est considérée comme incombant aux enseignants qui investissent à titre privé dans du matériel pédagogique (heureusement aidés désormais par les richesses trouvées sur internet ou par des outils de plus en plus performants à condition que ces même performances soient maîtrisées par l'enseignant ET par les élèves). Les revues généralistes « pédagogiques » sont rares et reflet d’un certain militantisme, ce dernier terme n'étant pas un « gros mot », bien au contraire. Ainsi, Les Cahiers Pédagogiques – dont la qualité est unanimement reconnue - sont la revue du CRAP (Cercle de Recherche et d’Action Pédagogique), mouvement pédagogique dans la mouvance du courant de l’Éducation nouvelle, et dont la devise est : changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école !

L’État et les collectivités territoriales – selon leur niveau de compétence – doivent contribuer désormais et de façon ambitieuse à ce que chaque établissement soit le bénéficiaire d’une large diffusion des outils professionnels nécessaires à un enseignement de qualité (ouvrages, revues, CD Rom, accès à internet et toutes les autres innovations à venir tant ces innovations sont nombreuses). Ce propos peut surprendre tous ceux qui bénéficient déjà d’un environnement professionnel riche. Il faut se méfier de l’effet métropole et de la vision induite par les établissements urbains (voire même centre-ville). À côté de beaucoup d’acteurs qui pourraient trouver ce propos évident, combien y a-t-il de petites communes, d’établissements sans marge de manœuvre financière, qui ne peuvent se permettre d’offrir de telles possibilités à leur personnel, parfois débutant. D’ailleurs, puisque les collectivités territoriales gèrent pour partie l’école (commune), le collège (département) et le lycée (Région) pourquoi ne pas imaginer que l’État finance la diffusion de données professionnelles plus globales ? Pourquoi ne pas imaginer que les sites académiques en ligne, s’ouvrent davantage aux enseignants en permettant des débats, des propositions originales au lieu de rester – avec un bonheur bien inégal – « la » parole institutionnelle descendante de ce qu’il convient de faire en classe ?

Pour une politique de « casse des ghettos socio-scolaires »

D’une manière générale, la « maison école » est à construire en étudiant, de manière positive, les propositions des professeurs, des parents, des habitants des quartiers « difficiles » (ou pas) qui ont légitimement une expertise. Les actions ou projet d’actions, portés par chacun en concertation avec les autres, permettront de construire un sens collectif pour l’École. Il y a un déficit grave de réelle communication autour de l’École. À tous les échelons, les informations sont souvent descendantes ou, en tout cas, perçues comme telles. Les institutions et les usagers quotidiens de l’École doivent se parler, se connaître, se comprendre et agir ensemble. Tout projet doit être visible et lisible pour tous les usagers de l’École. Pour cela, la coopération doit être totale entre l’École, les institutions territoriales concernées et ceux qui les élisent finalement… parents et enseignants.


Le 13 mars 2022

J'avais envie de t'écrire de jolies choses...

À lire en écoutant la partita numéro 2 de Bach par Martha Argerich au piano

https://youtu.be/vuPr9m98XQQ

J'avais envie de t'écrire des jolies choses pour rendre le monde plus beau…

Mais la nuit tombe de fatigue et moi avec elle… Les mots ne viennent pas… Je les appelle à tue-tête !

"Eh ho les mots ! Je vous attends ! Allez les mots ! On se réveille ! C'est pour mon amie! Alors les mots ? Ça vient ?

Non parce que là, il y a des gens qui sont en train de bien salir le monde. Et le monde, mon amie, elle l'aime ! Je ne veux pas qu'on lui salisse son monde moi, à mon amie ! Donc les mots, dépêchez-vous de cogner à la porte !

Ils se font prier en plus ces idiots de mots idiots ! Pourtant ils sont beaux quand ils veulent !

Regard… Rires… Rêve… Pieds Nus… Balade… Fleurs… Mer… Soleil… Pluie… Mains… Musique… Chanson… Voyage… Enfance… Souvenir… Mot… Complice… Echange… Couleur… Lointain… Pont… Ami… Amie… Maroc… Vent…

Ah les voilà les mots ! Le vent sans doute les aura jetés sur la page… Et je remonte le temps... Et je remonte les mots...

Le vent du Maroc, de l'amie à l'ami, par le pont du lointain, aux couleurs des échanges complices, des mots, des souvenirs d'enfance en voyage, au milieu des chansons, des musiques. Mains ouvertes sous la pluie, au soleil, la mer comme une fleur, en balade pieds nus, et le rêve de voir rire ton regard…

Quand ils s'en donnent la peine, ils disent de jolies choses… Les mots…

Et la guerre se tait un instant...

Le 5 mars 2022

Dans les pas d’Ulysse…

En ces temps de guerre en Europe – car si l'Europe n'est pas en guerre, la guerre est en Europe – j'avais envie de m'éloigner du vacarme des bombes, des hurlements des sirènes et des regards apeurés d' enfants terrés dans les abris à Kiev et ailleurs dans un pays supplicié : l'Ukraine.

J'entends, je lis, ici et là, qu'il ne faudrait pas exprimer nos sentiments et conserver notre sang-froid. Cette maîtrise des experts face aux horreurs d'un conflit. Eh bien, laissons cela aux experts. Au nom de quoi devrions-nous nous interdire d'exprimer notre colère, notre révolte, notre tristesse ? Je trouve admirable de lire une Najat Vallaud-Belkacem ou une Cécile Alduy n'hésitant jamais à traduire leurs émotions en mots, leurs larmes en messages...

Cecile alduy sur Twitter : "Cette image n’a fait pleurer: le cœur gros de voir cet élan spontané profondément humain, face à cette masse de dureté i humaine" / Twitter

Alors, je vous emmène en Grèce. Pourquoi la Grèce ? Pourquoi Athènes ? Celle de Clisthène inventant le vote, celle de Mélina Mercouri combattant la dictature, celle du Meltemi soufflant sur la mer Egée ? Oui pourquoi ?

Parce que c'est là, au milieu des oliviers et au pied de l'Olympe, en haut des Météores et parmi les Cyclades que sont nés les sentiments premiers : la joie, la peine, la colère, les passions qu'Epidaure accueillait. Les comédiens y portaient des masques ne dissimulant rien mais au contraire multipliant la force, la puissance et la signification des sentiments offerts au public.

Venez, suivez-moi... Sans oublier Kiev, partons en quête de nous-mêmes...

Il est donc un pays que j’ai visité il y a fort longtemps, entraîné par mon premier amour. Marchant dans les pas d’Ulysse, j’ai découvert la Grèce. Celle d’Athènes, des Cyclades et de la Crète… Celle de Jacques Lacarrière… Celle d’un peuple surtout… Cette femme me faisant signe de la main pour m’offrir un verre d’eau, alors que la chaleur écrasait le chemin qui mène aux ruines du Cap Sounion, s’offrant à la lumière bouillante de cet après-midi-là plongeant vers la mer toute proche, restera gravée dans ma mémoire. Elle était la Grèce ! Pas celle des mythes, qui ont la fâcheuse habitude de figer l’Histoire. Celle de la montagne épousant les eaux, des oliviers et des murs blancs, des rires et des larmes, des chaises installées devant les entrées et attendant la fraîcheur du soir, de la liberté conquise au prix du sang, de la tragédie et du bonheur de vivre ! De Mélina Mercouri et de Maria Farantouri. Du sirtaki, oh pas celui frelaté pour touristes. Non… Celui dansé un soir par un homme seul, âgé, certain de ne pas être vu et que j’ai observé en silence. La Grèce dansait ! Il a terminé, je me suis éclipsé. Je ne voulais pas trahir ma présence et, par là, trahir le secret de cette danse n’appartenant qu’à lui. Jamais je n’ai vu homme plus grec, à part peut-être ces oliviers millénaires aux corps torturés par le temps et le vent, donnant aux collines des allures de champs de bataille dont les guerriers seraient restés prisonniers du temps…

J’ai aimé Santorin. Là encore, pas celui des touristes dégueulés par vaisseaux entiers pour une journée d’arrêt avant de poursuivre le marathon vers d’autres îles, d’autres villes. Vite parcourues, vite pillées en photographies, selfies et cartes postales. C’était dans les années 1980. Les ruelles de la ville-citadelle n’étaient pas encore trop embouteillées par des hordes d’envahisseurs et l’on pouvait déambuler à l’aise au milieu des maisons blanches à coupole bleue. Déjà Braque annonçait sa venue. De l’Atlantide au cimetière marin de Varengeville, quel chemin parcouru… Que d’amours englouties… Au loin, dans le soleil déclinant, loin de Fira et d’Oïa, assis sur un muret, nous regardons finir le jour. L’obscurité enveloppe les regards d’un halo étrange. Ici tout est mystère, comme ce volcan, là, posé, flottant encore au centre de la caldera. Nea Kameni se noie…

Puis vint la Crète… Ce bain dans la mer de Libye… Chaude et trop calme à mon goût. Je suis un enfant de l’Atlantique agitée. Les rouleaux de ma jeunesse n’existent qu’en cas de meltemi soufflant en tempête. Zeus est né ici. Je l’ai croisé en parcourant les gorges de Samaria. Elles ont conservé quelques-uns de mes rêves…

Je les retrouverai en lisant et relisant quelques pages de l’Odyssée. Ulysse l’aventurier, Ulysse aux mille ruses… Son retour à Ithaque, reconnu par son vieux chien… Le massacre des prétendants et Pénélope lui imposant l’épreuve du lit conjugal sculpté, par lui seul, dans un « rejet » d’olivier… Toujours les oliviers… Cet épisode ravit mes élèves chaque fois que je le leur lis. La Grèce et ses récits ont sur moi le même pouvoir d’émerveillement que je connaissais, enfant, lorsque je découvrais avec mes parents les paysages de l’Atlas enneigé ou ceux d’une plage de Sidi Bouzid, accessible seulement à pied après avoir emprunté l’ouverture étroite d’un pan de falaise détaché, prêt à s’effondrer dans l’océan. J’étais Ulysse marchant vers Calypso… Invincible dans mes étés éternels…

Il faut du grec en nous. Aussi épris de liberté que peut l’être ce peuple. Depuis les Thermopyles jusqu’à la disparition du régime des colonels, les grecs sont restés amoureux fous de leur indépendance. Salamine et Platées viendront le confirmer… Maria Farantouri et Mélina Mercouri le chanter entre l’Acropole et les collines de la Pnyx, des Nymphes et des Muses.

Il y a du Maroc dans la Grèce. La lumière, la mer, le vent et les chants. L’Histoire multi millénaire. Des paysages tellement beaux qu’ils rendent l’être humain acceptable…

Il est des pays où même la pauvreté peut être fastueuse, ou les nuits se reflètent dans tes yeux sombres par la lune escaladant le ciel, ou les terrasses de café se dépeuplent quand le jour se prépare au réveil, où les pas restent silencieux par les pieds toujours nus, au milieu des rires et des claquements secs et réguliers des hommes aux komboloï…

Le 12 février 2022

Apprendre tout au long de la vie scolaire... Un droit et des devoirs...

Affirmer qu’apprendre tout au long de la vie scolaire est un droit entraîne, de la part des pouvoirs publics, des engagements forts.

- Engagement à mettre en place un « Service National de la Petite Enfance» : L’enfant serait accompagné dans sa découverte du langage (et de la langue française), dans sa découverte du «vivre et faire ensemble», deux fondements de la citoyenneté débutante. Il pourrait, quand c’est possible et particulièrement dans les premiers mois de sa scolarité, être accompagné de ses parents dans cet apprentissage.

- Engagement à reprendre et appliquer le principe des cycles à l’école primaire. Une évaluation précise des acquis de cette réforme ambitieuse, de ses blocages devra être faite. Des réajustements seraient à envisager.

- Engagement à mettre tout en œuvre pour une mise en place des pédagogies différenciées. Leur promotion, depuis le milieu des années quatre-vingts, pour rendre plus efficace l’enseignement-apprentissage dans des classes devenues parfois très hétérogènes, n’a pas été suivie d’une réelle généralisation. Si des approches différenciées ont fini par infiltrer les pratiques, elles sont trop souvent le fait d’enseignants « innovants » en raison du surcoût de travail demandé, des problèmes liés à l’évaluation, des effectifs parfois pléthoriques.

La restructuration des établissements en «unités éducatives» devraient, notamment en réduisant les effectifs pour certaines activités, en permettre la généralisation. Un mémorandum des pratiques innovantes et de leur efficacité devrait faire l’objet d’une évaluation globale.

Des moyens devraient être mis en place, au plan national et local (niveaux départementaux et régionaux) pour favoriser la diffusion des pratiques pédagogiques innovantes : mutualisation grâce à la mise en réseau internet des établissements ; journées d’études ; presse professionnelle spécialisée (ce qui n’existe pas dans notre métier contrairement à d’autres, les revues étant le plus souvent l’œuvre d’associations militantes).

- Engagement à offrir à tous les élèves la possibilité de capitaliser des acquis afin d’éviter les redoublements inefficaces.

- Engagement à supprimer tous les critères d’âge et à systématiser la « scolarisation par récurrence ».

L’École deviendra alors une «maison d’éducation» ouverte sur tous les apprentissages destinés à un public diversifié. Pour le moment, nous en sommes très loin. L'institution se contentant de gérer l'ingérable et de faire reposer le poids des problèmes engendrés par des décennies d'immobilisme sur les épaules des enseignants. Pire même, le quinquennat qui s'achève a rendu ces derniers responsables des difficultés alors que les professeurs tentent, tant bien que mal, d'appliquer des directives contradictoires, souvent inutiles et en tout cas en décalage total avec les réalités du terrain.

Le 16 janvier 2022

Quelque part sur la terre…

Je parle peu d’écologie, d’environnement, de sauvegarde de la planète qui souffre tant des maux que l’humain lui impose. J’ai évidemment tort mais ce silence ne signifie pas que les malheurs de notre Terre m’indiffèrent. Loin de là.

Je vous parlerai donc des paysages qui m’ont fait devenir ce que je suis. Je crois en effet, j’en suis persuadé même, qu’ils nous modèlent, que les détruire c’est massacrer les humains invités au festin des couleurs, des parfums, des bruits et des silences.
La chance de ma vie sera d’avoir vécu les années de mon enfance – 1958-1975 - et de mon adolescence dans un pays baigné par la lumière, bercé par le frisson du vent venu de la mer ou parfois du sud, du désert brûlant, emportant avec lui quelques milliards de grains de sable repeignant en ocre les murs blanchis à la chaux, accueillant des rivières de bougainvilliers en fleurs ou la nonchalance d’un chat à demi ensommeillé de chaleur.

Les couleurs de ce pays sont ceux de mes souvenirs. Celles et ceux qui me lisent ici et ailleurs savent mon attachement, mon amour infini pour la douceur et la violence de son climat, pour la beauté des courbes de ses plages caressant l’Atlantique et la Méditerranée, pour ses contrastes entre villes surpeuplées accueillant riches et pauvres et campagnes faites de terres avares à rendre ce qu’on leur donne et celles, plus généreuses, offrant à nos palais le goût des clémentines, oranges, citrons, olives après avoir enchanté nos narines des parfums mêlés de leurs fleurs au printemps.

Mon pays, celui de mes souvenirs comme celui présent, mérite à lui seul que nous autres, frères humains, nous battions pour lui. Et bien évidemment, pour tous les autres.

Je ne supporterai pas que disparaissent par notre faute, nos égarements, notre appât du gain, nos inconsciences partagées - car je suis aussi coupable que tant d’autres - les dunes, ces océans immobiles fracassant les rochers du Hoggar. Remplacées peut-être un jour par des villes géantes aux tours illuminées construites par des femmes et hommes venus tout exprès survivre pour des salaires de misère mais nourrissant les rêves fous de quelques nababs en mal d’une reconnaissance frelatée.

Je ne supporterai pas que meurent les Champs d’amandiers illuminant le Rif, la source bleue de Meski dans la vallée du Ziz, les neiges du Toubkal entre Marrakech et Taroudant, les grandes forêts de chênes-lièges et celles d’eucalyptus dont je cueillais les feuilles en les faisant siffler serrées entre mes mains ; que disparaissent à jamais les poissons amassés sur les quais des ports avides des odeurs fortes envahissant l’azur, les hérissons du désert, les caracals, les flamants roses affamés de crevettes, les scinques et les mangoustes ichneumon, les vipères de l’erg, les grands-ducs ascalaphes, les oryx algazelles et ce caméléon qui venait au jardin jouer au magicien par ses couleurs changeantes.

Et puis mon Atlantique, polluée tant et plus, dont j’entends les rouleaux écrasant de sa force les rives ensablées où mes courses anciennes m’amenaient à plonger et puis à revenir vers la maison-jardin envahie de mille fleurs aux mille noms oubliés.
Voilà ce que je suis. Paysages, animaux, fleurs et parfums. Massacrer tout cela, c’est me tuer et nous tuer ! Je n’ai pas dit le nom du pays dont je parle : le Maroc, quelque part sur la terre…

Le 9 janvier 2022

Une gauche incarnée par un-e candidat-e unique. Las, nous en sommes loin. De plus en plus loin...

Nous sommes le pays de la dispute. De la contradiction érigée en principe. Le pays où TOUT est et fait débat. Du prix de la baguette de pain à la géopolitique la plus complexe. Bien fol est celui qui oublierait cela, réduisant le peuple français à un ensemble sans arêtes, sans passions, sans engueulades vite oubliées pour plus vite encore en inventer d’autres.

A la maison ou à la plage, j’ai encore en mémoire ces discussions enflammées entre mon professeur de père et ses amis, professeurs aussi pour la majorité d’entre eux. Au soleil du Maroc, ils s’écharpaient en parlant pédagogie, politique ou sport. Tout, absolument tout était comparé, soupesé, analysé. Le ton montait souvent. Puis tous se retrouvaient dans l’eau de l’Atlantique ou dans la cascade des éclats de rire provoqués par une plaisanterie venant, provisoirement, clore la discussion du jour. J’ai encore à l'esprit ces émissions de télévision faisant du débat contradictoire leur raison d’être. Ah ces empoignades aux "Dossiers de l’écran" dont le générique me glaçait d’effroi !

Effacer tout cela, nier cette spécificité française – dans quel autre pays que le nôtre va-t-on jusqu’à nous fâcher sur des sujets aussi improbables et éloignés de nos préoccupations que les ventes d’armes aux États-Unis ou la politique africaine du Président Poutine ? Aucun ! – c’est ne rien comprendre à ce qui façonne la France : le débat contradictoire et tant pis s’il est ponctué par quelques « noms d’oiseaux ». La France, c’est Rabelais au banquet d’Astérix !

Hélas, un candidat devenu président de la République a tenté - et, à mon avis, malheureusement réussi – de soumettre l’esprit français au nom du « En même temps », au nom du « Ni droite ni gauche ». Un aplanissement, une monotonie, un lac d’où seraient absentes les plus minuscules vaguelettes. Un pays plat où triompheraient les communicants. Il suffit de suivre les comptes « Twitter » du président de la République et ceux de ses « marcheurs » pour constater tristement la victoire des slogans, des éléments de langage sur les idées. La victoire des phrases creuses - «… Parce que c’est notre projet !!! » - hurlées dans les micros. La victoire de ceux qui parlent fort et qui pensent bas. La victoire des publicistes sur les écrivains. La victoire du spectaculaire sur la discrétion nécessaire à la réflexion longue. La victoire des talk-show où le « show » écrase le « talk ». La victoire de BFM TV et des "Grandes Gueules" de RMC sur France Culture, même si, dans un sursaut d’intelligence j’espère, cette dernière station de radio a gagné des auditeurs. La victoire de Closer sur Le Monde. La victoire de Tartuffe ! Pire, la victoire d'Hanouna et de Vincent Bolloré. Décidément, la responsabilité - et le calcul - d'Emmanuel Macron dans la progression des idées fascisantes est énorme. 

La France n’est en aucun cas ce pays voulu par le chef de l'Etat ! Encore faut-il lui opposer des forces contradictoires, des mouvements d’idées qui deviennent idéaux, une gauche renaissante et force de propositions.

Une gauche qui redonne force et corps aux espérances populaires, qui nourrisse les débats dont le président de la République et ses amis veulent priver le pays. Une gauche incarnée par un-e candidat-e unique. Las, nous en sommes loin. De plus en plus loin. Sans plus rien voir venir d'autre que la réélection du même... 

Le 20 décembre 2021

Joan Baez… Ma gauche... Écoutant son cœur parce que c’est là que se trouve sa conscience...

(Après cette lecture, vous pouvez écouter Joan Baez… En boucle… « Diamonds and Rust » pour commencer…)

Un souvenir à te raconter..

Un jour, ma mère a posé un vinyle sur le tourne-disque. Je devais avoir huit ou neuf ans. Je me souviens très bien ce jour-là. La porte du couloir donnant sur le jardin encore fleuri en ce mois de septembre marocain était grande ouverte. La fenêtre, également ouverte, de ma chambre où je jouais sur l’épais tapis acheté à Fès – il était d’un bleu que Braque aurait aimé avec ses quelques parements noirs à chaque angle – offrait au vent la possibilité de rafraîchir la maison. Accompagnant cette caresse, j’ai alors entendu la voix d’une femme. Cette voix allait accompagner ma vie pendant un demi-siècle. L'accompagne encore. L'accompagnera toujours.

Joan… Joan Baez… Je ne savais rien de ses combats ce jour de septembre. Je ne savais rien de ses amours avec un certain Bob Dylan. Je ne savais rien d’autre que le son de sa voix qui avait arrêté mes jeux d’enfant. J’écoutais. Émerveillé. Sidéré. Je ne savais pas encore qu'un demi-siècle plus tard j’en parlerai, en écoutant « Sad-Eyed Lady Of The Lowlands ». Je ne savais pas que Joan allait accompagner ma vie. Je ne savais pas que Joan allait provoquer mes prises de conscience adolescentes. Je ne savais pas que Joan me ferait pleurer en chantant « Sag mir wo die blumen sind » ou « Where are the flowers gone ». Je ne savais pas qu’un jour, au lycée de Bagnères-de-Bigorre où je passais le mois de juillet à approfondir mon anglais, je découvrirai « Here’s to you » en embrassant Héléna, vénézuélienne de mon âge – quinze ans – avec qui j’approfondirai beaucoup plus l’art du baiser que celui de la langue de Shakespeare.

Joan Baez, c’est la gauche. C’est ma gauche. Au-delà de l’artiste, il y eut et il y a toujours ses engagements. Ce sont les miens. À vingt et un ans, elle fait la « Une » de Time Magazine ! Pacifiste. Ecologiste avant tout le monde. Jamais dans la nostalgie de ce qui fut, croyant que « c’était mieux avant ». Soucieuse de ceux qui souffrent. Écoutant son cœur parce que c’est là que se trouve sa conscience. Que se trouvent nos consciences bien davantage que dans les discours des donneurs de leçons technocratiques. Anti raciste évidemment. Toujours opposée mais toujours « proposante ». Ma gauche. Lumineuse et ouverte aux autres cultures, à l'universalisme, loin de tout identitarisme dangereux.

J’ai écouté Joan Baez assis sur le tapis de ma chambre. Ma mère fredonnait dans un anglais qu’elle ne comprenait pas. Je me souviens de la chanson… « Farewell Angelina »…

J’aimerais tant un jour te faire découvrir cette femme… Son timbre est aujourd’hui plus fragile. Mais la force est là. Toujours… Elle, une guitare, une voix…

Le vent frais traversait la maison de part en part.

Comme me transperça cette voix, un jour de septembre, au Maroc…

Je n’ai jamais retiré la flèche !

Le 5 décembre 2021

Un fascisme qui installerait son nid dans celui de la République

La culture et le beau ont toujours été une cible privilégiée des fascistes et des nazis. Inutile d'énumérer ici les noms des artistes obligés de fuir leur patrie sous prétexte qu'ils étaient "dégénérés" et de voir leurs œuvres interdites. Jusqu'aux autodafés. Depuis quelques années, la France n'échappe pas à cette systématique mise en cause du "culturel". De très nombreux journalistes, chroniqueurs, politiciens de droite, animateurs d'émissions "people" ne manquent pas une occasion de railler tel quotidien, tel critique littéraire, telle installation d'oeuvre contemporaine - l' emballage de l'Arc de Triomphe par Christo a provoqué des commentaires absolument abjects et d'une rare stupidité - tel spectacle rompant avec les traditions classiques. Pour les néo fascistes - car c'est ainsi qu'il faut les nommer - français, ce qu'ils appellent "le peuple" n'aurait droit  qu'à la réhabilitation du vulgaire, du facile, du prêt à consommer, du clinquant. Les émissions de Cyril Hanouna sont l'exemple quotidien de ce glissement vers la médiocrité imposée aux "français moyens" supposément rétifs à la haute culture. Pire même, cette "haute culture" serait un outil de propagande gauchiste, voire même - c'est très tendance - islamogauchiste. Qu'il est loin le temps où la télévision française osait Eschyle et ses Perses à une heure de grande écoute. Osait Les Rois Maudits. Osait Le Grand Echiquier. Ce temps où la qualité partait à la rencontre de la France toute entière, sans distinction.

Le poison idéologique instillé par un Eric Zemmour - qui n'est pas le seul dans ce cas mais il est passé maître - est de faire croire que le "monde culturel" serait exclusivement occupé par les nantis, par celles et ceux méprisant le "petit peuple", par une élite à abattre. Cette propagande "culturo-fasciste" est convoquée pour asseoir l'idée, la faire certitude, que la culture ne peut être autre chose qu'un retour au passé supposément glorieux. Et qu'elle ne peut être QUE cela. Les néo fascistes français se complaisent à citer Chateaubriand, Hugo, La Fontaine ou Voltaire. Mais condamnent en même temps les médias qui auraient l'inconscience coupable de proposer ces auteurs par des adaptations de leurs œuvres à une heure de grande écoute. Les étudier à l'école - ce qui est le cas - soit. De là à proposer "Hernani" à 21h sur TF1, il y a un océan. 

Soyons attentifs. Certes la France n'est pas fasciste. Très longtemps, ce mot "Fascisme" n'a pas reçu d'écho. Il était exagéré pour les uns ou sur-employé pour d'autres, mettant dans le même sac la famille Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais si la France n'est pas "fasciste", elle peut le devenir. Depuis quelques mois, les signaux d'alerte se multiplient. Les idées et propositions à caractère fasciste trouvent des oreilles attentives. L'addition des voix potentielles de Marine Le Pen, d'Eric Zemmour, voire d'Eric Ciotti, donne un résultat vertigineux d'angoisse ! Alors que la crise économique met sur le flanc des milliers de gens en France, ce sont les questions identitaires et "culturelles" - cultuelles ? - qui surgissent au premier plan des discours extrémistes. Les femmes et hommes politiques de la droite républicaine modérée n'ont-ils pas récemment aligné leurs propositions sur celles des candidats fascisants? Un fascisme qui installerait son nid dans celui de la République. L'air de rien...

Le fascisme ne sera peut-être pas le régime de demain. Mais ses idées s'installent. Et c'est d'une dangerosité extrême ! 

Le 28 novembre 2021

Bilan Blanquer: une "école" toujours plus libérale...

Depuis 2017, tout devient compétition. Pas une émission de télévision sans la mise en concurrence de compétiteurs. Le tout appuyé sur des “valeurs” très discutables au passage. Le gagnant ou la gagnante de l'émission-phare de TF1, “Koh Lanta”, est toujours le plus roublard, voire le plus menteur et traître à la parole donnée.

Tous les ans paraissent les incontournables et redoutés “classements” des établissements scolaires et universitaires, classements des meilleures "prépas". A quand le palmarès des meilleures écoles maternelles? Classements absurdes, quasiment falsificateurs.

Me revient en mémoire un article paru dans Le Monde du 19 janvier 2010, écrit par Alain Cadix, ancien Président de la Conférence des Grandes Ecoles, et malicieusement intitulé: "L'ascenseur social ne démarre pas au 15ème étage" *. Il y évoquait, je cite, "un réel et préoccupant déséquilibre social". Mais l'Université française, car Alain Cadix parlait des Grandes Ecoles, n'est pas en reste. En théorie non sélective, rappelons néanmoins qu'elle effectue un tri social après la licence. 18% des étudiants en master et 12% en Doctorat sont enfants d'employés et d'ouvriers alors que ces mêmes catégories sont sur-représentées en BTS, IUT et autres formations comptables. Dans ce système, scolaire puis universitaire, “malheur aux vaincus”! Vaincus vite ignorés, oubliés puis éliminés. En effet, contrairement aux pays nordiques où tout est mis en oeuvre pour élever le niveau de l'ENSEMBLE des élèves et des étudiants, la France sélectionne les meilleurs qui SEULS et en immense majorité dotés du même capital de départ, atteignent les “sommets”, à de rares exceptions près, exceptions auxquelles l'institution réserve quelques places afin de pouvoir corriger sans doute et à peu de frais l'image d'une Ecole à plusieurs vitesses sociales.

La compétition organisée par les plus hautes autorités de l'Etat commence tôt. Entre la maternelle et le CM2, l'écart est de 16,4 points sur 100 en mathématiques entre les enfants d'ouvriers et ceux de cadres supérieurs. (De 14 points sur 100 en français). Le retard pris dès le “coup de pistolet” est en général impossible à combler. Cherche-t-on seulement à le faire? Oui répondra monsieur Blanquer, avançant son initiative de dédoublement des CP/CE1 en zone dite "REP+". Si l'intention semble louable et généreuse, elle se heurte au réel: 70% des élèves en difficultés ne sont pas en "REP+" et ces dédoublements ont eu pour conséquences, au-delà de résultats mitigés, des dégâts collatéraux non négligeables. Habiller Pierre pour déshabiller Paul n'a jamais fait une bonne politique. 

Mais la plus grande perversion du système tient moins à la compétition elle-même que par ce qu'elle engendre en amont. En effet, le diplôme étant en France un sésame incontournable et un marqueur social fort, les familles mettent en lace des stratégies, parfois dès la maternelle (!!!), permettant de maintenir puis d'augmenter les potentialités de leurs enfants. Ces parents sont dans leur immense majorité sur-diplômés, financièrement à l'abri du besoin et très au fait des moyens à employer à l'intérieur du système scolaire pour en éviter les pièges. Je devrais dire "étaient" car depuis quelques années, la fièvre du “Tu seras le meilleur mon fils”/“Tu seras la meilleure ma fille” gagne toutes les classes sociales. La course aux cours particuliers, aux inscriptions sur des sites vantant leurs “merveilleux” résultats est désormais engagée pour des familles jadis épargnées ou écartées de cette folie compétitrice.

Alors que les essentiels sont ailleurs

La modernisation indispensable de nos méthodes d'enseignement en permettant le développement de pédagogies adaptées, la transformation radicale de nos lieux d'enseignement (l'architecture scolaire est un sujet encore trop peu étudié), la transformation nécessaire des programmes, bref une vraie "révolution scolaire" passant d'abord par une "révolution des attitudes“ font partie de ces ”essentiels". Hélas, tout cela a souvent été freiné par le monde enseignant lui-même. Déçu des nombreuses "réformettes" incohérentes, nombreux sont ceux qui ont prêté une oreille attentive aux déclinologues et ont choisi les voies d'un conservatisme prudent mais poussiéreux, s'enfermant dans une nostalgie fantasmée de l'école d'hier. Pour ceux-là, la compétition est un “confort” qui leur permet de croire qu'en éliminant, si possible très tôt les élèves en difficultés, nous parviendrions à construire une "société des meilleurs" par les meilleurs et pour les meilleurs. N'a-t-on pas récemment entendu madame Pécresse, candidate à l'élection présidentielle, proposer un retour de l'examen d'entrée en 6e ?

Proposition populiste et erreur gravissime de jugement. Dans toutes compétitions, il ne peut y avoir d'excellents “premiers” qu'à une condition: que ceux-ci soient poussés par d'excellents seconds, troisièmes, quatrièmes et ainsi jusqu'au dernier. Un examen n'a JAMAIS provoqué l'amélioration des résultats de TOUTES et TOUS.

A vouloir trop éliminer, à éliminer D'ABORD, c'est l'ensemble de l'édifice scolaire qu'on fragilise dangereusement. Si le résultat de l'élection qui vient amène au pouvoir une équipe à nouveau libérale, l'Ecole, au sens large du terme, en serait encore plus victime qu'elle ne le fut depuis 2017, avec un ministre plus intéressé à la construction de son image sur divers plateaux de télévision qu'à celle d'une Ecole échappant à l'air vicié du temps.

*L'ascenseur social ne démarre pas au 15e étage !... par Alain Cadix (lemonde.fr)

Le 2 novembre 2021

En écoutant un adagio de Haydn...

Ecouter un adagio de Haydn par Alain Planès un soir en Béarn et par distraction ou par curiosité politique, lire qu’un « pas encore » candidat à l’élection présidentielle approchante a dit sa haine encore et encore, encore et toujours des musulmans, des femmes, des homosexuels, de toutes celles et ceux qui à ses yeux ne respectent pas la France, cette France qu’il cherche à imposer, revisitant l’Histoire, réécrivant les périodes sombres, accusant l’Ecole d’être à l’origine de ce qu’il appelle le déclin du pays, ce pays qu’il veut blanc, revirilisé, sans arabes, sans destin commun, sans « faire ensemble », un pays qui expulsera, séparera, désignera les uns à la vindicte des autres, sombrera chaque jour un peu plus dans l’obscurité du malheur, un voile - paradoxe – déposé sur toutes les différences enrichissantes pour dissimuler au monde les beautés d’une nation bigarrée, arc-en-ciel, libre, égale, fraternelle, laïque et le monde effaré observera la patrie de Ronsard, d’Hugo, de Camus, de Ionesco, de Beckett, de Kundera, et encore de Tahar ben Jelloun, de Driss Chraïbi, d’Amin Maalouf, de Rachid Boudjedra, de Yasmina Khadra, de Malika Mokeddem, de Leïla Sebbar, j’en oublie tant et tant, le monde effaré observera, disais-je, la France s’appauvrir culturellement, humainement de tout ce qui a construit son Histoire, la vraie, celle que le fascisme - nommons les choses - veut priver de sa diversité, de sa beauté, de son génie par l’arrivée d’un populisme mensonger, indécent, criminel transformant le racisme et l’homophobie en opinions quand ce sont des délits et m’interdire - pardonnez cette remarque personnelle – à moi, le franco/marocain, d’aimer ma « petite sœur » du soleil rencontrée tout jeune et emportée dans mes rêves après que j’ai quitté mon Maghreb natal pour rejoindre le pays de mes parents, ce pays où j’ai grandi en regrettant la seule personne à regretter, c’est-à-dire l’enfant que je fus, apprenant très tôt à aimer cet adagio de Haydn retrouvé un soir en Béarn, en France, mon pays ouvert aux autres, à TOUS les autres…

Le 10 octobre 2021

Zemmour, Zemmour, Zemmour... Jusqu'à la nausée !

Ne pas en parler, c'est laisser le champ libre à des affirmations scandaleusement racistes, homophobes, sexistes. A des comparaisons inacceptables. Récemment encore, N'osait-il pas parler de Joseph Mengele, l' « ange de la mort » d'Auswitch pour évoquer les décisions prises par Jean-Michel Blanquer en direction des élèves transgenres ? Insupportable !

En parler, c'est lui offrir l'occasion d'apparaître en lumière, d'en faire un adversaire de poids, de relayer son « discours ». L'essentiel à ses yeux n'étant pas qu'on parle de lui en mal mais seulement qu'on parle de lui .

Je ne lui offrirai pas l'occasion ici de revenir sur son dernier « livre », sur ses dernières sorties, sur ses multiples entretiens complaisamment offerts par des rédactions flairant le « bon » client, candidat putatif susceptible de faire de l'audience chez Hanouna, le tout amplifié par les réseaux dits « sociaux ». Il est suffisamment tous les jours à l'antenne, y compris indirectement tant il occupe les esprits des chroniqueurs.

Eric Zemmour semble en tout cas avoir bien retenu les leçons d'Edouard Drumont, père de l'antisémitisme français qui, en son temps, avait montré du doigt et de la plume - à l'époque pas de radios ni de télévisions - un ennemi de l'intérieur parfaitement imaginaire et accablé de toutes les responsabilités des malheurs de la France, passés, présents et à venir : les juifs. Eric Zemmour, à longueur de journée, évoque à son tour un « ennemi de l'intérieur » qui serait cette fois les français et étrangers musulmans résidant sur notre sol. A tel point et sans crainte du ridicule que l' ex polémiste et journaliste du Figaro évoque la responsabilité des musulmans lorsqu'un journaliste l'interroge sur l'insécurité – les musulmans ! - , l'éducation en panne – les musulmans ! - , l'économie fragile – les musulmans - , le réchauffement climatique – les musulmans ! « »Le poumon, le poumon, le poumon » comme disait Molière, avec talent, lui. Hélas, force est de constater qu'une partie non négligeable de nos concitoyens est prête, d'après les sondages, à accorder sa confiance à celui qui, comme Drumont d'ailleurs, sait utiliser les médias populaires et populistes pour distiller son venin. Venin d'autant plus dangereux qu'il a la capacité d'effacer les réflexions indispensables sur les véritables immenses enjeux qui attendent, non seulement la France, mais le monde : enjeux climatiques, internationaux - le poids immense de la Chine – éducatifs, de santé, tant d'autres encore dont Eric Zemmour ne parle jamais et donc pour lesquels il n'avance aucune proposition.

Quant à la vision de la France future qu'il offre à celles et ceux qui le croient, c'est celle d'un pays dont il « révisionne » l'Histoire, replié sur lui-même, enfermé dans les peurs qu'il agite comme autant d’appâts faciles et paresseux : l'Islam et l'islamisme qu'il ne distingue même plus ! Malin et diabolique, il sait enfin habiller ses propos d'une rhétorique implacable qui disqualifie systématiquement toute critique. D'autant plus facilement que celles et ceux qui lui sont opposés n'osent pas utiliser les mêmes armes pour les retourner contre lui. J'attends que des historiens lui soient un jour présentés bien davantage que des politiques, des philosophes ou des journalistes.

J'attends aussi – c'est urgent – un Pete Seeger français se levant et chantant, entraînant derrière lui écrivains, comédiens, cinéastes et dénonçant, avec la force d'un tambour, le danger qui guette, chaque jour plus prégnant.

Dénonçant, accusant et proposant une autre voie que celle de la division entre français ! Cette division qui nourrit la haine alimentant le « programme » d' Eric Zemmour !

Christophe Chartreux

https://youtu.be/LVQ6Y8szaBQ

Le 26 septembre 2021

De la vulgarité à la médiocrité... et inversement...

Depuis l'entrée en fonction du Président Macron, mais cela avait déjà commencé avant l’intronisation du « monarque républicain », ce dernier aidé par des médias paresseux portant la « chose » à un degré de perfection rarement atteint, la vulgarité et la médiocrité gouvernent le quotidien des français.

La vulgarité est en effet partout. Y compris au sommet de l'Etat et du gouvernement. Nous parlons ici, vous l'aurez compris, non pas de cette « vulgarité » qui désignait et désigne encore parfois le « vulgum pecus », accusé par les nobles et bourgeois de s'exprimer et d'agir sans respecter les codes par eux établis, mais de la vulgarité traduite par le mépris du peuple en particulier. Chacun se souvient encore de propos publics énoncés par Emmanuel Macron, par ses ministres, par des élus de sa majorité. Inutile de les rappeler ici puisque nous les gardons toutes et tous en mémoire.

Ce mépris assumé est l'une des pires vulgarités qui soient , provoquant chez celles et ceux qui la pratiquent une terrifiante « infirmité de l'âme ». Mais ils assument, droits dans leurs bottes, cette vision du peuple : les puissants, les nantis, les dirigeants d'une part et de l'autre part, les faibles, les pauvres, le troupeau bêlant des citoyens obéissants. Cette construction les arrange d'autant plus qu'elle appuie ses fondations sur une partie des médias, un contre-pouvoir de moins en moins « contre » dans bien des cas, qui n'a de cesse de donner au petit peuple sa part de vulgarité. A quoi bon, doivent se dire les Bolloré et autres magnats, offrir au citoyen lambda une once de qualité, d'excellence, d'exigence ? Ces gens-là n'ont pas besoin d'être instruits ; et moins ils le seront, plus ils seront faciles à diriger, moins ils désireront se révolter. Ou quand la vulgarité devient une véritable vision de la société et porte atteinte à la dignité humaine, donc à la liberté.

Qu'est-ce que la médiocrité dans la France macronienne ? L'affaire est somme toute assez simple. Depuis le triomphe du « En même temps », chacun est sommé de rester à sa place. Tout débordement, tout excès, tout ce qui échappe à cet « En même temps » est soupçonné de déviance. Toutes et tous autant que nous sommes devons « rester dans le rang ». L'originalité n'est pas de mise. « Pas assez » ou « Trop » sont l'objet de soupçons. Il faut, c'est un dogme, rester « moyens ». rester médiocre et se glisser dans les vêtements de la « médiocratie ».

En médiocratie, les responsables comme les exécutants doivent faire preuve de leur compétences ; Très bien, me direz-vous. Hélas ces compétences, souvent utiles et incontestables, validées par des diplômes d' écoles dites « grandes », sont mises au service de directives absurdes, contradictoires ou bien, priées de véhiculer l'idée qu'une annonce est plus importante qu'une réalisation. Le Président Macron – et toutes les déclinaisons macronistes – est passé maître dans l'art de projeter le citoyen dans un futur sans bornes. A tel point que l'annonce devient objet de commentaires tellement nombreux, à longueur de plateaux squattés par des chroniqueurs plus militants que journalistes, qu'elle devient « réalité virtuelle ». On n'en commente d'ailleurs jamais les résultats puisque très souvent l'annonce n'est pas suivie de faits.

En médiocratie macronienne, le rêve fou de celles et ceux qui la dirigent est de « fabriquer » un individu appliquant à la lettre une fiche de directives pré-écrites. Il devient alors le serviteur docile d'une idéologie pensant pour lui. Quel confort ! L'individu ne pense plus. Il tire un trait sur son autonomie. Il rentre dans le rang du troupeau que nous évoquions tout à l'heure. Quel confort en effet ! Pour le pouvoir qui, utilisant une « novlangue » incompréhensible mais ayant le « mérite » de la nouveauté, inonde les esprits pour anéantir la critique, pourtant forme avancée des esprits éclairés.

Enfin en médiocratie, la médiocrité se dissimule dans le flou. La clarté serait-elle à ce point dangereuse qu'un chef d'état la dissimule, la noie dans un brouillard épais ? Il faut le croire tant cet outil de gouvernance est utilisé souvent.

Vulgarité et médiocrité... Deux moyens souvent utilisés par les pouvoirs politiques successifs mais portés à un degré d'efficacité et de « perfection » jamais atteintes à ce jour. Quelle tristesse !

 Le 19 septembre 2021

 Apprenons aux élèves à penser leur futur... 

Une véritable culture de l’accompagnement au « projet » est à mettre en œuvre collectivement dans nos établissements scolaires. Ceci se fait déjà, mais de manière disparate et sans grands moyens d'accompagnement. Pour pouvoir mener à bien la réflexion sur son orientation pour le futur (à court ou moyen terme), l’élève doit pouvoir avoir une vision précise de ses compétences et de ses potentialités (question souvent abordée d’une évaluation par compétence, individuelle et argumentée). Ce bilan peut permettre à l’élève, en cas de distorsion entre ses souhaits et ses capacités présentes, d’envisager une remédiation ciblée (en langues, expression écrite, etc.). Il doit pouvoir opérer en permanence des ajustements entre ce qu’il maîtrise et ce qu’il vise. L’élève doit pouvoir également se projeter dans le futur. C’est une préoccupation enseignante peu développée alors même que les travaux portant sur les Perspectives temporelles à l’adolescence montrent que beaucoup de jeunes ont des difficultés à se projeter dans leur avenir. 

L’École favorise peu les activités de ce type. Ainsi la thèse de Leininger-Frézal, 2009, portant sur l’Éducation au développement durable, montre que les projets pédagogiques sont très rarement ancrés dans le futur, et que même des pratiques dites parfois très exagérément “innovantes” sont pensées dans et pour l’école, donc dans un cadre défini, alors même que les finalités civiques visées sont un futur à construire à l'extérieur de l'Ecole. L’élève doit pouvoir enfin se projeter dans le monde. Le problème est que l'école est fermée sur elle-même. Une ouverture “vers le monde” et “au monde” semble une piste importante. Cela ne signifie pas « vendre » l'école à quelque entreprise que ce soit, mais simplement ne pas la couper des réalités économiques et sociales. 

L'importance fondatrice de "l'orientation"

Ainsi, « l’orientation » -comme il est dit de manière elliptique- doit être un temps de découverte, un moment structuré par un projet pédagogique. Cela peut, par exemple, revêtir la forme d’un projet artistique (écriture et représentation d’une pièce de théâtre, tournage vidéo), de la conception d’outils de communication sur les métiers (reportage sur des branches professionnelles méconnues, interviews de professionnels, enquêtes), d’un journal… Ainsi, les élèves s’approprieront-ils le projet en tant qu’acteurs et non spectateurs/consommateurs d’une « orientation » qui leur serait proposée de l’extérieur. D’ailleurs, si les enseignants eux-mêmes sont incités à concevoir leur carrière comme une dynamique, sans doute seront-ils enclins à mieux comprendre les angoisses et le stress de leurs élèves. Il doit donc exister un lien fort entre la découverte du monde du travail et les apprentissages fondamentaux : non plus comme une sorte d’assujettissement de l’école au monde du travail (considérant qu’elle doit être le « réservoir » des futurs travailleurs) mais bien au contraire en permettant à chaque élève d’interpeller l’École sur ce qu’elle peut lui « offrir » comme ressources pour accéder à son projet personnel et le construire.

Le rôle central de la technologie

Cette discipline devrait jouer un rôle dans la construction que les élèves ont à avoir de la pluralité des métiers d’aujourd’hui et du futur :

- en permettant une réelle découverte des métiers du XXIème siècle avec des passerelles entre chaque « espace de découverte » ;

- en développant des activités réelles, des projets, des expériences des « unités éducatives » en lien avec le monde du travail en fonction des métiers accessibles dans le bassin d’emploi (professions de toutes natures : tertiaires, techniques, agricoles ; monde médical, professions libérales, fonction publique…).

De la sixième à la seconde, les élèves doivent avoir construit (avec des moments de synthèses, de comparaison, d’échanges au sein des unités éducatives de leurs expériences) un panel aussi large que possible de l’ensemble des voies ou grands secteurs d’activités qui s’offrent à eux. Des forums regroupant chaque année des professionnels dans les établissements pourraient contribuer à approfondir cette connaissance des métiers dont les élèves n’ont qu’une vision le plus souvent abstraite voire fantasmée.

Afin de sensibiliser les enseignants à cette problématique, tout professeur devra avoir effectué un stage en entreprise au cours de sa formation. Une implication dans l’ensemble du dispositif de l’établissement permettra par ailleurs une connaissance en temps réel de professions en constante évolution.

Affirmer qu’apprendre tout au long de la vie scolaire est un droit entraîne, de la part des pouvoirs publics, des engagements forts.

- L’enfant sera accompagné dans sa découverte du langage (et de la langue française), dans sa découverte du « vivre et faire ensemble », deux fondements de la citoyenneté débutante. Il pourra, quand c’est possible et particulièrement dans les premiers mois de sa scolarité, être accompagné de ses parents dans cet apprentissage.

- On devra reprendre et appliquer le principe des cycles à l’école primaire. Une évaluation précise des acquis de cette réforme ambitieuse, de ses blocages devra être faite. Des réajustements seront envisagés.

- Il faudra mettre tout en œuvre pour une mise en place des pédagogies différenciées. Leur promotion, depuis le milieu des années quatre-vingts, pour rendre plus efficace l’enseignement-apprentissage dans des classes devenues parfois très hétérogènes, n’a pas été suivie d’une réelle généralisation. Si des approches différenciées ont fini par infiltrer les pratiques, elles sont trop souvent le fait d’enseignants « innovants » en raison du surcoût de travail demandé, des problèmes liés à l’évaluation, des effectifs parfois pléthoriques. La restructuration des établissements en « unités éducatives » devraient, notamment en réduisant les effectifs pour certaines activités, en permettre la généralisation. Un mémorandum des pratiques innovantes et de leur efficacité devra faire l’objet d’une évaluation globale. Des moyens devront être mis en place, au plan national et local (niveaux départementaux et régionaux) pour favoriser la diffusion des pratiques pédagogiques, qu'elles soient “innovantes” ou pas. L'innovation n'étant pas automatiquement gage de qualité et de succès : mutualisation grâce à la mise en réseau internet des établissements ; journées d’études ; presse professionnelle spécialisée (ce qui n’existe pas dans notre métier contrairement à d’autres, les revues étant le plus souvent l’œuvre d’associations militantes).

- Enfin, il conviendra d'offrir à tous les élèves la possibilité de capitaliser des acquis afin d’éviter les redoublements inefficaces. - Engagement à supprimer tous les critères d’âge et à systématiser la « scolarisation par récurrence ».

L’École deviendra alors une « maison d’éducation » ouverte sur tous les apprentissages destinés à un public diversifié. Utopie? Tant mieux !

 Le 12 septembre 2021

A propos de la jeunesse... 

Depuis plusieurs années – je ne saurais donner une date précise mais accordons-nous pour commencer aux "années Chirac" - il est de bon ton d'accabler la jeunesse en pointant du doigt son incivisme, son insouciance, son égoïsme et surtout son détachement de la “chose” politique. Les taux de participation lors des derniers scrutins vont apparemment en ce sens: n'étaient-ils pas 87% des 18/24 ans à ne pas avoir voté lors des dernières échéances régionales et départementales? La jeunesse nous désespère en renonçant aux urnes. 

Mais peut-être aussi et surtout se désespère-t-elle et pratique-t-elle d'autres formes de civisme, échappant aux “radars” habituels d'observation des comportements, tous focalisés sur la participation aux élections. La jeunesse actuelle aime l'engagement. J'en suis persuadé car témoin. Mes élèves de collège – certes non électeurs encore – et toutes celles et ceux que j'observe via les réseaux sociaux, les cercles associatifs, les organisations non gouvernementales (ONG) et autres vecteurs “vivants” faisant vibrer filles et garçons, aiment participer, agir, se retrouver pour “faire ensemble” bien davantage encore que seulement “vivre ensemble”. Leurs préoccupations, lorsque nous prenons la peine et le temps de les écouter, sont très ancrées dans le présent et leurs propositions dessinent un avenir qui n'est pas celui offert par les partis traditionnels, de droite comme de gauche. Ils “taguent” le futur quand les élus et candidats "à l'ancienne" ne leur offrent qu'un triste tableau aux couleurs différentes certes, selon tel ou tel, mais enfermé dans les carcans obligés des appareils politiques. Ces derniers observent avec sympathie, parfois condescendance, la jeunesse défilant pour le climat à l'appel d'une Greta Thunberg qui, à dix-sept ans à peine, a su emporter l'adhésion d'une génération pourtant accusée de défaitisme, de je-m'en-foutisme, d'égoïsme "propre à leur âge". Formule ô combien fausse ! 

L'élection d'Emmanuel Macron, théorisant la fin des clivages gauche/droite, affirmant vouloir se passer des corps intermédiaires – partis politiques et syndicats entre autres – n'a rien arrangé. Croyant clarifier le paysage, le candidat Macron élu Président n'a fait que le brouiller. La jeunesse du XXe siècle disposait de repères dans un monde construit, presque schématiquement. La France oscillait entre des idéologies clairement établies allant d'un communisme puissant à une droite républicaine affirmée. Les extrêmes tentant difficilement de se faire une place. La chute du Mur de Berlin, la fin des deux blocs s'opposant dans une guerre froide, la mondialisation, le libéralisme triomphant jusqu'en Chine, tout cela a fait exploser les visions habituelles d'un monde qui en septembre 2001, un 11 septembre, a vu au sens propre du terme, s'effondrer ses illusions. Aux "désordres idéologiques", Emmanuel Macron a ajouté le flou utilisé en outil de gouvernance. Usant et abusant d'annonces peu claires, il a suscité les commentaires. A longueur de journée. Et, à force de commenter ce qui n'était que des annonces, il a souvent pu laisser croire que celles-ci étaient réalisées. Ce qui, dans la jeunesse avide de résultats rapides et concrets, a amplifié lassitude et déception. Ce qui incite aussi et hélas une partie non négligeable de la jeunesse à rejoindre les populistes simplistes trop heureux de récupérer les "brebis égarées". 

Mais le pire est encore de vouloir singer la jeunesse. Dans son langage comme dans ses habitudes. Lorsqu'Emmanuel Macron convoque à l'Elysée les youtubeurs Mc Fly et Carlito, il pense – peut-être en toute bonne foi – parler à cette tranche d'âge qui fait défection les jours d'élection. En s'affichant avec eux, en employant leurs réseaux (Instagram; Tik Tok; etc) il est persuadé bien faire, bien “viser”. Il n'en est évidemment rien. Ce n'est pas en se contentant de s'immiscer dans des moments partagés par des jeunes ENSEMBLE qu'un seul homme, qui plus est Président de la République, parviendra à faire oublier qu'il n'agit qu'avec l'espoir de récupérer un “capital sympathie” pouvant un jour se transformer en “capital politique”. Les jeunes ne sont pas dupes ou c'est faire bien peu de cas de leur clairvoyance. C'est aussi et surtout les éloigner un peu plus encore de ce qu'ils sont de plus en plus nombreux à considérer comme un cirque réservé aux “vieux”: la politique. Reste l'école. Celle-ci, par l'Education Morale et Civique (EMC) fait ce qu'elle peut, avec les moyens qui lui sont chichement octroyés, pour faire comprendre les enjeux politiques des élections, l'importance du vote, son utilité, son Histoire, ses valeurs et principes, bref tout ce qui contribue à la formation du "citoyen dans la cité". Hélas, sans donner suffisamment d'importance à ce qui devrait être une discipline à part entière souvent entièrement à part, au point parfois de "disparaître“ au profit de cours plus ”fondamentaux". La jeunesse aspire à être entendue, à participer à des actions collectives, à partager ses expériences, ses savoir-faire. Les femmes et hommes d'expérience feraient bien de modifier leurs attitudes à son égard. 

D'urgence ! 

 Le 5 septembre 2021

 La rentrée... Voilà un an environ que je n'avais quasiment rien écrit. Pris par des obligations diverses mais surtout lassé par le rouleau compresseur médiatico-populiste accompagnant le pays vers un macronisme 2022/2027 encore plus ultra libéral que celui que nous vivons. Et l'envie d'observer, d'écouter, de lire. De m'arrêter un instant. C'est "ma" rentrée... Force est de constater que les mois qui viennent de s' écouler n'ont fait que confirmer les craintes de celles et ceux désireux d'une école émancipatrice accompagnant l'enfant/élève vers le meilleur de lui-même grâce aux outils lui offrant les possibilités de comprendre le monde dans lequel il vit, de construire celui dans lequel il veut vivre. 

Ce n'est hélas pas cette école que Jean-Michel Blanquer, soutenu aveuglément par le Président de la République, s'acharne à ne pas vouloir installer. La sienne est, en plus d'être brouillonne, l'illustration, la vitrine d'une pensée: des professeurs dociles, une liberté pédagogique réduite à l'application de directives, d'évaluations dont les résultats sont quasiment connues d'avance, de lectures de protocoles à appliquer sans broncher, de campagnes d'affichages et autres gadgets. Des activités chronophages et aux résultats inconnus puisque le ministère ne publie que très rarement les bilans de ce remue-ménage semblant n'exister que pour fournir l'illusion d'une action. L'acmé de cette opération de communication étant atteint avec l'invisible et inaudible Stanislas Dehaene dont les enseignants attendent toujours de comprendre l'utilité de l' “action”, lui dont la nomination auprès du ministre de l'éducation nationale fut annoncée comme une avancée majeure annonciatrice d'une révolution des pratiques. 

A Marseille, très récemment, le Président de la République a dessiné les contours de l'école dont il rêve. Aucune surprise en la matière, le chef de l'Etat se contentant de copier-coller Jean-Michel Blanquer lorsque celui-ci était recteur de l’Académie de Créteil: 

- un mélange de sécuritarisme et un appel aux start-up éducatives ; 

- une confusion école/entreprise ; 

- la totémisation de l’entreprenariat libéral ; 

- quelques bourses aux méritants.... 

Bref, la fin du service public. Si à tout cela nous ajoutons des corps intermédiaires – nos syndicats hélas trop peu représentatifs mais qui ont le mérite d'exister pour alerter – méprisés par le pouvoir et des enseignants apprenant par la presse quelle sauce ils sont sommés d'utiliser pour assaisonner leur quotidien et celui des élèves, vous aurez un résumé de ce que fut ce quinquennat "éducatif" et ce qui attend l'Ecole si par malheur pour elle Emmanuel Macron devait être reconduit dans ses fonctions. A l'opposition de gauche désormais de prendre la mesure du danger et de devenir adulte et responsable en taisant ses querelles d'ego pour privilégier l'essentiel: l'avenir que représentent nos élèves!

Le 2 août 2020

Débat public - "Le drame de notre temps, c'est que la bêtise se soit mise à penser"...

"Nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison, que ce soit dans leurs machines ou dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et l'amitié des hommes, ce silence est la fin du monde". Albert Camus, Le Siècle de la Peur (Combat, 1948)

Le débat public est d'une affligeante médiocrité. Tout le monde ou presque en est d'accord. Y compris celles et ceux organisant ces joutes verbales vues bien plus qu'entendues car devenues spectacles - ne parle-t-on pas de "talk show" - "machines à buzz et à clash" interdisant tout débat digne de ce nom. Les sujets traités sont les mêmes de plateaux télés en matinales radios et sont rarement ceux qu'il conviendrait de développer. Ils "font" l'actualité, surfent sur l'immédiateté ou sont feuilletonnés jusqu'à l'épuisement, jusqu'au sujet qui viendra remplacer le précédent.

Il en a toujours été ainsi pourrait-on dire. Non. L'actualité, depuis l'avènement de l'information dite "en continu" et des réseaux sociaux servant à la fois de chambres d'écho à l'infini et d'amplification des débats dans ce qu'ils ont de spectaculaires, de scandaleux et de choquants, est de nos jours offerte en bien de consommation presque comme un autre. Pire même, les animateurs d'émissions populaires/populistes comme Cyril Hanouna par exemple - mais il en est bien d'autres de Pascal Praud à Jean-Marc Morandini en passant par Marc Menant - mélangent les genres abattant les murs qui séparaient le "futile" du "sérieux". Pourquoi pas? La vulgarisation n'est somme toute pas condamnable en soi. Bien au contraire.

Hélas, cette vulgarisation ne privilégie que le superficiel, n'approfondit jamais tel ou tel sujet, transformant en éclats de rire et de voix permanents ce qui mériterait d'être respecté dans et par une réflexion partagée avec les auditeurs et téléspectateurs. Elle dit au citoyen ce qu'il a envie d'entendre, dans une paresse et une facilité absolument révoltantes. A la radio, les "formats" sont de plus en plus courts. Il faut aller vite. Les réponses doivent être courtes. Le journaliste se sent en permanence obligé, non pas de relancer son interlocuteur invité mais de le couper toutes les vingt secondes pour "animer" le plateau de peur peut-être d'ennuyer l'auditeur. Il en résulte des conversations hachées, chacun empiétant sur la parole de l'autre dans un magma de mots qui ne font plus sens, la réflexion se perdant avant d'être interrompue par la coupure publicitaire ou par l'intervieweur mettant fin au "dialogue". Le temps passe si vite n'est-ce pas? On en retiendra une phrase, un mot qui seront commentés à l'infini sur les réseaux dits "sociaux", sur lesquels ceux qui parlent fort sont ceux que l'on écoute, ceux parmi lesquels on étouffe tant ils semblent avoir absolument raison, pour plagier Camus. L'amusement y gagne. L'intelligence collective y perd. Quant au doute, pourtant si nécessaire à la volonté de réflexion, il n'a même plus sa place. Et pour cause!

Ce à quoi nous assistons n'est rien moins qu'une désintellectualisation du débat public par le biais de médias de plus en plus "médiocratiques". Alors que de nombreuses voix alertent souvent et caricaturalement sur "le niveau qui baisse" (à l'école), d'autres voix et très souvent les mêmes sont celles qui participent à l'effondrement du niveau, celui-là pas caricatural du tout, de notre débat public. Un débat dominé désormais par les communicants dont l'obsession est de nourrir le petit "oiseau bleu". Entre autres. Le développement de telle ou telle actualité, de tel ou tel thème, ne trouve plus sa place que sur quelques stations de radios - France-Culture par exemple heureusement de plus en plus écoutée, ce qui démontre l'appétence des français pour une information "ralentie", posée, réfléchie - ou chaînes de télévision. Dans la presse écrite aussi. Mais l'immense majorité du débat public se perd dans les analyses à court-terme, dans les talk-show récurrents, répétitifs et réunissant les mêmes "experts" en tout donc spécialistes de rien. Il faut parler, parler, parler. Prendre la parole et ne pas la céder. C'est à dire prendre le pouvoir sur l'autre sans lui reconnaître le droit de vous contredire pour vous convaincre. Dire très vite ce qui mériterait de longs développements. Le discours libéral se sent très à son aise dans de tels "formats". Centré toujours sur les individus bien davantage que sur les idées. Désintellectualisation et individualisation: deux écueils interdisant aux idées de trouver leur place. Les idées, sans doute trop subversives pour les démagogues qui nous dirigent ou nous "informent", qu'ils soient politiques, éditorialistes ou animateurs médiatiques.

Cette médiocrité - un véritable fait de société qui mériterait un débat mais il ne vient jamais, les responsables étant trop occupés, ou parfois contraints, à distiller des idées courtes traduites en autant d'éléments de langage - est évidemment une contribution majeure à l'abaissement de l'esprit critique. Dès le plus jeune âge, ce qui devrait faire de nous des citoyens éclairés - l'information développée - se transforme en messages courts, en slogans et "punchline". Un terreau idéal pour le libéralisme - au sens le plus large - qui ne sent jamais aussi à l'aise que dans l'accélération et la prévalence de l' événementiel, de l'instantanéité et de l'émotionnel sur la réflexion et le débat respectueux de la parole contradictoire, outil essentiel permettant à l'individu/citoyen de pouvoir exercer son libre-arbitre. Ce libre-arbitre qui lui est confisqué puisque délégué à quelques-uns "pensant" en son nom. Sous le prétexte fallacieux qu'une "bonne" polémique vaudrait toujours mieux qu'une conversation de salon. Raisonnement absurde destiné à discréditer le débat intellectuel pour l'enfermer dans un exercice élitiste destiné à un public choisi.

Bien entendu, le débat public trouve aussi des espaces où il peut jouer son rôle. Le "média-centrisme" ne doit pas nous aveugler. Dans les collectivités locales, nombreuses sont celles qui organisent des débats participatifs. Le développement des sites Internet permet à toutes et tous de trouver "débat à son pied": débat de société; consultation publique; assises thématiques; referendum local; conférences citoyennes à distance - la pandémie "covid19" a permis le développement de ces échanges via des outils que beaucoup ont découverts. On le voit et ce n'est pas le moindre des paradoxes, alors que les français ont accès, via les "open data" entre autres, à des informations jadis inaccessibles aux communs des mortels, ils n'ont jamais été à ce point privés de débats publics de large audience sur les sujets majeurs pourtant ignorés par les média "mainstream". La demande est pourtant là. Très forte. Même si, il faut le dire, participer à des débats, Internet ou autres, n'influe que très exceptionnellement sur les décisions politiques en aval. Sauf lorsque ce débat est à l'initiative du pouvoir politique en place, ce qui ne participe qu'artificiellement à la revitalisation de la démocratie.

Enfin, ce débat public - je parle de celui qui se voit et s'entend comme un perpétuel bruit de fond gavant le citoyen comme l'éleveur gave ses oies - passe très largement à coté des dossiers essentiels. Je n'en dresserai pas ici la liste tant ils sont nombreux mais à force de privilégier l' actualité brûlante, le citoyen se voit privé de la réflexion longue au sujet de ce qui le passionne pourtant.

Qu'on y prenne garde, à force d'égarement nous pourrions être amenés à justifier l'élection de populistes tel que Donald Trump, en donnant raison à Cocteau:

"Le drame de notre temps, c'est que la bêtise se soit mise à penser".

Le 21 juin 2020

A toi, le "décrocheur/décroché" si vite oublié...

L'enseignement dit "à distance", appelé aussi "distanciel", révèle bien des contradictions institutionnelles et politiques. Alors que cet enseignement a été porté aux nues par la Rue de Grenelle et ses déclinaisons administratives de terrain, celui-ci est appelé à disparaître puisque désormais, sur décision présidentielle, l'Ecole est à nouveau "obligatoire". Les guillemets s'imposent, Emmanuel Macron semblant avoir oublié que l'Ecole n'a jamais été obligatoire en France. Seule l'instruction l'est.

Les élèves que les parents - souvent issus des classes sociales les plus en difficultés, fragilisées par des précarités multiples - priveraient d'école n'auront plus accès, dès ce lundi 22 juin, à l'enseignement à distance.

Au vu du nombre très important d'absents à partir de cette "rentrée", on peut craindre un décrochage accentué d'enfants souvent "décrochés" par une politique ne s'étant pas suffisamment préoccupée d'eux depuis mai 2017. Pire même: des élèves, fragiles mais pas encore "décrochés", pourraient basculer du coté sombre de l'école macronienne. Sans que cela soulève la moindre protestation.

Pourtant pendant ces trois derniers mois, ce ne furent, de la part des ministres concernés et élus de la majorité en soutien, qu'appels à la mobilisation générale contre le fléau - réel - du décrochage scolaire soudainement érigé en cause nationale. Il était temps! Las, la rentrée demain verra l'extinction des ordinateurs aussi inexplicable que celle des dinosaures! Quant à toi, l'élève à la maison parce que tes parents n'ont pas voulu t'y envoyer, quant à toi celle ou celui faisant partie des 100 000 enfants privés d'école , quant à toi le "décrocheur/décroché", il te reste à attendre la rentrée de septembre. Certes tu pourras bénéficier des "Vacances apprenantes", "buissonnières" et autres outils mis à ta disposition, à la va-vite et sans réelle préparation.

En auras-tu envie, toi dont l'institution se sert lorsque tu es utile aux discours de circonstances et qu'elle oublie bien vite lorsque revient le monde "normal"?

Le 2 mai 2020

Le 12 mai, une rentrée... mais pas celle-là !

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre de l'Education Nationale,

Un virus communément appelé Covid-19 a frappé le monde et l'humanité toute entière. Faisant des millions de malades, de morts. Personne, jamais, ne vous rendra responsables de ces milliers de victimes françaises, ni a fortiori étrangères.

En revanche, la gestion de la crise a été et reste, tous les observateurs objectifs en conviennent, erratique.

Dans le domaine que je connais le mieux pour le vivre depuis plus de 35 ans - je parle de l'éducation, de cette Ecole que je quitterai le vendredi 3 juillet de cette année - voilà un mois et demi qu'enseignants et élèves travaillent à distance, dans un "joyeux" bricolage, avec plus ou moins de bonheur mais avec passion et abnégation, sans avoir la moindre idée des résultats positifs ou négatifs que tout cela engendrera. Un nombre certain d'élèves - au moins 20 à 25%, et pas 4% comme l'institution "Education" se plait à rassurer l'opinion, 20 % des enfants vivant en France sous le seuil de pauvreté. - a "disparu". Des "décrocheurs" qui n'ont pas attendu cette crise d'ailleurs pour se rappeler à l'attention des autorités compétentes semblant parfois en découvrir l'existence.

Les projets de protocoles sanitaires - et la pandémie en justifie parfaitement la nécessaire application - annoncent des mesures, tant dans le premier degré que dans le second, particulièrement drastiques. Je ne les énumèrerai pas toutes ici me contentant de rappeler celles impactant le quotidien des personnels et élèves:

- distanciation à respecter tant par les élèves que par les adultes;

- port de masques obligatoires pour tous les personnels adultes et, dans le second degré, pour les élèves également;

- maintien en salles de classe pour éviter les déplacements;

- aucun contact en classe avec les outils du professeur ou de camarades;

- prise des repas en salles de classes, ou en cantine lorsque c'est possible, toujours en respectant la distanciation;

- lavage des mains plusieurs fois par jour;

- récréations réduites au minimum, sans jeux de contact, sans objets (ballons/balles/cordes à sauter/ etc), chaque élève respectant la distanciation.

Pour un aperçu plus complet de ces mesures, je renvoie aux liens ci-dessous:

- Le document officiel Education Nationale (Il s'agit du projet) - http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/protocole300420.pdf

et un résumé très bien fait ici - https://etudiant.lefigaro.fr/article/coronavirus-voici-le-protocole-sanitaire-qui-sera-applique-dans-les-ecoles-lors-du-deconfinement_c4e6c19e-8b9a-11ea-9479-92cc29158b82/

Tout cela pour accueillir des élèves par groupes incomplets puisque de nombreux parents annoncent déjà qu'ils ne renverront pas leurs enfants à l'école, quelle que soit la date de la reprise. Dates de reprise différentes, rappelons-le, pour le premier et le second degré et différentes encore à l'intérieur du second degré, les 4è et 3è reprenant seulement le 25 mai et les lycées ne réouvrant, en principe, que début juin.

Pou le gouvernement, et une partie des médias peu soucieux de questionner le réel, cette organisation permettra une "rentrée à caractère social", offrant aux élèves décrocheurs, aux enfants des familles en grande précarité et/ou mis en danger par des violences intra-familiales, la possibilité de ne pas perdre totalement pied et de retrouver l'Ecole (au sens large). Mieux même, il a été affirmé, ici et là, que l'on irait "chercher les décrocheurs". La méthode pour que cette recherche offre des résultats n'a pas été précisée.

Mais est-ce que tout cela est bien sérieux? Est-ce que le monde qui attend nos élèves à partir du 12 mai et les jours suivants est encore celui de l'Ecole ou seulement le résultat d'un "caprice" présidentiel voulant absolument "sa" rentrée scolaire? Est-ce que cette reprise - et non cette "rentrée" car nous ne repartons pas de rien - ne cache pas la volonté de libérer du temps de travail pour les parents et pour permettre un redémarrage économique du pays? Ce qui se conçoit parfaitement. Pourquoi alors ne pas l'énoncer clairement? Est-ce que les élèves décrocheurs et enfants de familles en grande précarité trouveront dans cette "école à très fortes contraintes" l'envie d'y revenir et d'y rester?

Autant d'interrogations qui m'amènent à avancer une réponse : ce qui attend enfants et adultes à partir du 12 mai est un fiasco pédagogique! "Faire cours", c'est échanger, faire participer, montrer son visage et regarder celui des autres. L'Ecole, c'est écrire, dessiner, peindre, manipuler, fabriquer, crier, rire, courir, se toucher, s'embrasser, se disputer parfois aussi. Enseigner, c'est faire apprendre, apprendre à apprendre, faire réciter, retenir, utiliser, réutiliser. C'est corriger, conseiller, sanctionner. C'est ne jamais abandonner les fondamentaux. C'est créer, innover, inventer, réinventer. C'est aimer et faire aimer...

Les enseignants sont pour une rentrée le 12 mai, mais pas celle-là. L'organisation - en présentiel et en distanciel - imposée par la pandémie et par le gouvernement comme par le Président de la République, interdira tout cela. Ce qui se prépare n'est pas l'Ecole, n'est plus l'Ecole. C'est autre chose qui n'apportera rien sur le plan des savoirs ni des compétences.

Alors qu'aurait-on pu faire? Qu'aurait-on du faire? Avant de répondre, une précision car certains fustigent déjà le corps enseignant, accusé de ne pas vouloir rentrer le 12 mai, ce qui est une caricature, voire un mensonge. Les enseignants ne sont pas opposés à une rentrée le 12 mai. En revanche ils sont opposés à ce qu'elle soit présentée comme elle l'est. Jamais ils n'ont soutenu une "non rentrée", travaillant d'arrache-pied en distanciel depuis le 13 mars. Nous voulons toutes et tous reprendre, sans plainte mais lucidement. En suivant les traces de ces collègues qui ont accueilli des enfants de soignants, par exemple.

Ceci étant dit, si j'avais été Président - j'imagine, rassurez-vous! - j'aurais pris d'autres décisions.

Par exemple et entre autres:

- organiser une VRAIE concertation, ouverte, transparente, publique avec les syndicats et autres acteurs;

- différer la rentrée en septembre; décision qui aurait à mon avis rencontré l'adhésion de tous les acteurs;

- faire préparer cette rentrée - de septembre donc - par les enseignants, personnels de direction, corps d'inspection, durant tout le mois de juin avec remontée des souhaits de changements à préparer pour la rentrée 2021/2022;

- repérer les élèves décrocheurs et en situation de grande précarité (Nous les connaissons tous, avons leurs adresses et coordonnées) pour tenter de leur apporter, en distanciel et seulement à eux, les outils (matériels et immatériels) permettant de les "raccrocher".

Alors aurions-nous pu commencer à co-construire cette "école d'après" dont il est souvent question, à laquelle nous pensons mais que l'institution ne nous donne pas le temps de présenter. J'ai modestement produit quelques idées en lien : http://demain-lecole.over-blog.com/2020/04/14-propositions-pour-une-ecole-d-apres.html

Pour conclure, de manière certainement provisoire, il est très dommage, très regrettable que l'Ecole soit aujourd'hui transformée, pour un mois et demi, en variable d'ajustement politico/économique. C'est une instrumentalisation à courte vue. En aucun cas l'ambition à long terme que méritent nos élèves, nos enseignants et personnels d'éducation.

Le 1er mars 2020

Petit retour en arrière pour éclairer le présent...

7 mai 2017…

(À lire en écoutant la ballade numéro 1 de Chopin, par Kristian Zimermann au piano)

7 mai 2017… Un jeune homme de trente-neuf ans était élu huitième Président de la Ve République. Face à Marine Le Pen parvenue au second tour, profitant de la faiblesse d’une gauche épuisée, divisée, en manque de forces de conviction.

Alors, c’est ce jeune homme qui fut déclaré vainqueur. Pourtant sans le début de commencement d’un programme politique, d’un « projet », même si lui et ses communicants ont réussi l’exploit – aidés par quelques médias mainstream – de donner l’illusion qu’il en proposait un. Il y eut bien quelques analystes affirmant que tout cela était quand même très peu précis, très flou. Ils furent très vite isolés, puis disparurent des plateaux.

L’effet « sidération » se mettait en place. Il allait durer un an. Avant de commencer à s’effriter.

À Dieppe, la plage est de galets. Des millions de galets, puis du sable et la mer. De part et d’autre de la ville, des falaises dont certaines s’effondrent. Une ville de pêcheurs, d’hommes rudes et attachants. Ici pas de faux-semblant. Le chômage est une réalité. Les fins de mois sont difficiles. Mais ces femmes, ces hommes se plaignent rarement. Ils ne montrent pas leurs douleurs. Ils la vivent. Sans simulacre… Dans les cafés du port, ils parlent. Débattent. Se disputent. Ne leur parlez pas de Macron ! Vous pourriez les fâcher. Oui, c’est vrai, certains d’entre eux ont fait le choix de Marine Le Pen. Pas par conviction. Par découragement. Hélas, le « macronisme » continue d’entretenir ce découragement, l’augmente. Marion se prépare. 2022, c’est demain… C’est DEJA demain ! Elle aussi sait y faire pour séduire les « innocents »…

Ah la séduction !… C’est joli la séduction… Tu étais jolie au restaurant, le visage éclairé par le soleil couchant… Tu étais belle à Varengeville, admirative devant les vitraux bleus de Braque… Tu étais sublime, pieds nus dans la voiture… J’étais séduit… Mais je l’étais par une réalité vivante ! Aucun simulacre ! Aucun mensonge !

Or qu’avons-nous élu le 7 mai 2017 sinon l’incarnation du vide ? Abusés par une séduction vulgaire…

Avant de proposer – et ce n’est pas l’objet de ce texte – des idées qui, ensemble, feront « programme », il convient de faire prendre conscience aux citoyens, y compris à celles et ceux qui, très sincèrement, ont choisi Emmanuel Macron dès le premier tour de la présidentielle 2017, que la sidération ne peut plus durer ! Qu’il faut désormais rêver, bien sûr rêver, mais les yeux ouverts, la conscience aux aguets ! Il y va de la survie du débat politique, de la politique tout court. Le macronisme a la folle ambition d’abolir LE et LA politique. Pour une et une seule raison :

Le macronisme est un populisme, un totalitarisme intellectuel. Ni l’un ni l’autre ne supporte débats ou clivages.

Mon amie commanda une soupe de poisson…

Je crois te l’avoir déjà dit mais j’ai souvent relu les discours du candidat Macron. Ceux du Président aussi. Tous, sans exception, absolument tous sont suffisamment flous, imprécis pour que chacun y trouve à picorer. Pour que les médias trouvent à commenter, à organiser des plateaux-télés comme autant de plateaux-repas. Toutes et tous autour de la table et chacun choisit son sujet. Des paroles partout, tout le temps… Des critiques, nulle part, jamais. Emmanuel Macron « a raison » puisqu’il n’affirme jamais rien, ne prend jamais parti. Quand par-dessus tout cela, ses troupes copient-collent le vide et le diffusent, alors tu auras tout compris du macronisme: une immense opération d’hypnose collective. « Aie confiance » disait Kaa à Mowgli…

N’attendons ni Bagheera ni Sher Khan pour nous réveiller… Laissons-nous séduire par la beauté d’un regard, la douceur d’une voix, les lumières d’un paysage au couchant, par cette femme qui sourit en regardant l’enfant… Son enfant… Sans CHERCHER à séduire, elle. Fuyons les simulacres et revenons au réel !

Le 9 janvier 2020

Ce qui dysfonctionne dans l'Ecole et ce que l'on pourrait (devrait) améliorer...

Préambule nécessaire : se poser la question - très politique mais pas seulement - suivante : qui a intérêt au maintien en l'état d'un système éducatif qui dysfonctionne ? Car il s'agit de cela. Aussi. La réponse est simple: une "élite" qui grâce à ce système, qui ne dysfonctionne que pour certains mais pas pour elle, trouve un outil très pratique lui permettant de conserver des places : celles des pouvoirs: politique/économique/financier/universitaire et de reproduire - Bourdieu/Passeron, critiqués ces derniers temps par une partie de la sociologie contemporaine, ont néanmoins éclairé ce concept prégnant en France de "reproduction" - les conditions nécessaires à la "conservation" de ces pouvoirs entre les mains de cette élite. Les rares exemples de "réussite" générée par le fameux ascenseur social vont même jusqu'à être utilisés pour justifier cette construction élitiste. Avec ce sous-entend u: "Vous voyez bien que le système fonctionne pour toutes et tous". Tout cela en oubliant les milliers d' "échoués" et d' oubliés pour lesquels on a tout prévu, jusqu'aux voies de garage où ils sont parqués en attendant qu'ils aient atteint l'âge de la fin de scolarité obligatoire en France : 16 ans.

Alors qu'est-ce qui dysfonctionne? J'aurai tendance, en étant un peu iconoclaste et provocateur, à répondre : TOUT!

Mais essayons de dresser une liste néanmoins. Une "liste du pire" en quelque sorte: (charge à chacun de développer comme bon lui semble évidemment):

- un système rigide et hiérarchisant à TOUS les niveaux ;

- une formation initiale qui n'est pas "mauvaise" mais qui ne correspond de plus en plus qu'à un projet de société libérale avec pour maîtres-mots les expressions suivantes: adaptabilité; souplesse; profs 2.0; neurosciences à-tout-va; disponibilité ; etc.

- un système dichotomique : soit l'élève réussit - il conviendrait de définir ce que le système français exige des élèves pour parvenir à cocher tous les critères de "réussite" - soit il échoue ;

- l'absence d'évaluation des pédagogies menées. Ou, lorsqu'elles ont lieu, un manque de diffusion des résultats ;

- un système qui, en plus de les reproduire, accroit les inégalités sociales au lieu de les réduire. L'école n'étant pas seule responsable de cet accroissement des inégalités;

(Voir à ce sujet: https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/07/l-ecole-n-est-pas-seule-responsable-de-la-panne-de-l-ascenseur-social_6025007_3224.html )

- un système qui n'accepte très souvent qu'une réponse juste de la part des élèves. Alors qu'il existe souvent plusieurs réponses pouvant être considérées comme justes ;

- une mise en compétition des élèves via un système d'évaluation/notation obsolète. Pire: tous les élèves sont "mesurés" avec des outils identiques. La différenciation existe dans le premier degré, quasiment pas dans le secondaire (difficile à réaliser lorsqu'un effectif dépasse 25 élèves);

- l'utilisation du "redoublement". La France est le pays de l'UE qui en fait l' usage le plus important. Avec des résultats TRES médiocres mais le poids des traditions dans le système scolaire français dépasse de beaucoup celui des bilans, fussent-ils négatifs;

- La pédagogie idéale des enseignants français consiste encore trop souvent - à mon avis - à vouloir transformer un ENFANT (pré-ado/ado) en "élève modèle". En ELEVE bien plus qu'en futur ADULTE émancipé. En France, le "bon élève" n'est pas celui qui "s'élève" librement mais celui qui obéit docilement aux consignes. La prise d'initiatives est très souvent mal considérée, voire sanctionnée.

Anecdote: lorsque certains collègues ont appris que j'autorisais mes élèves à aller chercher un manuel dans l'armoire au fond de la classe ou à aller jeter quelque chose à la poubelle sans m'en demander l'autorisation, ils m'ont observé d'un oeil "sévère" (sans agressivité aucune). Pourtant cela fluidifie beaucoup le déroulement d'un cours et aucun élève n'abuse jamais de cette "liberté qui n'est qu'un apprentissage.

- une hiérarchisation des disciplines (et leur absolue séparation!). Les EPI ont été mal acceptés parce qu'ils étaient considérés en rupture avec le sacro-saint "champ disciplinaire" français;

- une accumulation des savoirs. Ce que doit retenir un élève français en collège à l'issue d'une journée est tout simplement dément. 70% de ces savoirs - c'est une appréciation personnelle qui n'a rien de scientifique - sont parfaitement inutiles;

- l'oubli de l'apprentissage de compétences pourtant nécessaires et enrichissantes:

Exemple: le bien-être, la méditation, la gestion de l’avenir, la gestion du temps, la philosophie...

- une inadaptation de l'Ecole - au sens large - française aux défis informatiques de demain. A l'exception de pionniers courageux mais souvent isolés, les enseignants restent éloignés de l'outil informatique et le limitent à l'appel, au cahier de texte "Pronote" et à la rédaction de leurs cours par ordinateurs.

1/ inégalités sociales à l’école / comment démocratiser la réussite ?

Réponses possibles (et à développer):

- organiser un "grand débat" (un vrai celui-là!) pour obtenir une définition consensuelle de ce que doit être la "justice scolaire". Les notions essentielles d'équité, de "discrimination positive" (attention à l'expression; elle véhicule pas mal de fantasmes erronés), de socle commun doivent être débattues, clarifiées pour pouvoir être acceptées;
- davantage faire confiance aux "experts de terrain", aux équipes pédagogiques. Mettre en lumière et diffuser en y mettant les moyens les "bonnes pratiques". Celles qui fonctionnent et font progresser TOUS les élèves à LEUR rythme.
Mais aussi: une formation continue obligatoire; des maîtres spécialisés à demeure dans le 1er degré; des outils d’évaluation à dimension nationale facilement disponibles pour les enseignants;
- un suivi et une évaluation des moyens attribués aux élèves socio/scolairement en difficultés. Non dans un but de contrôle administratif mais dans le souci d'améliorer toujours l'existant;
- poursuivre les efforts de remédiation des difficultés MAIS d'abord et surtout augmenter de manière très importante les moyens (matériels et humains) de PREVENTION. Les difficultés socio/scolaires d'un élève, sauf TRES rares exceptions, ne se découvrent pas une fois que celui-ci est en 6e ou en 3e;
- donner à l'élève son importance d'ENFANT. Un enfant qui vit une bonne partie de son existence dans l'enceinte scolaire à l'intérieur de laquelle le "climat scolaire" doit être amélioré en permanence et viser l'excellence pour TOUTES et TOUS. Aucun enfant ne doit être laissé de coté sous prétexte de difficultés socio-scolaires.
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Rappel des préconisations CNESCO 2016 sur le sujet:

Introduire le principe de formation continue obligatoire et redéployer les moyens sur ce champ. Des efforts importants doivent être dirigés vers les personnels des premières années de la scolarité obligatoire.

Intégrer,dans chaque circonscription, des conseillers pédagogiques en mathématiques, spécialement formés en didactique des mathématiques pour servir de référents aux enseignants.

Développer des expérimentations sur les pratiques pédagogiques efficaces autour des difficultés repérées des élèves au primaire (par exemple, en mathématiques: méthode d’enseignement des tables de multiplication, introduction des nombres décimaux, ...).

Relancer efficacement la maternelle précoce en proposant des conditions d’apprentissage adaptées aux tout petits.

Mener des actions spécifiques de communication en direction des familles issues de l’immigration (cours d’alphabétisation dans les écoles maternelles, ...).

Développer l’expérimentation du « professeur des apprentissages fondamentaux »: formé, dans le cadre de la formation continue, en pédagogie et en didactique pour suivre les apprentissages fondamentaux et les difficultés scolaires qui peuvent y être associées, le « professeur des apprentissages fondamentaux » peut suivre un même groupe d’élèves du CP jusqu’au CE2.

Recruter des professeurs spécialisés dans l’accompagnement des élèves dès le CP: sédentarisés dans les établissements, formés sur la didactique des disciplines, ils sont outillés de matériaux pédagogiques adaptés, choisis collectivement par l’école, pour des interventions significatives.

Renforcer la mixité sociale dans les 100 collèges les plus ségrégués, ce qui permettra à terme une adaptation de l’éducation prioritaire, qui présente des lacunes importantes mais ne doit pas être supprimée à court terme;

Développer la prévention contre la ségrégation, avec l’introduction d’un volet mixité sociale lors de la création de chaque nouvel établissement;

Remplacer les dispositifs ségrégatifs fermés(3ede préparation à l’enseignement professionnel, par exemple) par des sections ouvertes et temporaires pour les jeunes.

Renforcer les bases de données des évaluations nationales aux étapes clés de la scolarité,en donnant aux équipes pédagogiques les moyens de repérer les résultats scolaires de leurs élèves face à des objectifs nationaux en termes de connaissances et compétences.

Redévelopper les évaluations des académies pour un suivi quantitatif et qualitatif des politiques éducatives locales et de l’atteinte des objectifs éducatifs.

Accompagner davantage les familles les plus éloignées de l’école dans la connaissance des formations et des outils d’orientation.

Développer un crédit d’heures accordées aux élèves boursiers pour leur orientation(en particulier pour l’utilisation d’Affelnet et Admission Post-Bac).

Etendre les formations qui proposent un véritable accompagnement aux élèves défavorisés admis en formation sélective au-delà des politiques de quotas sociaux dans les formations sélectives (BTS, ...).:mise en confiance individualisée, soutien méthodologique en petits groupes, emploi du temps spécifique, mise en place d’activités transversales.

Les orientations du Cnesco sur l’enseignement professionnel (conférence de comparaisons internationales, mai 2016), qui accueille les jeunes les plus fragiles, restent centrales pour davantage de justice à l’école: rénover les diplômes pour développer l’employabilité des jeunes diplômés,décloisonner les différentes voies de formation grâce à un lycée polyvalent rénové, création d’un module d’enseignement des savoir-être en milieu professionnel, promouvoir une pédagogie de mise en situation professionnelle, favoriser la mobilité internationale, ...

Parce qu’un système éducatif de qualité ne sera jamais efficace pour des enfants dont les conditions matérielles ne sont pas suffisantes (en termes d’alimentation, habillement...), les fonds sociaux dans les établissements doivent être redéveloppés à un niveau proche de celui du début des années 2000

2/ décrochage / comment promouvoir la persévérance scolaire ?

A propos de la persévérance scolaire, voir le site du Crépas. Le Canada/Québec est à l'origine de quasiment tout ce qui touche à ce concept de "Persévérance scolaire".

https://crepas.qc.ca/

Voir aussi, entre autres, ce qui a été mis en place par l'Académie de Caen

https://www.ac-caen.fr/mediatheque/calvados/orientation/50action_perseverance.pdf

Il existe sur ce sujet une multitude de projets et de réalisations. Je ne peux pas ici en dresser la liste. Ce serait contre-productif par la masse de documents.

Je préfère donner mon ressenti sous forme d'idées, de constats, d'expériences . Sans perdre de vue que la persévérance scolaire est vue comme un DES outils de remédiation au décrochage scolaire qu'il conviendra de définir préalablement car lui-aussi est "multi-formes".

1- La persévérance scolaire - pour toute ma réflexion, je me fonde sur la définition qu'en donne le Crépas - commence dès la maternelle. Et ne doit JAMAIS s'arrêter. Y compris pour cet élève "parfait", toujours félicité, "sans problèmes". Jusqu'au jour où... Et ce "jour où" peut se produire à tous les âges de la carrière scolaire d'un enfant, quel que soit son "niveau", quel que soit son milieu social. Même si le décrochage scolaire est plus souvent constaté en milieu social défavorisé.

Donc: Persévérance scolaire = toujours et pour TOUS les élèves.. Les moyens pour promouvoir la persévérance scolaire sont une prévention, une anticipation. C'est capital.

2- La persévérance scolaire sera donc facilitée/promue par:

- une attention, une bienveillance - qui n'est en aucun cas un laxisme! - de tous les instants. Sans être envahissante, écrasante, cette attention doit être portée sur tous les moments de la vie scolaire: en cours; entre les cours; en étude; au CDI; en salle informatique; lors des récréations; lors des sorties scolaires; à la cantine. Partout où l'élève est en situation de travail, de jeu, de réflexion, de repos. Qu'il soit seul - ce qui est rarissime dans le système scolaire français et c'est dommage parfois- ou "confronté" aux autres (camarades et adultes);

- un dialogue permanent entre les membres des équipes pédagogiques qui ne peuvent - en collèges/lycées c'est flagrant - se rencontrer qu'aux récréations en partageant un café ou lors des conseils de classes qui ont atteint - à mes yeux - un degré de ridicule et d'inutilité absolument gigantesque! Pour cela, le système éducatif français devra faire sa "révolution" et permettre institutionnellement des temps de concertation qui sont possibles dans le premier degré (par tradition) mais quasiment inconcevables dans le second degré (par tradition aussi) sauf dans les établissements dits "expérimentaux" ou dans ceux dits "difficiles". Ailleurs, ces temps de dialogue, d'échange, de partage d'expérience sont inexistants ou restent embryonnaires ne concernant que deux ou trois enseignants construisant ponctuellement un projet;

- une co-éducation avec les parents (et/ou responsables légaux). Le système éducatif français, héritier de Ferry, admirateurs des "hussards noirs de la République", considère encore trop souvent les parents comme des empêcheurs de travailler en rond, voire des personnes "à éduquer"! Les réunions parents/professeurs sont devenues des "cérémonies obligées" et si un parent s'avise de demander un RV avec un enseignant, celui-ci est accepté mais en général vite expédié. Pire même, les outils informatiques permettent désormais les échanges virtuels. Certes pratiques mais déshumanisants. L'élève/enfant DOIT sentir qu'il existe une complicité positive entre son/ses enseignant-s et ses parents/responsables légaux. S'il les voit "adversaires", il en jouera, en souffrira et sa persévérance scolaire en sera fragilisée;

- l'utilisation raisonnée de "rituels" très simples à mettre en place. Je donne quelques exemples mais ils sont personnels. Chaque enseignant doit avoir les siens en fonction de la classe, du moment, etc.

Les élèves/enfants sont très sensibles à des habitudes simples:

* dire bonjour à chaque élève lorsqu'ils entrent en classe. Et les gratifier d'un sourire. Cela peut sembler simpliste, caricatural, démagogue ou très "pédagogiste". Et pourtant, "ça marche"!
* offrir aux élèves la possibilité de prendre des initiatives, en relation avec le cours, pendant la séance. Nos élèves sont, dans le système éducatif français, beaucoup trop passifs. Lever la main pour demander l'autorisation d'aller jeter une cartouche d'encre vide ne sert strictement à rien sinon à renforcer l'austérité magistrale du professeur omnipotent. C'est ridicule!
* s'offrir le luxe - c'en est un - de ralentir le rythme, de ne pas être esclave du "programme à tenir". Il le sera, de toute façon. Mais passer une heure, comme cela m'arrive parfois, à lire un extrait (long) de texte puis "simplement" échanger oralement à propos de deux ou trois thèmes repérés à l'avance et la littérature devient vivante, proche d'eux. Je l'ai réalisé une fois encore très récemment avec un extrait d' "Au bonheur des dames" de Zola. Et nous avons "débordé" avec appétit sur les problèmes de consommation, du "black friday", des petits commerces face aux grandes surfaces, etc. Ce sont des temps nécessaires et formateurs;
* laisser les élèves décorer leur salle de classe (en relation avec la discipline enseignée évidemment)

Ect. Il y a tellement à faire!

- favoriser la connaissance des arts et les échanges internationaux. Jamais je n'ai eu plus belles et enrichissantes relations avec des élèves que lors de visites de musées ou autres lieux chargés d'Histoire et d'émotions, que lors de voyages à l'étranger (Chicago; Rome, Ostie et Herculanum; Londres...). Nous (élèves et enseignants) en revenons transformés. Beaucoup d'élèves en difficultés, très agités en classe ont un comportement très différent lors de ces "sorties" et leur persévérance scolaire s'en trouve TOUJOURS renforcée. La rencontre avec les musées - qu'ils rejettent au départ - est pour eux une découverte et une découverte d' eux-mêmes!

- favoriser la construction de "projets". Avec quelques règles très simples à tenir:

* prendre le temps de s’approprier un projet;
* ne pas promettre la lune; rester humble et accepter l'échec, les petites baisses de régime; en parler;
* faire le point régulièrement; ne jamais perdre de vue les objectifs fixés initialement;
* être attentif à la réussite de toutes et tous et non à celle de quelques-uns;
* montrer sa motivation, son implication personnelle. Rien de pire qu'un enseignant sans enthousiasme!
* ne jamais croire les donneurs de leçons ni de recettes-miracles. Cela n'existe pas

- accorder une place à l'erreur. Le système éducatif français - même si des progrès sont constatés dans ce domaine - favorise d'abord les bons élèves. Ceux qui donnent les bonnes réponses. Ceux qui connaissent les codes et ont des parents informés. Ceux qui savent "jouer" avec les disciplines optionnelles.
L'erreur est toujours sanctionnée par le retrait de points dans un système de notation obsolète. Comment promouvoir la persévérance scolaire d'élèves proches du décrochage si rien ne leur est jamais, non pas "pardonné", mais autorisé. Oui l'erreur est possible et doit être utilisée pour avancer.

- enfin - mais il y aurait un livre à rédiger - et c'est un peu mon "dada": les élèves seront incités à persévérer plus facilement dans un cadre de vie scolaire agréable, calme, propre, soucieux du bien-être de tous. L'architecture scolaire en France est un sujet laissé de coté. Hélas, beaucoup de collègues encore aujourd'hui admirent les vieux bâtiments des lycées Henri-IV, Fermat à Toulouse, François-1er au Havre. Une nostalgie permanente. Mais une nostalgie qui n'incite que les meilleurs à travailler.
3/ numérique à l’école / de quoi nos enfants ont ils besoin?

La question appelle une et une seule réponse: apprendre. Apprendre avec le numérique et à égalité avec les autres outils d'apprentissage.

Mais restons sur le numérique puisque telle est la question.

La France (re)vient de TRES loin. En 1985, un plan appelé "Informatique pour tous" (Je débutais et me souviens de cette période) suscitait l'enthousiasme, notamment chez Thomson chargé de livre des milliers d'ordinateurs MO5 (100 000 pour 100 000 enseignants à former). Sauf que la déconvenue fut à la hauteur des espérances. L' "intendance" n' a pas suivi et il ne fallut que quelques mois pour constater le fiasco:

- à peine 10% d'enseignants formés;
- des ordinateurs peu fiables;
- des services de maintenance inexistants
- une répartition des ordinateurs en dépit du bon sens - trop ici et pas assez là;
- une inspection générale qui dit "stop" et des milliers de MO5 abandonnés au fond des salles de classes.

Bref une "cata". Tout cela commençait très mal. René Monory, ministre de l'EN après la défaite de la gauche aux législatives de 1986, ne mettra quasiment rien en route pour retenter l'expérience. Seuls, quelques enseignants pionniers et motivés poursuivirent l'aventure avant la mise en place d'autres projets, ceux-là plus performants.

Et surtout, ceux-là commençaient à comprendre et faire comprendre la différence entre l' informatique (un outil) et le numérique (les possibilités de l'outil).

Ceci étant historiquement contextualisé, de quoi nos enfants, ceux de 2019/2020, ont-ils besoin?

Deux liens d'abord qui me semblent pertinents avant de tenter une réponse loin d'être facile:

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/formescolaire17.pdf : le rapport de Catherine Becchetti-Bizot (IGEN)/Mai 2017 (J'aurais pu trouver mieux comme date mais bon... :))

https://www.fayard.fr/poche/lecole-le-numerique-et-la-societe-qui-vient-9782755506440 Le bouquin de Meirieu/Stiegler/Kambouchner L'école, le numérique et la société qui vient

Nos élèves de 2019 et d'après sont, il faut l'avoir à l'esprit, familiarisés très jeunes avec l'informatique - moins avec le numérique. Ils appartiennent à cette génération de "digital natives seconde génération". Attention néanmoins: les disparités entre les élèves, de la maternelle à la terminale, sont variées et importantes. Toutes et tous ne sont pas à égalité devant le numérique.

- les élèves ont D'ABORD besoin de devenir des CITOYENS éclairés grâce - entre autres moyens - au numérique (je n'utiliserai que ce terme à partir de maintenant, sachant qu'il recouvre de multiples possibilités offertes par l'informatique). Des citoyens et non des utilisateurs compulsifs de Google sans qu'ils comprennent comment fonctionne ce moteur de recherche. Il faut donc apprendre aux élèves le "Comment ça marche?" et pas seulement le "A quoi ça sert?". C'est valable pour Google mais pas seulement évidemment;

- les élèves ont besoin d'être préparés dès le plus jeune âge à l'entrée dans le monde numérique. Tout en conservant TOUJOURS à l'esprit que le numérique ne remplace rien. Il s'ajoute à d'autres outils de connaissances, de compréhension, de questionnement, de création. Pour cela, ils auront évidemment besoin d'enseignants formés (et qui croient en ce qu'ils font) et d'intervenants ponctuels experts dans tel ou tel domaine spécifique;

- les élèves ont besoin de maîtriser l'espace numérique dont ils disposent. Le maîtriser pour - entre autres - faire la part du vrai et du faux dans le tsunami d'informations qui nous submergent toutes et tous. Infos, intox, fake news, post vérité et j'en passe. Le numérique peut et doit absolument amener l'élève à se poser les bonnes questions, à obtenir les bonnes réponses. A développer, en grandissant, son esprit critique, à prendre du recul le plus rapidement possible avec tout ce qui lui arrive de l'extérieur et qui entre "chez lui" (jusque dans son cerveau) sans frapper à la porte. Or, nous savons le mal que peuvent provoquer les fake news, les intox mais aussi les utilisations malveillantes du numérique (harcèlement/diffamation/etc) sur de jeunes esprits. Jusqu'à la tragédie du suicide parfois;

- les élèves ont besoin du numérique à l'école avec un prolongement à la maison. Sinon, tout ce qui est fait en classe n'aura d'utilité que pour ceux qui disposent d'outils numériques chez eux alors que d'autres n'en disposent pas. Les élèves doivent bénéficier du numérique pour réduire les inégalités, pour éliminer les "fractures numériques". Pas pour les voir se perpétuer.

- les élèves ont besoin de percevoir les outils numériques comme étant "transversaux". Ceci permettant de décloisonner les disciplines. (Là, je souhaite bon courage aux décideurs qui se heurteront aux traditions franco-françaises ultra disciplinaires)

- les élèves (et les parents) ont besoin de vérité. On n'apprend pas plus vite ni plus facilement avec les outils numériques. On apprend différemment en "développant les compétences de demain". (Pour rappel la mise en place de projets comme e-FRAN/Espaces de formation, de recherche et d’animation numérique qui a pour but de sensibiliser de plus en plus le numérique dans les écoles et soutient les projets de « transformation de l’école ». Tout cela dans le cadre du « Programme d’Investissement d’Avenir 2 » mis en place par l’Etat en... 2014? De mémoire mais à vérifier).

- le cas particulier des élèves en grandes difficultés et de ceux dits "à besoins spécifiques". Ce n'est pas ma "spécialité" même si cela me passionne. Je renvoie à tous les écrits sur ce sujet, en particulier de Bruno Duvauchelle:

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2019/03/29032019Article636894428882800984.aspx

et ses expertises:

http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2012_BDevauchelle.aspx
4/ quelles compétences pour le monde de demain / quelles incidences sur la pédagogie (notation, travail collaboratif, promotion de la créativité etc...)

C'est là une question difficile, "casse-gueule". Car même les plus grands chercheurs "prospectivistes" peinent à dessiner les contours de ce que pourraient être les métiers de demain. Et quand je dis demain, c'est à horizon 30/50 ans. C'est à dire les générations qui nous succèderont immédiatement.

Autre écueil à cette question: "... pour le monde de demain". Certes, mais encore faudrait-il savoir quel monde nous voulons. Et puis, voulons-nous toutes et tous le même monde? Je ne crois pas. Donc il faudrait d'abord s'accorder sur ce "monde de demain" dont dépendront alors les compétences à développer avec leurs incidences sur les pédagogies.

Je fais le choix - mais il est personnel - de me placer dans la perspective suivante:

un monde où le numérique prendra de plus en plus de place - c'est incontournable sauf catastrophe industrielle mondiale - mais un monde dans lequel l'humain, les idées, la raison, l'éducation, le soin (bienveillance/prévention/soin/guérison), la consommation raisonné et l'écologie sauront trouver les moyens de mettre le numérique - et toutes les découvertes dont nous n'avons même pas encore connaissance à ce jour - à leur service. Et non l'inverse.

Alors quelles compétences/connaissances (ce n'est pas la même chose) dans la perspective de ce monde-là?

La maîtrise de ce que l'on appelle un peu paresseusement les "fondamentaux" - lire/écrire/compter - restera une base éternelle. Sauf découverte extraordinaire permettant de transférer ces compétences de l' acquis à l'inné.

Mais d'autres compétences seront à acquérir dès le plus jeune âge et à développer tout au long de la scolarité. J'en dresse une liste TRES personnelle:

- le travail collaboratif;
- la compréhension - pas forcément l'apprentissage - du "codage" informatique;
- le regard sur les autres: les étrangers/les malades/les sans-abri... Toutes celles et ceux en danger quelconque. Le soin (le "care"), l'empathie, le partage. C'est une "compétence" perdue de vue, broyée par l'individualisme, le culte du succès rapide. Et pas n'importe quel succès: celui qui se construit sur l'échec des autres;
- l'ouverture sur LES autres mondes. Il est inconcevable que les enfants de demain entrent dans l'age adulte et celui du travail sans avoir jamais mis les pieds, pour un séjour dépassant trois mois, dans un ou des pays étrangers. Il y a le "Tour de France" des Compagnons du devoir. Il devrait exister un "Tour du monde" des enfants;
- l'apprentissage DES curiosités. La (ou les) curiosité(s) est innée. Tous les enfants sont curieux. Hélas, notre système éducatif - je ne parle ici que de la France - ralentit ces curiosités, voire les sanctionne. Qui n'a pas connu cet élève intéressé par un domaine particulier mais qui ne fait pas partie du "programme" ou n'est pas enseigné du tout? Avec cette curiosité développée se renforcera la créativité, une autre compétence souvent bridée et qui pourtant développe les relations avec les autres car on ne crée pas pour soi mais pour les autres. Parfois même AVEC les autres. Cette créativité qu'on associe souvent aux "4 C": pensée critique, communication, collaboration, créativité.
- Et puis - je ne sais s'il s'agit d'une compétence - le monde de demain sera celui DES apprentissages tout au long de la vie. Avec le plus important et le plus ancien qui soit: " Γνῶθι σεαυτόν/Gnoti seauton"... Connais-toi toi-même.

On pourra relire ce texte que j'avais co-rédigé avec Nicole Allieu-Mary mais qui date un peu (2007)
L'école de demain... Les savoirs du XXIème siècle...
http://demain-lecole.over-blog.com/2017/01/l-ecole-de-demain.html

Quant aux pédagogies de demain, elles devront faire la part belle:

- aux construction de PROJETS en commun. C'est une manière de contrebalancer l'individualisme sensé contribuer de manière quasi "magique" au bonheur collectif. Ce qui est un leurre absolu, évidemment. Il faut construire du COMMUN! (Avec création de LIEUX permettant la construction de ce commun);
- à l'utilisation de TOUS les outils de travail: du stylo au Tableau interactif en passant par les possibilité offertes par le numérique;
- au travail collaboratif entre les enseignants (pour la France il s'agirait d'une révolution des esprits et des habitudes. Bon courage! )
- à l'externalisation des séances. J'entends par là: faire SORTIR élèves et enseignants de l'établissement scolaire pour aller travailler "in vivo";
- à des aller-retour avec les responsables d'éducation populaire qui ont beaucoup à transmettre. L'Ecole n'est pas et ne doit plus être la seule à permettre le développement et la compréhension d'un sujet.
- à l'aide à la reconnaissance de la vérité. Aujourd'hui, l'enfant/élève est très souvent bien plus dans l’attractivité. Les théories du complot sont BEAUCOUP plus attractives que la vérité. Hélas!
- à la déconstruction d'acquis très ancrés. Exemple emprunté à Philippe Meirieu:

Qu'est ce qu'un sujet dans une phrase: celui qui fait l'action.
Oui mais à la voix passive? Ah, là il subit l'action.
Ok ; Et à la voix pronominale? Eh bien il fait et subit l'action (Ca se complique)
Et là, une petite voix au fond de la classe:
"Et dans la phrase: "Pierre reçoit une gifle"?
Grand silence...
En général, l'enseignant élude par une pirouette.

Tout cela pour illustrer la nécessité de la déconstruction de bien des acquis ancrés (les grammairiens agrégés d'Henri-IV vont lever les bras au ciel mais pourtant...)
A ce sujet (et d'autres), on peut lire "Apprendre à résister" d'Olivier Houdé.
- à des pédagogies autres que celles auxquelles nous sommes habitués: un professeur de lettres serait bien avisé d'assister à des cours d'EPS ou à des entrainements collectifs d'enfants dans un club sportif. Il y a beaucoup à apprendre des disciplines qui ne sont pas celles dans lesquelles nous sommes confortablement enfermés/cloisonnés. (J'ai eu la chance d'entraîner à haut niveau des équipes de jeunes volleyeurs/euses. Ce me fut TRES utile pendant ma carrière de professeur de Français/Histoire-géo).
- à des pédagogies observées à l'étranger. Tout enseignant DEVRAIT dans son cursus de formation initiale ou continue effectuer un séjour d'au moins un mois dans un établissement à l'étranger. Le professeur français se croit TRES SOUVENT détenteur de la meilleure pédagogie du monde et faisant partie de la meilleure Ecole du monde. Or, ce n'est pas vrai.

Enfin la notation, sur laquelle je serai TRES bref:

Evaluation au "cas par cas":

La note chiffrée peut être très utile pour certains travaux
L'évaluation par compétences peut l'être pour d'autres
L'évaluation par les pairs est un exercice intéressant lui aussi
La non évaluation s'impose parfois. On n'est pas obligé de tout évaluer toujours

Je ne suis pas un "ayatollah " de telle ou telle forme d'évaluation.
5/ L’école comme vecteur de transmission des valeurs

La première chose qui me vient à l'esprit est que cela se fait à l'école et quasiment depuis les fameux "Hussards noirs".

Pour n'en rester qu'au XXIe siècle, je renvoie à Eduscol/Mars 2017:

https://eduscol.education.fr/cid46702/les-valeurs-de-la-republique.html

L'Ecole - au sens large - doit en effet transmettre des valeurs. Celles dites fondamentales et/ou républicaines:

"Liberté - Egalité - Fraternité - Laïcité" + textes fondateurs.

Mais bien d'autres évidemment et déjà enseignées comme:

- l'égalité "filles/garçons" et "femmes/hommes" (Petite nuance entre les deux);

- les Droits de l' Homme ET du citoyen (on a tendance à souvent oublier le "citoyen" pourtant essentiel);

- les droits de l'enfant (très peu enseignés eux);

- la lutte contre toutes les discriminations.

Tout cela mis en pratique au sein des établissements scolaires avec la participation de toute la communauté éducative (C'est difficile en collège, ce champ étant souvent confié à 100% au professeur d'HG/Education civique).

Et puis il existe des valeurs que j'aimerais voir davantage être abordées. Les choix qui vont suivre sont tout à fait personnels:

- les valeurs véhiculées par la construction européenne. L'UE est inscrite aux programmes mais quasiment toujours sous des aspects économiques (énormément!), historiques (un peu) et géographiques (très peu). Quant aux valeurs humaines véhiculées par l'UE (rapprochement des peuples/mélange des cultures/ échanges/etc), là c'est silence total;

- les valeurs liées à la conscience de la "finitude du monde". Cela commence à arriver mais avec lenteur. Le tout lié aux questions de consommation, de production, de croissance/ralentissement de cette croissance/d'environnement et de ses valeurs et enjeux.

- les valeurs "humaines" au sens où Kant et Spinoza les ont définies. Si les valeurs républicaines sont enseignées, celles du respect de soi, de son corps et de celui de l' "autre", du vivant (animal/végétal) ne le sont pas suffisamment;

- les valeurs de la famille, mais en tenant compte des diverses "formes" familiales au XXIe siècle: famille monoparentale/divorcées- recomposées/HH/FF (Pas facile même en 2019 d'en parler face à des élèves de collège encore TRES "tradi" dans leur conception du "modèle" familial. Il faut travailler beaucoup sur la tolérance);

- les valeurs portées par le "vivre ensemble" - expression que je remplace souvent par le "faire ensemble" - et la mixité sociale que tous les parents défendent mais très souvent pour les enfants des autres;

- les valeurs d'empathie, de bienveillance - qui ne doit jamais être présentée comme une forme de laxisme - de soin . Quasiment pas abordées.

Tout cela dans un seul but: "vivre bien":

- en soi (travailler l'image de soi est primordial pour beaucoup d'élèves 1er et second degré);

- dans l'établissement scolaire avec l'ensemble de la communauté;

- mais SURTOUT en dehors de l'école!

" L’école n’est en aucune façon le monde" - Hannah Arendt, La crise de la culture, 1961

LE 30 SEPTEMBRE 2019

2022 : Un monde où tous les possibles seront à nouveau présents... 

Dans le film dont parlaient récemment sur France Inter son réalisateur Nicolas Pariser et Najat Vallaud-Belkacem (voir lien en bas de page), une question a été posée sans qu'il y soit vraiment répondu (ce n'était pas l'objet de l'émission mais c'est l'un des prétextes au film): "Qu'est-ce qu'une idée?"

Cela m'a amené à y réfléchir et à me poser la même question en la complétant: "Que doit être une idée politique en 2019 et dans les années à venir?"

L'Histoire de la Ve République - pour ne pas remonter à Platon - regorge, fourmille et déborde d'idées politiques. Toutes, à quelques exceptions près, sont issues du quasi sacro-saint "pragmatisme". Ce "pragmatisme politique" qui n'a eu pour effets que freiner les enthousiasmes, les envies et annihiler les rêves.

Pour couronner le tout  ces idées "pragmatiques" étaient issues d'un discours très souvent incompréhensible à une immense majorité de français. En 2016/2017, durant la campagne, E Macron et ses soutiens ont apporté une variante. Au "pragmatisme", ils ont ajouté le "flou conceptuel". Jamais aucun observateur ne pouvait exactement traduire les propos tenus par le candidat "En Marche". Et chacun pouvait aussi y trouver son "bonheur" tant ce flou faisait office de projet.

Alors que devra être une "idée politique" pour les années à venir? Et même dès maintenant. Je ne parle pas ici du fond mais de la forme et mes propositions sont sans doute très éloignées de ce que l'on peut entendre à l'ENA ou à Sciences Po, écoles que je n'ai pas fréquentées. Il s'agit davantage d'intuitions, de perceptions que d'une réflexion formatée, ce qui me semble plus intéressant peut-être. Avec le vocabulaire d'un littéraire "doux rêveur" sans doute. Ce rêve disparu.

Une idée politique se devra d'être évidemment compréhensible sans être simpliste. Oui, il faut cesser de croire que la complexité d'un propos serait gage de "génie". Les "synergies", c'est joli sur un plateau. Cela "fait" expert. Mais le citoyen veut entendre des humains comme lui, des gens qui doutent parfois, des candidats qui n'apportent pas la certitude de succès annoncés, jamais aboutis. D'où les déceptions récurrentes.

Elle devra être joyeuse, galvanisante et porteuse de rêves. L'utopie ne doit pas être excessive - un équilibre à trouver - mais elle doit faire son retour. Si la jeunesse du monde suit Greta Thunberg, ce n'est pas parce qu'elle est une experte "sachante" - ce qu'elle n'a jamais prétendu être - mais parce qu'elle porte des utopies, des rêves de monde meilleur, plus juste, plus "propre". Un monde où tous les possibles seront à nouveau présents.

Elle devra se rapprocher des préoccupations locales. Difficile certes car il existe un nombre incalculable de "lieux". Néanmoins, tous ces "lieux" sont traversés, reliés par des constantes permanentes. En s'adressant à cet urbain aisé, à ce banlieusard fatigué, à ce rural lointain, à ce français expatrié, en s'adressant aux femmes, à la jeunesse quelle qu'elle soit, aux populations des cités dites "difficiles" regorgeant d'énergie et de trésors, aux étrangers vivant sur notre sol, bref à toi et à moi, alors cette idée politique viendra sonner aux oreilles et permettra à chacune et chacun de s'approprier l'espoir qu'elle porte.

Enfin - mais il y aurait tant à dire et je laisse le soin à toutes et tous d'écrire et de dire la suite - l'idée politique 2019 et après devra respecter les français. Les respecter en reflétant TOUJOURS, d'une manière ou d'une autre, la réalité des inégalités sociales par une "sociologie de l'idée". Ces inégalités qu'Emmanuel Macron méprise, pensant du haut de sa suffisance qu'il suffit de "traverser la rue pour trouver un emploi".  Inégalités sociales que l'extrême droite utilise - Eric Zemmour s'emparant de Jaurès et Blum - pour mentir au peuple, prendre le pouvoir et trahir ce même peuple à peine installée à l'Elysée.

Les années à venir doivent nourrir des idées non seulement différentes par ce qu'elles apportent, mais différentes aussi et surtout par le renouvellement qu'elles provoqueront dans les esprits anesthésiés d'un peuple qui ne demande qu'à agir pour mieux vivre ensemble.

https://www.franceinter.fr/emissions/on-aura-tout-vu/on-aura-tout-vu-28-septembre-2019


LE 8 JUILLET 2019

Prise d'otages ?

Lors d'un entretien en préambule de la finale de Coupe du monde féminine de football, le Président de la République a prononcé ces mots : « Les choses sont sous contrôle, je respecte chacun, mais à la fin des fins on peut pas prendre nos enfants en otage, quand on est professeur, on a des devoirs, quand on a un examen de fin d'année, notre devoir c'est d'être au rendez-vous, il peut y avoir des désaccords, mais en aucun cas ces désaccords ne peuvent se faire en prenant nos jeunes et leur famille en otage» (Fin de citation).

Ces mots ont choqué TOUTE la communauté éducative, mais aussi parents et élèves. Non monsieur le Président, les enseignants grévistes ne sont pas des "preneurs d'otages". En français, vous le savez parfaitement, les mots ont un sens. Un preneur d'otage enlève quelqu'un, physiquement, par la force. Dans le cas de mes collègues grévistes, s'agit-il de cela? Évidemment pas. 

Pour rappel, toutes les copies ont été corrigées. Le travail a été fait comme il se doit. La seule revendication des enseignants était la suivante: "Ouverture d'un dialogue avec le Ministère". Manifestement, c'était trop demander. Pourtant, et toute la communauté éducative le constate chaque jour - que les journalistes viennent observer et écouter ce qui se passe et se dit dans les salles des maîtres et des professeurs - ce dialogue n'a lieu que sous une forme biaisée: "Nous vous avons écoutés. Merci beaucoup. Mais nos réformes se poursuivront". Étrange conception du "dialogue".

Pour second rappel, la "réforme" contestée a été rejetée par le Conseil Supérieur de l'Education (CSE), instance certes seulement consultative mais dont l'avis n'est depuis deux ans jamais pris en compte. Illustration, encore une fois, d'un "dialogue" totalement rompu.

Un président ne devrait pas dire ça...

Les mots très forts, l'accusation portée contre les enseignants grévistes, par le plus haut représentant de l'Etat, resteront dans les mémoires. Les professeurs ont souvent une mémoire d'éléphant. Jamais le Président de la République n'aurait du se permettre cet écart de langage. 

Pourtant, et je m'exprime ici en mon seul nom, si j'avais eu à corriger les épreuves du baccalauréat 2019, je n'aurais pas retenu les copies. Ce qui n'aurait pas fait de moi un soutien aux réformes en cours, réformes dont je conteste et l'opportunité et l'utilité depuis... deux ans.

J'entends déjà mes contradicteurs: "Mais vous ne voulez rien changer! Vous êtes toujours contre tout! Qu'avez-vous à proposer?" Chacun sait que moi-même et tant d'autres, opposés aussi aux réformes en cours, ont proposé, proposent et proposeront encore et toujours. La preuve en cliquant ci-dessous

http://demain-lecole.over-blog.com/2019/07/je-propose-un-nouveau-lycee.pour-un-nouveau-bac.et-non-l-inverse.html 

Je ne me fais cependant aucune illusion. Ces propositions ne vont pas dans l'air du temps. Le matraquage médiatique des médias "en vue", ceux qui tournent en boucle partout, des halls d'aéroports ou hall d'accueil des hôtels en passant par les cafés et restaurants, interdit tout espoir de voir un jour s'installer en Macronie ce débat d'IDEES contradictoires que le Président de la République lui-même a caricaturé jusqu'au ridicule dans le si mal nommé "Grand Débat National". 

Pourtant je ne perds pas et ne perdrai jamais espoir...

Monsieur le Président, c'est à vous que je m'adresse. Respectueusement car je n'ai jamais participé au concert d'injures qui inondent les réseaux dits "sociaux". 

Respectueusement donc, le fonctionnaire que je suis, conscient de ses droits ET de ses devoirs, vous le (re)dis: les enseignants, grévistes présents et je crois, à venir, ne sont pas des "preneurs d'otages". Si certains d'entre nous sont allés jusqu'à retenir des notes, c'est par exaspération. Par désespoir pour beaucoup. 

Écoutez la colère! Écoutez les découragements! Écoutez ces femmes et hommes dévoués qui ne font pas grève par plaisir! Certains ont même voté pour vous au premier tour Monsieur le Président. Ne vous exprimez pas comme un vulgaire "twittos". En vous entendant lors de ce malheureux entretien, j'ai cru un instant me retrouver dans ces "débats" médiocres qui font le tout-venant des disputes "internétiques". Vous êtes descendu, à ce moment-là de votre intervention, au niveau trop bas de ces médiocres "bisbilles".

Mais vous faites de la politique., Nous ne faisons qu'enseigner et nous battre pour nos élèves. Toutes et tous... Sans exception.

Le 10 mai 2019

Il faut repolitiser notre jeunesse...

74% des jeunes français disent qu'ils n'iront pas voter le 26 mai. Ceci confirme le fait que notre jeunesse soit "dépolitisée". C'est tragique !

Il faut très rapidement "repolitiser" la jeunesse. Ne plus interdire aux enseignants d'aborder des problèmes politiques en classe. Ne plus avoir peur de donner à la jeunesse le goût de la PRATIQUE politique. Réintroduire le débat contradictoire dès le collège, la "disputatio". C'est une urgence éducative.

Je me souviens de mes années collège/lycée. J'ai 61 ans. Nous étions toutes et tous très politisés. De droite comme de gauche. Nos enseignants ne s'interdisaient rien. Ne nous interdisaient rien. TOUS les sujets étaient abordés. La guerre du Vietnam, les dictatures Sud-américaines, la Françafrique, la liberté de parole dans les lycées, la contraception naissante, que sais-je encore? Tout!

Cela a-t-il fait de nous d'abominables gauchistes ou de méchants réac'? Peut-être. Mais au moins étions-nous concernés par la "chose publique". Nous avions conscience d'être des citoyens dans la "Cité" et nous voulions participer. Naïvement parfois sans doute, mais nous aimions la politique. Elle nous passionnait. Sans exception. Par classe et génération entières!

Aujourd’hui, que faisons-nous de notre jeunesse?

Une infime partie accède à Sciences Po. Je n'ai rien contre. Cette jeunesse-là se voit offrir les clefs de la politique - au sens large. Les autres jeunes filles et garçons sont appelés à aller voter, à manifester pour le climat. Sans clefs de compréhension. "On ne parle pas de politique en classe!". Et l'on s'étonne qu'ils n'y aillent pas, qu'ils ne répondent pas aux sommations effarouchées des adultes: "Mais enfin, soyez responsables! Allez voter!". Quand la pratique politique est montrée du doigt comme une pratique honteuse, quand elle est interdite dans les enceintes scolaires - ou réservée à quelques-uns après bien des difficultés pour ne serait-ce qu'afficher un tract - il ne faut pas être surpris de constater l'effacement de la jeunesse du paysage politique.

Oui vraiment, il est urgent de réarmer notre jeunesse. La réarmer pour lui ouvrir le champ du débat politique, respectueux des différences, à l'écoute des autres. Et bien au-delà des heures consacrées à l'Education Morale et Civique dans le premier comme dans le second degré.

Sans la jeunesse, absente de plus en plus souvent des scrutins successifs, notamment la jeunesse rurale et des périphéries, la politique risque fort de n'être plus que ce qu'elle devient sous nos yeux : une friche au milieu de laquelle s'entre-dévorent populistes et libéraux. On ne peut pas dire que ce soit un "programme" très enthousiasmant.

Un slogan de Mai-68 raillait le "Sois jeune et tais-toi". Je réponds: "Sois jeune et prends la parole". Mais pour cela, nous toutes et tous, enseignants ou pas, devons prendre la décision de permettre à TOUTE la jeunesse de réinvestir le champ de la politique. Le blé en herbe est là. Il n'attend que la récolte...


Le 19 avril 2019

Notre-Dame ou l'enfer de la précipitation... Quand la générosité à un prix...

Lorsque les premières images de l'incendie qui devait ravager une grande partie des toits de Notre-Dame, puis avaler dans un souffle fracassant et monstrueux la flèche de la cathédrale, apparurent sur nos écrans, ce fut comme si soudain le temps suspendait son vol. La France et le monde se figeaient, retenaient sa respiration. "Pourvu qu'elle tienne!" pensions-nous toutes et tous. Impuissants. Sidérés.

Elle a tenu. Blessée, meurtrie, fragilisée. Mais elle a tenu.

Le soir même, le Président de la République s'exprimait. Ce qui est tout à fait légitime. Il devait évidemment le faire. 

Une phrase allait néanmoins faire basculer le temps de la sidération et de la peine dans celui de la volonté immédiate et du volontarisme effréné : "Je veux que Notre-Dame soit reconstruite en cinq ans". Ce fut là comme un coup d'envoi vers une ligne d'arrivée: 2024! Les déclarations se succédèrent en quelques heures. Pour reconstruire, il faudra de l'argent. Beaucoup d'argent...

Alors, les grandes familles et entreprises françaises semblèrent se livrer à une compétition étrange. Les annonces de millions, par centaines, commencèrent à affluer. Cent millions... Deux-cents millions... A donner le tournis. Ce n'était ni choquant, ni indécent comme cela fut facilement et paresseusement dit ensuite. Non... Ce fut seulement beaucoup trop précipité.  Présidents et grands "capitaines d'industrie" se prenaient au jeu de la générosité accélérée. Très bien et merci à eux. Mais en voulant être toujours "devant", à vouloir immédiatement donner beaucoup et à le faire savoir, ils ont commis une gravissime erreur : n'avoir pas su attendre que les français anonymes, celles et ceux - croyants ou pas - dont le coeur a battu devant le brasier commencent à donner les premiers. Encore eût-il fallu leur offrir cette priorité...

Il aurait suffi à "ceux qui ont tout" de laisser ceux " de la cour des miracles" donner d'abord puis, quelques jours après signer ces chèques vertigineux. Alors, tout aurait changé. Les polémiques, parfois ridicules, souvent justifiées, n'auraient pas eu lieu. Le peuple n'aurait pas vu sa peine préemptée par la bourgeoisie triomphante semblant vouloir s'accaparer jusqu'à la générosité de tous. Voilà ce qu'il aurait fallu faire... C'était sans doute trop difficile pour celles et ceux qui ne savent plus ce qu'attendre, se "poser", réfléchir, signifie. 

Le volontarisme a remplacé la réflexion raisonnable. Pire, la puissance que confère l'argent - fut-il très honnêtement gagné et utilisé à bon escient - permet à celles et ceux qui en dispose de faire comprendre aux autres, par maladresse ou inconscience, que la sauvegarde du patrimoine est de leur responsabilité, que l'art, en quelque sorte, leur appartient. Qu'il est trop noble, trop précieux, pour être laissé à Quasimodo...

Demain, peut-être, entendra-t-on les plus grands donateurs affirmer : "Notre-Dame? Mais elle nous appartient"... Terrifiant glissement de sens...  Du merveilleux geste désintéressé vers une forme d' "achat compulsif" par lequel même la générosité serait réservée à quelques-uns et qu'elle aurait un prix !


 

Le 16 février 2019

Drapeaux et Marseillaise dans les classes ? Quelle tristesse ! Quel gâchis !  

Soyons clair et bref. L'Assemblée Nationale, par la voix de 44 députés présents dans l'hémicycle, a adopté un amendement proposé par le très "droitier" Eric Ciotti (Les Républicains) : les drapeaux, français et européen, et les paroles de La Marseillaise - l'intégralité des couplets - devront désormais être affichés dans toutes les salles de classe des établissements publics et privés sous contrat. Cette disposition s'ajoute à une série de lois votées en première lecture transformant profondément l'Ecole de la République sans pour autant lui donner les moyens d'accomplir la tache qui est la sienne : instruire et émanciper, c'est à dire ELEVER l'enfant pour en faire un citoyen libéré des "slogans" publicitaires, des fakenews et de la propagande politique qui n'a rien à faire dans les établissements scolaires.

Or, par 29 voix pour, 10 contre et 5 abstentions - où étaient les autres représentants du peuple?  44 députés présents sur 577! - c'est une disposition POLITIQUE qui a été adoptée par la majorité LREM suivant la part la plus populiste du groupe Les Républicains.

Neutralité politique ?

Les enseignants sont très souvent, en particulier depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée, rappelés à leur devoir de neutralité politique. Celle-ci est indispensable. Pourtant, nous allons devoir appliquer une décision POLITIQUE qui n'a strictement aucun rapport ni avec la pédagogie de l'Histoire ni avec la citoyenneté. En quoi des drapeaux et la totalité des couplets de l'Hymne national - dont certains sont incompréhensibles pour de jeunes esprits - seront-ils utiles dans des salles de Sciences et vie de la terre, d'arts plastiques ou dans des gymnases? Ou même dans des salles de lettres et d'Histoire ! Sinon pour rappeler qu'un jour un gouvernement et une majorité ont accepté de céder à la pression POLITIQUE de la frange la plus droitière du groupe Les Républicains. Ceci en période électorale et pour faire plaisir aux élus les plus conservateurs du pays. 

Le tout - et c'est d'une infinie tristesse - en imaginant Marine Le Pen se frotter les mains, trop heureuse de voir ses préconisations anciennes se réaliser sans même avoir besoin d'accéder au pouvoir. Les enseignants, dans le respect de leur devoir de neutralité, devraient refuser un tel geste. Il n'est pas anodin. Il n'est pas éducatif. Il ne respecte pas, de par son aspect obligatoire, la liberté  pédagogique des enseignants. Je rappelle en outre que le drapeau français, le drapeau européen et La Marseillaise sont des symboles déjà étudiés à l'Ecole, au collège et au lycée. Illustrés par des exemples tirés de la longue Histoire commune de notre pays, de notre continent. Par un affichage systématique, permanent et méthodique, ces symboles perdront leur "exceptionnalité" pour devenir banals et habituels. Ils disparaitront des regards en quelques semaines. Ils ne seront plus que des "images" parmi tant d'autres. Quelle tristesse! Quel gâchis!

Et, voir ou revoir, cette position particulièrement importante !

Le 2 février 2019

Des cahiers de "doléances" dans chaque établissement scolaire et universitaire...

Alors que le "Grand Débat National" peine à trouver son public parmi les jeunes comme parmi les habitants jeunes et moins jeunes des "quartiers", alors que l'Ecole - au sens large de premier des services publics - est l'objet de "réformes" dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles s'installent à bas bruit et en l'absence de concertation digne de ce nom, alors que le gouvernement appelle chacune et chacun à se saisir du "Grand Débat National", alors que des mouvements de contestation apparaissent ici et là - je pense au "Stylos Rouges", alors enfin que depuis près de vingt mois la sidération des premières semaines du "quinquennat Macron" a laissé la place à l'inquiétude, aux incompréhensions, aux contestations entendues et partagées de plus en plus souvent dans les salles des maîtres et des professeurs comme dans les couloirs des universités, pourquoi ne pas prendre au mot l'incitation du gouvernement et installer des cahiers de "doléances" dans tous les établissements scolaires et universitaires?

Ceux-ci seraient ouverts à tous les personnels, éducatifs, administratifs et techniques, mais aussi aux parents d'élèves et, pour les lycées et universités, aux élèves et étudiants. Ils seraient de libre expression totale. Chaque doléance pourrait être signée ou ne pas l'être.Enfin, ils pourraient prendre des formes "techniques" variables: du simple cahier/papier au blog créé à cet effet.

Il existe un écueil à cet exercice démocratique. Il est le même que celui qui viendra menacer les remontées des demandes lorsque le débat sera déclaré clos: celui de la lecture et de l'utilisation qui seront faites une fois les "cahiers" entre les mains de nos diverses institutions et des personnes chargées d'un travail de titan consistant à donner forme aux espoirs exprimés.

J'ai conscience de cet écueil. Mais en avoir peur et nous retrancher, une fois encore, dans la "colère inutile" ou dans la "protestation du clic", est bien pire que la menace pesant sur ce "Grand Débat": c'est l'assurance d'échouer sur la plage de nos impuissances.

Voilà. L'idée - démocratique et respectueuse des règles de notre "grande maison Education - est lancée. Je n'ai pas à m'en emparer. C'est à nous toutes et tous de le faire.

Le 24 octobre 2018

Macronie: l'intelligence en danger... Jusqu'à Créteil...

La Macronie est une île. Isolée, coupée de plus en plus du "continent des français", des citoyens. Elle a une île voisine, presque jumelle: la Mélenchonie. Un duel sans fin les oppose par médias et réseaux sociaux interposés. Un combat sans autre intérêt - si je puis dire - que d'assécher le débat, éliminer les adversaires et affaiblir la démocratie. Si nous n'y prenons pas garde, lorsqu'à la fin s'étant entre-tués il ne restera rien d'autre que deux terres désertes et mortes, vides de tout, qui prendra la place laissée vacantes par ce duo d'apprentis-sorciers?

Mais il y a plus grave encore... Car si le débat politique est en ce moment réduit à une affligeante médiocrité, c'est d'abord et avant tout parce que l'intelligence est, en Macronie, tous les jours agressée. 

Il est aujourd'hui devenu plus gênant, voire dangereux, de faire preuve d'intelligence que de suivre le troupeau agressivement gardé par les bergers macroniens! Malheur aux députés de la majorité osant émettre un avis contraire à la ligne dictée depuis l'Elysée!

Le Président, le gouvernement, les députés de la majorité, ces "maîtres des horloges" semblent gagnés par le démon de la vitesse. Qu'un événement se produise et les voilà tous frénétiquement installés devant leurs claviers pour inonder la toile de leurs éléments de langage; en voici d'autres courant les plateaux de radios et télévisions pour débiter quasi industriellement les mêmes éléments de langage reçus sur les téléphones portables. Sans l'ombre jamais - ou très rarement - d'un contradicteur de poids. Les journalistes, eux-aussi soumis aux contraintes de la vitesse ne s'embarrassent pas d'opposer un argument. Il faut laisser dire, même n'importe quoi. 

Les médias que j'appelle "mainstream", ceux qui tournent en boucle dans les halls et bars d'hôtels, dans les cafés, les boutiques d'aires d’autoroutes, parfois même les salles d'attente préfectorales, assomment les téléspectateurs et auditeurs, les poursuivent, les happent, les traquent. Partout. Jusque dans leur voiture.  Et nous voilà sommés d'entendre toujours les mêmes opinions, claironnés par les mêmes personnes, souvent à longueur de semaine et de week-end. Goldnadel, Zemmour, Bastié, d'Ornellas entre autres jusqu'aux éditocrates de Valeurs Actuelles. Ils accusaient la gauche de bien pensance. Mais au moins pensait-elle! 

A ceux-là, et sans les mettre sur le même plan, vous ajoutez quelques pincées d'Aurore Bergé, Benjamin Griveaux et Christophe Castaner pour obtenir l'illusion de la "disruption" et de l'originalité. Tragique captation de l'intelligence qui devrait être partagée quand elle est de plus en plus confisquée pour être détournée.

Jamais, à aucun moment, il ne vous sera proposé d'avoir le droit de ne pas comprendre. De savoir le dire ni le faire dire. Jamais, à aucun moment, il ne vous sera permis d'interroger le "non savoir". Jamais, à aucun moment, il ne vous sera demandé de vous intéresser à la part d'ombre alors qu' "il n'y a pas de lumière sans ombre" (Aragon).

L'intelligence en Macronie n'a plus de place. Ou seulement si celle-ci se glisse dans une réflexion apprise, convenue et conforme à la pensée élyséenne. Alors il sera dit de vous que vous êtes "intelligent", jugement de valeur d'une rare stupidité. Oui, voilà: l'intelligence en Macronie est devenue "stupidité" paresseuse, simulacre. Un détournement!

Heureusement il existe des résistances. Les Julia et Agathe Cagé, Raphaêl Glucksmann, Yves Citton, bien d'autres encore mais trop peu entendus appliquent sur les ondes un baume réconfortant. Ils ne détiennent nullement le "monopole" de l'intelligence! Ils osent simplement proposer autre chose que les simplismes populistes - le populisme est un mensonge! - imposés à notre quotidien. Bien mieux qu'originaux, ils offrent à la réflexion ce que la Macronie veut effacer: le débat d'IDEES! Cette "disputatio" que Macronistes et Mélenchonistes abîment à force de querelles picrocholines aussi vaines que médiocres. Mais qui plaisent aux temps contemporains, avides de  spectaculaire bien davantage que de profondeur réflexive.

L'exemple de l'emballement qui a saisi le gouvernement lors du "braquage" d'une collègue d'un lycée de Créteil, est l'illustration de ce détournement de l'intelligence. Dès les images diffusées sur les réseaux sociaux, ce fut le déferlement d'annonces, de déclarations martiales, de prises de position incroyablement rapides, de condamnations. Le hastag "Pas de vague" vint alourdir la barque. Qui coula définitivement avec les multiples plateaux télés et radios voyant se succéder des "experts" dont l'immense majorité n'a jamais mis le bout du bout d'un orteil dans un établissement scolaire. 

Croyez-vous que quelqu'un, au gouvernement, avant toute prise de parole, eut l'idée de rendre visite à l'équipe pédagogique pour l'écouter? Non.

Croyez-vous que quelqu'un, au gouvernement comme dans les médias osa cette iconoclaste question:

comment une vidéo tournée de manière illégale a-t-elle pu être multi-diffusée et utilisée sans que jamais personne ne demande son retrait et son interdiction? Non...

Elle fut posée pourtant. Par ceux-là même qu'on aurait aimé voir et entendre en lieu et place des "sachants" de tous bords: nos collègues du lycée Branly de Créteil! (voir lien de bas de page). Des femmes et des hommes intelligents...

 

https://www.huffingtonpost.fr/thierry-boucher/ce-quil-se-passe-vraiment-dans-notre-lycee-branly-nest-pas-ce-que-vous-avez-vu-dans-cette-video-violente_a_23569445/?fbclid=IwAR3U2R3D2KEkCZyLv-iBLSC0a7B9bYIEGbRNH2utR0BuM8QhxZxDSAH11eU

Le 1er octobre 2018

Voilà donc revenu le plat réchauffé du latin et du grec...

 Voilà donc revenu le plat réchauffé du latin et du grec. C'est dans le JDD. "Latin et Grec sont la sève vivante au sein de notre langue. Offrir cet enseignement approfondi à nos élèves est un enjeu de civilisation et de justice sociale."... "Le latin continuera de rapporter des points au bac"

Le Ministre de l'Education nationale

Alors me reviennent encore et toujours - je ne m'en lasse et ne m'en lasserai pas - ces question auxquelles il n'est jamais répondu de manière satisfaisante: pourquoi le latin et le grec en options? Pour maintenir l'entre-soi minimal des latinistes/hellénistes? 20% en collège/4% en terminale/1% après le bac...

Pourquoi ces deux sublimes langues - je suis un latiniste/helléniste - ravalées au rang de "points" que celles-ci "rapporteraient"? Est-ce cela les Humanités? Des points?

Quant à l'enjeu de civilisation, ne concernerait-il qu'une partie éclairée de nos élèves? 

Les professeurs de lettres classiques ont des raisons de s'inquiéter de la réforme du lycée. Reparler d' "enjeu de civilisation" (Ah la civilisation en danger sans le latin et le grec que Najat Vallaud-Belkacem a osé supprimer! Ce qui est totalement faux!), faire allusion à une "justice sociale" (?) sont des éléments de langage désormais datés et qui ont trouvé leurs limites. La réforme du collège autorisait le plus grand nombre à partager l'enjeu de "civilisation", aujourd'hui de nouveau réservé à quelques-uns. Hélas!

L'école de la confiance ?

Au-delà de cette sempiternelle ritournelle au sujet du latin et du grec, le monde enseignant, au nom duquel je ne parle pas, ne donnant ici qu'un ressenti, s'interroge à propos d'un slogan: "L'école de la confiance". Le monde enseignant bien au-delà de celui des lettres classiques.

Le professeur qui se construit, dans une école qui se déconstruit, ne passe pas. La reprise en mains des ESPE qui deviennent des "Instituts", le contrôle tatillon par des évaluations permanentes, la fin programmée des pédagogies, les neurosciences en réponse à tout et n'importe quoi, cette école ultra-libérale peuplée d'enseignants/collaborateurs sommés d'adhérer au projet d'une Macronie "pensant comme une start-up nation" - je cite Emmanuel Macron - tout cela ne rencontre pas l'adhésion. Je l'entends. Je le lis. 

Le risque est désormais réel de voir l’enseignant passer du statut de concepteur à celui d' évaluateur permanent, appliquant docilement les "recommandations" venues d' "en-haut". Une conception très libérale de l'éducation, tournant le dos à TOUT ce qui se fait de mieux en Europe! Non, vraiment, tout cela ne passe pas... Et la "civilisation" n'a rien à faire dans tout ça!

Attention! Dégâts en vue...


Macron et la peur de l'étranger - Déconstruire ce discours est une urgence !

Emmanuel Macron et son gouvernement construisent, fabriquent un discours emprunté à la droite la plus décomplexée.

L'exemple des réfugiés et de ce navire humanitaire, l'Aquarius, abandonnés par la France et par son président pourtant généreux lorsqu'il était candidat, est particulièrement signifiant. "Accueillir des migrants en France créerait immanquablement un appel d'air".  C'est absolument faux.  Non seulement les pays qui accueillent bien davantage de réfugiés que la France (qui n'en accueille aucun des 9000 promis par le candidat Macron) n'ont jamais souffert de ce supposé "appel d'air", mais ils ont observé un ralentissement très sensible des arrivées "massives". En effet, depuis deux ans, les flux migratoires sont en baisse. Tous les organismes spécialisés dans l'observation de ces flux l'affirment, preuves chiffrées et statistiques à l'appui. 

Mais le Président de la République et son gouvernement surfent sur les peurs ancestrales: 
- peur de "l'autre qui n'est pas moi"; 
- peur de "l'étrange étranger". 
Ces peurs se répandent jusque dans le "désert français" où aucun migrant n'a mis ni ne mettra jamais les pieds.  N'ont-ils pas, notre président et notre gouvernement, le culot monstrueux d'affirmer : "Regardez tous ces bateaux qui convergent vers l'Europe!". Evitant, en même temps, de nous dire que si ces milliers de "migrants/réfugiés" arrivent effectivement, au péril de leur vie, par la mer, c'est parce que toutes les voies terrestres se ferment les unes après les autres. Comment s'étonner alors de voir les flux migratoires, pourtant ralentis à la source, se bousculer en Méditerranée provoquant des tragédies évitables ?Evitables si le Président de la République prenait soin de ne pas regarder ailleurs quand la mer lui demande d'accorder aux malheureux qu'elle "transporte" quelque attention. 

L'Histoire retiendra qu'un mois de juin 2018, la France humaniste a, par son Président, assumé la honte du regard détourné. Pour le Président Macron et son gouvernement, la crise migratoire serait donc une crise des flux. Cela les arrange bien de tenir ce discours. Il évite la vérité: celle d'oser dire qu'il ne s'agit plus d'une crise des flux, mais bien d'une crise des états. Ces états européens incapables de s'unir, abandonnant l'Italie pour le résultat politique récent que l'on sait. 

Où est donc aujourd'hui le candidat Macron? Que sont devenus ces discours européens enflammés? Où donc est son projet hurlé il y a un an? Sans doute se dissimule-t-il derrière ses discours désormais ancrés dans une tradition de droite à l'ancienne. Ces discours qui alimentent les peurs schizophréniques de nos concitoyens en agitant les chiffons noirs de l' "invasion" migratoire. Un sentiment utilisé pour plaire à la frange la plus réactionnaire de l'électorat d'Emmanuel Macron. Un calcul qui, peut-être, s'avèrera payant à court terme mais se retournera contre lui dès 2022. Pour quel résultat? Pour quelle aventure hasardeus ? Pour quelle tragédie?
Nul ne peut répondre. Mais il convient urgemment de déconstruire les discours "macroniens" pour permettre à la France et à l'Union Européenne d'en finir avec les peurs entretenues, des peurs insensées qui ne peuvent nous conduire, toutes et tous, qu'à des catastrophes auprès desquelles les "dangers" des flux migratoires sembleront bien dérisoires.

Education - Il faudrait quand même que la fumée se dissipe!

Depuis ce matin, 3 juin 2018, radios et télévisions évoquent "retour" de l'uniforme à l'Ecole - Il n'a jamais existé !

Ces derniers jours il fut question de l' "interdiction du téléphone portable" - En fait, quasiment aucune différence avec l'existant quand on lit le projet de loi...

Le Ministère de l'Education Nationale vient de publier un Nième vademecum, celui-là destiné à accompagner la mise en place de chorales. Il fait 60 pages. On y rappelle - les professeurs devaient l'ignorer - que pour organiser un spectacle, il faut penser à retenir une salle! - L'ensemble des vademecum et autres livrets va bientôt dépasser les 1000 pages. Nous laisserons "Parcoursup" de coté pour aujourd'hui...

Au-delà de tout ça, ce qui me met dans une sombre colère, accompagnée parfois de beaucoup de tristesse, c'est de constater à quel point le débat sur l'Ecole a été abaissé depuis mai 2017. Entre 2012 et 2017, les enseignants se sont souvent "engueulés", fâchés, rabibochés. Mais nous débattions DES CŒURS de notre métier! Je me souviens de disputes (au sens de la "disputatio") de très haut niveau. 

L'Ecole était valorisée jusque dans ce qui nous séparait. Najat Vallaud-Belkacem, Benoit Hamon et Vincent Peillon avaient pour l'Ecole, pour les enseignants et pour les élèves, une VRAIE considération, une ambition. Ensemble nous bousculions les idées reçues.

Aujourd'hui nous recevons quelques "idées" disparates, écrans de fumée destinés peut-être à faire oublier la légèreté d'un projet pour l'Ecole. 2012-2017 furent les années du "Care". Depuis un an, nous ne sommes même pas dans l' "empowerment"!

Très nombreux sont ceux qui ne comprennent pas ce que ce gouvernement souhaite faire de l'Ecole ni ce qu'il attend de nous. Le slogan "Ecole de la confiance" ne peut suffire à combler les doutes croissants.

"Mister Donald Trump... Shame on you!" 

http://demain-lecole.over-blog.com/2018/02/mister-donald-trump.shame-on-you.html

Je n'ai pas choisi, volontairement, la version doublée en français. La traduction est facile à trouver sur Internet...

La force de cette lycéenne et sa rage tragique après la mort de lycéens et professeurs américains se suffisent à elles mêmes. Elles traduisent, seules, sa peine et son incompréhension devant les décisions et réactions d'un Président irresponsable mais coupable ! J'ai eu les larmes aux yeux en l'écoutant, en la regardant... J'ai pleuré. Avec elle. C'est peut-être une marque de faiblesse. Mais je préfère être "faible" qu'indifférent.

Et puis, je n'ai pu m'empêcher d'avoir un regard professionnel sur cette jeune fille remarquable. Et j'ai trouvé qu'elle disposait d'une aisance oratoire hors du commun pour une fille de son âge. La raison est simple : les Etats-Unis n'ont pas le meilleur système éducatif au monde, loin de là MAIS aux Etats-Unis - je peux en témoigner - les élèves prennent la parole, les professeurs échangent énormément avec eux, avant, pendant et après les cours. L'oral va de soi alors qu'en France, seul l'écrit est encore trop valorisé quand l'oral n'est "toléré" que sous forme d' "écrit oralisé" : oral d'Histoire des Arts ou les fameuses récitations ou même encore les clubs théâtre. 

Il FAUT développer tout cela mais il faut aussi reconsidérer nos séances de cours. Nos élèves sont passifs parce que NOUS les avons rendus passifs. Notamment en collège. Voilà des années que je le constate. Ils arrivent en 6e, enthousiastes, souriants, participatifs. Ca part un peu dans tous les sens mais en "canalisant", ils sont formidablement réceptifs et manifestent des qualités "orales" formidables. Les MEMES en 3e sont "éteints". Je le sais puisque j'enseigne dans le même établissement depuis des années. Je les vois devant moi. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il s'agit d'un problème d'inhibition du à l'âge, bla bla bla... Non! 

L'idée récente du Ministre, copié-collé du "colloquio" des lycées italiens, n'a strictement rien à voir avec l'ORAL! Ce n'est pas ça l'oral bon sang! L'oral est d'ailleurs un mot que je n'utilise jamais. Je parle d' "échanges argumentés". Et cela demande, de la part de l'enseignant, le "courage" de laisser les élèves s'exprimer, d'abord avec LEURS mots, LEURS expressions, LEURS erreurs. Puis, par un travail lent, bienveillant mais rigoureux (la bienveillance est une rigueur!), par des corrections progressives, les amener à débattre posément, à respecter la parole de l'autre, à écouter et à répondre "verticalement" (prof/élèves) et "horizontalement" (élèves/élèves). Voilà ce que c'est l'oral. Le Ministre ne propose que cet "écrit oralisé" qui n'aura d'oral que le nom. Nos élèves DOIVENT être incités à s'exprimer, pas à subir de mini oraux de CAPES. Or la parole est encore trop souvent considérée, en tout en collège, comme une agression à l'encontre du professeur qui y voit une atteinte contre son POUVOIR! Il A la parole et il A le stylo rouge, ce rouge "couleur du maître et des empereurs de Chine" disait mon père. 

Il m'est arrivé, lors de certaines séances, de ne quasiment pas intervenir. Les élèves SE PARLAIENT, notaient au tableau les arguments des uns et des autres, construisaient la réflexion. Je recadrais de temps à autres... Puis nous avons rédigé la fameuse trace écrite à partir de leurs échanges. Dans une classe de 4e à 28! Et toutes et tous pendant 50 minutes ont participé. Mais ceux-là, avec une autre collègue de maths qui appliquaient les mêmes pédagogies, nous les avions depuis la 6e. Ils étaient "formés" et SURTOUT ils n'avaient pas PEUR de s'exprimer, d'échanger parce qu'ils savaient que leur parole prenait sens en étant respectée.

AUCUNE de mes séances n'a jamais et ne sera jamais silencieuse ou privée d'échanges. Je mourrais d'ennui ! 


Cela suffit ! La riposte doit venir !

Les pédagogues - c'est à dire TOUS les enseignants de ce pays, le cours magistral et frontal étant aussi une pédagogie... - éprouvent aujourd'hui toutes les peines du monde à être entendus. Ne parlons même pas d'être écoutés. L'objectif du Président de la République, de son gouvernement et de sa majorité est clair désormais. Il s'agit d'en finir avec les débats qu'ils ont décrété être dépassés. Tel ou tel "pédagogue"- mais aussi telle ou telle figure des "républicains" - n'a plus de place dans le paysage "éducation", à tel point que certains quotidiens de grand renom les ont "blacklisté" sans autre forme de procès.

Au nom du monde neuf, au nom de l'importance supposée de certains visages apparus ces derniers mois: Stanislas Dehaène et les neurosciences, Cédric Villani et la méthode de Singapour, Souad Ayada et ses préconisations d'une modernité audacieuse : retour aux fondamentaux et apprentissage chronologique de l'Histoire. Pour ne citer que les plus en vue, ceux mis en lumière dans les colonnes du Point, de Valeurs Actuelles, du JDD, de la quasi totalité des chaines de radios et télévisions, et même - qui l'eüt cru? - du Monde... France2, France Culture, France Inter et Mediapart essayant de mener la résistance.

Il ne s'agit plus de résister. Il va s'agir de riposter!

Car cela suffit de voir, de lire, d'entendre tous les jours des décennies de recherches en Sciences de l'Education - je tiens aux majuscules! - être insultées, méprisées, caricaturées de manière aussi mensongère qu'incompétente ! Cela suffit de constater tous les jours l'abaissement, la complaisance, la servilité des zélateurs d'une politique éducative menée depuis l’intronisation d'Emmanuel Macron. L'esprit critique, le recul nécessaire pour une réflexion équilibrée et distanciée ont disparu du pays de Descartes et Voltaire ! N'ont-ils pas honte, ces contempteurs osant affirmer, parlant de la nouvelle Présidente du Conseil Supérieur des Programmes, que celle-ci est "trés appréciée par les enseignants" (Le Monde) ou qu'elle est "une chance pour la France" (Le Figaro).

"Trés appréciée"? Une "chance"? Alors que personne ne la connaissait avant sa nomination! Que très rares sont ceux qui ont lu un seul de ses écrits! Qu'elle n'a encore strictement rien fait! Nous sommes là dans un de ses très/trop nombreux "exemples" de sidération, de béate et stupide admiration a priori, très loin de la démarche scientifique, très loin de l'éthique journalistique.

Cela suffit d'entendre répétés comme autant de mantras obsessionnels qu'un retour aux "fondamentaux" (la France est championne d'Europe du temps passé sur les "fondamentaux"), qu'une Histoire apprise chronologiquement (Elle l'est! Ouvrez et lisez les manuels!), que faire la rentrée en chantant, que des dispositifs non évalués comme "Devoirs faits" ou le fait de diviser par deux les effectifs de CP en REP+, que les neurosciences, que des méthodes (de Singapour) imposées d'en-haut sans l'ombre d'une concertation, que la sélection à l'entrée de l'université, bref que toutes ces idées ne faisant ni sens ni liens, pourraient magiquement faire de notre école la maison de toutes les réussites.

Cela suffit de lire en permanence la condamnation éternelle de Najat Vallaud-Belkacem pour justifier les "changements" en cours. Najat Vallaud-Belkacem n'est HELAS plus Ministre. Qu'on lui fiche la paix! Sans oublier de dire néanmoins qu'avec elle et entre autres, le nombre de décrocheurs est passé de 150 000 par an à moins de 100 000, que l'OCDE avait loué les progrès constatés, que le nombre de latinistes - NON le latin n'est pas mort avec elle, bien au contraire! - est en forte augmentation dans toute la France (+ 6%), ce qui n'était plus arrivé depuis des années et des années, tout cela dans le silence complice de celles et ceux préférant l'entre-soi. Cet entre-soi aujourd'hui à  nouveau privilégié!

Cela suffit d'entendre et de lire les élucubrations de chroniqueurs-euses irresponsables et insultants, d'une totale incompétence, rejoignant dans leurs délires vengeurs quelques gratte-papier en mal d'une gloire aussi éphémère qu'imméritée et débitant au kilomètre des pamphlets médiocres rencontrant tragiquement l'oreille d'intellectuels en vue. 

Oui cela suffit! C'est toute la profession qui est aujourd'hui menacée, quelle que soit la pédagogie adoptée. Toutes et tous les enseignants sont les victimes d'un combat politique qui les dépasse. Un combat qui n'a pour seul but que faire taire celles et ceux proposant d'autres voies. Car les propositions existent mais sont empêchées d'être discutées sur la place publique.

Sans parler des élèves! 

Oubliés, méprisés et relégués au dernier rang d'une école injuste qui entraîne le pays sur le toboggan vertigineux de l'inconscience aveugle et égoïste! 

Quelle honte! Quelle tristesse! 

Mais quelle colère aussi !

La France des petits chefs...

Hier soir, un ami passe à la maison avec sa fille de 9 ans... Cela dure un peu... On discute... La petite commence à avoir faim et je propose d'aller lui acheter un petit burger au "fastfood" d'à coté. Pas très diététique certes mais je sais qu'elle adore...

J'entre... Très peu de monde... Je passe la commande. Une jeune fille de 20 ans, à peine, me sert très gentiment. Derrière elle se tient un autre employé. Il semble être son supérieur. Il scrute chacun de ses gestes. Après quelques secondes seulement, les réflexions désagréables, à haute et intelligible voix, commencent à pleuvoir. Tout ce qu'elle faisait ne lui convenait pas. Il l'humiliait. Avec délice manifestement.

Croisant alors son regard, il me dit, avec un sourire de petit chef imbu de sa fausse puissance et très satisfait d'en user et d'en abuser:

"Heureusement que je suis là, hein monsieur?"...

Et là, il n'aurait pas dû... 

Je l'ai regardé droit dans les yeux et lui ai dit, glacialement calme, ce que je pensais de sa manière de faire, de se comporter avec cette "gamine" qui débutait manifestement. 

"Vous vous rendez compte que si elle se trompe, c'est parce que vous lui faites peur? Peur! Que vous l'humiliez en public? Vous devriez avoir honte de vous comporter ainsi! Honte monsieur!"

Il a vu que j'étais en colère. Il n'a pas répondu. La jeune fille me tend ma commande. Je la remercie. Je lui dis en souriant:

"Bon courage et bonne fin de journée. Vous n'avez rien à vous reprocher". 

Deux larmes coulaient sur ses joues...

Des "petits chefs" comme celui-là dans ce type d'entreprises, il y en a dans toute la France. Ils fonctionnent au mépris, ce petit chef étant sans doute lui-même méprisé par son supérieur et ainsi de suite. Alors tout le monde humilie tout le monde. Tout le monde méprisant tout le monde pour "faire son trou" et creuser jusqu'au bas de l'échelle, jusqu'aux "gamines" qui, elles, n'ont plus personne en dessous. Elle sont au fond du fond du trou!

Ce type d'emploi fait certes vivre (ou survivre) bien des gens. Mais il entraîne aussi des comportements, des méthodes de "management" inacceptables. Beaucoup aujourd'hui, dans cette France qui place la réussite financière en "étalon" du bonheur, souhaitent voir se multiplier ce type de "boites", de startup où l'on fonctionne en "openspace", où les anglicismes font de la francophonie, soi-disant défendue par le Président de la République, une cacophonie et où tout le monde fait semblant d'être satisfait de son sort, sur ORDRE! N'a-t-il pas été décrété récemment qu'il FALLAIT être heureux, arborer le sourire, chanter en chorale pour faire de l'Ecole un lieu convivial et dogmatiquement merveilleux, quelles que soient les conditions de travail.

Sauf que le bonheur ça ne se décrète pas... Les larmes, ça se provoque souvent et avec facilité...

Voilà pourquoi nous sommes de gauche... Parce que nous savons encore être révoltés par des petits chefs passant leurs nerfs sur d'autres employés qui, elles et eux, ne peuvent pas se révolter.

Alors faisons-le encore et encore. Pour toi qui m'as servi un soir et que je ne connais pas...

La fille de mon ami a bien aimé son burger quand même...


Vers la création d'individus performants  ?

Le pouvoir en place depuis maintenant sept mois semble avoir décidé, sous l'impulsion jupitérienne  du Président de la République Emmanuel Macron, l' "état de performance", comme il existe un "état d'urgence". 

Tout dans notre République est désormais tourné vers la performance maximale. Il FAUT, c'est un dogme, "performer" en tout. Tout individu, groupe et sous-groupe refusant ou n'étant pas en capacité de réaliser ces objectifs est immédiatement mis de coté, considéré comme un dangereux déviant. Dangereux car susceptible d'empêcher ou de ralentir la course vers les objectifs fixés d'en-haut. "Vae victis" disait-on, le pouce baissé, dans les cirques romains de l'Antiquité. "Mort aux loosers" croit-on entendre dans le grand cirque de la macronie triomphante.

Loosers, echoués, décrochés dont il n'est jamais question dans aucun discours présidentiel, dans aucune intervention ministérielle. Les perdants ont disparu du champ des intérêts gouvernementaux, ceux-ci se portant uniquement, exclusivement sur les "performants", ceux capables d'écrire les "success stories" voulues par le pouvoir, relayées par une partie de la presse complaisante - Paris-Match et BFMTV en sont les plus éclatants représentants -  exemplaires de cette "France first", reflet d'un président n'ayant jamais connu l'échec. A tel point qu'il est permis de se demander si Emmanuel Macron est seulement capable d'imaginer qu'il puisse exister en France des individus malheureux, brisés, écartés. Très éloignés de l'égalité révolutionnaire, traduite en "égalitarisme" - Pouah! Quelle horreur! - dans un pays de plus en plus séduit par les "bienfaits" de l'inégalité.

La France macronienne se veut pragmatique. Le pragmatisme, cet outil glacial qui élimine les clivages gauche/droite, les débats d'idées, les réflexions contradictoires fondées sur des valeurs. Au diable les valeurs ! Ou plus exactement vive la valeur "efficacité", seule capable de déterminer le degré d'intérêt porté sur un individu, un groupe ou une idée. Personne ne semble s'apercevoir que les plus performants, pragmatiques et efficaces sont toujours les mêmes: ceux nés avec un capital - financier et culturel - important. Quant aux autres, les loosers, ils ne peuvent espérer qu'un ruissellement sans jamais - vous l'aurez remarqué - être invités à la table du festin. Ni à devenir les "premiers de cordée". Mesdames et messieurs les perdants, dégustez les restes. Restez à votre place. Cela vous suffira bien.

L'école qui se construit sous nos yeux est à l'image de ce qui vient d'être dit. Afin d'éliminer tout débat interne et, notamment, celui qui oppose depuis des décennies les républicains aux pédagogues - rebaptisés "pédagogistes" par le Ministre de l'Education Nationale en personne - il est fait appel à un troisième "larron" dont la mission, pragmatique et politique, est d'éliminer les deux autres : les neurosciences. Obnubilées par les capacités "performatives" du cerveau de nos élèves, elles évitent habilement d'autres problématiques. Au diable les ennuyeuses questions sur le but de l'école, les causes des inégalités scolaires, la sociologie de l'éducation, l'école que nous voulons pour nos enfants et les enfants que nous voulons pour la société qui vient, le sort des "échoués"! Tout cela disparait. DOIT disparaitre!

Au nom d'un seul credo : faire de l'enfant/individu un être performant.

Je refuse de m'engager dans cette voie. Elle est d'une dangerosité redoutable!

Stanislas Dehaene ou l'incarnation du changement de pied... 

Le Ministère de l'Education Nationale est, depuis quelques jours, doté d'un Nième organisme appelé "Conseil Scientifique de l'Education Nationale". A sa tête, un neuroscientifique professeur au Collège de France, Stanislas Dehaene. 

Deux informations circulent à son sujet, ou plus exactement au sujet de :

- son avis sur la semaine de 4 jours à l'école primaire ;

- sa position par rapport à l'apprentissage de la lecture.

 

La semaine de 4 jours

Stanislas Dehaene s'est toujours opposé, comme l'actuel Ministre de l'Education Nationale à une certaine époque, à la semaine de 4 jours à l'école. Par exemple - mais j'aurais pu produire des dizaines d'autres sources - sur le site "Canal Académie" :

« Rien de la lecture n’est évident pour l’enfant. Il faut s’entraîner un peu tous les jours, avec des périodes de sommeil pour consolider l’apprentissage. En ce sens, la concentration de l’apprentissage sur une semaine de 4 jours est une absurdité » poursuit Stanislas Dehaene.

Pourtant, rappelle Jean-Michel Blanquer, la semaine de 5 jours au lieu de 4 existe déjà. « C’est la semaine de 9 demi-journées par semaine que les recteurs et inspecteurs d’académies sont invités à appliquer. Le cadre administratif et juridique le permet déjà. Il faut en effet une bonne répartition du temps comme le dit Stanislas Dehaene, mais jusqu’à présent, le problème n’a pas tellement été un problème d’ordre ministériel, mais un problème de responsabilisation des adultes, localement ». (Voir lien/source 1 en bas de page)

Quelle ne fut pas la surprise générale - sauf peut-être pour quelques médias privés de mémoire et militants politiques devenus très distraits - d'entendre le même néo-Président de commission scientifique affirmer sur France Inter le 11 janvier 2018 : "Semaine de 4 jours : Je ne suis pas sûr qu'il y ait erreur". (A réécouter/Lien 2 en bas de page)

Pour un scientifique, toujours très affirmatif dans ses déclarations, cette soudaine hésitation ne laisse pas de surprendre la communauté éducative. Car n'étant "pas sûr", doit-on comprendre que notre éminent chercheur, s'il cherche incontestablement beaucoup, n'a pas encore trouvé les Graal annoncés avec tambours et trompettes d'une renommée peut-être factice. 

 

L'apprentissage de la lecture

Quant à ses positions sur l'apprentissage de la lecture, le monde des médias et réseaux relaient depuis quelques jours l'absolue confiance de Stanislas Dehaene en la seule méthode syllabique, le fameux B-A/BA.

Pourtant, les écrits et propos de notre chercheur, sont loin d'être aussi tranchés:

"Pour la lecture par exemple, la recherche en sciences cognitives a clairement démontré la supériorité de l’approche « phonique », l’enseignement systématique des correspondances graphème-phonème. Cependant, cela ne signifie en aucun cas que nous faisons l’apologie d’une méthode unique (« la » syllabique). Lorsqu’un ministre de l’éducation a voulu imposer le « b-a ba », j’ai réuni des chercheurs au Collège de France pour rappeler que les choses ne sont pas si simples. La seule chose qui importe au tout début de la lecture, c’est l’enseignement explicite et systématique des correspondances entre l’ordre temporel du langage parlé (la séquence de phonèmes) et l’ordre spatial de ce qui est écrit (l’agencement des graphèmes, de gauche à droite). Méthodes analytiques et synthétiques peuvent être toutes les deux phoniques. Dans l’état actuel des connaissances, on ne peut affirmer que l’une marche mieux que l’autre. On peut assembler des lettres en syllabes et en mots (b+a=ba, approche synthétique), mais aussi partir d’un vrai mot et le décomposer en graphèmes (approche analytique). Encore faut-il employer une progression rigoureuse, qui parte de mots très simples, avec un tout petit nombre de graphèmes connus de l’enfant, avant d’introduire progressivement des mots plus complexes. Partir d’un mot comme « fou », expliquer qu’il est composé de « f » et « ou », que si on change le premier son on obtient « chou »… : c’est une méthode analytique qui fonctionne (et qu’il ne faut surtout pas confondre avec l’approche globale, où l’attention ne se focalise pas sur la composition interne des mots). La recherche continue, et l’on redécouvre par exemple l’importance du geste d’écriture. Ecrire le mot lentement au tableau tout en l’épelant, faire tracer les lettres par l’enfant, sont bénéfiques, notamment parce que ces méthodes soulignent l’organisation  spatiale et temporelle du mot. " (Lien/Source 3 en bas de page)

Nous pourrions, sur ce sujet toujours sensible en France, produire bien d'autres propos de Stanislas Dehaene, tous allant dans le même sens: la méthode syllabique, présentée aujourd'hui sous l'autorité du même Dehaene comme DEVANT être LA méthode à suivre, ne présente aucun caractère miraculeux.

A l'écoute et à la lecture de ces propos, très contradictoires pour le moins, une question se pose : Stanislas Dehaene tient-il un discours lorsqu'il travaille dans son laboratoire et un autre, plus politiquement correct, lorsqu'il siège à la tête de la commission ministérielle? Il serait bon d'obtenir des éclaircissements rapides. Si la nature a horreur du vide, l'éducation a horreur des changements de pied.

http://www.canalacademie.com/ida9033-Apprendre-a-lire-de-nouveaux-outils-pedagogiques-elabores-a-partir-de-travaux-de-psychologie-cognitive.html

https://www.franceinter.fr/emissions/interactiv/interactiv-11-janvier-2018

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/03/13032014Article635302900918362864.aspx

 

Notre école mérite un débat digne, majeur et responsable...  

2017 s'achève. Une année difficile pour celles et ceux ayant démocratiquement lutté pour un résultat politique qui ne fut pas celui de leurs attentes... Il est temps de dire ce que pourrait être, ce que nous aimerions que soit la forme du débat éducatif et pédagogique en cette année 2018 qui va commencer. Le dire de manière la moins bavarde possible, les "babillages" et bavardages ayant trop souvent pris le pas sur la réflexion longue, posée, mesurée et, pourtant, bien plus nécessaire et utile que toutes les conversations de plateaux-télé et radios dont le "bruit" a couvert souvent l'intelligence raisonnable.

Les débats éducatifs et pédagogiques sont toujours passionnants et passionnels. Ils sont l'occasion de disputes mémorables, d'invectives, d'injures, de crêpages de chignons et autres prises de position, chacun défendant bec et ongles sa "chapelle". Ils offrent aussi, et heureusement, la possibilité de rencontres enrichissantes, de partages, d'échanges et d'amitiés sincères, y compris avec celles et ceux ne partageant pas les mêmes points de vue.

Mais revenons sur ce quinquennat achevé il y a six mois...

Ce fut - je parle ici du seul sujet de l'éducation, l'Ecole au sens large du terme - un long parcours ponctué de débats médiocres sur des sujets qui ne l'étaient pas. Oui le débat public méritait mieux que ces petites polémiques permanentes, répétées, offrant aux chroniqueurs l'occasion de "surfer" sur l'accessoire quand il aurait fallu se concentrer sur l'essentiel. Pendant cinq ans, tout fut mis en oeuvre, involontairement ET volontairement parfois, pour abaisser le niveau, pour disqualifier des chercheurs devenus inaudibles tant les échanges couvraient leurs voix, effaçaient leurs écrits. Les petites mesquineries ont réussi le triste exploit de vaincre les convictions, de dénigrer les compétences, d'abaisser les savoirs alors que ces convictions, compétences et savoirs contenaient tout ce qui aurait pu, ce qui aurait rendre au débat public son intelligence.

Alors, petit à petit, subrepticement, à bas-bruit mais aussi à haute voix, les caricatures, les définitions grossières et mensongères souvent, les fantasmes entretenus, les fausses nouvelles - les "fakenews" - sont venus submerger la réflexion. Vouloir une école juste devenait aussitôt un "nivellement par le bas". Vouloir initier plus d'élèves aux langues mortes était traduit par une "mort annoncée de la civilisation", rien que ça. Réformer le collège était considéré comme une atteinte aux savoirs fondamentaux et aux disciplines. Et ainsi de suite dans un flot continu de mauvaise foi, de stériles échanges sur les réseaux dits "sociaux", sur les plateau-télés et radios faisant la part belle aux plus démagogiques, aux plus réactionnaires, aux plus menteurs et fiers de l'être. La contradiction légitime devenait inaudible. Un Eric Zemmour devenait tout à coup plus expert qu'un François Dubet ou qu'un Philippe Meirieu. Le populisme, déjà, l'emportait. L'immédiateté tuait le "temps long". Le buzz "faisait" l'actualité. Quant au grand public, parfois peu informé, voire désinformé, il était tenu à l'écart et méthodiquement sommé de se ranger sous la bannière des "vrais défenseurs" de la République, dont la droite la plus réactionnaire et la fachospère omniprésente. Ainsi fut perdue la "reine des batailles": celle des idées!

 
Tout cela doit cesser au risque mortifère pour notre école d'entrer dans une longue nuit conservatrice. Comment un Président de la République, jeune, dynamique et sincèrement européen, peut-il valider, encourager un projet éducatif tourné davantage vers le passé, replié sur des souvenirs fantasmés d'une école très franco-française quand il faudrait ouvrir les yeux et nous inspirer - sans le copier/coller - de ce qui se fait de mieux au sein de l'Union européenne ? Comment accepter que notre école primaire persévère dans l'erreur avec une semaine de quatre jours ? 
 
2018 devra rendre la parole et la réflexion aux chercheurs, aux penseurs éclairés et éclairants, à toutes celles et ceux qu'on a fait taire. Ces chercheurs et penseurs, femmes et hommes de raison, pas toutes et tous d'accord entre eux mais justement, avec leurs différences, remettant à l'honneur la "disputatio" remplacée depuis des années par l'écume des futilités accessoires et la facilité. Ainsi sera remportée une autre bataille essentielle : celle de la culture! Une culture ouverte, plurielle, éloignée des condensés de raisonnement en 280 signes.
 
Voilà ce que mérite notre école: un débat digne, majeur et responsable. Utile.
 
Gardons-nous de l'enchaîner aux modes populistes, aux bassesses, aux résumés hâtifs. Et par là, de l'asservir !
La  "blanquérisation" de l'éducation : radioscopie d'un système                                                                                                                                    

Lorsque Najat Vallaud-Belkacem transmit les "clefs" du bureau occupé par elle, Benoit Hamon et Vincent Peillon à son successeur, elle ne se doutait pas être en train de tenir la porte, non seulement à un Ministre, mais aussi et surtout à un "système" qu'il serait fort dangereux de moquer et de ne pas prendre au sérieux. Qu'est-ce qu'un "système"? C'est, si l'on se fie à sa définition scientifique communément admise, un ensemble de règles, d’éléments, interagissant entre eux.

Depuis l'arrivée de Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle, la communauté éducative a assisté, avec enthousiasme pour certains, avec indifférence pour d'autres, mais surtout médusée et sidérée, à la "blanquérisation" de l'éducation. En six mois, parfois quotidiennement, de nombreuses annonces et décisions ont dessiné les contours d'une politique qui, sans le dire, se construit sur quelques messages dont voici ceux principalement répétés:

- l' "égalitarisme" est source d'injustices ;

- le "pédagogisme" est source d'échecs ;

- les fondamentaux ont été oubliés ;

- l'école primaire doit retrouver les 4 jours hebdomadaires ;

- les symboles (Fables/Dictées/Redoublements/Uniformes) doivent marquer une rupture avec le "laxisme" passé ;

Le tout saupoudré de deux mesures "sociales":

- les études du soir (Devoirs faits) ;

- le dédoublement des CP en REP+ ;

Le but tacitement avoué des fondations du "système" est ici évident :

il s'agit de construire sur la confiance aveugle des parents qui, après avoir été bombardés pendant cinq ans d' "informations" véhiculées par les plus réactionnaires des "experts" autoproclamés en éducation, ont acquis la certitude que vouloir être juste, que vouloir réduire les inégalités socio-scolaires n'étaient en fait que laxisme de gauche, dangereux pour l'élite, inquiète d'un supposé "nivellement par le bas".

Il s'agit aussi - c'est tellement visible et audible - de donner des gages aux forces de droite, jusqu'aux plus réactionnaires d'entre elles. Aucune ne se prive de tresser des lauriers à la politique éducative actuelle. Pas une semaine sans que des Luc Ferry, Nadine Morano, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, et même Marine Le Pen, n'adressent leurs félicitations au locataire du Ministère de l'Education Nationale.

Voilà rapidement dressé le "portrait" d'une politique éducative. Elle se veut rassurante, traditionnelle, seulement audacieuse par sa sympathie affichée pour les "neurosciences". Rassurante, traditionnelle et "scientifique" mais tournant le dos à tout ce qui se fait de mieux chez nos voisins proches au sein de l'Union Européenne. Ce qui ne laisse pas de surprendre lorsqu'on connait la fibre très sincèrement européenne du Président de la République. Comment en effet ne pas être inquiet en assistant impuissant à cette "blanquérisation", fondée sur un passé qui a échoué - souvenons-nous des errements des de Robien, Ferry, Darcos, Chatel - et que pourtant l'on copie-colle à quelques variantes près? Comment ne pas être effrayé devant la certitude affichée d'une "école franco-française" repliée sur ses - mauvaises - habitudes anciennes?

Lorsqu'on est Ministre, disait récemment François Hollande, "il ne faut pas chercher à être populaire. Il faut chercher à être juste". Le système qui, petit à petit, installe une école des "premiers de cordée" risque fort de plaire encore quelques temps. Je crains néanmoins, pour l'école que je sers modestement mais fidèlement depuis plus de trente ans, d'assister à la construction d'un édifice connu. Il y a longtemps. Dans les années 1960. Cet édifice qui savait si bien sélectionner les meilleurs sans jamais dire clairement ce que l'on faisait des autres. 

Et cela, il convient de le prendre au sérieux. Très au sérieux! Car les conséquences néfastes en seront, à terme, absolument redoutables pour le pays.

Quand Marine Le Pen rend hommage à la politique éducative actuelle...

Alors que petit à petit et à très bas bruit s'installe une "nouvelle" école, ressemblant fort à celle connue par le passé - dictée, fables, "pédagogisme", fondamentaux... un corpus utilisé pour rassurer des parents non informés dont l'immense majorité est composée de femmes et d'hommes attendant tout de l'école sans savoir que celle qui se met en place n'offrira pas à leurs enfants cette fameuse "égalité des chances" que je préfèrerais voir remplacée par celle de l' "égalité des droits et des moyens" - je crois urgent de dire mon étonnement et mon inquiétude.

Mon étonnement d'entendre un Président de la République, très sincèrement et profondément européen, vanter les mérites de la construction et du renforcement de la "maison" Union Européenne mais en même temps - eh oui - d'accepter de voir se dessiner les contours d'une Ecole tournant le dos à ce qui se fait de mieux chez nos proches voisins. Proches voisins qui observent - je le sais et suis informé de leurs remarques - cette édification ave,c au mieux, un peu d'amusement, au pire avec effarement.

Mon inquiétude lorsque j'entends un Luc Ferry couvrir d'éloges la politique éducative actuelle du Gouvernement, l'ex Ministre de l'Education Nationale suivi par ses collègues Darcos, Chatel, tous oubliant qu'ils sont responsables des dégâts constatés par les diverses enquêtes - PIRLS et PISA - publiées récemment. 

(Pour rappel, ces mêmes enquêtes, aujourd'hui interprétées "à la sauce" de chacun selon ce qu'on veut y voir, avait dressé un bilan fort positif en juillet 2015 : http://www.liberation.fr/societe/2015/07/10/najat-vallaud-belkacem-recoit-les-felicitations-de-l-ocde_1345887)

 Mon inquiétude encore plus grande d'entendre une Marine Le Pen tresser des lauriers à cette même politique éducative actuelle. Loin de moi l'idée d'accuser la Rue de Grenelle de devenir un refuge de l'extrémisme de droite. Évidemment ! Néanmoins, la leçon est cruelle : lorsqu'on ouvre les portes à des mesures "populistes", plus messages politiques en direction des "parents/électeurs" que véritables engagements pour une Ecole refondée sur, entre autres et sans copier-coller, le modèle de nos voisins, il ne faut pas s'étonner de recevoir les félicitations d'une Marine Le Pen aux anges.

 Qu'on y prenne garde... A force de copier les extrêmes, même à la marge, même involontairement, on en gomme les excès et la dangerosité, on finit par tellement leur ressembler que l'électeur se dit : "Pourquoi pas l'original plutôt que la copie?"

"Devoirs faits" ou la poursuite de l'imposture

"Devoirs faits", dispositif décidé par le Ministre de l'Education Nationale avec pour objectif de - je cite Eduscol - permettre "à des élèves volontaires de bénéficier, au sein de leur collège, d'une aide appropriée pour effectuer le travail qui est attendu d'eux", se met plus ou moins bien en place dans les établissements. Ceux-ci ont obligation de proposer ce dispositif pour les élèves volontaires. Voir le vademecum « Tout savoir sur devoirs faits »

Disons-le tout net: "Devoirs faits" reste arc-bouté sur une fausse certitude : celle  d'une séparation nécessaire, obligatoire par "tradition", entre le travail en classe et le travail "à côté" (à la maison ou ailleurs mais pas en classe). Un travail scolaire délégué, externalisé. C'est une imposture. Une imposture très ancienne qui permet à l'institution, et le ministère actuel est un "modèle" du genre en la matière...

- de plaire à certains parents enfin débarrassés du calvaire de 18/20h. Qui plus est rassurés de savoir leurs enfants occupés à faire leurs devoirs dont ils - mamans et papas- sont très friands et demandeurs;

- de transférer des taches pédagogiques - et si le mot écorche quelques oreilles sensibles, des taches "enseignantes" - à des professeurs en retraite ou en activité et volontaires, mais aussi à des étudiants ou à des infirmières scolaires, auxquelles il est demandé d'aider l'élève à être autonome.  

Je cite une fois encore Eduscol : "C'est également un moment privilégié pour l'apprentissage de l'autonomie : il s'agit pour l'élève de questionner les démarches proposées, d'interroger ses propres méthodes, de mettre à l'essai ce qu'il a compris, de réinvestir les apprentissages tout en bénéficiant, au besoin, de l'accompagnement de professionnels aptes à lui apporter toute l'aide nécessaire. En cela, la mesure Devoirs faits contribue à la réduction des inégalités d'accès au savoir".

Sauf que l'autonomie, ce n'est pas se contenter d' accompagner "au besoin" l'élève dans le "faire ses devoirs" ou dans le "apprendre une leçon". L'autonomie :

- c’est enseigner la même chose que ce qui a été fait en classe mais autrement ou par quelqu’un d’autre à condition que ce "quelqu'un d'autre" soit enseignant. C'est un "renforcement", une "appropriation";

- c’est préparer, réunir les conditions de la compréhension de la future séance collective : c’est une différenciation en amont de la séance à venir.

- c'est pratiquer "seul", sous l'autorité bienveillante et exigeante du professeur. Du professeur! 

- ce n'est en aucun cas faire de l' "autonomie" un isolement rompu de temps à autre lorsque l'élève en fait la demande auprès d'un adulte sans lien aucun avec la séance passée ni à venir.

Voilà, au passage, qui aurait pu faire l'objet d'une réflexion, voire d'une réforme : donner du temps aux enseignants pour travailler devoirs et leçons avec leurs élèves, ENSEMBLE. Mieux encore : donner des professeurs au temps... Les créations de postes n'étant plus d'actualité, les élèves attendront des jours meilleurs.

C'était l'objectif de l'"Accompagnement Personnalisé" (entre autres) mis en place par les ministres du quinquennat précédent.  "Accompagnement" qui risque de souffrir d'un Nième dispositif ayant été, faut-il le rappeler,  déjà imaginé et appliqué en 2007 avec les "devoirs surveillés" destinés à celles et ceux que Nicolas Sarkozy et Xavier Darcos appelaient les "orphelins de 16h". (Voir ce qu'en disait Claude Lelievre en 2010 via le lien de bas de page).

Toujours est-il que "Devoirs faits", dont j'invite chacun à consulter le "vademecum", risque fort: 

- de souffrir d'une mise en place hâtive, sans l'ombre d'un début de concertation;

- d'une impression (certitude?) de "déjà vu et déjà fait" patente;

- de ne pas atteindre ses objectifs par le fait de confier des élèves à des personnels non enseignants, laissant penser que tout un chacun peut encadrer des élèves de la 6e à la 3e. Ce qui est faux. Ce qui est dangereux. La réalisation d'un "devoir" et l'apprentissage d'une "leçon" sont des procédures et  des pratiques ENSEIGNANTES. Certainement pas une surveillance rapprochée confiée à des étudiants ou à des infirmières scolaires, puisqu'elles seront autorisées à le faire, aussi dévoués et doués soient-ils.

Je souhaite la réussite de TOUT ce qui pourra venir en aide aux élèves en difficultés, de TOUT ce qui pourra réduire les inégalités. A condition de mettre en œuvre les moyens, TOUS les moyens, nécessaires à la construction d'une Ecole démocratique et émancipatrice en repensant les actes d'apprentissage! A condition de ne pas copier-coller des dispositifs anciens ayant tous fait la preuve de leur inefficacité absolue !

 https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/260910/les-orphelins-de-16-heures-abandonnes-par-sarkozy

 http://eduscol.education.fr/cid118508/devoirs-faits.html

"Balançons les porcs" mais éduquons les hommes... 

Il y a quelques mois, une élève de 4e, très "lookée", très "fashion victim", fut convoquée par la CPE qui lui signifia devoir modifier radicalement sa manière de s'habiller. Devant l'incompréhension de la jeune fille, à qui il n'avait jamais été fait aucun reproche et qui n'avait pas signalé de comportements agressifs ou inconvenants de la part des garçons sous prétexte de robes trop près du corps ou de jupes considérées comme étant trop courtes, elle s'entendit répondre:

"Mais enfin mademoiselle, vous êtes tout simplement provocante!"

Elle revint le lendemain et tous les jours qui suivirent en Jean, comme toutes les autres. L'uniforme qui cache.

Cette histoire, à laquelle je n'avais pas prêté une attention suffisante à l'époque - ce qu'avec le recul je regrette amèrement - m'est revenue en mémoire ces jours-ci à l'occasion du raz-de-marée provoqué par la création du mot-dièze #Balancetonporc

Pourquoi avoir exigé de cette jeune fille qu'elle change sa tenue ? Comme si c'était elle la coupable de vouloir aguicher les pré-adolescents qui l'entouraient. A aucun moment ne m'est venu à l'esprit de demander qu'on éduque plutôt le regard des garçons sur les filles. J'aurais dû...

Me revient aussi en mémoire cette réflexion que m'avait faire un jour, il y a quelques années, un étudiant croisé lors d'une réunion politique portant sur l'égalité Homme-Femme : "Le vêtement "féminin" est parlant, explicite même. Il est naturellement tentateur."

Constatant mon étonnement, mon incompréhension, il poursuivit :

"Une jupe, une robe, un décolleté... Autant de "vêtements ouverts" quand l'homme, lui, ne porte que des pantalons et des chemises cravates... Des "vêtements fermés". C'est bien la preuve que les femmes seront toujours - je cite, évidemment - des opportunités à conquérir! Elles le montrent!"

Je pense urgent d'éduquer les garçons et les hommes. Très urgent...

Non, ce n'était pas à cette élève de 4e de changer de tenue et d'accepter ainsi sa "culpabilité" supposée. Non, jupes et robes ne sont pas des signaux envoyés aux hommes. Une femme, toutes les femmes, doivent avoir le droit de choisir d'être séduisantes sans que cela signifie l'acceptation silencieuse de toutes les agressions.

"Balançons les porcs mais éduquons les hommes"... Le plus tôt sera le mieux...

Education : quand la presse se tait...

C'était il y a peu de temps... C'était hier... C'était presque tout à l'heure... Et cela a duré cinq ans ! Pendant cinq ans, de 2012 à 2017, quelques médias importants par l'audience et relayés toujours par les quotidiens régionaux ont systématiquement commenté les décisions des gouvernements successifs en semblant prendre un plaisir malin à démolir les ministres de l'Education nationale - Vincent Peillon, Benoît Hamon, Najat Vallaud-Belkacem - ayant occupé le bureau du 110 Rue de Grenelle.

Tout, absolument tout, jusqu'au ridicule parfois. Souvenons-nous, entre autres, de la rumeur colportée  au sujet de l'apprentissage de la langue arabe dès le CP ou de cette absurde perte de temps et de salive concernant une "réforme de l'orthographe", ou encore de la tension extrême à l'Académie trouvant son acmé avec l'accent circonflexe qui pourtant ne demandait rien à personne. Tout cela fut sujet à débats sans fin ni conclusion car souvent sans objet, à articles argumentés et contre-argumentés, à attaques sexistes et mâtinées de racisme lorsqu'elles s'adressaient à "Najat", réduite à un prénom, parfois à son seul nom de jeune fille, à des titres incendiaires, offusqués et vengeurs: "Incroyable cafouillage";  "Le sommet de l'incompétence"; "Du jamais vu"... Et j'en oublie... Ce fut un jeu de massacre, mensuel, hebdomadaire, quotidien dans les "grands moments"...

Pourtant, à la grande surprise de beaucoup, l'OCDE se montra très positive à l'égard des réformes menées par les ministres de François Hollande, par Najat Vallaud-Belkacem particulièrement. (Voir lien en bas de page). Mais rien, jamais, n'y fit. Le mal se construisait. Même ses sourires trouvaient des opposants. Même un chemisier noir croisa un pamphlétaire. 

Arriva donc ce qui devait arriver. La défaite électorale de la gauche, le triomphe jupitérien d'Emmanuel Macron, la nomination de Jean-Michel Blanquer, directeur général de l'enseignement scolaire (un Ministre "bis") sous Nicolas Sarkozy, servi avec zèle... beaucoup de zèle ! Puis vinrent les premières annonces... Commentées par les mêmes médias trouvant hier à dire et redire mais qui soudain devenant tous parfaits thuriféraires. Un seul exemple : les évaluations (en CP et 6e) décidées sans concertation, quelques jours avant les vacances d'été et imposées verticalement par le Ministère. Ces évaluations furent plutôt bien accueillies par la presse, très peu de critiques. Puis les exercices proposés furent divulgués publiquement - avant passation! - et les syndicats enseignants, pour une fois unanimes, dénoncèrent des épreuves difficiles, mal construites, sans intérêt pédagogique véritable. Des chercheurs en sciences cognitives, sciences très appréciées par notre nouveau Ministre, s'inquiétèrent ouvertement. Je pense à  Liliane Sprenger-Charolles (CNRS, université d’Aix-Marseille) et à Edouard Gentaz (président du département de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Genève), faisant tous deux état de «sérieux problèmes» quant à la «validité scientifique et pédagogique» de ces évaluations diagnostiques. (Voir lien en bas de page). La presse spécialisée se fit le relais de tout cela. Quant à la presse nationale généraliste, elle observa un silence quasi total. 

Rue de Grenelle, prenant enfin conscience néanmoins du "ratage" en vue, il fut décidé, certainement en très haut lieu, peut-être dans cette pièce où trône le magnifique bureau ministériel de Jean Zay, de faire machine arrière toute ! Les personnels de direction des écoles élémentaires reçurent un courrier (voir lien en bas de page) enjoignant les professeurs d'école de faire à peu près ce qu'ils veulent de ces évaluations de CP, pourtant présentées comme capitales, essentielles, importantes, utiles, nécessaires. Bref, un outil de référence, la première pierre d'une "réparation" d'un édifice abimé par une ministre iconoclaste qui avait osé imaginer, l'impudente, pouvoir réformer l'Ecole... 

Face à un tel pataquès, car c'en est un de première grandeur, j'ai imaginé ce qu'auraient écrit les contempteurs d'hier, les fidèles relais des auteurs de pamphlets - "Les assassins de l'école" de Nicole Barjon sévissant dans L'Obs, les billets de Jean-Paul Brighelli dans Le Point, les élucubrations d'Elisabeth Lévy dans Causeur et sur les plateaux de télévision où elle est complaisamment invitée, les éructations d'Alain Finkielkraut redoutant la mort de la civilisation (blanche et européenne), les propos de Natacha Polony, jusqu'à un éditorial de Laurent Joffrin jadis mieux inspiré, s'installant dans le même wagon que celles et ceux cités à l'instant - et je me rappelai ces titres: "Incroyable cafouillage";  "Le sommet de l'incompétence"; "Du jamais vu"...

Mais je n'en trouvai aucun... Rien! Absolument rien! Pas une critique. Pas un éditorial. Pas un seul de ces propos fielleux qui firent les mauvais jours de ministres harcelés et constamment désignés à la vindicte populaire!

Aujourd'hui, le Ministre de l'Education Nationale peut tout se permettre ou presque : qu'il touche aux programmes, qu'il aborde la laïcité sans tenir aucun compte du travail de ses prédécesseurs, qu'il parle d'autonomie des personnels de direction pouvant aller jusqu'à embaucher (débaucher?) des personnels enseignants, qu'il évoque le retour à un apprentissage chronologique de la littérature au collège, qu'il interdise les téléphones portables (déjà interdits dans 98% des collèges), qu'il ne tienne pas compte du Conseil Supérieur des Programmes dirigé par Michel Lussault, rien, absolument rien ne lui est jamais reproché par ces mêmes médias et éditorialistes mitraillant Najat Vallaud-Belkacem à la moindre peccadille.

Que peut signifier ce soudain silence?... Je pose la question... J'attends la réponse!  

http://www.liberation.fr/societe/2015/07/10/najat-vallaud-belkacem-recoit-les-felicitations-de-l-ocde_1345887

http://demain-lecole.over-blog.com/2017/09/quand-le-ministere-de-l-education-nationale-s-apercoit-que-les-evaluations-cp-peuvent-poser-problemes.html

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/09/14092017Article636409731527018464.aspx

Réponse à Elisabeth Lévy: "Blanquer, c'est l'anti-Najat, et tant mieux!"...        

Parfois le hasard nous mène où nous n'aimons pas aller.

La lecture du Figaro, quotidien qui héberge de belles "plumes" défendant des idées que je ne partage pas, m'a invité à découvrir l'entretien donné par Elisabeth Lévy (Causeur, magazine n'assumant pas son "extrèmedroitisme", alors que...) à Alexandre Devecchio. Si le coeur vous en dit, et que vous n'êtes pas rebutés a priori par l'absence d'expertise totale de Madame Lévy en matière de politique éducative, car la dame est d'une rare incompétence en la matière, je ne résiste pas au "plaisir" de vous en indiquer le lien. C'est ci-dessous :

 http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2017/09/09/31003-20170909ARTFIG00091-elisabeth-levy-blanquer-c-est-l-anti-najat-et-tant-mieux.php

Je ne vais pas perdre un temps précieux à contredire toutes les erreurs (mensonges?) de Madame Lévy. Ses propos en sont truffés. J'ai mieux et plus utile à faire.

Quelques mots d'abord, au sujet du titre, reprenant les mots d'Elisabeth Lévy : «Blanquer, c'est l'anti-Najat ! Et tant mieux !»

Passons sur le fait que Monsieur Blanquer ne soit pas du tout l'anti-Najat - c'est beaucoup plus subtil que cela mais Causeur, en général, ne se pique pas de subtilité - je remarque qu'une fois de plus les hommes sont nommés quand les femmes sont prénommés. Madame Vallaud-Belkacem - c'est son nom Madame Lévy; je vous l'apprends peut-être - est ainsi une fois encore infantilisée, confinée dans son "statut" de petite fille dont on voudrait effacer le nom de jeune fille - Belkacem - et d'épouse - Vallaud. En plus, "Belkacem"... Evidemment, la fachosphère grimace...

Passons aussi sur le fait que Madame Lévy ait cru bon, une fois de plus, de surligner le sourire de l'ancienne excellente Ministre de l'Education Nationale. Décidément, je commence à croire que certaines jalousies ont peine à trouver un remède.

Passons enfin sur le fait que Madame Lévy confonde Agathe et Julia Cagé - certes soeurs et jumelles mais quand même! Quand on exige la rigueur à l'école, on commence par l'appliquer à soi-même! - dont le patronyme est par ailleurs écorché. "Gagé" au lieu de "Cagé". Je serai bienveillant...

 Une fois tout cela dit, il ne reste strictement rien à se mettre sous la dent. Car ce qu'affirme Madame Elisabeth Lévy - prénom et nom chez moi - n'est que le copié-collé de propos entendus chez celles et ceux persuadés qu'il existait une école parfaite, qui n'oubliait personne, qui n'innovait pas, qui ne pratiquait pas la pédagogie - car Madame Lévy est persuadé que les "pédagos" sont une secte malfaisante -, qui faisait redoubler les élèves pour qu'ils progressent et qui autorisait, divine époque, les châtiments corporels. Bref, Madame Lévy ne nous apprend rien, n'apporte rien à un sujet - l'Ecole - qui mérite mieux qu'un tel bavardage insignifiant. 

Au-delà de tout ce qui n'est, somme toute, que médiocrité et incompétence, une question me vient à l'esprit : quelle signification donner à la multiplication des soutiens apportés aux "réformes" de Monsieur Blanquer ? Car il ne s'agit pas de soutiens "innocents". La liste est intéressante: 

Causeur,

SOS Education,

Espérances banlieues; (Je vous invite à lire l’enquête de l'excellent site Questions de classe(s) en cliquant sur les liens ci-dessous):

l’épisode 1 : Derrière la com d’Espérance banlieues... chronologie

l’épisode 2 : géographie... politique...

l’épisode 3 : le financement

l’épisode 4 : la laïcité

L'Institut Montaigne...

Et quelques personnalités médiatiques, dont la liste est elle aussi signifiante: Eric Zemmour, Alain Finkielkraut, Natacha Polony (avec des nuances)... Tout ce que les réactionnaires comptent de réseaux et de "stars" du moment. Avec un tel attelage, passéiste, anti pédagogue pathologique, prisonnier volontaire d'idées ayant toutes fait la preuve de leur inefficacité - sauf pour les meilleurs élèves, à 95% héritiers dynastiques et auxquels je n'adresse aucun reproche! - l'Ecole ne parviendra JAMAIS à respecter sa promesse républicaine résumée en quatre mots sublimes : "Liberté - Egalité - Fraternité - Laïcité"! 

Ne vous en déplaise, Madame Lévy, cette devise-là était respectée par celle que vous appelez "Najat". Ce qu'elle serait en droit de ne pas vous permettre... Ne vous en déplaise, Madame Lévy, vous semblez oublier une évidence que je vous rappelle pour conclure : celles et ceux qui ont fait échouer si souvent l'Ecole, ce sont les mêmes qui sont aujourd'hui aux affaires et qui l'étaient déjà il y a quelques années, au désespoir des enseignants, élèves et parents: ils avaient noms Sarkozy, Fillon, Chatel et pour Directeur Général de l'Enseignement Scolaire un certain... Devinez qui ?


Combien de temps encore va-t-on abuser de notre patience ?

Car enfin, tout cela ne pourra durer éternellement. Cette apathie, cette sidération devant le spectacle affligeant de la casse systématique des contrats aidés. Avec tant de drames humains ! Car derrière chaque chiffre, il y a des femmes, des hommes, des projets, des regards... Nombreux sont ceux qui ont pleuré. J'en connais.

Pendant cinq ans, l'opposition à la refondation de l'école a accusé pêle-mêle les coûts, la fatigue des enfants, des personnels. Elle a accusé les ministres successifs, et notamment la dernière, de ne pas dialoguer. Entre autres accusations, dont l'immense majorité était infondée et dictée par une incompréhensible volonté du statu quo. Tout cela pour en arriver où nous en sommes aujourd'hui... Quel gâchis!

Nos ministres furent défendus pas les chronobiologistes, les pédagogues de renom, l'Académie de médecine. Même l'OCDE adressa ses félicitations à la France. Depuis, c'est le silence. Lourd. Les Philippe Meirieu, Jean-Paul Delahaye, Claude Lelièvre n'ont que plus de mérite à faire entendre leurs voix précieuse dans le désert.

Voilà pour le passé.

Mais qu'est-ce que le présent?

- des coûts - et des coups!-;

- des injonctions de dernière minute (les évaluations de CP et 6e);

- des non renouvellements de contrats aidés mettant en danger les élèves;

- un soi-disant "retour" au latin et au grec, gage nous affirme le Ministre d'une "vraie égalité". Une égalité en option par peur de l' "égalitarisme" sans doute;

- une sympathie très marquée pour les neurosciences (neuromythes?), pour les "pédagogies innovantes" à condition qu'elles aient obtenu l'aval de l'Institut Montaigne ou de Céline Alvarez, exemple de ce qu'il "conviendrait" de faire, pour Brigitte Macron promue "professeure idéale" par le Ministre. On croit rêver !

- une haine du "pédagogisme" et de l' "égalitarisme";

- des gadgets destinés à rassurer les parents en leur faisant miroiter un illusoire et inutile "retour" à l'école de grand-papa:

  • distribution de Fables de La Fontaine (ça rassure La Fontaine; c'est presque sépia) dans trois académies;
  • la Marseillaise au CM1;
  • des stages de remise à niveau pour les élèves en difficultés, présentés comme "nouveaux" alors qu'ils existent depuis des lustres; 
  • le dédoublement des CP en REP+ qui se fait au détriment du "Plus de maîtres que de classes" mais permet au Ministre d'apporter une patine "progressiste" à une école "conservatrice"; 
  • "devoirs faits" destinés à des élèves volontaires. On apprend que tout cela commencera en octobre et en collèges ZEP. Oubliant les établissements ruraux dont chacun sait qu'ils ne connaissent aucun souci. 

Un inventaire à la Prévert sans liens, sans ambition véritable pour une refondation d'envergure qui avait été entamée courageusement et qui s'est heurtée aux conservatismes, aux corporatismes, aux craintes, à tant de choses que je ne veux pas nommer. Oui vraiment... Combien de temps encore va-t-on abuser de notre patience?

Il n'existe pas de culture magique

Edouard Philippe, Premier Ministre, vient de publier un livre intitulé Des hommes qui lisent chez Lattès. Le chef du gouvernement y livre sa vision de la culture. Celle-ci permettrait, c'est la thèse sous-tendue par le contenu de l'ouvrage, d'assurer à la génération présente et à celles à venir un futur étincelant dont l'illustration se trouve sous nos yeux: le quinquennat actuel. Il fallait y penser. 

Comme si la culture et ses pratiques diverses, notamment la lecture, suffisaient à bâtir les structures d'une politique. Comme si la culture, la lecture, la musique suffisaient à donner envie d'échafauder une société sans haine ni violence. Comme si - et je ne parle plus ici du livre d'Edouard Philippe mais ne m'en éloigne pas vraiment - une "rentrée en musique" suffisait à créer du lien dans une école tout à coup bienheureuse. Par la magie de la baguette d'un chef.

Comme si la promotion des arts et de la culture, notamment par "le goût du livre et la pratique musicale", suffisaient à faire d'un enfant un être épanoui, complet et ouvert au monde. Un enfant "libre" en quelque sorte. Comme s'il suffisait de chanter ou de pratiquer un instrument pour "créer du bonheur". Je cite le Ministre de l'Education Nationale dans un entretien donné au magazine Le Point : "Le théâtre ou les pratiques musicales collectives, qu'il s'agisse de chorale ou d'orchestre, sont très importants, car ils supposent l'écoute de l'autre pour atteindre une harmonie collective. La musique crée tout simplement du bonheur. Et son bienfait cognitif est démontré."

On ne peut s'empêcher, tant en lisant Edouard Philippe que les ministres de l'Education Nationale et de la Culture, de soupçonner une forme d'instrumentalisation de la culture à des fins uniquement politiques. 

Comment peut-on croire, et surtout faire croire, que la seule apparition "magique" du bonheur à l'écoute d'un concerto ou à la lecture de Proust permettrait à n'importe quel élève de s'emparer des clefs de compréhension du monde qui l'entoure et, souvent, l'agresse ? C'est oublier très et trop aisément que la lecture, l'écoute d'un morceau, la pratique d'un instrument, le jeu d'un acteur disant un grand texte sont D'ABORD affaire d'éducation. 

C'est exactement ce qu'en dit la philosophe et historienne Perrine Simon-Nahum dans Libération, page 17, en date du 18 août : "La culture est semblable à la démocratie. Pas plus que cette dernière n'est le régime du consensus, mais bien, comme le montrait l'historien François Furet, celui de la crise, la culture ne saurait se résumer au seul sentiment de plaisir et de facilité qu'Edouard Philippe se plait à décrire. Les livres sont, certes, les compagnons indispensables d'une vie mais ils se gardent d'être toujours dociles et sympathiques. Ils peuvent aussi être violents, voire hostiles, se dérober et nous échapper".

J'engage vivement  le Premier Ministre, le Ministre de l'Education Nationale et celle de la Culture à cesser de croire pouvoir transformer un peuple d'enfants en peuple apaisé par la seule pratique de la culture, détachée de tous pré-requis éducatifs.

N'oublions jamais que les allemands composaient l'un des peuples les plus érudits d'Europe avant de se donner à l'enfer du nazisme. N'oublions jamais que les idéologues Khmers Rouges firent leurs études dans les plus prestigieuses universités françaises. Pour quels résultats?... 

Il n'existe aucune "culture magique". La culture à elle seule, détachée de tout et offerte à la seule pratique, ne sera jamais un viatique suffisant. Chanter, lire, jouer, quoi qu'en disent les "sciences cognitives", ne suffisent pas ex nihilo à rendre un enfant "libre"! Encore moins à servir de marchepied à une politique!  

Il n'est de "culture" que celle qui s'apprend, s'apprivoise et se maîtrise. Toutes les autres approches ne peuvent rien entraîner de positif. Bien au contraire...

La politique n'est vivante que si l'on se dispute à son sujet... 

Je n'aime pas, mais alors pas du tout, cette France qui se construit...

J'écris ces mots et ces phrases comme ils me viennent à l'esprit. La France que j'appelle "macronienne" ne me dit rien qui vaille et ne m'attire pas. Elle a le visage d'un pays que je ne connais pas et ne veux pas connaître.

Celui d'une grande bourgeoisie - ce n'est pas péjoratif - dictant au reste du "bon peuple" ce qu'il convient de penser, de dire, de faire. Celui d'une France urbanisée mais urbanisée autour de quatre ou cinq grands pôles dont évidemment Paris. Paris intra muros. Celui d'un espace fracturé mais artificiellement "rassemblé" par la seule volonté d'un discours présidentiel croyant pouvoir effacer les différences quand il faudrait au contraire les constater pour les réduire par l'action bien plus que par les mots ou les phrases simplistes et vidées de tout sens. Celui d'un champ politique dont on voudrait éliminer les clivages et le débat d'idées. Bruno Bonnell, candidat "La République En Marche" à Villeurbanne face à Najat Vallaud-Belkacem, n'affirmait-il pas, sans rire ou avec ce sourire des cyniques certains de leur triomphe : "Le débat entre la droite et la gauche c'est vintage". (Libération). "Vintage"... Comme si la politique devenait soudain un produit de consommation courante. 

Une France sans débat d'idées, aseptisée, qui commence déjà à mourir d'ennui. A mourir d'ennui et à souligner le danger qui s'annonce: celui d'une majorité présidentielle écrasante qui aura choisi, construit son opposition formée par la France Insoumise et le Front National. L'objectif tellement visible étant d'obtenir des victoires électorales grâce aux futurs millions de votes par défaut. Ceux-là même qui ont porté Emmanuel Macron au pouvoir. L'invention d'une "dictature douce".

Celui d'une France d'où la gauche serait absente. Je parle ici de la gauche de gouvernement, celle qui a, par le passé très récent, exercé le pouvoir avec courage et opiniâtreté, réussissant parfois, échouant parfois. La tragique absence - ou l'extrême rareté -  de ses représentants élus à l'Assemblée Nationale confirmerait alors mes craintes. La France ne serait plus celle qui a porté si haut la confrontation des idées, le débat raisonné et argumenté. Devrons-nous dire à nos élèves: "Plus de débat! Soyons dogmatiquement consensuels!"? 

Relisant récemment Spectrum de Perry Anderson, je fus arrêté par cette phrase : « L’art n’est vivant que si l’on se dispute à son sujet. » Il en va de même pour la politique... Sans dispute, point de vie...

Si la France d'Emmanuel Macron et de son parti - qui désormais en est un, quoi qu'il en dise - est celle qui imposerait aux français le concept de "la seule ligne possible", telle une évidence qu'il serait outrecuidant, voire blasphématoire, de nier, alors refusons absolument cette vision-là et combattons-la. Elle défigure Marianne!

Si la France d'Emmanuel Macron est celle qui imposerait à toutes et à tous le fait que seul le parti présidentiel est capable de défendre l'intérêt général, alors combattons cet "idéal" illustré par des des phrases aussi convenues que banalement médiocres :

"Il faut du renouvellement!". Qui n'est, si l'on y songe, que la variante édulcorée du "Virez-les tous" de Jean-Luc Mélenchon. Il existe parfois des complicités involontaires...

"Vous ne pouvez être objectifs puisque que vous appartenez à un parti!". Le "parti" étant LE repoussoir brandi par les militants marcheurs. Eux qui participent pourtant à la construction d'un ultra-parti...

"Le Président DOIT avoir une majorité pour appliquer les réformes". Oubliant que ce Président fut élu, non par consentement large, mais par l'apport de voix destinées uniquement à faire barrage au Front National. 

Si la France d'Emmanuel Macron est celle d'une école fabriquée pour les meilleurs et éliminant les plus faibles, oubliant jusqu'au principe d'éducabilité, revenant en - marche -  arrière pour appliquer de vieilles recettes ayant toutes échoué, passant à coté des enjeux véritables, autonomisant les collèges et lycées dans un ultra libéralisme dangereux, n'hésitant pas à tolérer des mouvements pour le moins douteux quant à leurs motivations laïques - je pense à Sens Commun, à Espérance Banlieues, alors luttons pied à pied contre cette politique-là...

Si la France d'Emmanuel Macron est celle de la pensée unique, autoritaire et sans contradiction possible, alors disons-le haut et fort :

L'économie aura pris le pas sur la raison...

L'entreprise triomphera de toute sagesse...

La rentabilité sera, même à l'école, partout la norme...

L'évaluation de tout, y compris de l'individu, sera le seul et redoutable instrument de mesure...

La bourgeoisie "CSP++++" détiendra les clefs du pouvoir et du savoir. Le sien.

Pour toutes ces raisons, j'appelle chacun et chacune à donner à la France une VERITABLE opposition, pour des débats d'idées, pour construire un pays aux sensibilités multiples et respectées !

Gardons-nous bien de nous taire...

J'écris, en ce dernier jour d'avril, ces lignes... 

"Nuit et Brouillard", chantée par Jean Ferrat, emplit l'espace ensoleillé de mon bureau... Une paix envahit tout... 

Nous sommes à une semaine du second tour de l'élection présidentielle. Marine Le Pen, candidate du parti d'extrême droite "Front National", est l'une des deux finalistes face à un jeune homme de 39 ans, Emmanuel Macron. Quinze ans après la déflagration de 2002 qui avait vu le père - le fascisme est une hérédité ? - de Marine "du même nom" disputer l'Elysée à Jacques Chirac. Plus d'un million de personnes dans les rues... Aujourd'hui, quasiment plus personne. 

Et si, même vaincues dimanche, les idées extrêmes avaient quand même "gagné"?... Terrible et lancinante inquiétude.

Mais plutôt que contempler les désastres successifs, sans doute serait-il temps de les empêcher, pour reprendre la belle et pugnace invite de Najat Vallaud-Belkacem très récemment... 

En 2002 nous étions des milliers descendus dans les rues, chantant, criant, hurlant nos dégoûts, nos révoltes. Libération faisait sa UNE d'un gigantesque NON... Ensemble nous étions... Ensemble nous allions... Nous étions beaucoup plus que seulement vingt et cent...

2017. Quinze années ont passé et nous n'aurions rien vu ? Un sondage vient m'apprendre que plus de 40% d'électeurs seraient prêts à accepter la présence de Marine Le Pen à l'Elysée. 40% ! Tout cela dans le silence. Quelques déclarations et articles pour dire son effroi. Mais surtout, surtout, l'étalage permanent, derrière un sourire carnassier, des "théories" fumeuses d'un Front National habilement dissimulé derrière une rose bleue. Bien peu nombreux sont celles et ceux descendant dans les rues. Même les "Insoumis" ont choisi de ne pas choisir. Ou quand l'insoumission devient tacticienne et offre un boulevard aux pires tentations.

Le FN n'a changé pourtant en rien. Que le négationnisme soit porté par Bruno Gollnisch hier ou par Jean-François Jalkh aujourd'hui, c'est toujours le même négationnisme. Hier le "détail de l'Histoire"... Il y a quelques jours la France "pas responsable de la rafle du Vel' d'Hiv"! 

Non... C'est "nous" qui avons changé... 

Qui avons changé et n'avons pas voulu - je parle ici, en l'incluant à ce "nous", d'une partie de la gauche de gouvernement - croire en la dangerosité de certains renoncements, en l'égarement sur des chemins périlleux. Que sommes-nous allés chercher en brandissant la déchéance de nationalité? Sinon la validation tacite et involontaire de certaines propositions portées par le parti extrémiste de droite dirigé par Marine Le Pen. Tout ne s'explique pas par cette seule erreur mais toute ambigüité de la part de la gauche fait le miel du Front National. Ne recommençons jamais!

Je plierai en deux, dimanche, le bulletin portant le nom d'Emmanuel Macron. Je le glisserai dans l'enveloppe. J' irai la déposer dans l'urne transparente. Une fois de plus, après 2002, je participerai sans l'ombre d'une hésitation au combat du "Front Républicain". Pour éviter à mes élèves de collège d'avoir à vivre privés des libertés fondamentales si chèrement acquises souvent! 

Ensuite je rentrerai chez moi. Et j'attendrai les résultats. En espérant Macron... La suite étant une autre histoire...

La chanson de Ferrat tourne en boucle...  

"La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors"

Gardons-nous de nous taire... 


La peur...

Ce sentiment désagréable qui arrive lentement, à pas de loup ou survient brutalement comme le hurlement soudain de l'orage déchirant la moiteur d'une journée d'été.

Notre époque n'est pas uniquement celle de la peur. Heureusement. Mais la peur y tient une place prépondérante.

Chacun a peur de son voisin, de son collègue, de son supérieur ou de son "inférieur", peur de l'étranger.

Peur aussi de sortir le soir, de s'installer à une terrasse, d'aller faire la fête. Les attentats sont passés par là.

Peur de donner son avis, d'être pour quand il est plus rassurant d'être contre, de dire et partager ses passions lorsque celles-ci n'entrent pas dans le cadre habituel des "passions ordinaires".

Sur les réseaux sociaux, dits "sociaux" en tout cas, c'est la parole qui a peur. Contrainte sur Twitter en 140 caractères, surveillée sur Facebook où afficher un "nu" du XIXe siècle, mondialement connu et reconnu, peut vous valoir le bannissement. Retour à l'ostracisme des grecs anciens. Peur d'être rejeté des communautés "internétiques", ces planètes virtuelles. Peur de dire sa différence sous la menace permanente de l'injure, du harcèlement. Peur de parler sur des espaces de paroles! Le paradoxe à tous les étages.

Bien sûr il y a celles et ceux qui bravent la peur. Pour choquer. Pour dépasser les limites de l'acceptable. En fait, pour faire peur. On n'en sort pas!

On a peur à l'école aussi. Les professeurs ont peur d'ouvrir leurs portes à l'autre. Les élèves ont peur de lever le doigt, peur de se tromper, peur d'écrire, peur de lire. Oh pas tous bien entendu! Il en est beaucoup qui n'ont peur de rien. A tel point qu'ils font peur aux enseignants.

On a peur de son Principal, de son Proviseur, de l'Inspecteur qui eux n'ont peur de rien. En principe. Mais ce n'est pas vrai. Ce n'est pas vrai du tout... On n'en sort décidément pas!

A l'école, on a peur du temps qui passe. Qui passe vite, toujours trop vite. Peur de ne pas boucler le programme. Alors il faut accélérer. Et le professeur a peur des trop longues réponses, a peur des trop longues lectures, a peur des trop longues rédactions, a peur des trop longs silences. Il a peur du "temps long". Car il n'a pas le temps. Alors les réponses des élèves ne doivent pas être très éloignées des messages sur Twitter. 140 signes. Et encore...

Tout cela peut sembler bien pessimiste. La peur partout? Toujours? Il n'en est évidemment rien. Il existe des moments, des endroits, des personnes qui ne connaissent pas la peur. Cette peur nécessaire car sans la peur, les limites seraient vite transgressées. Mais cette peur-là est aujourd'hui dépassée par une autre.

Celle qui engendre le repli sur soi, l'isolement, l'enclosure. Celle qui fait de l'autre, du différent, du divergeant un ennemi potentiel. Elle est le terreau des partis extrémistes, elle suinte sur les mots des discours du Front National. Elle engendre tous les racismes, les antisémitismes, les intolérances.

Cette peur-là fait peur... On n'en sort vraiment pas!...

Alors, plutôt que toujours nous défendre, nous protéger chacun dans nos bulles, nos sas, nos coquilles, derrière des murs de plus en plus nombreux, préférons affirmer ce que nous sommes, ce que nous aimons, ce que nous voulons.

Retrouver les voies de la raison et de la déraison...

Plusieurs livres et événements, et toutes les déclarations et articles qu'ils suscitent, ont transformé l'actualité en un rendez-vous de commentateurs experts, célèbres et anonymes. Blogs et réseaux dits "sociaux" ont rivalisé d'opinions diverses et, heureusement, contradictoires. Je fais ici allusion à ce qui est venu frapper aux portes des spectateurs souvent démunis que nous sommes face au déferlement de mots, de textes et d'images submergeant les plages de nos vies respectives. J'ai retenu, arbitrairement, ces quelques événements médiatiques, politiques et littéraires:

- un livre qui démolit les pédagogues, en faisant d'eux les "assassins de l'école";

- un Prix Nobel attribué à un "saltimbanque" de génie, ce qui a fortement déplu aux gardiens du temple littéraire et la France en compte un nombre non négligeable;

- un autre livre, magnifique à mes yeux, nous offrant à lire la correspondance d'un homme politique éperdument amoureux;

- un livre, encore, rapportant les confidences d'un Président de la République en exercice;

- une émission, abominablement populiste, broyant l'intelligence pour en faire un étron, animée par un Cyril Hanouna au meilleur de sa médiocrité;

- un débat républicain entre républicains du passé, aux idées endormies, poussiéreuses et grisâtres.

Et puis, en boucle et en continu, sans jamais souffler, sans aucun recul critique, l' "info" déversée à robinets ouverts dans nos cerveaux inattentifs mais pourtant, sans même nous en rendre compte, réceptifs et sensibles malgré nous aux millions de mots entendus et lus. Tout étant mélangé, le passionnant comme le futile.

C'est la raison, plus que la culture, qui s'éteint à petit feu. Et, c'est là le plus grave, c'est la raison des gens modestes qu'on emprisonne et qu'on achève.

Alors, me direz-vous, quel rapport entre Dylan et Hollande, entre Hanouna et l'amour de Mitterrand, entre les pédagogues "assassins" et Nicolas Sarkozy?

Aucun à première vue. Pourtant, tous ces événements développés ces derniers jours, avant d'autres qui les remplaceront bientôt, sont les témoins tristes ou glorieux d'une époque, non pas sans valeurs comme on l'entend souvent, mais dont les valeurs ont divorcé de la raison. Car il ne suffit pas, comme aurait pu dire le Général, de trépigner sur son fauteuil en disant "Valeurs! Valeurs! Valeurs!". Encore faut-il, absolument, y associer la raison, c'est à dire très simplement ces moments de la réflexion partagée, de l'observation minutieuse, du temps long - faisons un rêve! - , de la contradiction respectueuse plutôt que tueuse du respect, de l'isolement et du retrait parfois, de l'idée précédant l'action, de la lecture approfondie, du droit aussi à la déraison si nécessaire à l'imaginaire, à l'inventivité et au rêve indispensable.

N'est-il pas surprenant, voire scandaleux, que l'immense majorité des commentateurs des livres que j'ai cités n'en ait lu aucun dans leur intégralité? Je pense à Annie Ernaux - que j'adore! - déclarant au Monde en date du 16 octobre, page 26, au sujet du Nobel attribué à l'auteur de "Blowing in the wind": " Peu familière de l'oeuvre de Dylan, en dehors de la connaissance de ses grands standards, je me contente de le constater".

De constater, dit-elle sans avoir lu l'auteur dont on lui demande de parler, que "la littérature se dissout", reprenant la métaphore de Sollers dans Complots*, ce dernier comparant la littérature française à deux morceaux de sucre se dissolvant dabs une tasse remplie de café. Sans avoir lu!

Aujourd'hui on ne lit plus les livres que l'on commente. Comment voulez-vous trouver le temps de lire quand il est plus facile de s'égarer chez Ruquier ou Hanouna où même les rires sont commandés? C'est orwellien et c'est atroce! Encore plus inacceptable est l'excuse trouvée à ces rendez-vous cathodiques donnés par des présentateurs omniprésents dans les médias: le français moyen a besoin de se distraire en rentrant du boulot! Comme si la distraction DEVAIT être seulement une succession de moments dont la vulgarité le dispute au populisme le plus assumé.

Qu'on ne s'étonne pas demain de voir le politique contaminé par ces spectacles de caniveau. C'est le cas du Front National dont le discours simpliste et les solutions démentes sont illustrées, non pas par la raison, non pas par l'intelligence, mais par la facilité, le raccourci, la caricature, l'insulte, la diffamation, le rire gras et, en un mot, la bêtise.

Que reste-t-il à faire alors? Ne jamais renoncer à croire en la force de la raison et de la réflexion. Même en pleine tempête. Surtout en pleine tempête! Rester unis avec celles et ceux qui ont choisi, contre vents et marées, de suivre des chemins exigeants, à contre-courant de l'air du temps.Etre démodé aujourd'hui, c'est être au goût du jour d'après...

 

* Philippe Sollers, Complots, Gallimard, Paris 2016

Pour la réforme du collège... contre toutes les formes d'élitisme et d'exclusion

Il en est des débats comme des plats. Plus on repasse les mêmes, moins on a envie d'y goûter. Ce fut le cas pendant des mois au sujet de la réforme du collège, dite "Collège2016". Celle-ci, après avoir franchi les obstacles mis en travers de son chemin, s'est installée à la rentrée. Elle n'a qu'un mois d'activité et est toujours accusée de tous les maux par les mêmes qui ont mis en oeuvre son empêchement d'abord, puis le ralentissement de son application effective.

Cette réforme serait, je cite :

- "responsable de la mort du Latin, du Grec et de l'Allemand", alors que Latin, Grec et Allemand sans la réforme auraient poursuivi l'entre-soi dans lequel ces options étaient confinées et leur inéluctable descente aux enfers par la réduction des effectifs concernés, chaque année un peu plus importante. Or, Latin, Grec et Allemand ont désormais tout pour « reprendre des couleurs » ;

- "responsable de la haine de l'excellence et des bons élèves", alors que la réforme ne s' "attaque" pas aux bons élèves mais met à disposition des enseignants les outils nécessaires à la réduction des écarts entre les plus en difficultés et ceux n'en ayant aucune ou très peu;

- "responsable du nivellement par le bas", alors qu' un nombre d'élèves bien plus important qu'auparavant aura accès à ce qui, avant la réforme, lui était souvent interdit;

- "responsable de la désorganisation des établissements par la précipitation qui a présidé sa mise en application", alors que les débats ont commencé il y a des années. Souvenons-nous de l'Appel de Bobigny qui portait en germes tout ce que la réforme du collège met aujourd'hui en application. Cet appel fut présenté et approuvé par TOUS les syndicats d'enseignants le 20 octobre...2010. Avant l'élection de François Hollande, Vincent Peillon travaillait DEJA à la mise en place de cette réforme. Ce dernier, comme Benoit Hamon puis Najat Vallaud-Belkacem n'ont eu de de cesse d'impliquer des centaines de professionnels de l'éducation pour une construction préparée et concertée.

Tout cela en contradiction absolue avec la nécessité affirmée, y compris par les opposants les plus virulents, de réformer le collège, ce "maillon faible". Des opposants :

- attaquant très violemment l'Aide Personnalisée et les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) qui pourtant offrent la possibilité de croiser les disciplines (sans jamais les remettre en cause), en donnant du sens aux apprentissages jadis cloisonnés, en plaçant les élèves dans des situations de construction et de réalisation de projets ;

- mettant en doute les capacités des enseignants à travailler en équipe, voire en affirmant que tous les enseignants de collège travaillaient DEJA en équipe - ce qui est très rare et ne concerne que quelques collègues par équipe pédagogique. Ce travail en équipe est pourtant - toutes les études le démontrent, tous les établissements dits "innovants" travaillent ainsi depuis des années avec des résultats incontestables et incontestés - une urgence dans un pays où, il est vrai, le travail en équipe est étranger à l’organisation historique du système éducatif très pyramidal. A ce sujet je ne peux que conseiller la lecture éclairante du texte de Daniel Calin ici http://dcalin.fr/textes/equipe.html

- mettant en cause la simultaneité de la refondation des programmes ET de l'évaluation, alors que c'est à cette condition de simultanéité dans le temps que la réforme entre en cohérence avec ses attendus. Procéder par étapes successives eût amené les élèves du niveau 3e à attendre 2020 pour espérer être concernés, ce qui aurait entraîné des distorsions TRES désorganisatrices!

Tout cela soutenu par quelques "experts" véritables ou autoproclamés, chroniqueurs permanents et omniprésents, humoristes sans humour, philosophes trop heureux de se voir offrir des tribunes inespérées transformées en polémiques alimentant les réseaux sociaux de commentaires d'une indigne violence, plus inacceptable encore quand elle était l'oeuvre d'enseignants.

Qui n'a pas entendu les Christophe Barbier, Natacha Polony, Nicole Ferroni, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Jacques Julliard, Jean-Paul Brighelli, et tous ceux que j'oublie car je préfère les oublier, ne s'en porte que mieux tant leurs diatribes, critiques outrées et outrancières, caricatures approximatives jusqu'aux mensonges, n'apportaient strictement rien au débat nécessaire que tous ceux-là n'ont contribué qu'à assécher, faute d'arguments et de propositions attendues.

On les attend encore!

Mais faisons quelques rappels :

- La réforme du collège, qui aurait pu aller plus loin, plus vite, plus fort - la Ministre l'aurait souhaité - a l'immense mérite d'exister ENFIN pour commencer à grandir.

- C'est une réforme de gauche. Ce qui a déplu à certains, y compris à cette autoproclamée "vraie gauche" qui battait le pavé avec... le SNALC (Syndicat enseignant "marqué à droite" comme on dit).

- C'est est une réforme solidaire dans un pays qui vit, depuis plusieurs années, une crise des solidarités et des replis identitaires. Replis se manifestant par des exclusions aux visages multiples qui sont autant de négations de l'égalité des droits:

exclusion de ceux qui ont toujours moins;
exclusion des quartiers dits "difficiles";
exclusion de toutes les minorités;
exclusion des familles non francophones;
exclusion d'établissements à l'écart des métropoles, isolés en milieu rural;
exclusion des "étranges étrangers" et de tous ceux qui ne sont pas "nous";
exclusion des décrocheurs, "produits" non pas par le collège, mais par ses dysfonctionnements.

Ceux-ci aggravés par des gouvernements de droite qui n'ont eu de cesse et n'auront de cesse - c'est annoncé dans les projets des candidats à la primaire en cours - d'appliquer des politiques de destruction d'emplois (300 000 dans la fonction publique! Fourchette basse!), de sélection par l'échec, de refus du concept d'éducabilité condamnant, comme un Bruno Le Maire, un élève faible en CM2 sans lui laisser d'autre espoir qu'une orientation par l'échec, donc subie. A dix ans!

Jamais je n'accepterai de dire à un enfant de 10 ans: "Tu dois désormais songer à une autre scolarité. Tu n'es plus éducable".

La réforme du collège a fait un choix, voulu et porté par Vincent Peillon, Benoit Hamon et surtout Najat Vallaud-Belkacem à laquelle l'Histoire donnera raison et rendra hommage. Ce choix, c'est celui du refus d'un autre choix, souvent illustré par les travaux de François Dubet: "Le choix de l'inégalité" qui accompagne toujours les exclusions que nous venons d'énumérer.

Un refus motivé non pas par la volonté d' un égalitarisme utopique et dangereux, mais pour simplement respecter une valeur fondatrice de notre République: l'égalité, celle des droits et devoirs, l'égalité par le rééquilibrage des moyens, aussi: donner plus à ceux qui ont moins. C'est clair, simple et tellement évident!

L'Ecole est pourtant devenue, silencieusement et de manière chaque année de plus en plus prégnante, un terrain de jeu réservé à quelques-uns. A ces "quelques-uns" très au courant des codes scolaires obscurs à tant d'autres, ces "quelques-uns" culturellement armés pour accompagner leurs enfants vers la réussite.

Doit-on les en blâmer? Certainement pas!En revanche, inquiétons nous de constater à quel point les exclus - toujours issus des mêmes catégories sociales - sont de plus en plus exclus. Surtout lorsque ces "exclus" ne constituent plus - inconsciemment - un "terrain d'avenir" pour celles et ceux qui en ont la responsabilité pédagogique mais sont stigmatisés, transformés en "problèmes". Combien de fois ai-je entendu cette phrase lors des conseils de classe:

"Cet élève pose problème". Comprendre: "Cet élève EST un problème". Terrible!Alors ceux-là ne sont plus des élèves. Ils se transforment en "décrocheurs", "absentéistes permanents", "intenables", "irrécupérables". En un mot ils deviennent responsables, coupables de leur malheur. Et coupables du malheur qu'ils infligent aux autres, "ceux qui suivent".

Nous - les enseignants - touchons alors du doigt cette crise des solidarités. Comment aurions-nous pu - et les opposants à la réforme du collège auraient du s'interroger avant de crier à la fin de la civilisation par l'abandon du Latin et du Grec, abandon absolument jamais acté - participer à cet abandon des solidarités?

Comment pourrons-nous accepter de tenir grande ouverte la porte du triomphe à une droite dont l'objectif annoncé est de briser plus encore toute velléité solidaire à l'égard de celles et ceux que les dysfonctionnements de l'école - dysfonctionnements que cette droite à alimentés de manière continue - ont contribué à écarter?

Je ne l'accepte pas et ne l'accepterai jamais! Voilà pourquoi j'ai soutenu cette réforme: de gauche et solidaire, sans rien rabattre sur le "niveau" ni sur les "disciplines"; à l'opposé de l' "identitarisme" triomphant; sociale, bienveillante et lucide car consciente du danger réel des "communautarismes"; à contre-courant des "gauloiseries" sarkozystes, des excès zemmouriens ou de la "francité en danger" chère à Alain Finkielkraut. Voilà pourquoi je soutiens Najat Vallaud-Belkacem dans son combat. Elle qui est devenue la cible privilégiée de la droite. Des attaques justifiant à elles-seules le bien fondé de "Collège2016"...

L'accompagnement personnalisé, c'est possible !

Les mots ont un sens. Au-delà de la définition donnée par les textes officiels, il y a les pratiques que les professeurs de collège - je ne parle ici que du collège et du français - appliquent avec leurs élèves au cours des séances hebdomadaires inscrites dans leur emploi du temps.

"Accompagnement"... Oui, il s'agit bien d'accompagner, de "tenir compagnie" à Estelle qui peine en grammaire, à Pierre qui déteste la conjugaison ou à toute la classe qui trouve bien le long le chemin entre cette satanée consigne incompréhensible et la réalisation de ce qu'elle vous impose de faire. Entre bien d'autres obstacles que la langue et son emploi ont pris un malin plaisir à installer sur le parcours piégeux d'une scolarité collégienne...

"Personnalisé"... Oui, il s'agit bien de nous adresser à vous toutes et tous qui êtes une classe mais aussi à toi qui es un-e élève.

Les objections à la faisabilité, à l'efficacité de cet Accompagnement Personnalisé n'ont pas attendu sa mise en place pour être soulevées. Je ne vais pas ici les reprendre toutes, me contentant de commenter la plus entendue : " L'AP c'est bien gentil, un truc pondu par les technocrates de la Rue de Grenelle! Mais on fait comment avec des classes de vingt-cinq à trente éléves de 6e par exemple? Hein, on fait comment? Ben on peut pas! Encore une mesure ridicule!" Nous avons toutes et tous été confrontés - ou avons été les auteurs - de ce discours.

Les réseaux sociaux, cette caisse de résonnance qui fabrique de l'opinion, ont contribué à donner de l'AP une image souvent apocalyptique, une activité pédagogique vouée à un échec annoncé a priori, une récréation destinée à faire croire qu'au Ministère le sort des élèves en difficulté serait soudain devenue la priorité, une "mesure-gadget", une lubie de la Ministre, etc. J'en passe et des bien pires. Des sites entiers, certains ayant pignon sur rue y compris celle des écoles, ont consacré des pages entières d'analyses, des émissions aux parfums savants, mais aux goûts amers de la mystification. Dans quelques cas, il s'agissait quasiment d'un "délit d'entrave numérique", ce dernier n'existant pas encore.

Etre opposé à une réforme, dire "Je suis contre" est une opinion et celle-ci est respectable. Son expression doit être libre et défendue, encore plus lorsqu'elle est argumentée et accompagnée de propositions. En revanche, présenter tel ou tel autre aspect de la réforme du collège en préférant l'approximation, parfois le mensonge éhonté à l'information, à l'éclairage par les faits n'est pas acceptable.

Alors qu'en est-il dans la réalité maintenant que l'Accompagnement Personnalisé s'installe dans nos collèges? Mon "exemple" - je suis loin d'être exemplaire! - n'a aucune valeur générale. Pourtant, d'après les "remontées" de terrain et les expériences de collègues, cet "exemple" n'est absolument pas unique.

Voici ce que fut ma première séance d'AP/6e en français: (je ne présente ici que l'aspect "organisationnel", vous épargnant le contenu de la séance portant sur l'utilisation et la variation des procédés de reprise et de substitution pour écrire de manière à être compris/Séance 1)

- 12 élèves devant moi;

- les 13 autres travaillent avec la Professeure-documentaliste. Je dis bien "TRAVAILLENT". Ils ne lisent pas des bandes dessinées (je n'ai rien contre les bandes dessinées!) ni ne bavardent à demi allongés dans des fauteuils.

Inversion chaque semaine. Tous les élèves conservent bien les 26 heures obligatoires et AUCUNE heure de marge n'est subtilisée à qui que ce soit. Une organisation que je n'ai pas mérite d'avoir mise en place (comme tous mes collègues) puisque celle-ci fut conseillée à de très nombreuses reprises lors des journées de formation "Collège2016". Conseils soulevant chez quelques-uns de grands éclats de voix ou de rire fort malvenus. "L'homme seul qui hurle des mensonges dans la foule silencieuse est toujours plus audible que tous ceux qui se taisent. Pourtant il ment". Proverbe bérbère. Passons...

Travail (en partie) avec les fiches d'accompagnement EDUSCOL qui sont très bien faites! Il est faux de dire que, parce que la source est institutionnelle, le travail proposé est "forcément" et "évidemment" infaisable. Il est faux de dire que le site Eduscol n'est qu'un insondable fouillis chronophage. J'ai mis cinq minutes, je dis bien cinq minutes, aidé par mon "ami" GOOGLE, pour trouver ce que je cherchais. Si certains collègues estiment qu'il est moins chronophage de réaliser soi-même TOUTES les séances de leurs classes respectives, sans aide aucune mise pourtant à notre disposition (et pas seulement sur EDUSCOL bien entendu), je leur souhaite bien du courage. S'inspirer des séances EDUSCOL n'interdisant nullement d'ajouter - c'est même préférable pour une simple raison de "confort pédagogique" - sa touche personnelle, d'adapter tel ou tel exercice proposé au groupe ou à tel ou tel élève, de transformer telle ou telle consigne si le besoin s'en fait sentir.

En une seule séance, j'ai constaté tous les avantages que je vais pouvoir tirer de cet "AP" pour faire progresser TOUS les élèves, quel que soit leur niveau.

Quel dommage, me disais-je en terminant cette séance... Quel dommage de n'avoir plus que quatre années devant moi... J'aurais tant aimé pouvoir enseigner ainsi encore longtemps et contribuer à poursuivre la construction d'une refondation qui n'en est qu'à ses balbutiements. Entendre cet élève me dire: "C'est mieux de travailler comme ça m'sieur"...

Aidons-la à bien grandir, cette réforme... C'est ce seul "mal" là que je lui souhaite...

Vous n'oublierez jamais...

"Ce qui est terrible pour les ados, c'est que (se) détruire marche à coup sûr, alors que réussir est aléatoire"

Philippe Jeammet

Tu vois Julie (mais ils ou elles pourraient s'appeler Arthur, Maud, Laure, Stéphanie, Pierre, Hugo, Tom ou Sélim), les vacances cela sert aussi à ça: ralentir jusqu'à s'arrêter et faire le point... Réfléchir... Pendant ces neuf mois qui nous ont réunis, de quoi avons-nous eu le temps? A-t-on pris le temps? Oui parfois nous avons profité de quelques minutes volées aux "bien nommés" (?) emplois du temps pour nous évader et échapper aux obligations nécessaires... Plus rarement, avons-nous délibérément choisi de ne pas céder aux injonctions des programmes: "Allez, tant pis pour ce petit retard! On pousse tables et chaises! On se pose et on se parle"... Tu te souviens? C'était tellement bien!

Tu vois Arthur, je vais te retrouver dans deux mois. Enfin peut-être! Je ne sais pas si tu seras dans la 3e qui m'aura été attribuée. Tu auras changé. On change vite à 14 ans. Moi je n'aurai que vieilli... Tu seras moins timide, ou plus encore. Je ne sais pas. Oui tu vas changer et, alors que depuis des décennies, seuls les élèves se transformaient sans qu'aucun programme ni méthode ne varient vraiment, tu vas découvrir un "nouveau collège". Il nait dans la douleur des inquiétudes légitimes et des critiques outrancières. La France est un pays qui n'aime rien tant que se projeter dans le passé. Hier, une chaîne de télévision (L'Equipe21) n'a rien trouvé de mieux à faire, pour présenter le match France-Allemagne de demain que de diffuser en INTEGRALITE un autre France-Allemagne, celui de...1982! Il faudrait quand même non pas oublier un passé glorieux et moins glorieux, mais cesser de faire référence en permanence à son Histoire pour l'unique plaisir masochiste de nous y enfermer en n'osant plus se tourner résolument vers l'avenir, malgré des atouts incontestables et que nous envient bien des pays étrangers. Parmi ces atouts, il y a toi Arthur, cette jeunesse qui "fait peur" à bien des adultes quand elle devrait au contraire nous porter à l'optimisme! "La France ce vieux pays..." disait Dominique de Villepin dans un discours prononcé à New York au siège de l'ONU... A quand un autre discours qui commencerait par:

"La France, ce pays jeune et enthousiaste...".

Tu vois Maud, le collège ne t'accueillera plus l'an prochain. Tu as eu ton Brevet. Je t'en félicite! Ce n'est pas un examen facile pour ces élèves qui, comme toi, ont souffert pendant quatre ans mais ont voulu aller au bout et, avec acharnement, abnégation, patience, rires et larmes, malgré les difficultés héritées année après année et depuis le CP, ont décroché ce premier diplôme d'une vie... Tu iras en lycée professionnel. C'est ton choix. Et je suis fière de toi!...

Vous voyez, toutes et tous, à quel point "réussir" est une longue marche et pas du tout un long fleuve tranquille. Y compris pour les excellents élèves qui parfois, devant des programmes ayant attendu un temps certain pour être renouvelés, s'ennuient à mourir.

Je vous souhaite de belles vacances, que vous changiez d'horizon ou pas pendant cette période qui est aussi un apprentissage. Je déteste, vous le savez, les "conseils d'adultes", ces recommandations dont nous-mêmes savions nous affranchir lorsque nous avions votre âge. Si je devais néanmoins me plier à l'exercice, je vous dirais ceci:

"Profitez de cet été pour vivre, rire, chanter, aimer et danser. Pour faire des rencontre loin des réseaux "sociaux" qui n'offrent que des profils quand on veut des amis! Ouvrez plutôt vos yeux et vos oreilles... Ils sont vos cahiers, bien moins évanescents...

Vous n'oublierez jamais le parfum délicat de cette joue embrassée, ni l'odeur matinale du pain posé sur la table et n'attendant que vous, ni le bruit du vent couvrant à peine le clapotis joyeux de la rivière toute proche...

Vous n'oublierez jamais la caresse intime de l'eau glissant entre vos doigts, apaisant votre soif...

Vous n'oublierez jamais ce regard appuyé dans le silence d'une rencontre éphémère...

Vous n'oublierez jamais ce livre, ce seul passage, ces quelques lignes, ce seul mot peut-être, qui feront de vous un autre ou une autre...

Dont vous vous souviendrez...

Alors vous aurez réussi!

A jamais!

Ma seconde année avec les 6e évalués par compétences... (suite et fin)

Du bon usage de l'évaluation par "compétences"

Depuis désormais deux ans - tout a commencé en 2014 - les 6e de l'établissement dans lequel j'enseigne sont évaluées par compétences, sans notes chiffrées. Ces deux années, riches en découvertes et en inquiétudes aussi - car défricher c'est s'engager sur des chemins parfois pleins de surprises - ont permis aux enseignants, aux élèves et aux parents de constater la pertinence d'autres méthodes d'évaluation que celles auxquelles des décennies d'habitudes avaient fini par faire croire à toutes et tous qu'elles étaient immuables, gravées dans le marbre, intouchables, voire "sacrées".

Or si l'école est un "sanctuaire" dans lequel le "sacré" et ses "rituels" doivent trouver et conserver leur place respective, il n'est écrit nulle part que ce "sanctuaire" doive rester fermé à l'expérimentation, au changement, au "faire autrement". C'est ce que, très modestement, les équipes pédagogiques en charge des 6e ont entrepris de faire à partir de septembre 2014.

Pour terminer ce cycle de textes/témoignanges consacrés à l'évaluation sans notes chiffrées (et donc sans moyennes évidemment), je voudrais insister sur quelques points qui me semblent, à l'expérience, fondamentaux et à connaitre, à appréhender, si d'autres (comme beaucoup le font déjà) enseignants souhaitent s'engager dans cette voie.

- l'évaluation sans notes ne doit JAMAIS être présentée - car c'est un non sens - comme une "suppression" des notes chiffrées, mais comme leur remplacement par une AUTRE méthode;

- l'évaluation par compétences (que par commodités je désignerai sous l'acronyme EPC) n'est pas une solution miracle, une baguette magique. C'est un outil de travail qui permet néanmoins, et beaucoup plus efficacement que les notes, de centrer les apprentissages sur les difficultés des élèves sans jamais retarder ceux dont les difficultés sont moindres ou inexistantes. Pour être plus clair, les EPC ne ralentissent pas les meilleurs et aident les "moyens" et "faibles" à progresser bien plus rapidement et utilement qu'avec les notes;

- les EPC doivent être expliquées, avant tous les autres "intervenants" aux parents dès la mise en place du projet. Ce sont eux les plus inquiets souvent. Habitués qu'ils ont été aux notes en rouge et aux moyennes;

- la mise en place des EPC ne peut se faire qu'en EQUIPE pédagogique et avec le soutien de la hiérarchie de l'établissement. Il serait vain et épuisant de bâtir un projet sans l'accord de toutes et tous;

- il ne faut jamais avoir "peur" de se tromper au début. L'erreur ne doit pas être répétée mais elle est autorisée. Un exemple: j'ai toujours pensé, et le pense toujours, que l'élève de collège (c'est moins vrai au lycée) recevant une copie évaluée par chiffres ne lit pas l'appréciation. Encore moins si celle-ci est détaillée. Nos élèves, j'en ai fait l'expérience, lisent très peu, voire pas du tout, les annotations en marge.

J'ai longtemps pensé aussi, et ne le pense plus, que sans note chiffrée, l'élève lirait davantage son appréciation et ses annotations. Pas forcément! Souvent, très souvent, l'élève se satisfait de son code couleur et ne lit pas les appréciations que vous avez patiemment et consciencieusement rédigées.

Alors il existe alors une méthode très simple: rendre les copies SANS code couleur, avec uniquement les appréciations (brêves et précises pour des 6e), PUIS révéler le code couleur à la classe en projetant ces résultats au tableau et en vérifiant - c'est très rapide - que les les élèves, toujours malicieux, n'ont pas transformé un "rouge" en "vert" vif sur leur copie!

On peut même demander aux élèves de s'auto-évaluer en fonction des appréciations et annotations. Un exercice ponctuel mais constructif sur la durée. Bien évidemment, c'est l'évaluation du professeur qui "fait loi".

 

Il pourrait m'être dit, à juste titre, que cette "méthode" est possible avec des évaluations traditionnellement chiffrée. Certes mais l'évaluation chiffrée, quelle que soit la méthode de rendu des devoirs, reste une addition de points. Je devrais d'ailleurs dire une soustraction puisque la note est le résultat d'erreurs sanctionnées par des points soustraits à un total de 20. L'EPC est une valorisation des acquis, un surlignage des réussites et, bien entendu, la mise en lumière pour l'élève du POURQUOI de ces échecs et du COMMENT ne pas les répéter;

- il convient aussi de très bien choisir les logiciels permettant l'enregistrement des évaluations. Je n'ai pas ici à en conseiller car chaque établissement à ses habitudes. Il devra être le plus simple possible et disposer d'outils permettant d'illustrer UTILEMENT les conseils de classes;

- ces conseils de classe DOIVENT (c'est mon avis) être dirigés par le Professeur Principal (en présence du Chef d'établissement ou pas) et par lui ou elle seul-e. Pourquoi cette insistance?

L'EPC est un travail d'EQUIPE. D'équipe PEDAGOGIQUE! Sans diminuer le rôle du chef d'établissement, il est impératif que ces moments de rencontre, de dialogues, de CONSEILS aux élèves et aux parents, restent la "propriété" des professeurs. Il est également capital à mes yeux que la CPE assiste aux conseils de classes. Son éclairage est souvent un "plus" indéniable.

Enfin - mais c'est une fin provisoire - je peux affirmer ici que les élèves évalués par compétences en 6e l'an dernier, cette année en 5e et évalués de manière traditionnelle, n'ont connu aucun problème d'adaptation. L'EPC n'est pas un frein, un épouvantail ni la fin de la civilisation. (Je l'ai lu!).

J'espère avoir été utile en donnant mon éclairage. Il est certes engagé et convaincu. Je n'ai pas la prétention de l'imposer à qui que ce soit. Chacun choisira ce qui lui semble être le meilleur pour ses élèves.

Bonnes vacances à toutes et à tous. Elles approchent et seront évaluées par les couleurs du soleil ou la noirceur des nuages d'orage...

30 avril 1016

Ma seconde année avec les 6e évalués par compétences...

Depuis deux ans, les 6e de "mon" collège sont évalués sans notes chiffrées. Cette "méthode" qui n'a rien de révolutionnaire sinon en France toujours en retard d'une révolution pédagogique permet, les collègue et moi-même nous en faisions la remarque récemment, d' "ouvrir des portes"... Des portes fermées à triple-tour dans les autres classes, celles de 5e, 4e et 3e toujours évaluées de manière traditionnelle, avec chiffres et moyennes donc.

Depuis la rentrée 2014, il est incontestable et incontesté que l'évaluation pratiquée en 6e a transformé bien des choses:

- Nous avons vu des enfants stressés, bloqués, pour certains angoissés et paniqués, par les notes chiffrées se libérer, s'épanouir, devenir actifs et sans craintes devant tel ou tel exercice, devant tel ou tel devoir, devant telle ou telle interrogation orale.

- Nous avons constaté que les élèves brillants ne perdaient rien, bien au contraire, de leur potentiel. Ils développaient même des capacités "créatrices" nouvelles, jadis quelque peu bridées par la seule volonté d'obtenir de "bonnes notes", ce qui pour ceux-là étaient une habitude. Une excellence absolument pas perdue.

- Nous avons apprécié, ô combien, de voir les élèves "moyens" et "en difficultés" progresser à grands pas. Ceux-là, qui avec des notes chiffrées et surtout absurdement moyennées (Les moyennes sont l'un des plus grands scandales porté par l’École), ont découvert qu'une erreur n'était plus sanctionnée par un éternel et unique retrait de point(s). L'erreur devenait l'occasion de réfléchir aux pistes à emprunter pour en comprendre l'origine, pour découvrir les moyens de ne plus la reproduire. La couleur rouge n'était plus une sanction mais l'indication d'une réflexion erronée, d'une recherche trop rapide, d'un cheminement à revoir.

- Nous avons aimé entendre nos élèves poser bien plus de questions, après le rendu d'un devoir, portant sur le sujet, sur le fond, sur le thème des exercices et non plus sur la seule note: "M'sieur, pourquoi vous m'avez enlevé un point à la question 4?" ou bien "M'dame, vous vous êtres trompée! J'ai recompté! Il me manque 2 points!". Tout cela a disparu.

- Nous avons renouvelé nos méthodes, nos approches et ce fut, pour nous les enseignants, une remise en question parfois difficile. Se séparer d'habitudes anciennes, ancrées et somme toute, "confortables", véritable addiction parfois, est un travail sur soi, exigeant mais tellement passionnant et enthousiasmant quand on en constate les résultats positifs pour les ELEVES.

- Nous avons enfin (mais il y aurait tant à dire) pratiqué autrement les "cérémonies" ennuyeuses des conseils de classes. Rendant ceux-ci ENFIN constructifs :

* des appréciations insistant sur les points forts et points faibles accompagnées de conseils individualisés;

* des réflexions et des discussions, des échanges, des débats pendant ces conseils au cours desquels toutes les disciplines sont traitées à égalité d'importance;

* des conseils de classes transformés en REquestionnement permanent, avec les REPONSES bien entendu...

L'année bientôt se termine. Nous continuerons l'an prochain. J'espère même convaincre ma hiérarchie et mes collègues d'élargir ce qui n'est plus une expérience aux 5e... Pourquoi pas?

5 avril 2016

Une brillante élève devenue bergère... et heureuse!...

Ici, en Béarn, mes amis sont sans doute mes "vrais" amis. Même si j'en ai auss,i bien entendu, en Normandie. Mais, ici, ils sont authentiques. Ils ne sont pas professeurs déjà, et cela permet de respirer, de rencontrer des femmes, des hommes, des jeunes ou moins jeunes ancrés dans d'autres réalités que la mienne au quotidien. De rencontrer d'autres "possibles" aussi. D'autres rêves...

Je pense, par exemple, à cette bergère (Attention! C'est un vrai métier, difficile, surtout en milieu pastoral montagnard)... Elle a 27 ans. Fille de hauts magistrats parisiens elle a quitté son cocon et la voie qu'on lui avait tracée pour choisir celle qu'elle avait choisie. Elle élève des brebis, des chèvres et fait du fromage. Excellent ! Elle parle beaucoup! Contrairement à la légende du berger "taiseux" et renfrogn ! Elle lit beaucoup aussi. Jean Genet, Fred Vargas, Annie Ernaux, Hemingway dont elle peut citer des passages par coeur. Elle aime Nirvana et Bach, Beaupain et Jordi Savall... Il faut la voir diriger son chien pour ramener l'animal égaré, l'écouter raconter la montagne, la dire, l'incarner. Les Pyrénées béarnaises prennent alors un sens qu'aucun ne pouvait deviner avant. Et puis, quand le temps vient pour moi de la laisser, elle m'offre un fromage. Toujours! Il est hors de question de refuser.

Parfois elle évoque son passé, ses professeurs. Elève brillante, elle était "destinée" à devenir haut magistrat comme maman et papa. Comme ses deux frères. Lorsqu'elle a annoncé, deux mois avant son Bac, qu'elle choisissait un chemin plus escarpé, moins droit, moins "évident" - mais évident pour qui? - ses parents et les enseignants de l'équipe pédagogique tombèrent de leur chaise.

"Bergère? Mais enfin tu es folle !Tu veux nous faire honte?..."Bergère? Mais enfin Mademoiselle M. vous n'y pensez pas. Vous êtes promise à une carrière brillante. C'est une lubie, une folie ! N'y pensez même pas et reprenez le cours de vos études ! Le Bac, les classes prépa vous tendent les bras"...

Mais elle n'a écouté qu'elle. Aujourd'hui, elle ne regrette rien ! Même lorsque les fins de mois sont difficiles, même quand le temps est exécrable, même quand il faut veiller la nuit une bête malade ou qui met bas... Elle a CHOISI son orientation. Elle ne l'a pas SUBIE comme tant d'autres de ses camarades.

Ses parents l'ont comprise après bien des angoisses légitimes. Ses frères aussi. Parmi ses professeurs, un seul est venu lui rendre visite. Les autres l'ont oubliée. Elle ne leur en veut pas. Elle les comprend même car, dit-elle, "ils sont enfermés quand moi je suis libre. On ne peut pas se rencontrer. Ce serait plutôt à moi d'aller les voir, au "parloir". Et elle éclate de rire!

Un jour, je vous parlerai de mon copain maçon... Lui était très mauvais élève. Il n'était pas fait pour les études et les études n'étaient pas faites pour lui. Alors ils ont "divorcé"... C'est une autre histoire...

13 mars 2016

Ma seconde année avec mes élèves de sixième évalués par compétences (4)

Les conseils de classe sont ce qu'ils sont. Souvent très ennuyeux, inutiles dans leur forme actuelle puisqu'ils ne servent qu'à valider des documents écrits que nous lisons, ou commentons à peine, pendant 60 à 90 minutes. Je laisse le soin aux "matheux" de calculer le temps passé par élève dans une classe de 28 pré-ados... Nous écoutons ensuite les représentants de parents, puis les élèves. Et, regardant nos montres, nous quittons relativement rapidement les lieux. Je caricature à peine...

Et puis se produit parfois le "miracle"...

Le conseil de classes des 6e... Ces "6e" évaluées, depuis la rentrée 2014, par compétences, sans notes chiffrées ni moyennes, qui évitent de réduire les élèves à des "Peut mieux faire" ou à des "Il faut travailler davantage" ! Vous croyez que ce type d'appréciations n'existait plus  ? Lisant celles de mes ex-collégiens aujourd'hui en seconde, j'ai pourtant eu la surprise désagréable de les retrouver et en très grand nombre.

Passons... (Les bulletins dans de nombreux collèges - c'est le cas depuis peu dans "mon" établissement - sont coupés en deux parties (pour chaque élève): l'une réservée aux appréciations, l'autre consacrée aux conseils pédagogiques)

Un conseil de classe de 6e "par compétences" (Je l'appellerai ainsi par commodités, mais je sais que certains collègues choisissent d'autres dénominations) il y a deux ans, lors des débuts, ne tombait pas sous le sens. Des collègues, des élèves, des parents s'interrogeaient. Très légitimement. Tous avaient peur de ce changement d'habitudes. Les enseignants devaient interroger leurs pratiques; les élèves auxquels on avait dit: "Tu vas avoir des notes et des moyennes au collège!" étaient désorientés; les parents, eux-mêmes formés par les notes chiffrées lorsqu'ils étaient au collège, se demandaient comment ils allaient pouvoir suivre les progrès de leurs enfants sans cette "mesure" par les chiffres, ces chiffres qui ne mentent pas... Enfin, jusqu'à un certain point. Car on peut TOUT leur faire dire!

Deux années ont passé depuis les premiers conseils de classes sans chiffres ni moyennes. Et force est de constater que les interrogations, révélatrices d'inquiétudes, ont totalement disparu. Pas plus tard qu'il y a deux jours, aucun des intervenants présents n'a soulevé, comme c'était encore parfois le cas l'an dernier, de questions liées à ce qui n'est déjà plus une nouveauté. Enseignants, élèves et parents ont apprivoisé cette méthode. Ces conseils sont évidemment et obligatoirement différents des autres, ceux traditionnellement "chiffrés". Chaque élève n'est plus "mesuré", traduit en moyenne, comparé à tel ou tel par uniquement des notes. L'élève n'est plus un "8/20" ou un "16/20" perdu au milieu d'un océan d'autres moyennes.

Il est un enfant... qui sait... qui maîtrise... qui apprend... dont l'équipe éducative a cerné les problèmes et les évoque précisément en conseil... auquel l'équipe éducative fournit des conseils pour progresser.

Les savoirs fondamentaux ne sont en aucun cas oubliés, bien au contraire. Il en est toujours question dans toutes les appréciations. L'aspect disciplinaire n'a pas - quoique cela avait été dit et l'est encore par les opposants à ce type d'évaluation - disparu, noyé dans je-ne-sais quel méli-mélo de compétences. Les élèves et parents disposent d'un "profil" précis, argumenté, véritable guide contenant conseils et recommandations. Sévères remontrances aussi quand celles-ci sont nécessaires et justifiées.

Les craintes de voir les excellents élèves "baisser" ont elles aussi disparu. Tous ceux-là sont évidemment toujours excellents. Et c'est tant mieux! Mieux même, n'étant plus en concurrence les uns avec les autres, ils aident leurs camarades plus en difficultés. L'entr'aide entre pairs a pris son envol sans même que l'équipe enseignante la formalise vraiment. Cela s'est fait "naturellement". Une sorte d'évidence rendue possible par l'absence de "mesure", remplacée par la mise en majesté des savoirs, par le "plaisir d'apprendre" et de comprendre! Jamais - j'enseigne depuis plus de 30 ans en collège - je n'ai vu autant de curiosité, d'envie, de DESIR! Quant aux élèves "faibles" ou présentant des "dys", tous ont progressé. Sans exceptions. Et bien plus rapidement que tous ceux que j'ai connus auparavant.

Que de regrets j'ai pour eux d'avoir découvert tout cela si tard... Que de regrets j'ai pour moi - mais c'est moins grave - d'avoir emprunté si longtemps des chemins trop communs...

13 février
Mon enfance et l'école

Quand je pense à mon enfance, ce qui revient très vite et toujours, ce sont des moments accompagnés de visages, de bruits, de paysages, de parfums, de saveurs...

Je suis ému et sidéré à la fois. Etrange contradiction n'est-ce pas? L'émotion n'est-elle pas mouvements intérieurs et bouillonnements divers?... Pourtant elle m'arrête. Me paralyse, m'immobilise agréablement dans la surprise du souvenir...

Un mouvement m'arrête.

Des mes sept ans me reviennent les nuages de poussière nés devant moi à grands coups de pied, en allant ou en revenant de l'école. Le Maroc de ma jeunesse avait ceci d'extraordinaire, entre autres merveilles, qu'il aimait se couvrir, à intervalles réguliers, de fines couches de sable saharien apporté par les vents du sud. Ma mère avait beau me dire "Mais tiens-toi tranquille! Tu va te salir!", je continuais, têtu, à créer ces images empoussiérées dont j'étais seul à déchiffrer le sens...

De mes douze ans, je revois souvent les treilles en tonnelles des bougainvilliers en fleurs qui explosaient de couleurs dans la cour du collège. Sous le soleil de plomb dont j'avais depuis ma naissance apprivoisé les violences, je fermais les yeux, ébloui par les fleurs bien plus que par les rayons caressant les murs blancs de mes salles de classe...

De mes quinze ans, je retiens les saveurs et les parfums des épices de toutes sortes étalés devant moi dans les souks et les marchés de Casablanca. Avec elle ou avec une autre, en rentrant du lycée et avant d'aller plonger en riant dans les rouleaux de l'Atlantique, la tenant par la main, je m'enivrais au milieu des cris des marchands et des passants.

Et, couturière de mes souvenirs, il y avait l'écoie... Toujours!...

Elle nous rassemblait dans les plis de son "vêtement": marocains, français, espagnols, portugais... Musulmans, chrétiens, juifs, orthodoxes, athées... Elle était le phare incontournable et nécessaire. Nous la vivions au quotidien... Avec elle, les symboles faisaient sens. Non pas comme des "valeurs" immobiles, enfermées dans et par un discours, dans et par des programmes. Encore moins comme des mythes qui ne servent qu'à figer l'Histoire en statue de sel ! Non...

Liberté, Egalité et Fraternité étaient vécues, vivantes! Nos maîtres et nous tous leur donnions VIE! C'est cette vie qu'il faut rendre à nos symboles, par des projets, par des actions communes, par des voyages, par de srencontres avec le monde... Par un "baiser" réveillant la princesse endormie... La princesse républicaine...

Quant au drapeau, nous n'en avions qu'un... Celui du ciel toujours bleu... Du moins l'est-il dans mes souvenirs...

7 février... chronique de Christophe Chartreux sur son blog : Citoyenneté : il va falloir "cesser de rire, charmante Elvire, les loups sont entrés dans Paris"

31 janvier 2016

Ma seconde année avec les élèves de 6e évalués par compétences... (3)

Rappel : Pour la seconde année consécutive, les quatre classes de 6e de mon collège sont évaluées "par compétences", c'est à dire - pour faire court - sans aucune note chiffrée.

Les inquiétudes légitimes des parents ont disparu désormais. Si lors de nos débuts, les équipes pédagogiques ont été souvent questionnées à propos de la pertinence de cette "méthode" (pourtant largement appliquée en primaire. Mais l'image du collège, du "passage" dans un autre monde où "tout sera plus difficile, tu sais!", où tout sera noté, soupesé, comparé et trié, celle image a la peau dure), il n'en est plus de même un an et demi après. Plus aucun parent d'élève ne s'étonne ni ne s'inquiète de l'absence du fameux chiffre rouge, en haut à gauche des copies, suivi de la brève appréciation.

Mieux même - c'était il a deux jours - plusieurs de ces parents lors de la seconde réunion qui les accueille chaque année m'ont fait part, ainsi qu'à d'autres collègues, de leur satisfaction. Ajoutant souvent cette remarque : "Ca doit vous demander beaucoup plus de travail non?"

Oui... Mais tellement enthousiasmant! Tellement constructeur d'une relation "autre" entre le professeur et l'élève. Permettant un autre regard sur le travail demandé, sur le travail exigé, sur le travail partagé, sur le travail enfin mieux compris dans ses finalités. Permettant un questionnement sur nos pratiques pédagogiques: on n'enseigne pas de la même manière quand on évalue DES compétences et PAR compétences. J'ai la sensation d'avoir ENFIN répondu et de répondre chaque jour à la fameuse question qui immanquablement nous a été posée : "Mais à quoi ça sert de savoir ça, M'sieur?".

Plus à avoir de bonnes ou mauvaises notes en tout cas... Mais à comprendre le monde qui se révèle... A en appréhender les complexités tous les jours plus nombreuses... A ne plus craindre l'erreur systématiquement sanctionnée par des retraits de points. A ne pas se sentir, lors de chaque "rendu de copies", menacé d'être mis "aux marges du monde" par un zéro ou un quatre sur vingt éliminatoires...

Ces évaluations par compétences trouvent aujourd'hui leur place et leur pertinence dans un "cycle 3" CM1/CM2/6e ENFIN mis en place et incontournable. La rupture école/collège doit disparaitre. Il faudra désormais construire et consolider la continuité école/collège en coopération active avec nos collègues professeurs des écoles. Pour en finir avec une école qui préparait au collège, un CM2 qui devenait une "petite 6e". J'espère un jour qu'il en sera de même pour le collège, ce "petit lycée d'enseignement général", pour cette 3e "préparatoire à la seconde", d'enseignement général, toujours !

Il n'existe pas, à mes yeux, de plus belle récompense que le sourire d'un élève qui découvre, s'émerveille, s'interroge, réalise et se projette... Aucune médaille, aucune félicitation d'aucune sorte ne viendront remplacer ces instants privilégiés car chacun étant unique. Lorsque je retrouve "mes" 6e je SAIS que je ne travaille pas dans l'objectif d'un contrôle... Mais avec patience et exigence, car l'absence de notes ne les a pas éliminées, je construis un chemin.

Je souhaite qu'un jour tout cela aboutisse à l'apparition d'une autre Ecole. Un nombre certain de collègues, trop seuls sans doute, "qui vivent de plus en plus la "forme scolaire" comme une pesanteur insupportable" (1), ont franchi le pas et sont partis à la rencontre de Freinet, Cousinet, tant d'autres encore...

Ils ont rejoint Paul Valéry nous exhortant, dès 1935, à ne plus tout faire dépendre, tout jusqu'à l'avenir d'un enfant, d'un diplôme; à ne plus tout construire en déconstruisant les plus faibles, pour privilégier d'autres formes, d'autres manières, d'autres savoirs qui sait...

Ecoutons-le... "Le diplôme fondamental, chez nous, c’est le baccalauréat. Il a conduit à orienter les études sur un programme strictement défini et en considération d’épreuves qui, avant tout, représentent, pour les examinateurs, les professeurs et les patients, une perte totale, radicale et non compensée, de temps et de travail. Du jour où vous créez un diplôme, un contrôle bien défini, vous voyez aussitôt s’organiser en regard tout un dispositif non moins précis que votre programme, qui a pour but unique de conquérir ce diplôme par tous moyens. Le but de l’enseignement n’étant plus la formation de l’esprit, mais l’acquisition du diplôme, c’est le minimum exigible qui devient l’objet des études. Il ne s’agit plus d’apprendre le latin, ou le grec, ou la géométrie. Il s'agit d’emprunter, et non plus d’acquérir, d’emprunter ce qu’il faut pour passer le baccalauréat." (2)

Et souvenons-nous en...

 

(1) "Une leçon de l'école finlandaise", Philippe Meirieu

(2) Paul Valéry, Le bilan de l'intelligence (1935), in "Variété", Œuvres, t. 1, Gallimard, Pléiade, p. 1076.

25 janvier 2016

Les rudes réalités du combat pédagogique français

Alors que, trop lentement, commence à s'installer la nécessaire et urgente réforme du collège, alors que quelques-uns, contre toute raison, continuent de s'inquiéter pour toujours les mêmes disciplines, oubliant qu'il en est d'autres, elles aussi demandeuses d'attention (mais le disant peut-être moins fort), qui apprécieraient que l'on s’intéressât à elles, alors que les journées de formation sont utilisées comme terrains de combat par les "éternels opposants à tout", personne ne semble se rendre compte que tout cela n'augure rien de bon et prépare indirectement et, je veux le croire, involontairement, le terrain à l'éventuel retour de la droite...

Quand les "anti" (en général, l'attelage étant tellement disparate que je ne peux employer que ce préfixe) dénoncent "le bilan catastrophique de l’école française", ils oublient un peu trop aisément qu'il s'agit de LEUR BILAN ! Si l'école française n'évolue que très lentement, voire pas du tout (j'enseigne depuis plus de trente ans et je n'ai pas constaté de révolutions éducatives ni pédagogiques, sauf chez quelques-uns, militants pédagogiques, seuls dans leur coin, que l'ensemble de la communauté considère en "bêtes curieuses"), c'est bien parce que TOUTES les réformes se heurtent systématiquement à tel ou tel "front du refus". La dernière en date n'échappant pas à cette funeste règle non écrite mais ancrée dans les habitudes. Hélas !...

Seulement, voilà, nul ne peut se mettre complètement à dos ce "front du refus". Il n'est pourtanht pas si unitaire ni monochrome que cela. C'est ici tel responsable syndical qui dit tout le mal qu'il pense des agissements de son "collègue" mais se solidarise immédiatement avec le même si on l’attaque publiquement ! C'est là tel autre responsable qui, en privé, dit tout le bien qu'il pense de la réforme mais vous chuchote au creux de l'oreille que "tu comprends, la base ne suivrait pas. Alors...". Oui, alors voilà quoi...

« Qui peut faire entendre raison à celui qui n’a pas choisi la raison? » disait Platon au début de La République...

Un début de réponse pourrait être apporté par la proposition, puis sa réalisation, suivante: constituer une sorte de commission nationale de « sages » , commission indépendante, composée de personnalités comme Antoine Prost, Philippe Meirieu, Claude Lelièvre, mais aussi Régis Debray, Alain Finkielkraut, Natacha Polony, afin que TOUS les "amoureux" de l'enseignement ne se contentent pas, selon les réformes de droite ou de gauche, de louanger ou de démolir. TOUS formeraient un "bataillon/force de PROPOSITIONS" et les éternels opposés devraient alors se "mouiller" un peu pour enfin proposer...

Dans l'intérêt de l'ECOLE, des ELEVES et des PROFESSEURS. Il serait temps non  ?

6 janvier
Ma seconde année avec les 6e évalués par compétences... (suite)

Toutes les "nouveautés" - l'évaluation par compétences est très loin d'en être une - lorsqu'il s'agit d'éducation sont analysées, évaluées, jugées de manière objective et subjective.

J'accueillais ce matin une collègue remplaçante qui va donc, puisqu'elle est en charge du français dans une des cinq 6e évaluées par compétences, devoir s'habituer à cette méthode qu'elle n'a jamais pratiquée. Ses premiers mots furent les suivants : "Les élèves sont contre. Les parents aussi". Elle n'avait encore rencontré que les élèves.

Cette réflexion, très abrupte et définitive, qui tient compte de l'avis d'élèves de 6e quand on n'en tient si peu compte en d'autres occasions et sur d'autres sujets, illustre à quel point toutes les réformes, et celle de l'évaluation fait partie de celles qui sont à la fois urgentes et particulièrement piégeuses, sont acceptées ou pas en fonction du regard, du degré d'approbation, de la "croyance" en telle ou telle nouveauté.

L'évaluation par compétence est pratiquée par l'ensemble des professeurs de 6e dans toutes les disciplines depuis la rentrée 2014. Je parle ici évidemment de l'établissement qui est celui où j'enseigne. J'ai fait partie de celles et ceux qui ont encouragé ce changement d'habitude, rendu d'autant plus nécessaire que le niveau 6e est désormais intégré dans un seul et même cycle: le cycle 3 : CM1/CM2/6e, l'évaluation par compétences étant pratiquée en primaire depuis fort longtemps.

Dans les 6e placées sous ma responsabilité, les réticences au changement ont été très vite dissipées. Cette année plus rapidement encore que l'année dernière. Plus aucun élève, plus aucun parent n'expriment la moindre volonté de retour en arrière. L'évaluation par compétences n'est plus cette "usine à gaz", expression si souvent utilisée par celles et ceux qui faute d'arguments caricaturent et falsifient. Elle n'est pas non plus cette baguette magique que d'autres, par excès d'enthousiasme, par conviction pédagogique très (trop?) forte ont voulu croire capable de résoudre tous les problèmes liées aux apprentissages et à leurs évaluations. Parce que j'y crois, parce que j'ai pris et continue de prendre le temps d'expliquer la méthode, parce que j'écoute les inquiétudes légitimes des parents, ce qui semblait si incompréhensible à la rentrée est devenu un "confort" aussi bien pour les élèves que pour moi-même. Ce "confort" n'interdit absolument pas, bien au contraire, l'exigence nécessaire requise par le "métier d'élève". L'élitisme républicain repose sur l'exigence pour tous, on l'oublie trop souvent.

Dans quelques autres 6e, des collègues - et c'est leur droit le plus absolu - y croient moins. L'influence des enseignants est telle, surtout avec des élèves de cet âge, qu'évidemment l'auditoire a tendance à moins y croire aussi, qu'il soit composé d'enfants ou de parents.

Alors, une jeune remplaçante peut avoir ce mot : " Les élèves sont contre. Les parents aussi"... Mais ne sont-ce pas les enseignants D'ABORD qui acceptent ou pas telle ou telle "nouveauté", qui sont "contre" ou "pour"  ? Ne sont-ce pas les enseignants D'ABORD qui font d'une "nouveauté" une réussite ou un échec selon la réception puis la transmission qu'il en font  ? Ces questionnements provoqués par la réflexion de ma collègue - à laquelle je ne fais aucun reproche  ! - sont ceux provoqués par toutes les réformes, y compris celles en cours. Leur succès dépend souvent de la traduction qui en est faite, des caricatures dont elles sont l'objet, des dithyrambes excessifs qui leur assignent des responsabilités trop importantes.

L'évaluation par compétences - mais le propos peut être élargi à tous les changements d'habitudes - fait partie de ces réformes qui, comme la réforme du collège, entraînent des débats d'experts, des guerres pédagogiques, des chamailleries "twittesques" et "facebookiennes" absolument passionnantes parfois, très ennuyeuses et inutiles souvent.

Mais qui, in fine, ne font que les mêmes malheureux:

- les élèves très éloignés idéologiquement de ces champs de bataille mais qui y "vivent" au quotidien, victimes collatérales de disputes picrocholines.

- les enseignants, qu'ils soient favorables ou opposés à tel ou tel texte officiel, décision ministérielle pourtant toujours très longuement discutée et débattue, mais eux aussi victimes des enkystements si préjudiciables à un univers, l'éducation, qui devrait être celui dee enthousiasmes quand il n'est, depuis trop longtemps et encore plus ces derniers mois, que celui des immobilismes injustifiables.

L'épisode 1 est ICI (sur mon blog) et dans ma chronique, sur ce site ci-dessous

29 novembre

Nous ne pouvons plus vivre comme avant !

Partout, après les tragédies de janvier puis de novembre, nous avons dit, nous avons crié : "Nous n'avons pas peur. Nous devons vivre comme avant!". Justement pas! Nous ne pouvons plus "vivre comme avant". Nous ne devons plus vivre comme avant!

Les tragédies de cette année nous ordonnent de mettre en oeuvre les processus de changement, de transformations, de métamorphoses permettant de revivifier une société - au sens très large - dont le corps est TRES malade.

Ayant vécu en banlieue, dans les années 1975-1980, vivant encore aujourd'hui accolé à une banlieue, ce "faux bourg" pas tout à fait au ban de la société (justement) mais pas si loin, ayant eu la chance inouïe, de ma naissance à l'âge de 16 ans, de vivre en Afrique du nord où le multiculturalisme est une expérience quotidienne et pas uniquement l'illustration permanente d'un propos politicien, je peux témoigner que cet entourage social fut ma plus belle "école". Il m'a construit parce qu'il était vivant et vécu, par des familles de toutes conditions, de toutes religions, sans religion aussi.

En 2015, la jeunesse que je côtoie, et qui vit à son tour la banlieue, ne se construit plus, malgré des réussites incontestables, hélas peu mises en lumière. Comme si ces quartiers n'existaient et n'étaient condamnés à exister que par l'échec, la violence, les provocations, le délitement socio-scolaire, l'injure à l'encontre des filles et l'inégalité vécue comme la norme contre laquelle aucune action ne pourra rien. Le fatalisme domine chez bien des familles modestes, qu'elles soient françaises ou "d'origines diverses" (A ce sujet, qu'on en finisse avec ces distinctions!). Combien de fois ai-je entedu et entends-je encore, de plus en plus fréquemment:

"Monsieur, franchement cette orientation que vous proposez à ma fille (mon fils), elle n'est pas faite pour elle (lui)." Tout cela parce que ces familles ont intégré le fait que d'autres, peu à peu, par mépris, par oubli ou délibérément par choix philosophique et politique, leur ont imposé et qui se résume par: "Restez à votre place!". Ils sont pourtant toutes et tous des "enfants de la République" et même ces "enfants de la Patrie" qu'ils chantaient lors des rencontres de l'équipe de France de football, puis qu'ils se sont mis à moins chanter. Puis à taire jusqu'à dire pour quelques-uns: "Je ne suis pas Charlie". On leur a dit à l'école primaire, au collège, au lycée pour ceux qui sont allés jusque là, que la devise de la France était aussi pour eux. Liberté - Egalité - Fraternité... Au fil des années, on en a vu de plus en plus hausser les épaules. Ou plus exactement, on ne les a pas vus. Pire : on a refusé de les voir, de les entendre.

Tous ces "enfants de la République" ont alors commencé à écouter d'autres voix, d'autres mots. Les communautarismes ont remplacé doucement, subrepticement le "vivre ensemble". Toutes les minorités sont devenues des cibles. Quant à la laïcité, elle ne parvenait plus à endiguer la vague qui, inexorablement, allait la submerger. Cette réalité est née il y a des années. Ceux qui ont averti n'ont pas été entendus par les autres préférant l'entre-soi des "ghettos": chacun chez soi et tout ira bien. Erreur funeste que le Front National a su exploiter en inventant la "laïcité d'exclusion" sans la nommer ainsi bien sûr. Mais écoutez Marine Le Pen et ses complices évoquer très souvent la laïcité. Elle est TOUJOURS une laïcité d'exclusion et d'accusation pointant un seul et même "coupable": le français musulman et le français qui ne serait pas "de souche"!

Les banlieues sont devenues des communautés de vie au coeur desquelles, nantis ou malheureux, on ne se reconnait qu'à condition d'être identiques, de penser la même chose, de lire les mêmes livres, de parler la même langue, de porter les mêmes vêtements, de prier le même Dieu (l'absurdité étant dans ce cas qu'il s'agit bien du même), de fréquenter les mêmes écoles. Où les enfants imperturbablement reproduisent les mêmes schémas malgré les efforts extarordinaires des enseignants, transmetteurs des valeurs de la République.

Oui mais voilà: ces valeurs ne sont plus DU TOUT "distribuées" de la même manière pour tous. L'inégalité règne partout. Et en particulier à l'école qui, si elle ne fabrique pas les inégalités, les reproduit par la force d'une fatalité, on y revient, écrasante contre laquelle rien ne serait possible. Fatalité renforcée, surlignée par les stéréotypes du "d'jeun" constamment offerts au grand public qui, à force de matraquage, ne se représente le "jeune de banlieue" qu'en arabe musulman, capuche sur la tête, écouteurs sur les oreilles, analphabète, dealer, voleur, "glandeur" au bas de sa tour et dans les cages d'escaliers, violent avec les femmes, barbu intégriste potentiel et évidemment incapable de créer quoi que ce soit d'intelligent. Tout une communauté qui ne parle plus aux autres, à laquelle on ne parle plus mais dont on parle beaucoup et toujours en mal.

Si la Ville - au sens de l'institution- ni les banlieues n'acceptent de se mettre en question, alors nous continuerons de parler DE la Ville, DE la banlieue quand il conviendrait de parler A la ville, A la banlieue et bien évidemment aux incarnations de ces entités: les habitants, les citoyens. Ceux auxquels on rend visite quinze jours avant des élections. Puis qu'on oublie... Tous les citoyens, riches ou pauvres, devront faire leur mea culpa car si les autorités publiques sont critiquables, les citoyens le sont aussi. Etre "en galère" ne justifie aucune violence. Etre "nanti" n'autorise pas le permanent évitement du "vivre et faire ensemble".

Contre cette criminelle pensée unique, il est urgent de ne pas se contenter de rappeler, à l'école et ailleurs, les valeurs de la République. La pire expérience vécue par les enseignants, c'est celle-ci: à l'issue d'une leçon d'Education Civique où nous avons rappelé ces fameuses et incontournables valeurs, s'entendre dire après une heure de bons et loyaux services auprès d'élèves attentifs (si si!): "M'sieur, l'égalité et la fraternité, mon grand-père, mon père et moi maintenant, on l'apprend. Et après on rentre chez nous, dans la cité. Vous voyez ce que je veux dire M'sieur? Je dis pas ça pour vous! Vraiment! Venez la voir l'égalité M'sieur! C'est l'égalité par le bas. Pour tous! Si c'est ça l'égalité, on va où là? Franchement faut arrêter le délire!"

Oui, il faut arrêter le délire... Sans en rabattre JAMAIS sur ces valeurs! Mais en allant vers les cités, dans les cités, avec les cités, les associations, les artistes, les chefs d'entreprises. Toutes les forces vives d'un pays qui n'en manque pas. Elles sont même souvent à l'intérieur des cités.

Alors oui il convient de "reconstruire une grande partie de la République. L’école, patiemment, les quartiers, patiemment". (M Valls) Alors oui il convient d'engager des actions pour une mixité socio-scolaire nécessaire. (Najat Vallaud-Belkacem)

Tout cela et bien d'autres choses DOIVENT se faire pour que la République donne naissance à des enfants qui apprendront à vivre ensemble bien plus longtemps que le temps d'une leçon d'éducation civique, aussi nécessaire soit-elle !

21 novembre

Bientôt les conseils de classes...

Avec les 5e, 4e et 3e, ils se dérouleront de manière traditionnelle et, disons-le, très ennuyeuse. Des alignements de chiffres sous les yeux, des moyennes et des moyennes de moyennes qui à force d'additions et divisions finissent par se ressembler toutes.

Nous passerons des temps infinis à réfléchir pour savoir si Cécile mérite les encouragements ou les félicitations sachant que Malia ou Mathias ont sensiblement la même moyenne générale (les moyennes par discipline étant oubliées très vite dans ces cas-là) que Cécile qui, malgré tout, a fourni des efforts (lesquels? On s'en fiche) que nous lui demandions (Ah bon? On ne s'est jamais réuni une seule fois mais "on" a donc du lui demander...). Et après quinze bonnes minutes d'intenses réflexions qui n'occupent qu'un tiers de l'équipe pédagogique de la classe, les autres ayant décroché depuis longtemps (On peut les comprendre), "nous" décidons ENFIN d'accorder les encouragements à Cécile qui devra néanmoins s'accrocher (aux branches?) pour obtenir les félicitations au second trimestre car l'ensemble (de quoi?) reste fragile... Allez ! Il ne reste "que" vingt-trois élèves... Courage...

Et puis il y aura les conseils de classes des 6e "sans notes" chiffrées, évaluées par compétences.

Nous entamons, nous les enseignants des cinq 6e du collège, la seconde année à travailler ainsi. Nous continuons notre apprentissage. Il n'est pas facile, quand on a quinze, vingt, trente-cinq ans de métier et d'habitudes de se glisser dans un "autrement" avec facilité.

Pourtant, et même si les conseils de classes des 6e peuvent encore être améliorés pour être plus utiles aux enseignants ET AUX ELEVES, quel bonheur de participer à ces réunions-là.

L'absence de notes et de moyennes nous oblige, obligation agréable, à parler, non pas seulement de "niveau" à atteindre, non pas seulement de moyennes comparées à telle autre, non pas seulement d' "efforts à fournir" sans jamais dire lesquels ni COMMENT les fournir, mais de ce qu'a fait l'élève, des acquis et lacunes de cet élève, des moyens à mettre en place pour palier telle difficulté, des efforts précis à fournir pour renforcer tel acquis. Nous parlons de l' ELEVE et lui indiquons le plus précisément possible ce qu'il sait faire, ce qu'il a à faire, pourquoi le faire et comment le faire.

Chaque enfant n'est donc plus une ligne de chiffres sur un document. Le conseil de classe trouve son utilité pédagogique. Il n'est plus seulement une obligation administrative de service mais devient un temps d'apprentissage lui-aussi mis au service des classes. Il devient un "moment d'enseignement" où les enseignants échangent des méthodes, des savoir-faire, où ils parlent A l'élève (même s'il est physiquement absent) et non plus DE l'élève.

Cette année encore, comme l'année dernière et avec trente-cinq années de métier (ce qui ne me donne aucun droit mais le devoir de dire ce que je ressens), je constate chez ces enfants de 6e l'acquisition bien plus rapide que mes 6e d' "antan" d'une confiance et d'une petite "maturité" naissante qui les rendent heureux de partager le "plaisir d'apprendre"...

A suivre...

PS: les prénoms sont imaginaires

10 novembre

L'Ecole, cette pyramide...

La "polémique du clip" qui a animé les réseaux sociaux, et les médias en général est, comme toutes les polémiques, qui n'ont d'utilité qu'à condition de les dépasser pour les utiliser à fin de réflexion, la parfaite illustration de ce que sont les enseignants au plus profond de leur être : des "apeurés"... Il ne s'agit pas d'accuser. Lorsque je parle de "professeurs apeurés", j'en fais partie puisque nous le sommes toutes et tous.

Il aura donc suffi d'une image de sept secondes (c'est la durée d'apparition de la "maîtresse" dans le clip contre le harcèlement) pour qu'immédiatement une partie des professeurs craigne pour leur image et que l'autre craigne de voir ce petit film manquer sa cible.

Les enseignants de ce pays ont, semble-t-il, INTEGRE la peur - j'ai cherché d'autres termes... celui-là me semble suffisamment générique pour être "vrai" - comme une composante incontournable. Il en existe, dans l'actualité proche ou permanente, d'autres exemples : peur de la refondation, peur du changement, peur des hiérarchies diverses et variées, peur des parents, peur des élèves (cela arrive), peur du déclassement... etc.

Ces "apeurés", dont je fais partie n'étant ni plus ni moins différents que tous les collègues, sinon par les différences des convictions mais à égalité quant aux doutes permanents, se comportent ainsi face à des faits (la refondation du collège ) ou face à des humains (nos hiérarchies) qui ont un point commun : l'inconnu.

Nous avons peur de l'inconnu : l'inconnu qu'engendre TOUT changement ; l'inconnu qui se cache derrière la porte fermée (parfois ouverte) du bureau de nos Principaux de collèges et Proviseurs de lycées ; l'inconnu encore plus mystérieux parce que "puissant" et éloigné représenté par nos différents corps d'inspection. Il existe évidemment bien d'autres peurs. Mais ne chargeons pas la barque. Je ne perds pas de vue qu'il existe aussi et heureusement bien des bonheurs! Là n'est pas mon propos.

Le "professeur apeuré" se comporte donc comme cet homme préhistorique dans un environnement hostile, ou qu'il considère comme hostile parce qu'il ne le connait pas. Il se réfugie pour la nuit dans une petite grotte dont les pierres se détachent sous la violence des eaux et du tonnerre, sous les attaques du temps. Il risque sa vie mais, apeuré par l'inconnu et les ténèbres qui l'attendent au dehors, il choisit de rester dans cet abri qui pourtant s'écroule sur lui. Et l'écrase.

Et le tue.

Prenons garde ! Ne suivons pas le chemin de notre ami préhistorique. La peur n'a jamais évité le moindre danger. Néanmoins, il serait grand temps - c'est une urgence - au moment où l'on évoque enfin la "bienveillance scolaire", de partager et de faire partager cette bienveillance entre tous les acteurs de l'école. Cela permettrait d'en finir avec l' "inconnu", avec les questions schizophrènes qui nous paralysent, avec les incompréhensions qui n'apportent que polémiques inutiles, avec cette Ecole toujours comparée à une pyramide.

L'Ecole s'effondre - je grossis à peine le traît - sur nos têtes et sur celles de nos élèves (nous avons TOUTES ET TOUS prévenu depuis longtemps : notre Ecole ne peut plus poursuivre sur le chemin qui est le sien). Gardons-nous de rester dans l'abri précaire des habitudes sous prétexte que le "connu" vaudra toujours mieux que l'inconnu. Nous pourrions tous, professeurs et élèves, être ensevelis sous les décombres... Et n'en jamais sortir...

L'Ecole sera définitivement notre pyramide... Notre tombeau...

 

11 octobre 2015

C'est reparti !

C'est reparti pour une seconde année d'évaluation des compétences sans notes chiffrées avec les 6e de notre collège normand. (Toutes disciplines et pour les 5 classes, une nouvelle 6e ayant été ouverte).

C'est l'an dernier, que cette "aventure" avait commencé. Vous pourrez la retrouver ic i:

Mon année avec l'évaluation par compétences

 

Après un mois et demi de pratique, j'ai pu constater quelques différences avec mes débuts en septembre 2014. Bien évidemment, l'année entière passée sans notes chiffrées nous a appris beaucoup. Nos erreurs, nos préoccupations, voire nos angoisses devant l' "inconnu", n'existent plus. L'expérience nous permet d'entrer beaucoup plus facilement dans la pratique.

Les relations avec les parents, tous reçus en début d'année, afin d'expliquer notre démarche, de lever toutes les ambigüités, d'éclairer les incompréhensions, n'ont pas connu les petites difficultés de l'année dernière lorsque certains, très légitimement, s'inquiétaient, parfois entraient en opposition, avec une démarche pédagogique dont ils ne parvenaient pas à comprendre l'intérêt et que nous avions peine à expliquer, faute souvent d'argumentaire convaincant, faute surtout de retours d'expérience. Il y a quelques semaines, à de très rares inquiétudes près, inquiétudes vite dissipées, les parents ont exprimé de la curiosité, de l'intérêt et pour beaucoup un vrai soutien. Me revient en mémoire cette question de la part d'un papa, question impossible il y a un an: "Mais pourquoi l'expérience ne se poursuit pas en 5e ? C'est dommage"... Il est des questions plus révélatrices que bien des réponses...

Il fut également intéressant de dire aux parents que cette méthode d'évaluation, pas nouvelle du tout puisque pratiquée en école primaire par plus de 80% des professeurs, ne s'inscrivaient pas en opposition aux notes. Il ne s'agit en aucun cas d'un acte militant revendicatif. Ou alors pas seulement. Entre l'intérêt des notes chiffrées et l'intérêt des évaluations sans notes, nous avons fait un choix. Un choix entre deux intérêts...

Quant aux élèves, quelques-uns ont posé quelques questions. Mais absolument pas dans la proportion observée l'an dernier. Tous, depuis un mois et demi, éprouvent un vrai bonheur, visible, à recevoir leur résultats d'évaluation. Je m'oblige - obligation agréable - à toujours les commenter par écrit bien entendu car les appréciations/conseils ont, avec les évaluations sans notes chiffrées, beaucoup plus d'importance qu'avec le 05/20 ou le 19/20 en rouge en haut de la copie, notes qui souvent "interdit" la lecture de l'appréciaition. Et à les commenter oralement avec chacun d'entre eux, de manière toujours bienveillante, sans aucun laxisme ni manque de précision.

Puis vient le temps de la correction, collective, souvent différente par la méthode mais respectant toujours ces rituels auxquels des élèves de cet âge sont attachés:

  • ne jamais oublier de corriger une question ou un exercice sous prétexte qu'ils seraient "trop faciles". Il n'y a pas d'exercices "faciles";
  • toujours associer les élèves à la correction, surtout celles et ceux ayant échoué. Ces derniers saisissant alors toute l'importance de la correction, son utilité, la réappropriation d'une connaissance, d'une compétence au service de celle-ci;
  • toujours expliciter, par écrit et oralement, les motivations de telle "couleur" d'acquisition, notamment pour les "couleurs intermédiaires", le fameux "En cours d'acquisition notamment", barbare au début et très facilement compris par la suite.
  • ne pas hésiter, cela tombe sous le sens, à ne pas "enfermer" un cours, une séance, dans l'évaluation. J'entends souvent, de la part de certains collègues:

"On évalue les élèves en permanence par ce moyen des compétences!" Justement pas.

Le "temps des découvertes aventureuses" que représentent telle et telle séance n'est plus scandé par le "contrôle" de fin de séquence, par la terrorisante (pour certains) épreuve finale de fin de trimestre (ça existe encore!). Ces contrôles revêtaient une importance plus grande que les apprentissages. Absurde! Par le choix de ne plus donner de notes chiffrées, nous RE-donnons à la découverte des savoirs et aux apprentissages, TOUS étant fondamentaux car il n'en est aucun qui soit plus fondamentaux que d'autres, l'importance qu'ils avaient perdue, la place qui est la leur : la première, la primordiale, celle qui provoque les sourires du bonheur de TROUVER, de COMPRENDRE!

Nous nous retrouverons fin octobre/début novembre pour partager la suite de ces voyages au pays des savoirs et des savoir-faire...

Christophe Chartreux

 

PS: après un mois et demi de retrouvailles avec les notes chiffrées en 5e, nos 6e de l'an dernier vont très bien. Aucun n'a été traumatisé, ni retardé dans ses apprentissages, par les évaluations sans notes.

Mais tous les regrettent...

2 juillet 2015

Twitter, les "débats", les "talk show" ou l'agonie démocratique...

Une place de choix est désormais réservée aux réseaux dits "sociaux". La parole y est ouverte et libre. Immense "talk show" sans le son, quasiment sans contrôle. Il suffit pour s'en convaincre de lire les horreurs antisémites, racistes, homophobes sur Twitter et Facebook. Des pépites aussi parfois, des erreurs souvent, des naïvetés et des mots d'amour, des polémiques à jets continus. Bref, la vie en 140 signes. Un ersatz de vie...

La parole ouverte et libre disais-je... Mais une parole utilisant un vecteur dont la particularité est de la faire sonner en échos multiples et successifs. Formidable roulement permanent, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, déferlantes ininterrompues de messages cognant aux falaises de nos vies anonymes. Ou pas. Des vies exposées ou dissimulées mais des vies qui peu à peu, sans s'apercevoir ou, bien pire, s'apercevant, que le lien social REEL n'existe plus, se réfugient dans un cadre rassurant: celui de la parole investie d'une fonction sociale et socialisante. Rassurant mais illusoire, éphémère, impersonnel, parfois menaçant et dictatorial.

La parole ouverte et libre... Des débats à n'en plus finir, à n'en plus manger ni dormir. A n'en plus exister sinon pour ces quelques pseudos et avatars. A n'en plus se rendre compte qu'on échange davantage avec de parfaits inconnus et beaucoup moins avec celles et ceux qui partagent votre lieu de VIE! A ce sujet je ne peux que recommander la lecture du merveilleux livre/témoignage de Guy Birenbaum: Vous m’avez manqué, Editions des Arènes. Il dit tout. Et il le dit bien.

Mais revenons aux "débats". L'éducation est un thème inépuisable donnant l'occasion quasi quotidienne de s'étriper entre collègues. Mais des débats qui n'apportent souvent rien d'autre que le fait d'exister. Entedez-moi bien! Que le fait de faire exister des "spectacles", de faire "entendre" des éclats de voix, de faire voler parfois les noms d'oiseaux, d'utiliser, en en unsant et en abusant, raillerie récurrente en lieux et place de l'argument. Et lentement, imperceptiblement, ou soudainement et violemment, le "débat" perd ce qui devrait faire sa force, perd sa "trinité": l'information; la délibération; l'éducation. Il n'existe plus que par lui-même. Il devient monstrueux, difforme. Un Quasimodo qui aurait perdu toute humanité pour se muer en gargouille sur une des tours de Notre-Dame...

La parole ouverte et libre... Plus exactement, je le disais pour commencer, des "talk show" silencieux, chacun rivé devant un écran et un clavier. Toutes les opinions affluent, chacun certain d'avoir raison, certain aussi que l'autre a tort s'il n'est pas de votre avis. Je suis le premier à être coupable souvent de ce travers. Alors le "débat" tourne court et devient hurlement, engueulade, insulte. Mais surtout, INUTILE! La pârole ouverte et libre devient un bruit inaudible - le comble! - et, pour reprendre Jean-Claude Guillebaud (Ecoutez bien!):

" Cette gueulante individuelle, omniprésente, fiévreuse, qui peut choquer sur le moment mais qui, en réalité, ne mage pas de pain et ne dérange aucun intérêt: existe-t-il meilleur symptôme de la déréliction politique?"

Et Guillebaud ajoute:

" A la limite, la démocratie du talk show, c'est un autre nom donné à l'agonie démocratique". (In supplément Télé de l'Obs en date du 27 juin)

A méditer.

14 juin 2015

Mon année "sans notes"...

Mon année avec mes deux 6e évaluées sans notes chiffrées s'achève. Cette "expérimentation", en tout cas pour le collège qui est le mien, sera reconduite l'an prochain et intégrée plus précisément dans le nouveau cycle 3 CM1/CM2/6e (Cycle de consolidation). Qu'ai-je retenu de ces neuf mois passés avec une cinquantaine d'élèves?

1- Un changement de ma manière de travailler rendue obligatoire par le fait d'avoir à l'esprit que toute ma démarche pédagogique n'était plus "seulement" faire "apprendre/comprendre" en vue des évaluations/contrôles notés... mais s'accompagnait d'un permanent aller/retour entre le sujet de la séance (les savoirs) et les différentes démarches mises en pratique sous mon impulsion et mon observation pour atteindre l'objectif fixé en début de chaque séance (les compétences).

Des compétences souvent transversales:

- s'organiser en observant quelques "rituels" simples et identifiés par l'élève toujours sous mon contrôle;

- prendre où il le faut et quand il le faut les informations nécessaires en utilisant correctement les "bonnes" ressources;

- communiquer en maîtrisant les outils à l'écrit comme à l'oral;

- réutiliser les ressources, c'est à dire mettre en place un raisonnement

Tout cela sans jamais perdre de vue que nous sommes en 6e. Il n'a jamais été question de transformer ces jeunes élèves en "machines" à trier des informations. D'où le permanent souci de solliciter leur part de CREATIVITE afin de ne pas gommer la spontaneité et le "désir d'étonnement", ce qui provoque chez eux comme chez l'enseignant ce "plaisir d'apprendre", mais d'apprendre autant par le maître que par l'élève. Sachant évidemment, pour répondre aux détracteurs prompts à caricaturer, que le professeur n'apprend pas de l'élève mais qu'il peut toujours "jouer" à leur faire croire. C'est un merveilleux "moteur" pédagogique!

Ces savoirs et compétences ont été évalués sous forme de couleurs intégrées au logiciel "pronote", outil qui peut être amélioré et qui le sera l'an prochain.

2- Un changement des comportements (professeur et élèves) induit par l'absence de contrôles notés. L'élève, après quelques semaines (un mois et demi environ) de mise en route, une fois la "surprise" passée (car tous s'attendaient à être notés: "Au collège on note!"), tous n'ont plus pensé qu'à faire bien ce qui leur était demandé non pas dans le but d'avoir LA bonne note, mais dans celui de constater des progrès provoqués par des réponses inconscientes aux questions suivantes:

- qu'est-ce que j'ai appris? Comment ai-je fait pour le comprendre? Quelle démarche ai-je utilisée pour parvenir à ce résultat? Que dois-je améliorer pour ne pas reproduire tel ou tel échec?

Quant au professeur, délivré si je puis dire, des fourches caudines du contrôle noté, il retrouve le plaisir (encore!) de transmettre, le bonheur de partager, d'échanger non pas "gratuitement" mais avec la certitude visible au quotidien d'accomplir ce pourquoi il a embrassé cette carrière: donner à tous ses élèves les possibilités de s'approprier les outils utiles à la découverte, à la compréhension d'un monde de plus en plus complexe, de construire des passerelles entre les disciplines, ce dernier point restant à consolider encore.

3- Bien entendu, cette année d'évaluation par compétences n'a pas, comme par magie, résolu tous les problèmes individuels que rencontrent nos élèves:

- Oui certains élèves en difficultés (cognitives et:ou comportementales) en septembre le sont encore en juin. Mais, et ils me l'ont dit, ils sont heureux de ne pas avoir subi le "zéro" permanent, la moyenne catastrophique, les moqueries des camarades. Ils n'ont plus peur des conséquences de l'échec. Trouver, pour ceux-là, c'est recommencer encore jusqu'aux prochains échecs mais en les espaçant petit à petit dans le temps...

- Oui certains excellents élèves ont été déroutés par l'absence de ce qu'ils attendaient: les bonnes notes et les 20/20. Ils y étaient "préparés". Pourtant, aucun de ceux-là n'a vu son excellence remise en cause. Bien au contraire, de "singes savants" ou autres "perroquets", ils sont devenus de petits chercheurs, des découvreurs. Quelle joie de les entendre crier un tonitruant "J'ai trouvé M'sieur!!!!"! Quelle incomparable satisfaction de voir ceux qui avaient trouvé plus vite que d'autres aller aider leurs pairs pour les amener à sourire à leur tour...

- Oui certains parents ont eux aussi été surpris, voire mécontents, de ne pas pouvoir "suivre les progrès de leurs enfants" par le biais du "thermomètre" auquel ils furent habitués pendant leurs années-collège. Et puis, le temps passant, le contact avec eux étant établi en permanence, les explications les rassurant, observant que leur enfant ne perdait rien de ses qualités ou progressait en racontant ce qu'il avait appris plutôt qu'en annonçant la valeur chiffrée d'un travail, ils nous ont dit leur satisfaction.

- Oui certains collègues, auxquels je ne jette nullement la pierre, ne sont pas encore totalement persuadés de la plus-value apportée par ce changement d'habitudes, de pratiques, de pédagogie. Ils y viendront, j'en suis convaincu. Certaines réticences ont été déjà renversées.

Il faudra maintenant observer ces élèves en 5e. Ils vont retrouver les évaluations chiffrées. Je ne me fais aucune inquiétude pour la plupart. Ma SEULE crainte est pour ceux qui, parce que l'exercice, le devoir n'auront pas été conformes aux attentes, recevront le "0" ou la note basse qui leur feront baisser autant la moyenne que la tête... Qui les décourageront sans doute. Hélas...

Il faudra maintenant continuer de convaincre les collègues opposés à cette manière d'évaluer. Car on ne fait bien que ce à quoi l'on croit. Toute réforme ne trouve le chemin de sa réussite qu'à condition d'être portée par des enseignants convaincus. Et ça...

Bonnes vacances à mes élèves, à mes collègues...

Nous recommencerons!

24 mai 2015

Evaluons les débats récents par compétences...

Ces dernières semaines furent, pour moi et tous mes collègues, pour les parents, pour les médias, pour les intellectuels celles des débats enflammés, souvent excessifs dans leur forme et pauvres dans leurs contenus. Les opposants s'opposèrent et en restèrent là. Il n'y eut de leur part que très peu de propositions. Il suffit pour s'en faire une idée de relire tous les articles, de réécouter toutes les interventions des intellectuels porte-parole auto-proclamés de l'opposition outrée à cette réforme somme toute modeste et, concernant les programmes, pas encore validée par le Ministère, pour se faire une idée de la vacuité des "idées" avancées.

De quoi a-t-on d'ailleurs parlé ? Certainement pas du collège. Certainement pas de ce qui fait le cœur de notre métier. Il fut question du latin et du grec, de l'allemand, d'une partie des programmes d'Histoire (la géographie, tout le monde s'en contrefiche... quant à l’Éducation Civique...), des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires, caricaturés plus que scientifiquement analysés, enfin de la "novlangue des pédagogistes", cibles habituelles et habituées. Depuis le temps, les pédagogues sont mithridatisés... Pour seules contre-propositions, nous n'eûmes droit qu'à celles de Bruno Le Maire et à à quelques courageux hélas réduits au silence par des médias trop peu curieux.

Des syndicats firent grève, sans obtenir un franc succès. Droite et gauche firent postures... La Ministre fit front... De l'essentiel, il ne fut jamais question.

Cet "essentiel", ce sont entre autres mes deux classes de 6e avec lesquelles depuis septembre je partage l'expérience de l'évaluation par compétences, c'est à dire la possibilité d'évaluer leur progression en utilisant d'autres outils que les notes chiffrées et les moyennes (pour faire court). C'est pendant mes séances avec ces élèves-là que j'ai perçu de manière plus précise encore ce que devaient être les "essentiels".

Le fait de ne plus évaluer en "chiffrant" n'est pas une démarche laxiste. Mes élèves, à aucun moment, n'ont considéré leurs cours comme autant de récréations. J'étais là pour le leur rappeler, avec bienveillance certes, mais avec toute l'assurance et l'autorité dont les pédagogues savent parfaitement faire preuve. Pourtant, et je m'en suis fait la remarque à chaque fois, l'ambiance régnant dans ces classes-là était différente de celle régnant dans les autres. Elle y était marquée par une appétence de la recherche, de la découverte, par une absence d'appréhension libérant les énergies et les désirs curieux. Nous prenions plaisir - oui ce n'est pas un gros mot - à partir ensemble explorer des rivages inconnus sans la moindre crainte de nous tromper, en nous trompant parfois. Qu'importe puisque l'important se trouvait dans le voyage bien plus que dans son objectif, bien plus dans le fait de comprendre que d'arriver épuisé et terrorisé au Graal de la sacro-sainte moyenne au-dessus de dix. Nous apprenions! Nous progressions!

Bien plus que les programmes, les disciplines ou la "novlangue", l'ambiance régnant dans nos salles de classes, la manière de mener un groupe de vingt à trente élèves vers des objectifs précis et déterminés en amont, les relations à établir avec chacun en fonction des possibilités du moment (un élève de 6e a le DROIT de ne pas être "bon" en permanence et à toute heure), c'est tout ce qui fait d'un professeur expert de sa discipline un passeur de savoirs, un transmetteur de passions, c'est tout ce que devra - DEVRA! - comporter la formation continue qui aurait du être au coeur des débats récents. Ce fut loin d'être le cas.

Mes 6e vont retrouver dès le mois de septembre des évaluations "traditionnelles". Car hélas notre collège ne s'est pas autorisé à poursuivre l’expérimentation en 5e. Je ne suis néanmoins pas inquiet. Si l'évaluation par compétences ne résout pas tous les problèmes, elle en limite énormément les conséquences pour des élèves qui, sans elle, n'auraient pas ouvert la bouche, n'auraient pas levé la main une seule fois, ravissant ceux de mes collègues - il en existe encore - préférant les classes silencieuses aux classes bruissant des murmures permanents de la réflexion et de la compréhension. Elle n'empêche en aucun la progression des meilleurs. Je peux en témoigner.

Mes 6e seront des 5e curieux, volontaires, courageux et désireux de comprendre le monde complexe qui les entoure.

N'est-ce pas là ce que l'on attend d'eux?

21 mars 2015

Mon collège à l'heure FN

C'était un printemps comme tous les printemps. Il flottait dans l'air cette douceur oubliée pendant l'hiver. Un jour de 2020, l'avant-dernière de ma carrière d'enseignant.

Après un coup d'oeil distrait et machinal à la caméra vidéo surplombant le portique électronique filtrant les entrées, puis au drapeau tricolore qui flottait dans le vent, je retrouvai quelques collègues dans la salle des professeurs. Celle-ci avait été redécorée par notre chef d'établissement, arrivé après le cataclysme électoral de 2017... Un portrait de la Présidente de la République, un drapeau tricolore (encore!) et les photographies des élèves "méritants", ceux ayant obtenu des moyennes supérieures à seize sur vingt. Les "tableaux d'honneur". Sur le mur faisant face à celui des brillants élèves, les photographies de ceux n'ayant pas dépassé sept sur vingt. Le "mur du déshonneur". Et puis sur un troisième support, la liste des professeurs "cités à l'ordre du collège" pour leurs résultats au Brevet. Chaque matin, je ressentais ce même écoeurement, ce même dégoût... Et j'enrageais devant l'inutilité de telles méthodes. Car les pourcentages de réussite n'avaient pas évolué depuis cette "Révolution Nationale" qui se disait éducative et les résultats des élèves de notre établissement rural présentaient même de bien inquiétants signes de faiblesse aggravée. Mais il ne fallait pas en parler. C'eût été prendre le risque d'une convocation et d'un blâme de la part de notre hiérarchie qui avait tout pouvoir, y compris celui de nous licencier sur le champ  ! En toute discrétion, je prenais un malin plaisir pourtant à railler ces absurdités. Résistance...

A la sonnerie du matin, les élèves, en uniformes, se rangeaient deux par deux dans la cour face au drapeau (encore!), cette fois au pied du mât. Et gare aux retardataires, aux récalcitrants. Les surveillants, tous ayant dépassé la trentaine - il était loin le temps des "étudiants pions" - munis d'un sifflet, "chassaient" les trublions. Une fois le calme et l'ordre obtenus, une fois les rangs militairement formés avec prise de distance réglementaire, une Marseillaise était diffusée par la sono de l'établissement, reprise - c'était la règle- par tous les élèves. Deux d'entre eux, désignés la veille pour leurs classements remarquables, avaient l'honneur de hisser les trois couleurs, lentement, en gestes mesurés. La cérémonie terminée, et au coup de sifflet du Chef d'établissement lui-même, les rangées pouvaient rejoindre leur salle respective, accompagnées des enseignants, tous en costume-cravate. Chaque salle portait un nom. Il y avait la salle "Bayard", la salle "Du Guesclin", la salle "Charlemagne", la salle "Jeanne d'Arc"... A l'intérieur, au-dessus de chaque tableau, trônait le portrait du Chef de l'Etat. Cette dame qui avait su si bien lisser son discours qu'elle avait séduit même les plus brillants d'entre nous. Au moins n'avait-elle pas imposé l'apprentissage par coeur de ses discours nombreux. Elle intervenait une fois par semaine sur toutes les chaînes de télévision  !

Les cours devaient, c'était la règle et les inspecteurs nouvellement nommés y veillaient avec rage, être "frontaux". Des tables rangées en colonnes, un bureau sur une estrade faisant face aux élèves, les surplombant. Le maître sait! Le maître domine! Le "pédagogisme" n'avait plus droit de cité. Les seules méthodes tolérées étaient celles inspirées par les oeuvres du Ministre de l'Education Nationale. Dans une autre vie, il avait milité contre le diable en personne, Philippe Meirieu. Il avait commis quelques articles, quelques livres, avait tenu rubrique dans un magazine "de droite". Désormais, il faisait appliquer ce qu'il avait rêvé  : l'école du par-coeur, de l'obéissance absolue, du silence imposé y compris par les châtiments corporels, de la notation chiffrée et uniquement chiffrée, avec classements et tableaux d'honneur ou de déshonneur. Il fallait bien alimenter les murs de la salle des professeurs. Chaque fin d'année se terminait, y compris en collèges et lycées, par une distribution des prix en présence des autorités de la commune. Les "cancres" n'étaient pas oubliés ce jour-là. Un bonnet d'âne leur était remis sous les huées de leurs camarades. C'est ainsi que s'opérait la sélection précoce. Qui commençait dès le primaire! Il fallait mériter la sixième. Les plus "mauvais" étaient impitoyablement obligés de redoubler puis, s'ils échouaient encore, se voyaient imposer des orientations - à neuf ans! - pré professionalisantes. Les autres avaient droit à l'apprentissage du français, des mathématiques et de l'Histoire (celle des héros et des "grandes dates" surtout et quasi exclusivement), les matières nobles dont les horaires avaient été singulièrement alourdis. Cela correspondait à l'aberrant projet du parti de notre Présidente  : « Le français, langue latine s’écrivant dans un alphabet latin, seule la méthode syllabique est appropriée pour apprendre à le lire et à l’écrire correctement. Son enseignement comprend le vocabulaire, l’orthographe, la grammaire et l’approche des grands auteurs. (...) S’y ajoutent d’une part des notions solides sur l’histoire de France, à partir de la chronologie et de figures symboliques qui se gravent dans les mémoires, d’autre part une connaissance de la géographie du pays, reposant sur des cartes. À l’école primaire, s’ajoute encore l’apprentissage du calcul. Tout au long de la scolarité, les enseignements doivent être délivrés dans une langue limpide, d’où sont bannis les termes jargonnant et les dernières modes qui peuvent agiter légitimement les spécialistes. L’objectif n’est pas un savoir de spécialistes, mais un viatique pour vivre ensemble. » (Extrait du programme FN)

"Vivre ensemble"... Oui bien entendu... Mais voilà... Depuis l'arrivée au pouvoir des extrémistes "nationaux-populistes", nous ne vivions "ensemble" qu'à condition d'exclure. Bien étrange vision de l' "ensemble". Année après année, les étrangers outre-méditerranéens, les français musulmans, les français qui n'étaient pas "de souche", avaient été écartés par divers moyens, ou s'étaient exclus d'eux-mêmes, les uns en retrouvant leur pays d'origine, les autres en étant inscrits dans des écoles privées, confessionnelles ou pas. A vouloir vivre ensemble mais entre "blancs catholiques français", notre Ecole se vidaient de ses sangs... Cela faisait plaisir aux quelques collègues membres du Collectif Racine.

7 mars 2015

De l'évaluation par compétences au "faire ensemble"

De la notation chiffrée et de l'évaluation par compétences, tout ou presque a été dit... Le meilleur et le pire... Des débats enflammés... L'un des grands malentendus ayant été de les opposer, de les comparer... Comme si l'on pouvait mettre sur un pied d'égalité deux outils aussi différents qu'un marteau et une clef à molette. Absurde! L'autre malentendu ayant été d'isoler l' évaluation des autres grands thèmes  : les "contenus/programmes"  ; la formation initiale et continue  ; les pédagogies ; l'orientation...

La notation chiffrée - et pas ceux qui l'utilisent car que des collègues s'accrochent à cette manière de mesurer des progrès est leur pleine et incontestable liberté pédagogique - c'est l'air du temps. La note est un but à atteindre, individuellement, pour pouvoir classer et se situer par rapport à d'autres individus, tous bien séparés les uns des autres. Chacun pour soi et le professeur pour tous... Enfin "pour tous"... Pas toujours... Il fait ce qu'il peut dans des classes aux effectifs toujours trop lourds... Il faut noter... C'est un dogme... C'est écrit dans le marbre... Dans quel marbre? Personne ne le sait mais tout le monde le dit depuis toujours... Et puis les parents en redemandent... Il semble même que les élèves les réclament leurs notes chiffrées... Du moins c'est ce qu'on leur a tellement rabâché qu'évidemment ils reproduisent... Je me souviens avec effarement des propos tenus par mes sixièmes en septembre 2014. On aurait cru entendre des adultes. Ils avaient les mêmes arguments que leurs parents pour s'opposer à l' "abandon", à la "suppression" de la note écrite en rouge. Ils avaient appris leur première leçon et la récitaient... "Sans la note chiffrée on ne saura pas où en est par rapport aux autres!"... La belle affaire!...

Les mêmes six mois après, et sans aucune note chiffrée, ne la réclament pas. En revanche, leur curiosité, leur appétit de savoir, le chemin qui mène à la réussite, tous ses "paysages", les découvertes, les étonnements, tout ce qui fait le plaisir d'apprendre s'est remarquablement développé. On ne se soucie plus du but à atteindre - le 20 sur 20! - mais du "comment", du "pourquoi", du "quand", du "où", du "avec qui", bref on ne manque rien des étapes du voyage. On ne pense plus qu'à elles... 

Je l'ai déjà dit ici et je le redis: je n'ai JAMAIS observé avec une telle précision les progrès de mes élèves car l'évaluation par compétences oblige - et c'est une obligation plaisante - l'enseignant à observer en permanence, au quotidien, pas à pas, les avancées ou les soucis de chacun. On n'attend pas le contrôle, le devoir sur table... On n'attend pas la note, la moyenne, les moyennes de moyennes... On attend de savoir... On espère des surprises... On apprend à apprendre... On grandit en somme... Et sans peur du zéro, de la punition qui suivra... Même les parents, en réunion, m'ont dit leur étonnement et leur heureuse surprise... Tout n'est pas acquis... Il reste quelques réticents mais ils sont rarissimes... Quant à mon autorité, elle n'a pas été attaquée par le fait de ne plus utiliser les "mathématiques" pour évaluer mes élèves... Cet argument-là est une fumisterie majeure!Et puis, on apprend aussi - peut-être surtout- à comprendre ensemble, à chercher ensemble, à faire ensemble, à trouver ou à ne pas trouver ensemble. Lorsque je dis "ensemble", j'entends la "classe", les élèves, tous les élèves par groupes de quelques-uns... Par binome, l'un aidant l'autre... Par groupes plus importants... C'est selon...  C'est "faire ensemble"... Réaliser le projet préalalement défini, même si ce n'est pas toujours simple.

A ce sujet, Philippe Meirieu dit bien mieux que je ne saurais le faire dans ce billet à lire sur le site du Café Pédagogique  :  L'urgence de la construction du collectif à l'école

Oh évidemment, et je l'ai TOUJOURS dit  : l'évaluation par compétences n'est pas LA baguette magique qui va, comme ça, d'un coup, résoudre tous les problèmes qui se posent aux élèves. Car c'est à eux qu'ils se posent avant de se poser à l’École. Mais j'affirme ici que ne pas légitimer - et seul le Ministère peut le faire - l'évaluation par compétences en ne mettant en lumière que la notation chiffrée, ce serait commettre une faute.

Une faute évaluée par... compétences?

28 février 2015

"M'sieur, c'est mieux sans notes! On pense qu'à apprendre!" Léane - 6ème

Mes "6ème" sans notes chiffrées poursuivent leurs apprentissages. L'expérience menée sur les quatre classes de ce niveau au collège (je ne m'exprime ici que pour celles dont j'ai la responsabilité) est, malgré quelques difficultés, quelques incompréhensions entre collègues, un peu -il faut le dire- de mauvaise foi parfois, tout à fait positive.

Les difficultés rencontrées sont désormais derrière moi, derrière eux. Un peu déstabilisés au début, enfants et parents ne manifestent aujourd'hui plus aucune inquiétude. Ceux reçus lors des deux réunions parents/professeurs (mardi et jeudi dernier) ne m'ont fait part que de leur satisfaction. Dix-neuf familles sur quarante-huit. Quant aux élèves, ils me demandent eux-mêmes, en début de chaque cours, et dans un grand sourire:

"Monsieur, quelles compétences on travaille aujourd'hui?". Alors, comme au début de chaque séance, j'en écris une ou deux au tableau et nous partons en "voyage" à la découverte des savoirs.

Mais je dois dire ici que l' "idéologie invisible", celle des logiques de la performance illustrée par les notes chiffrées, est toujours bien présente. A elle seule, elle symbolise la puissance de l'utilitarisme, un utilitarisme stupide, dangereux, tyrannique et réactionnaire.

Grâce à l'évaluation par compétences, c'est cette logique permanente de la performance obligatoire, que vous soyez "bon" ou "mauvais" élève, qui est mise enfin à mal. Pour laisser place à une autre logique: celle des plaisirs d'apprendre sans la PEUR de l'échec, de la "faute", depuis des années utilisée, par moi aussi il fut un temps, pour classer, trier, éliminer.

L'idée qu'on se fait, de la réussite ou de l'échec dans l'Ecole, est significative du modèle sociétal qu'on veut imposer. Le pire, à mes yeux, étant que des enseignants, de bonne foi souvent, puissent être assez aveugles pour se prêter à cette "construction". Nous avons depuis trop longtemps accepté de n'être plus que des étalonneurs, le nez rivé sur des notes, des moyennes, des moyennes de moyennes, des coefficients. Nous "mesurons" une communauté humaine à la lumière des échecs et des succès de ses enfants. Nous fabriquons un monde bancal et fragile. Il suffit d'ouvrir les yeux. Horreur!

C'est par les chiffres, et uniquement par eux -qui n'a pas assisté à un conseil de classe de collège ne peut pas comprendre. Il faudrait les ouvrir à tous- que l'élève est jaugé, soupesé, noté, réduit à des alignements de notes aussi improbables qu'un quinze de moyenne en français et sept en mathématiques, le tout plus ou moins rééquilibré par une dizaine d'autres moyennes traduisant telles réalisations musicales, plastiques, scientifiques, technologiques ou sportives à des... chiffres! Sans parler de l'importance prise par ces moyennes dans l'orientation des élèves. Idiot!

Et chacun de croire, ou de feindre de croire, que le nombre de notes au-dessus du fatidique dix sur vingt mesure de manière mathématique et indiscutable la réussite ou l'échec d'un élève. Car les chiffres, n'est-ce pas, c'est sérieux! Pas comme ces "acquis" ou "non acquis", pas comme ces couleurs rouge, orange ou verte. Pas comme ces évaluations bienveillantes qui ne sont, pour les opposants à d'autres manières d'évaluer, que laxisme et incitation à la division du corps enseignant. Foutaise!

La note chiffrée ferait progresser les élèves. Ce diktat idéologique qui continue de dominer dans les salles de professeurs de collèges et de lycées (moins en primaire heureusement!) permet seulement de justifier la soi-disant nécessité d'entretenir la PEUR de l'échec. Une peur de plus en plus toxique, empuantissant l'air de nos salles de classe. A force d'entretenir la présence de la peur, de l'utiliser comme un levier, nous avons confondu la vérité des apprentissages avec leur lot d'erreurs et le mensonge des notations qui les interdisent au point de les sanctionner TOUJOURS! "Faire échec à une parole vraie pour peaufiner un mensonge efficace" dit Jean-Claude Guillebaud dans son merveilleux petit ouvrage fort heureusement intitulé Je n'ai plus peur!* Terrifiant!

Mes petits "6ème" sont cette annnée à l'abri de tout cela. J'espère que notre Ministère saura prendre des décisions qui considèreront D'ABORD l'intérêt des élèves. C'est pour eux que je mène, avec tant d'autres plus engagés et courageux que moi, ce combat.

Léane  : "Monsieur, c'est mieux sans notes! On pense qu'à apprendre!"

Léane, va dire, non pas à Sparte mais à notre Ministre, que tu aimerais remporter notre "bataille des Thermopyles"...

* Je n'ai plus peur, Jean-Claude Guillebaud. Ed L'Iconoclaste, Paris 2013

1er février 2015

Enseignants... On peut se demander ce qu'on sait faire...
 
Il faut former les enseignants à évaluer par compétences.
Il faut former les enseignants à organiser des débats en classe.
Il faut former les enseignants à l'Histoire des arts.
Il faut former les enseignants à travailler en équipe.
Il faut former les enseignants à la pédagogie différenciée.
Il faut former les enseignants à la pédagogie de projet.
Il faut former les enseignants à repérer les "dys".
Il faut former les enseignants à l'analyse des médias.
Il faut former les enseignants à l'utilisation pédagogique des outils informatiques.
Il faut former les enseignants à gérer les conflits entre élèves.

Il faut former les enseignants à la philosophie en primaire et au collège...
Il faut... Il faut... Il faut...

Mais dites-moi... En fait, à lire tout ça, on peut se demander ce qu'on sait faire...
Et, en creux, exiger une formation continue digne de ce nom...

22 janvier 2015

Montée des intégrismes à l'école... Nous savions tout depuis fort longtemps... La preuve !  

 
"Les contestations politico-religieuses

Un grand nombre d’élèves d’origine maghrébine, Français voire de parents français, la majorité sans doute dans certains établissements,se vivent comme étrangers à la communauté nationale, opposant à tout propos deux catégories : « les Français » et « nous ». Se revendiquant hier, lorsqu’on les interrogeait, d’une identité « arabe », d’ailleurs problématique pour des maghrébins, ils se revendiquent de plus en plus souvent aujourd’hui d’une identité « musulmane ». Un endoctrinement qui peut commencer dès l’école primaire, comme en témoignent certains instituteurs. Beaucoup de collégiens, interrogés sur leur nationalité, répondent de nos jours « musulmane ». Si on les informe qu’ils sont Français, comme dans ce collège de la banlieue parisienne, ils répliquent que c’est impossible puisqu’ils sont musulmans !

L’identité collective, qui se référait souvent hier chez les élèves à une communauté d’origine, réelle ou imaginaire, et qui avait fait parler à certains sociologues de « l’ethnicisation » des rapports entre les jeunes, semble se transformer de nos jours en un sentiment d’appartenance assez partagé à une « nation musulmane  », universelle, distincte et opposée à la nation française. Ses héros sont à la fois les adolescents palestiniens qui affrontent à mains nues les blindés israéliens, et dont les images des corps ensanglantés passent en boucle sur les chaînes satellitaires des pays arabes, et les chefs « djihadistes » responsables des attentats de New York et de Madrid. De nombreux témoignages, comme celui de ce principal du collège d’une sous préfecture d’un département rural, racontant ce car scolaire acclamant Ben Laden en arrivant devant son établissement, semblent montrer que de plus en plus d’élèvesvibrent à l’unisson de « la massification du soutien à Al-Qaïda »révélée par les sondages d’opinion dans le monde arabe.

Il est particulièrement significatif de constater à cet égard que dans la plupart des établissements visités, les instants de recueillement national organisés à la suite de ces événements tragiques ont été contestés ou perturbés de l’intérieur, parfois de l’extérieur, ou bien n’ont pu avoir lieu, ou encore ont été détournés de leur objet officiel par des chefs d’établissement soucieux qu’ils puissent se dérouler dans le calme (par exemple en invitant les élèves à se recueillir sur « tous les morts de toutes les guerres ».) Comme dans la plupart des pays musulmans, Oussama Ben Laden est en train de devenir, chez les jeunes de nos « quartiers d’exil », et donc pour une part notable de nos élèves, qui craint d’ailleurs de moins en moins de l’exprimer, la figure emblématiqued’un Islam conquérant, assurant la revanche symbolique des laissés-pour-compte du développement en rejetant en bloc les valeurs de notre civilisation. C’est sans doute là, et de loin, l’aspect de nos observations le plus inquiétant pour l’avenir."

 

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Vous pensez peut-être que ces lignes ont été écrites trés récemment...

Pas du tout  !

Elles sont extraites du rapport de Jean-Pierre Obin et ont été rédigées en juin 2004. Ce rapport fut remis à François Fillon, à l'époque Ministre de l'Education Nationale.

Ce dernier prit soin de le ranger très soigneusement dans un tiroir. Suivi en cela par ses successeurs qui "oublièrent" d'ouvrir ce tiroir. C'est bien dommage...

 

Le rapport complet est lisible ICI <http://www.jpobin.com/pdf2/2004lessignesetmanifestations.pdf>

 

20 décembre 2014

"Pédagogues" contre "Républicains"  : pourquoi je ne participerai plus jamais à ce "débat"...

Plusieurs lectures récentes, sur les réseaux sociaux comme sur les sites plus "spécialisés", m'ont amené - mais j'en suis convaincu depuis quelques mois sans pouvoir véritablement et clairement formaliser ma réflexion - à regarder d'un oeil neuf le combat (beaucoup plus que le débat) qui oppose depuis des décennies "pédagogues" et "républicains".

L'objet de ce court billet n'est pas de définir les deux "écoles". Internet regorge de milliers de pages, toutes plus savantes les unes que les autres, qui informeront le lecteur curieux bien mieux que je ne saurais le faire.

Il est plutôt de constater et de faire constater à quel point ce "débat" est devenu vain, médiocre, inutile et dangereux.

D'ailleurs s'agit-il encore d'un débat? La définition que je donne à ce terme n'et en rien illustrée par les invectives, accusations, injures parfois, qui jalonnent les échanges entre pédagogues et républicains. Un débat, ce sont des personnes de bonne volonté, d'avis certes différents mais qui échangent des opinions contraires dans un but COMMUN: la construction, la réalisation d'un projet.

Or nous assistons, depuis des années et en particulier sur les réseaux sociaux ou dans les "com" publiés à la suite d'articles parus dans la presse Internet (très friande de ce "débat"), à des dialogues de sourds d'un caractère très particulier:

Etape 1  : le républicain provoque, en général toujours le premier, un "débat" sur tel ou tel sujet. La pédagogie regorge d'occasions de se disputer. Il le fait en employant TOUJOURS la même méthode: la "réécriture" du discours "pédagogiste", pour reprendre la teminologie ironique utilisée. Le républicain ne dénonce pas la pédagogie. Il n'utilise quasiment jamais le corpus pourtant immense à sa diposition. Il se contente d'une complainte permanente, récurrente qui peu à peu glisse de la réécriture à l' invention pure et simple du discours de son "adversaire". L'idéologie remplace alors la réflexion, l'analyse scientifique.

Etape 2  : le pédagogue s'offusque et répond. Pour ce faire il prend alors le temps de se justifier. Il passe des heures à RE-construire ce qui vient d'être détruit. Cette auto-justification permanente n'empêche évidemment pas son interlocuteur "républicain" de considérer toujours le "pédagogue" comme ce "professeur de rien" dont parlait Jean Lechat en 2005 dans L’idée de science classique. (In Lombard J. LÉcole et les sciences. Paris : L’Harmattan, 2005). Et le "pédagogue", de justification en justification, finit par lasser et se lasser. Le "débat" trouvant sa conclusion dans des fins de non recevoir au mieux, dans l'invective et l'injure au pire.

Et de tout cela il ne sort... rien!

Car tout ce temps passé, par les uns à inventer idéologiquement un faux discours "pédagogiste", et par les autres à se justifier parfois maladroitement, est autant de temps perdu au détriment d'un sujet autrement plus essentiel: l'Ecole et ses réelles difficultés.

La critique du "pédagogisme" n’a pas d’objet. Elle procède de la rhétorique de la construction de l’adversaire. Les justifications permanentes des pédagogues n'ont pas plus d'objet non plus puisqu'elles sont la conséquence d'un propos lui même sans objet. On tourne en rond et l'Ecole passe au second plan. Un comble!

Voilà pourquoi je ne participerai plus JAMAIS à ce "débat" devenu inutile, inintéressant et consommateur d'un temps précieux que je préfère consacrer à la construction de l'école de demain plutôt qu'à la destruction de celle d'aujourd'hui par la faute d'échanges qui ne font plus sens.

J'invite humblement mes lecteurs à faire de même et à s'engager dans cette voie, plus exigeante mais plus exaltante et positive.

P.S. de Philippe Meirieu : Pour "revisiter" ce débat et prendre de la distance avec lui, je me permets de renvoyer à mon ouvrage "Lettres à quelques amis politiques sur la République et l'état de son école", Plon, 1998, épuisé mais disponible gratuitement en téléchargement sur ce site : cliquez ici

29 novembre 2014

Merci...

Je suis tombé dans l'enseignement comme Obélix dans la potion de son druide bien aimé. Mon arrière-grand père, mon grand père et mon père étaient instituteurs, "hussards noirs de la République" comme on disait à l'époque avec vénération... Seul mon père a souhaité un jour sortir du rang et devenir Inspecteur de l' Education Nationale. Je lui en ai, pendant un temps, terriblement voulu.  

Et puis un jour j'ai "rencontré" Philippe Meirieu

Partis en Algérie pendant les années de sang, de 1955 à 1960, mes parents m'ont fait naître dans cette  Algérie française qui n'était française que par la volonté des colons puis de la guerre. Je n'ai aucun souvenir de mon pays natal, l'ayant quitté à l'âge de trois ans pour le Maroc où sont restés mes plus beaux souvenirs. Jusqu'au jour où mon père, triomphant, nous a annoncé, à ma mère et à moi, qu'il avait décroché le concours d' Inspecteur. J'avais seize ans et ce succès signifiait le retour en France. Un monde s' écroulait ! J'ai compris, plus tard, qu'on n'est pas du pays de sa nationalité, mais du pays où l'on a son passé, ses amis d'enfance et ses premières amours, du pays de son école et des ses maîtres. J'aime la France, bien entendu ! Mais mon coeur a laissé sa trace dans le sable des plages d'El Jadida et de Casablanca, à tout jamais.    

Je vois encore mon père, assis à la table de la cuisine, corrigeant les copies pendant que je faisais mes devoirs. C'est tellement mieux d'avoir son père pour demander de l'aide et obtenir réponse. Nombre de mes élèves, en rentrant chez eux, n'ont pas cette chance. Je le regardais, du coin de l'oeil, appliqué à toujours expliquer telle erreur, en rouge, «la couleur du maître et des empereurs de Chine» disait il. Et la soirée s'écoulait, sans télévision. Les nouvelles de France n'étaient audibles, sur France Inter, qu'à partir de neuf heures du soir, et encore ! On écoutait le Pop club de José Arthur... Alors je dévorais les livres comme autant de délicieux loukoums. Il fut mon premier maître.  

Ma mère ne travaillait pas, comme on dit bêtement pour une femme qui ne perçoit pas un salaire. Elle a travaillé à m'élever, dans le respect absolu du Maroc, dont j'ai appris la langue, dont j'ai apprécié les coutumes. Chez moi, le jeudi, les amis s'appelaient David, Khadija, Antonio et Jean-Pierre. Jamais nous ne faisions de différences entre juifs, musulmans et chrétiens. Certaines familles françaises nous le reprochaient. Il en aurait fallu bien plus pour impressionner mes parents. Cela me peine d'entendre aujourd'hui dans le pays de Voltaire toutes les intolérances, les soupçons savamment entretenus, les haines. Je ne comprends pas. Je ne peux pas comprendre. Mes amis avaient leurs confessions mais surtout un coeur, un regard et des mots qui me bercent encore. D'illusions ? Peut être...  

C'est au Maroc que j'ai entendu pour la première fois le mot pédagogie. Je me souviens très bien des discussions animées le dimanche à la plage entre mon père et ses collègues. Plus tard j'entendis parler d'un "Philippe Meirieu"... Ah Philippe Meirieu! C'est qu'en parlant de lui et de ses travaux, ils  en seraient presque venus aux mains, ces grands enfants ! Mais tout se terminait avec l'accent de là-bas dans des éclats de rire... Et du haut de mon adolescence, je me disais déjà que cela devait être un sacré métier si l'on en parlait même le dimanche à la plage. Et ce "Meirieu" devait être quelqu'un d'importance. Peut être qu'il viendrait un jour dîner à la maison ! Plus tard je retrouverai Philippe Meirieu qui me fit l'honneur inconcevable pour moi de m'accueillir sur son site Internet. Mes "Palmes Académiques" en sorte...

« Papa, je veux être professeur plus tard. »  

Je crois que si j'avais annoncé avoir découvert le trésor des Etrusques, il en aurait été moins fier !  

« Mon fils, tu empruntes un chemin noble et difficile mais, écoute moi bien, mon fils-je, l'entends encore, si tu es professeur, il faudra, tu m'entends bien, il faudra que tu aimes avant toute chose, avant toi même, avant ta future femme, que tu aimes tes élèves ! Il n'y a pas d'enseignement sans amour ! Enseigner, c'est vivre et on ne vit pas sans amour ! Tu as compris mon fils ? »  

Il avait raison mon père. Il est parti le 4 septembre 2005, le jour de la rentrée, sans prévenir. Le jour de la rentrée ! Il m'a fait ça, à moi ! Je suis certain qu'il l'a fait exprès pour que je pense à lui à chaque début d'année scolaire. Il aurait pu en faire moins le bougre !  

Ma mère l'a suivi le 8 janvier 2006. Elle me laissait lire tard le soir. Ils sont restés près de moi pendant toutes mes années d'études. Ils sont près de moi chaque jour.  

Je souhaite à tous les enfants de France de trouver leurs parents le soir en rentrant de l'école...

Je souhaite à tous les jeunes enseignants de croiser la route un jour d'un pédagogue tel que Philippe Meirieu...

Il faut que je pense à photocopier l'acte I, scène 4 d' Andromaque pour mes troisièmes...  

C'est curieux comme la tragédie prend toute son ampleur, toujours, au soleil !... 

22 novembre 2014

Les mesures "anti-décrochage scolaire": chiche  ?

- 50 millions d'euros par an consacrés à la lutte contre le décrochage scolaire

- Formation des enseignants pour mieux détecter les signes annonciateurs de décrochage.

- Numéro de téléphone unique mis à disposition des jeunes et des familles désireux de parler, d'échanger, d'anticiper et de résoudre les problèmes.

- Un référent unique par établissement.

- Une semaine de la persévérance scolaire mise en place chaque année dans les établissements.

- Les élèves en difficultés, pré-décrocheurs, pourront partir en stage de découverte en entreprises ou en service civique, tout en restant scolarisé avec possibilité de retour.

Alors bien sûr on peut toujours dire que tout cela reste insuffisant. On peut d'avance baisser les bras en affirmant que "de toutes façons, ça ne marchera pas". On peut oublier, volontairement ou pas, qu'avant ces mesures 150 000 jeunes étaient laissés sur le bord du chemin sans que RIEN, entre 2007 et 2012, ne soit mis en place ni en amont ni en aval. On peut adopter des postures politiciennes et, puisque ce sont des mesures "de gauche", affirmer avec la droite que tout cela n'est que cautère sur jambe de bois. On peut avec quelques syndicats faire de l'opposition systématique à tout ce qui vient d' "en-haut". On peut encore et encore dire que 50 millions ce n'est pas suffisant et que l'on manque de "moyens"... 

On peut aussi prendre tout cela à bras-le-corps et dire "Chiche, on y va"...

Presonnellement je préfère la seconde solution qui me donne l'occasion du combat contre l'échec plutôt que l' "aquoibonisme" qui gangrène depuis trop longtemps notre "grande maison".

Qui désespère élèves et familles.

Et qui me fatigue!...

9 novembre 2014

De quelques découragements...

 
Il est des jours où le découragement l'emporte sur l'excitation, la passion, l'énervement parfois, tant les débats éducatifs peuvent être vifs, vifs parce que passionnants entre passionnés.

Découragement face aux débats qui agitent l'Ecole après l'annonce du Président de la République au sujet des "tablettes numériques" : on a tout dit et souvent n'importe quoi...

Découragement face au peu d'enthousiasme de certains au sujet des réunions de concertation avec nos collègues professeurs des écoles, concertation indispensable avant la mise en place du nouveau cycle "CM1/CM2/6ème"... On a souhaité ces rencontres. On les "démolit" aujourd'hui...

Découragement face aux attaques dont sont l'objet les pédagogues, attaques vulgaires, basses et mensongères... Je n'ai même pas envie d'y revenir... Temps perdu...

Découragement face à un monde qui a mis le chiffre avant la raison. Qui a remplacé souvent la raison par le chiffre. Ouvrez un quotidien  : trois pages rien que pour l'économie. Seul le sport rivalise. Allumez radio et télévision  : l'économie occupe une place majeure dans le déroulé de l'information. Mais où donc sont la littérature, le théâtre, les arts de la rue, la musique? Où sont les "arts de l'esprit" et "les joies simples du coeur"  ?

Découragement de lire les éloges déversés sur le WISE de Doha (Qatar), cette manifestation consacrée à l'éducation et aux innovations. Eloges très peu équilibrés par le recul critique nécessaire. Sinon par un Philippe Meirieu (1), un Luc Cédelle (2), une Aurélie Colas (3)... Quelques voix qui veulent résister au rouleau compresseur d'un pays dont le "modèle" éducatif est loin de faire l'unanimité. Ce qui n'empêche pas nos "experts" d'être aveuglément dithyrambiques... Loin de moi l'idée de ne pas admettre de belles trouvailles, de nier l'existence de belles découvertes, d'oublier les belles rencontres sur les lieux mêmes... Mais loin de moi l'idée de fermer les yeux sur un salon de l'éducation qui n'a parfois d' "éducation" que le nom. Se bercer d'illusions endort. Le réveil est brutal  !

Découragement d'assister aux succès de librairie des Zemmour, Trierweiller et autre Marc Lévy. Une "sous-culture" que l'on réserve aux "masses", à ceux dont Patrick Le Lay, ex PDG de TF1, voulait occuper une "part de cerveau disponibl"e par le biais de Coca-Cola. Le pire étant qu'il y est parvenu. Pourquoi, mais pourquoi impose-t-on aux "masses" qui se lèvent tôt les émissions les plus stupides pour réserver les rendez-vous culturellement plus "nobles" aux "masses" éclairées  ? Où est-il le joli temps qui permettait aux français de regarder Les Perses d'Eschyle à 20h30  ? Et ce peuple français aimait  ! Car on le prenanit pour ce qu'il est  : un peuple adulte  !

Bien d'autres découragements encore mais qui passent car tout passe vite auourd'hui.

On n'a même plus le temps d'être découragé...

Quelque part, tant mieux... Mais méfions-nous quand même car sans découragement, que deviennent nos révoltes  ?

 

1- http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/10/17102014Article635491282198078959.aspx

2- http://education.blog.lemonde.fr/

3- http://abonnes.lemonde.fr/education/article/2014/11/06/pourquoi-le-qatar-fait-il-son-wise_4519859_1473685.html

20 octobre

En écoutant mes élèves...

Lors d'un très récent voyage en Italie avec mes élèves de 4ème et 3ème, j'ai pris le temps d'écouter, de les écouter, car nous disposions de ces heures d'échange qui manquent trop souvent au collège par la faute d'emplois du temps délirants d'absurdité. J'ai découvert d'autres pré-adolescents qui ont découvert j'espère un autre professeur.

De toutes ces conversations, avec les filles comme avec les garçons, le soir en bord de plage ou lors des pauses-déjeuner à Rome, Ostie ou Herculanum, jusque dans le train du retour, jusque dans la gare de Milan lors de notre correspondance vers Rome à l'aller puis Paris au retour, j'ai entendu leur curiosité, leur appétit de savoir, leur bonheur d'être ensemble, leurs émerveillements au Colisée ou devant les ruines  de la ville engloutie par les cendres du Vésuve.... Et puis j'ai très souvent entendu aussi leurs inquiétudes. L'avenir. Les 3ème surtout. Ils quitteront le collège dans huit petits mois qui passeront si vite.

Notre société française, ce "modèle", est fondée depuis des décennies sur le fait "certain" que l'Ecole aide les enfants à, au moins maintenir un rang social, au mieux aide celles et ceux qui partaient de très bas à gravir quelques échelons. Or depuis les années 1990, l'échelle est toujours là, l'Ecole aussi, mais elle semble ne "profiter" qu'aux plus favorisés à la naissance. Loin de moi l'idée d'en vouloir à ces excellents élèves. Je les ai toujours encouragés, félicités. Ai toujours interdit les moqueries à leur encontre: "Ah oui mais lui c'est un intello !"...

Il n'empêche que, pour reprendre une réflexion de François Dubet, "On traîte mal ceux qui ne sont pas dans l'élite". Les clefs de la réussite scolaire sont détenues par les mêmes, plus fermement encore depuis la crise. Même les diplômés ne sont plus aussi certains de la valeur annoncée du dipôme obtenu. Alors, une peur en entraînant une autre, on conserve précieusement ces petits avantages personnels. On devient égoïste. On ne sait jamais. On n'est jamais trop prudent. Etc...

Et, d'émancipatrice l'Ecole a tendu un autre miroir à ses utilisateurs. celui de la "stagnation éducative". Tout s'est figé, comme les corps des suppliciés d'Herculanum enfermés dans leur prison de roche volcanique. Le divorce entre le "peuple" et les "élites" achève de se consommer. Une génération entière a désormais acquis la conviction tragique qu'il y a eu tromperie sur la marchandise. Une trompertie d'autant plus inacceptable que l'Ecole a continué de véhiculer l'idée d'un "contrat de confiance" qu'elle savait ne plus pouvoir honorer. D'où ma conviction profonde d'une urgente nécessité de refondation de l'institution toute entière. Refondation qui n'est même plus discutable.

Dans les rires et les regards joyeux de mes élèves, dans les yeux gris-bleu de Sarah, dans les mots de Thomas et de Zoé, dans les colères soudaines de Jade, dans les courses folles de Pierre, Souad et Julie sur la plage, dans les mots de tous j'ai entendu leurs bonheurs présents et leurs peurs futures. Ces peurs qui sont le terreau des discours réactionnaires.

Pour ces élèves-là, comme pour tous ceux de mes collègues, je souhaite une autre Ecole. Non pas une Ecole adaptée à la société qui va (mal) mais une Ecole qui ait un sens, qui donne du sens et qui indique quelle société nous voulons plutôt que d'accepter celle que nous subissons et, pire encore, faisons subir à nos élèves.

5 octobre

Apprendre aussi ces choses qui ne servent à rien...

Je lisais hier Le Magazine du Monde. Il paraît chaque samedi. Grand amateur de ballets classiques, admirateur de Marie-Agnès Gillot, danseuse Etoile à l'Opéra de Paris, mon regard fut attiré par un rapide portrait fait d'elle page 107. Elle y dit ceci : «J'adorais mon grand-père. Il m'a appris plein de choses qui ne servent à rien comme pêcher la crevette, dessiner, apprivoiser les oiseaux, apprendre le nom des arbres». Ce qui me fit réfléchir...

L'Ecole est en refondation. Trop, pas assez, trop rapidement, trop lentement, pas comme il faudrait pour les uns, comme il ne faut surtout pas pour d'autres. Là n'est pas le sujet de ma réflexion du moment. Voilà donc une danseuse qui, se souvenant de son grand-père adoré, conserve de lui l'image du pédagogue qu'il fut sans même le savoir. Un pédagogue particulier puisqu'il lui apprit des "choses qui ne servent à rien".

"Qui ne servent à rien..." Et si, de temps à autres, nous, pédagogues experts, professeurs de profession, maniant les programmes avec dextérité, maîtrisant nos savoirs comme personne, capables de construire une séance qui s'achève "pile" sur la sonnerie de fin de cours, bref nous les enseignants ne devrions-nous pas parfois prendre le temps, un temps nullement perdu, d'apprendre aussi à nos élèves ces "choses qui ne servent à rien" ?

J'entends d'ici les quelques-uns, toujours les mêmes, poussant de hauts cris, bras levés vers le ciel, implorant la mémoire des anciens et m'accusant de dangereuse démagogie. Comment  ? Ne pas respecter les programmes ? Emmener les élèves vers des «savoirs douteux», même pas évaluables  ? Scandale  ! Comment  ? Oser faire découvrir des savoirs inutiles  ? Quand tout savoir se doit, c'est un dogme scolaire, d'être utile et seulement utile  ? Scandale  !

Loin de moi l'intention de ne pas respecter les programmes ! En plus de trente ans de bons et loyaux services -je crois- , j'ai toujours mis un point d'honneur à obéir à la vraie seule injonction qui nous soit imposée: respecter ces fameux programmes en en laisser des traces. En revanche, le grand-père de Marie-Agnès Gillot a laissé les traces que j'aimerais aussi laisser, prétentieusement sans doute, dans la mémoire de mes élèves. Ces traces indélébiles liées à des moments où, tout en apprenant ces «choses qui ne servent à rien», ces choses qu'on ne notera pas, ces choses qui ne feront pas l'objet d'un devoir, d'un contrôle, nous construirons ensemble des souvenirs, des souvenirs formateurs de l'adulte que chacun de nos élèves deviendra bientôt. Réapprendre, par exemple, qu'un livre est fait pour être lu avant d'être étudié. Et même, pourquoi pas, de ne pas être étudié du tout.

De temps en temps...

Je souhaite à tous les élèves de ce pays de conserver en mémoire aussi bien des formules mathématiques que la promenade qu'un jour un professeur de français vous fit faire, arrêtant le cours en son milieu, parce qu'il avait envie de vous montrer un paysage d'automne, de vous lire quelques passages de Flaubert et de Maupassant au milieu d'une Normandie vivante, loin du cadre strictement fermé de la salle de classe... Et de vous montrer quelques libellules frôlant l'eau de la rivière... Juste parce que c'est beau...

21 SEPTEMBRE 2014

Oui aux compétences... Mais oui tout autant aux savoirs  !

La rentrée des classes est désormais trois semaines derrière nous... Et j'effectue donc ici, sur le site de Philippe Meirieu qui m' accueille depuis longtemps avec bienveillance et tolérance, ma "rentrée" de chroniqueur de terrain.

Pour la première fois, après de longs combats, de patientes discussions, de réunions animées, d'envies furieuses de tout envoyer promener, d'espoirs déçus puis retrouvés, les sixièmes de l'établissement où j'enseigne vont être évaluées de manière différente. C'est à dire "évaluées par compétences", les fameuses compétences du socle commun (pour faire court).

Jusqu'au dernier moment, il a fallu argumenter pour vaincre les réticences et craintes compréhensibles des parents et de quelques collègues. Des parents eux-mêmes "formatés" par l'école qu'ils ont en mémoire, mémoire souvent au service de souvenirs enjolivés. Collègues très attachés, c'est humain, a des habitudes bousculées soudain par un changement qu'ils accusent de vouloir mettre en cause l'un des piliers de notre autorité: attribuer des notes chiffrées en rouge en haut des copies de nos élèves. Le rouge, "la couleur des professeurs et des empereurs de Chine" disait mon père...

Si l'on ajoute à cela la mise en place du cycle "CM1/CM2/6ème", mon collège vit sa révolution de septembre. 

Et cela se déroule plutôt bien même s'il est trop tôt encore pour tirer des enseignements instructifs de cette évaluation "nouvelle". Néanmoins quel bonheur d'entendre des élèves demander à leurs camarades  : "Tu dois t'améliorer en quoi toi  ?" Plutôt que le sempiternel  : "T'as eu combien? 13 sur 20? Moi j'ai eu 15! Je te bats!"

A cet instant de ma réflexion, le lecteur pourrait croire que je parle d'un outil-miracle capable de résoudre à lui seul tous les problèmes de l'école. Il n'en est évidemment rien  ! Il serait d'ailleurs suicidaire de ne nous appuyer qu'aux bienfaits incontestables de ces évaluations par compétences. En oubliant d'évoquer le "reste"... Le "reste" ce sont les savoirs. Qui vont, tout le monde l'aura compris, bien au-delà des "restes". Les compétences, catalogue souvent indigeste, ne doivent en aucun cas faire oublier les SAVOIRS, fondamentaux et moins fondamentaux. Il est des "savoirs superflus" qui se dégustent aussi, pour devenir un jour nos "petites madeleines"... 

Alors oui, mille fois oui aux compétences, au socle commun, aux évaluations "différentes" (qui ne SUPPRIMENT pas les notes chiffrées, mais les REMPLACENT), mais mille fois AUSSI aux savoirs, aux rituels incontournables, au droit à l'excellence pour tous, au devoirs d'exigence pour chacun, à l'ouverture aux Arts: élèves et professeurs!

Je souhaite une belle année 2014/2015 à tous les collègues et élèves qui ont la gentillesse de me lire... A suivre...

L'Ecole ou le plaisir d'apprendre...

L'année se termine. L'année scolaire. Une de plus. Une de moins. C'est selon. Elle fut difficile et se termine par la tragédie. Une enseignante de maternelle est poignardée, manifestement par une démente. Poignardée devan,t ou en tout cas à proximité, des élèves dont cette enseignante avait la responsabilité. Il s'agit là, heureusement, d'un fait exceptionnel par son extrême gravité. Mais il traduit la difficulté d'une profession, non pas forcément plus exposée qu'une autre, mais surtout caisse de résonance des difficultés sociales et existentielles de ce pays. Des difficultés et de ses conséquences.

Le Ministre de l'Education Nationale a eu raison de rappeler sur les lieux-mêmes où s'est déroulée ce crime, que l'Ecole - au sens le plus large du terme - ne devait pas se replier sur elle-même, qu'elle devait rester un lieu ouvert, un lien social, un exemple du "vivre ensemble". Enfermer l'Ecole, la barricader, la "barbeletiser" ne ferait qu'ajouter au délitement auquel nous assistons et que certains apprentis-sorciers encouragent  !

L'Ecole c'est le plaisir d'apprendre, pour reprendre le titre de l'ouvrage de Philippe Meirieu co-écrit avec d'autres passionnés*. C'est le lieu des ré-créations, des bonheurs sans limites mais dans les limites d'un cadre fixé par l'enseignant.

L'Ecole a de beaux jours devant elle à condition d'affirmer ensemble, loin des revendications egoïstes et seulement corporatistes, qu'une refondation est urgente. Notamment dans son organisation quotidienne (les "rythmes") et dans son système d'évaluation visant surtout à classer, à trier, à sélectionner beaucoup plus qu'à faire progresser chacun.

L'Ecole doit s'éloigner de ses archaïsmes. Sans croire pour autant qu'il suffirait de passer au "tout informatique" pour transformer la citrouille en carrosse. Un tableau blanc interactif ne suffira jamais, par sa seule présence, à permettre à Noémie ou Pierre de progresser tout à coup plus rapidement qu'avant l'arrivée du "miraculeux" outil dans la salle de classe. La relation enseignant-élève, cette relation qui est au centre de toutes les pédagogies, reste, doit rester et restera le coeur de notre métier. Pour que ce coeur batte bien, sans à-coups, sans faiblesse, il lui faudra entraînement et formation, si possible et même obligatoirement, continue!

Bonheur partagé, limites fixées, organisation quotidienne, lieu ouvert, bienveillance sans laxisme, formation, mixité sociale, évaluation "revue et corrigée", voilà ce que l'année qui viendra vite pourrait offrir à réaliser. Des mots simples pour un vaste chantier. Mais quelles perspectives  ! Le jeu en vaut largement la chandelle  !

Bonnes vacances à celles et ceux qui ont la chance d'en prendre...

Christophe Chartreux


* Le Plaisir d'Apprendre, Philippe Meirieu (et ses invités), Ed. Autrement, Paris 2014

Le Socle vu d'en-bas...

Le Socle a encore fait parler de lui. Plus exactement, la démission d'Alain Boissinot, Président du Conseil Supérieur des Programmes (CSP) a fait parler du socle commun de compétences. Car il faut bien l'avouer  : à part les enseignants très informés et impliqués dans divers mouvements pédagogiques et/ou syndicaux, à part quelques parents tout aussi impliqués, l'immense majorité des professeurs et parents de ce pays est à des années-lumières de ce qui se passe au-dessus des têtes  !

Le Socle (“nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture")  est souvent vu d'en-haut. Commenté et analysé par les médias qui font appel à tel ou tel expert. Rarement vu d' "en-bas". Pourtant il serait intéressant de s'y... intéresser.

Car "en-bas" on ne peut pas dire que le Socle soit le centre des préoccupations. Au "mieux" il inquiète par le flou qui entoure sa mise en application concrète, au "pire" beaucoup s'en contrefichent. Notamment en collège. Quelques courageux tentent bien de faire oeuvre de pédagogie et d'expliquer le bien-fondé de cette réforme. Rien n'y fait  ! La sauce a bien du mal à prendre. Et ce ne sont pas les dernières "reculades" du Ministère (5 piliers au lieu de 7 entre autres "nouveautés" avec la construction d'un "marché aux compétences" très éloigné des textes initiaux) qui vont apporter de l'eau au moulin des Don Quichotte défendant depuis si longtemps une autre manière de travailler. Pour faire court.

La démission d'Alain Boissinot, le recul du Ministère, l'immobilisme de quelques syndicats, le découragement et/ou le désintérêt d'une partie du corps enseignant, tout cela évidemment n'augure rien de bon. En octobre, une consultation sera organisée pour recueilllir l'avis de la "base". Je ne crois plus aux résultats de cet ersatz de Démocratie Participative. Les "débats" sont dans tous les cas "orientés" par telle ou telle organisation qui au bout du compte portera la parole. Et ce ne sont pas les questionnaires en ligne que le Ministère ne manquera pas d'imaginer qui changeront quoi que ce soit. Le pourcentage des "répondants" est souvent affligeant de faiblesse  !

Alors que faire me direz-vous  ? Je n'en ai strictement aucune idée tant la force de l'inertie, tant la mauvaise foi de beaucoup d'opposants me semblent impossible à contourner. Pesssimiste  ? Oui sans doute. Mais sur le terrain, même les plus volontaires commencent à se lasser.

Et je n'ai pas abordé les réformes urgentissimes de l'évaluation au collège (car un grand nombre de ceux qui évaluent par compétences continuent de noter, en même temps, de zéro à vingt!) ni la mise en place de la liaison si nécessaire CM1/CM2/6ème!... Allez... Courage  !

Enseignant en vacances !

Ah ces vacances ! Les enseignants ont tout entendu à ce sujet. Nous sommes des privilégiés paraît-il. Je ne dirais pas cela. Les vacances institutionnelles sont un privilège, c’ est incontestable. De là à nous ranger parmi les privilégiés…

J’ ai rencontré, par hasard, Stéphanie en ville. Elle montait et remontait la rue principale. C’est, ici, l’ activité quasiment unique des adolescents le samedi ou pendant leurs congés. Ils descendent des bourgs environnants et viennent respirer l'air marin, cet air que l’on sent avant même d’ avoir aperçu la mer. Ils viennent aussi se montrer, attirer les regards…

« Oh Monsieur! Bonjour ! Vous profitez des vacances ? »

Oui je profite.... Et toi Stéphanie, que vas-tu faire pendant ces vacances  ? Elle n’ a pas grand chose à me dire. Mes élèves sont des ruraux et le Pays de Caux n’ offre pas beaucoup de distraction. Les villages sont éloignés les uns des autres. Les fermes isolées sont nombreuses. La vie, comme le climat, y sont rudes. Maupassant et Flaubert, nos célébrités l’ont dit mieux que moi, ce Pays. Le horsain, celui qui n’est pas né ici, est encore regardé de travers. On soulève discrètement le rideau à carreaux pour observer l’étrange étranger. Et on laisse aboyer le chien longtemps dans la cour avant de répondre au coup de sonnette de l’ importun. Forcément importun. Même s’ il pleut… Surtout s’ il pleut ! On dérange toujours dans le Pays de Caux. Mais on sait aussi être solidaire. Tradition de marins. Les hommes y ont les doigts épais et crevassés de ceux qui remuent la terre ou qui remontent les filets. Ils ont les yeux bleus et fatigués des agriculteurs endettés jusqu’à la gorge, des pêcheurs qui voient le port se vider de tous les bateaux, remplacés par ces cochons de plaisanciers , les parisiens comme ils les appellent. Quand on n’ est pas d’ici, on est de Paris de toute façon !

Je les aime ces hommes là ! Les vacances, eux, ils en entendent parler.

Et leurs enfants ne veulent pas poursuivre l’activité du père. Trop dure ! En 36 ans de métier, mes Principaux de collège ont souvent affiché une note qui annonçait la disparition d’ un parent d’élève. Le suicide est fréquent en Pays de Caux. Mais l’enfant est là. La vie doit continuer, heureusement. Ils ont les ambitions de leurs parents, modestes. Même ceux qui sont doués ne veulent pas poursuivre des études trop longues. Il faut travailler, gagner un salaire, rapidement. Les filles veulent être coiffeuses, les garçons mécaniciens. Pas tous, mais beaucoup. Et on peut tout essayer, ils n’ en démordent pas ! C’est qu’on est têtu en Normandie !

« On refera de la poésie l'année prochaine? »

Oui Stéphanie, on refera de la poésie. Tu verras, je vais te surprendre ! Il faut toujours les surprendre ! Chaque cours doit être un cadeau à leur faire. On n’ y parvient pas à tout coup. Tout se joue dans les cinq premières minutes. Si vous parvenez à accrocher leur regard, leur attention et leur curiosité, alors c’ est gagné. Ils vous suivront au bout du cours, au bout du monde, sur des bateaux imaginaires. La classe sera l’île de Robinson, la scène du Bourgeois Gentilhomme, la Guerre de Troie y aura lieu et la conjugaison, la grammaire et l’ orthographe prendront du sens. Eh oui, Monsieur le Ministre, l’ enseignement n’ est pas qu’affaire d’ experts ou de donneurs de leçons ! Il est aussi, SURTOUT, affaire de passion et d’ amour.

 Je les aime ces enfants là ! Les vacances, ils les ont bien méritées...

«  A bientôt Stéphanie ! »

 L'air est vif. Mais il fait un soleil magnifique. Je me dirige vers le port pour aller regarder les hommes sur les quais, réparant un filet ou rangeant leurs casiers. J irai peut être même boire un café avec eux. J aime les entendre parler. Ils parlent si bien de leur vie et de leur bonheur. Jamais de la dureté de leur existence.

 Et pourtant, ils en auraient des choses à dire, eux qui n’ont que très peu de privilèges !

Apprendre est une gourmandise...

L'Ecole, au sens large, semble avoir oublié cet aspect pourtant essentiel sans lequel il ne peut exister de "plaisir d'apprendre" pour reprendre le joli titre du livre de Philippe Meirieu. Oh, bien sûr, des milliers d'enseignants, chaque jour, inventent, imaginent, créent et recréent pour offrir à leurs élèves des "moments d'être", ces moments où, comme par miracle, les murs de la salle de classe s'effondrent pour laisser place à un autre lieu, indéfinissable, invisible ou visible aux seuls participants. Un lieu et un moment partagés  : ceux du bonheur d'apprendre, de comprendre et, donc, de toucher au plus près le trésor offert à nos élèves  : la LIBERTE, seul outil nécessaire permettant de contourner, d'écraser même, les fatalités, les destins écrits d'avance, les têtes baissées devant l'échec, la résignation et ce sentiment atroce de ne pouvoir jamais accéder aux savoirs toujours réservés aux mêmes, aux mêmes mais pas à tous.

Pas à tous ceux qui, happés par une société qu'on leur présente comme "idéal" mais n'étant que celle de la "consommation/pulsion", du jeu vidéo à outrance, des émissions de télévisions plus stupides les unes que les autres, iront grossir les rangs déjà très serrés des décrocheurs, "en difficultés majeures", abandonnés sur le bord de la route tracée par et pour d'autres: les initiés. Ceux-là ont perdu le goût... La gourmandise leur est inconnue, eux qui avalent leur soupe vespérale à la grimace des devoirs à la maison que, de mauvaises notes en mauvaises notes, ils ne font même plus.

Mais voilà. Notre Ecole est fabriquée pour fabriquer des "modèles". Et si possible des "modèles" qui aiment souffrir, qui savent courber l'échine, garder le silence, lever la main, comprendre vite... En 55 minutes pour le collège, multipliées au quotidien par d'autre 55 minutes. Tu n'as pas eu le temps de comprendre l'accord du participe passé avec avoir  ? Tant pis  ! Va essayer de comprendre quelques phrases d'anglais puis les inégalités des systèmes de santé dans le monde (programmes de 5ème). Puis tant d'autres choses que tu ne comprendras pas parce que tu n'as plus d'appétit, plus de plaisir...

Heureusement, et je le dis et le pense avec sincérité, des milliers de collègues, en maternelle, primaire et secondaire, accomplissent chaque jour, chaque heure, chaque minute des miracles. Oui des MIRACLES  ! Dans la difficulté, minés parfois par le découragement, ils y reviennent. Les uns transformant leurs cours en happening insensés, les autres en toute discrétion laissant leurs élèves investir l'espace des savoirs, les accompagnant dans la découverte d'îles merveilleusement inconnues. Il n'existe pas de méthodes idéales, uniques pour redonner du goût aux savoirs à transemettre. Mais il est quelque chose qui ne peut pas ne pas être présent, toujours: la passion du "Maître". Elle doit se voir et surtout se transmettre. Jamais l'élève ne saisira le plaisir d'apprendre si face à lui se trouve un Maitre désabusé, découragé, uniquement soucieux de son confort et étant persuadé que "le silence est la condition de l'attention quand elle n'est que la condition du sommeil".

Le bonheur d'aller à l'Ecole existe. Il faut aller le chercher et, après l'avoir trouvé, le faire partager loin de toutes "bisounourseries" démagogiques. Non! Le partager pour élever l'élève vers ce qu'il saura vous rendre: Le sourire et le bonheur lu dans ses yeux d'avoir appris!

Refondation de l'Ecole ?... Il y a urgence  !


Monsieur Benoit Hamon est Ministre de l'Education Nationale depuis quelques jours. Des rumeurs, des bruits de couloirs laissent entendre que la réforme dite "des rythmes" pourrait être "assouplie".

"Assouplie"?... En langage politique cela peut signifier immobilisme, enterrement. Rien ne serait pire  ! Vincent Peillon n'a sans doute pas "tout fait bien" comme disent nos élèves. Il aurait dû... Il aurait dû... Certes... Mais n'oublions pas ce qu'il a osé faire dans un contexte difficile, face à des interlocuteurs très divers et dont les objectifs ne sont pas toujours l'intérêt des enfants. La première brique d'un chantier gigantesque a été posée. Il serait criminel qu'elle restât la seule.

Car il y a urgence  ! Je ne vais pas ici revenir sur LES urgences. Le constat est établi. Les pistes à emprunter pour améliorer, métamorphoser -  pour reprendre la jolie formule d'Edgar Morin  - la "Maison Ecole", son système, ses anachronismes, ses aberrations, sont connues. Elles existent. Elles sont même appliquées dans certains établissements publics français et à l'étranger.

Alors  ?... Alors je mets en garde, en praticien de l'Ecole (je suis professeur en collège depuis 37 ans) sans pousser de hauts cris - car plus on hurle, moins on est entendu - contre ce cancer récurrent  : l'immobilisme ou, au mieux, les réformettes à la marge empilées sur un mille-feuilles de plus en plus lourd à digérer.

Nos élèves n'ont que faire des compromis politiciens, des luttes idéologiques PS/UMP (pour ne citer que ces deux-là), des combats entre pédagogues etrépublicains. L'Ecole est l'affaire de TOUS  ! Aucune refondation ne sera pérenne si chaque Ministre, chaque gouvernement et chaque alternance apportent leur lot d'idées "neuves". Encore moins évidemment si la Rue de Grenelle se bunkérise attendant les prochaines échéances électorales.

L'Ecole n'a pas besoin d'un médecin. Mais de pompiers secouristes car l'effondrement est proche. Tout n'est pas perdu certes. Les enseignants de ce pays, dans la difficulté, le découragement, gardent la foi, l'enthousiasme, le désir de faire progresser, d' ELEVER leurs élèves. Les forces vives de l'Ecole (au sens large), ce sont les enseignants et ils n'attendent que l'occasion de participer à la construction d'une maison nouvelle.

Pour cela, trois propositions  :

1- Nommer un Ministre INAMOVIBLE, entouré par une équipe solide et durable, une femme ou un homme reconnu à droite et à gauche, porteur d'un projet idéologiquement structuré autour d'un seul objectif  : des élèves heureux d'apprendre en leur fournissant les moyens de ce bonheur d'apprendre, de comprendre, de chercher et de savoir (entre 2002 et 2014, ma compagne Professeur d'Ecole a connu 9 Ministres différents! Depuis 1983 j'en ai connu 14  !)

2- S'inspirer, sans les copier-coller, des réussites observées à l'étranger. Et il n'y a pas que la Finlande.

3- Organiser un "Grenelle" de l'Education qui aura pour objectif unique de définir les OBJECTIFS pour l'Ecole du XXIème siècle (on les connait!). Rassembler TOUTES les tendances pour les faire travailler ENSEMBLE afin de construire ENFIN l'Ecole, non pas de tel, ou tel, mais de la REPUBLIQUE!

Et qu'on ne me parle pas d'utopie  ! Ou plutôt si  ! Car que serait un projet d'une telle ampleur sans un minimum de folie  ?

L'esprit de l'enfance

Je lis et entends que l'enfant est en danger. C'est vrai. Et les dangers sont multiples. Je pense aussi qu'en ne protégeant que l'enfant, on se prive d'un autre combat, plus essentiel. Car il ne s'agit pas uniquement de l'enfant mais de l'esprit de l'enfance. Lui aussi, lui surtout, court un péril mortel.

Ne sommes-nous pas, toutes et tous, de grands enfants  ? Hélas je crains que non. De plus en plus nous jouons à l'adulte. Nous fanfaronnons, plastronnons. Et le cynisme, l'hypocrisie, les faux-semblants l'emportent partout. Nous avons trop oublié l'esprit de notre enfance, de l'enfant qui, bien que n'ayant jamais été un ange accroché aux plafonds des chapelles, savait mieux que personne déceler le mensonge, flairer la violence, débusquer la menace.

C'est l'esprit de mon enfance que je conserve toujours au plus près de moi. Il est une référence. Une défense. A chaque blessure que la vie nous inflige, c'est lui qui m'a aidé à traverser la douleur. Mon métier m'a offert l'immense bonheur de vivre au milieu des enfants, des adolescents. Que de vérités ils m'ont apprises. Que de mensonges ils m'ont révélés. C'est avec eux, au milieu d'eux que j'ai illustré cette belle phrase de Bernanos:

"Qu'importe ma vie! Je veux seulement qu'elle reste jusqu'au bout fidèle à l'enfant que je fus" (Les Grands Cimetières sous la lune).

J'entends déjà quelques hauts-cris  :  "Mais ils savent aussi être cruels!". Oui ils savent. Ils ne sont pas que tendresse ni innocence. Pourtant, quand je me demande avec Rutebeuf ce "que sont mes amis devenus", je replonge dans l'esprit de l'enfance comme quand je plongeais nu dans les eaux agitées de l'Atlantique, sur la longue plage d'El Jadida, au Maroc de ma jeunesse à jamais ancré en moi. Et l'eau des souvenirs glisse sur ma peau, caresse ma mémoire et apaise mes tristesses.

Ces jours-là, je ne suis pas l'enfant que j'étais. Je "suis" l'Enfance. Préservons, adultes que nous sommes, cet esprit-là. Il n'est pas "saint". Il n'est que nécessaire  ! Absolument et irrémédiablement nécessaire  !

Les petits nationalismes...

La guerre, les guerres, souvent, sont nées des replis sur soi, du renoncement à l'ouverture aux autres, aux étranges étrangers qui, à force d'étranges, devinrent "trop étrangers". 1914-1918 dont on célèbre le centenaire fut la conséquence, entre autres,  de l'accumulation de nationalismes opposés. Jusqu'à la boucherie  !

Le parallèle pourra sembler très audacieux mais l'Ecole vit depuis des années l'exercice indigeste de "nationalismes" accumulés. Ici les Républicains, là les pédagogues. Ici la méthode syllabique, là la méthode globale. Ici les syndicalistes, là les non syndiqués. Ici le primaire, là le secondaire. Ici l'élite des grands lycées et des classes préparatoires, là les lycées professionnels. Ici les professeurs titulaires, là les Titulaires en Zône en de Remplacement (TZR)... Et j'en passe tant la liste est longue. Notre profession, dit-on, a un statut. Non, elle a DES statuts indéboulonnables, chacun agrippé au sien. C'est dangereux, c'est inefficace, c'est la source de blocages nombreux, de conflits récurrents. Et qu'on ne vienne pas me dire qu'il ne s'agit là tout compte fait que (prenez une profonde inspiration!) "de l'absolue nécessité de la pluralité des points de vue nécessaires au dialogue à l'intérieur de la grande famille de l'Education Nationale qui ne saurait se satisfaire de la pensée unique pour construire une Ecole multiple et multiforme..." etc, etc. Des phrases de cet ordre me font fuir!

Car ce discours-là est, de fait et pas les faits,(observez!) l'illustration des "petits nationalismes", des prés carrés que chacun défend becs et ongles et, de renoncements en petites lâchetés, de concessions aux marges et de petits arrangements entre "amis", de statu quo en statu quo, l'arme permanente  brandie dès qu'un Ministre un peu, un tout petit peu plus audacieux (suicidaire  ?) que les autres, s'autorise à proposer quelques changements. Etrange profession que la notre, étranges enseignants souvent révoltés pour eux-mêmes, sincèrement et légitimement, mais qui, si l'on touche à l'emploi du temps du professeur d'espagnol ou si l'on réduit d'un paragraphe le programme d'Histoire (La géographie en général tout le monde s'en contrefiche), montent aux crénaux  ! Halte là! Ne touchez plus à rien  ! Statu quo  ! Statu quo  !...

Qu'on prenne garde quand même à ne pas rester enfermés encore trop longtemps dans nos "nationalismes" respectifs. L'Histoire nous apprend que les blocages ne se débloquent que dans et par la violence. Cette violence qui s'exerce déjà à l'encontre de nos élèves mais aussi des enseignants dont le mal-être est grandissant.

Combien de temps encore abusera-t-on des impatiences respectives  ? Combien de temps encore préfèrera-t-on les dogmes à l'audace  ? Combien de temps encore nous fera-t-on croire que le salut de l'Ecole passe par le protectionnisme des "nationalismes" mesquins  ?

Tous à poil... L'histoire vraie...

Jean-François Copé, désireux sans aucun doute de ne pas se laisser déborder par des groupes sectaires non contrôlables, s'est dit choqué par le livre intitulé Tous à poil, écrit par Claire Franek et Marc Daniau (Ed Rouergue 2011). « Quand j'ai vu ça mon sang n'a fait qu'un tour » s'est-il exclamé !  

L'ouvrage, paru en 2011, n'a choqué que lui. Il a même reçu le prix Libbylit décerné par la branche belge de l'Union Internationale de Littérature pour les Jeunes (L'IBBY).  

M. Copé emporté par sa fougue légendaire ou par un aveuglement de circonstance a d'autre part affirmé que cet ouvrage était « recommandé par le Ministère de l'Education Nationale ». Il n'en est rien puisqu'il n'a jamais figuré sur la liste officielle du Ministère en question.

Une chronologie intéressante

2009 : une association ardéchoise, l'Atelier des Merveilles, désireuse de promouvoir l'Egalité Femme/Homme, établit une bibliographie portant sur ce thème.  

2009/2010 : cette liste intéresse la déléguée départementale de l'Ardèche aux Droits des femmes. Elle la propose à ses responsables nationaux.  

2010/2013 : la liste des livres inscrits dans cette bibliographie est mise à jour chaque année.  

2013 : première apparition de l'ouvrage Tous à poil, incriminé par Mr Copé.  

Cette liste ne sera citée qu'à deux reprises de manière « officielle » :  

1 - par le CRDP de Grenoble qui - c'est son rôle - propose des ressources aux enseignants  

2 - dans une liste de conseils et de méthodes destinés aux enseignants en formation et en marge de l'ABCD de l'Egalité.  

Précision : les plus farouches adversaires de la soi-disant « Théorie du genre » ne vont pas s'attaquer à cet ouvrage en particulier mais à la liste complète des 92 livres indiqués - et non pas « recommandés »!- aux enseignants.  

Tous à poil est donc en fait un ouvrage qui a été d'abord choisi par des parents d'élèves puis inclus dans une liste locale avant d'arriver entre les mains de M. Copé qui lui a fait une publicité extraordinaire ! Il est parfois bon de remettre les pendules à l'heure...  
« Théorie du genre » et autres discours sectaires...

 
Ils vont aujourd'hui, 2 février, défiler à nouveau... « Ils »... Les défenseurs de la famille, les anti « Mariage pour tous », les adorateurs des Dieudonné/Soral, les Nationaux-Socialistes (si si, il y en a encore!), les ultras cathos qui ont oublié le message de l’Évangile - l'ont-ils seulement lu  ?  - les naïfs ou faux naïfs qui ont cru à la rumeur savamment orchestrée autour d'une imaginaire « théorie du genre » enseignée à l'Ecole primaire... Quelques élus du Front National et de l'UMP viendront grossir le flot d'une rivière polluée par les miasmes putrides d'une France qui existe mais qui se trompe et qui nous trompe !

Les propos entendus ces derniers jours et portés par les réseaux sociaux, démultipliés jusqu'à la nausée, sont sectaires dans leur fond comme dans leur forme. Relayés par quelques sommités universitaires ayant «pignon sur plateaux télé», ils prennent corps, imprègnent les esprits peu informés. Comment des parents ont-ils par exemple pu croire que des instituteurs enseignent - ENSEIGNENT !- la masturbation à des enfants de maternelle ? Faut-il que le dialogue entre parents et enseignants soit à ce point rompu ! Faut-il que l'Ecole soit à ce point repliée sur elle-même pour qu'une rumeur absurde fasse écho dans certaines familles !

Les sectes, oui les SECTES, vont donc défiler... Avec leurs cortèges de gestes obscènes, de propos abjects, de haine, de division, de rejet. Ils ont le droit de défiler. J'ai le droit de dire mon dégoût et ma tristesse. Mon dégoût et ma tristesse de voir ces familles, respectables mais égarées... De voir et d'entendre ces jeunes, pour certains d'origine très modeste, entraînés par des gourous RESPONSABLES et illuminés. Ecoutez-les manipuler la jeunesse sur You Tube ! Ils manient bien le verbe, maîtrisent l'outil informatique mais leur discours est vide de sens, tournant et retournant sur lui-même. Pourtant, il « prend ». Pourtant leur but est atteint parfois, trop souvent : la mainmise sur la mémoire... Faut-il que l'Ecole, un jour, ait failli quelque part pour permettre à ces «fous » d'embrigader si facilement une jeunesse abandonnée. Sans doute, sans aucun doute, faudrait-il introduire l'apprentissage de l'esprit critique. Notre Ecole produit de bons élèves... Permet-elle des esprits éclairés ?... Manifestement pas toujours... Néanmoins que les Soral et autres Béatrice Bourges ne se bercent d'aucune illusion ! Aucune ! Notre mission est et restera d'éduquer ! Sans laisser un millimètre d'espace à l'ignorance organisée, à l'obscurantisme revisité, aux mensonges sous les rumeurs, à l'horreur du révisionnisme et du négationnisme !

Alors défilez, défilez encore sectes et sous-sectes... Vous trouverez des opposants sur votre route... Des opposants aussi déterminés que celles et ceux qui un 6 février 1934 dirent non aux ligues d’extrême droite. Un non peut-être timide au début... Mais comptez sur nous pour qu'il se fasse entendre et de plus en plus fort...

No pasaran, comme on disait... NO PASARAN !
Fatigue et exaspération...

Janvier est un mois que j'ai toujours trouvé difficile. Pour les enseignants comme pour les élèves. Des jours qui n'en finissent pas... La grisaille et le froid normands... La pluie... A cette fatigue sournoise vient s'ajouter, depuis quelques semaines, l'exaspération... Hier encore, à la cantine, j'ai eu droit aux sempiternels propos véhiculés et répétés par quelques-uns depuis des années  :

- "Le niveau baisse"... Quel niveau  ? Par rapport à quelle exigence attendue  ? Pour quel type d'élève  ? Dans quelles matières ? A ces questions-là évidemment il n'est pas répondu... Jamais  !...  

- "Evaluer par compétences  ? Une usine à gaz  ! On n'y comprend rien !"... Mais a-t-on jamais VOULU chercher à comprendre? N'est-on (moi aussi parfois  !) jamais allé chercher les difficultés avant d'apprécier les bienfaits  ?... N'est-on pas contre toute nouveauté car si "heureux" dans le confort des habitudes ?... J'en passe...

- "Pour enseigner par compétences, il faut être formé  !"... Ce qui est vrai... Mais encore faudrait-il ne pas dénigrer continuellement TOUTES les journées de formation... Et TOUS les formateurs...

- "Tu as vu, la rentrée prochaine aura lieu en août ! C'est scandaleux  !"... Oui, enfin le 29 août, un vendredi... Pas un mot en revanche, pas une protestation, au sujet d'un calendrier scolaire bancal qui se termine par une période de onze semaines... Sans parler d'autres aberrations dont tout le monde se contrefiche depuis des années et qu'on "réveille" à l'occasion... Il est des "colères opportunistes"...

- "Je trouve que la réforme des quatre jours et demi est une bonne idée mais elle a été mal faite  ! Et trop rapidement  !... je suis pour la refondation mais une vraie  !"... Une "vraie"... "Mal faite"... "Trop rapidement"... Tout n'est pas faux mais - moi aussi je peux me permettre d'utiliser ce "mais" si commode - ces reproches ne sont souvent que les faux-nez de l'immobilisme. Il ne s'agit pas d'aller moins vite ni de mieux faire. Il s'agit d'abord et avant tout de ne surtout pas bouger les lignes... Notre "système" ne fonctionne pas mais contentons-nous de lui... Les habitudes, encore, mêmes mauvaises, cela a du bon... Ca rassure...

Tout cela me fatigue et m'exaspère. Je l'ai fait savoir, calmement... Posément... J'ai argumenté...

La fin de l'insouciance...

"Ah, alors c'est la fin de l'insouciance..." Cette phrase, je l'ai prononcée, il y a quelques jour,s alors qu'un ami me disait qu'il inscrirait son fils en maternelle à la rentré 2014. Pourquoi ai-je dit cela  ?... N'aurais-je pas dû dire  : "C'est formidable! Il va apprendre, s'élever, respecter l'autre..." Ou bien: "Ah l'Ecole! Il va y être heureux et tu le retrouveras chaque soir souriant et chaque jour transformé par ce qu'on lui aura inculqué"...

Or je n'ai pas dit cela... J'ai dit  : "Ah, c'est la fin de l'insouciance"... Terrible phrase, venue naturellement dans et par ma bouche... Comment ai-je pu prononcer ces mots  ? Aussi facilement... Terrible phrase qui n'est que le résultat d'une perversion  : celle de l'Ecole.

Oui, depuis des années, l'Ecole est pervertie.

Pervertie par l'immobilisme voulu et organisé puis maintenu par quelques syndicats irresponsables, véritables "machines" à maintenir les choses en l'état, quel que soit cet état. "Il faut satisfaire la base", dit-on dogmatiquement. Et le dogme, cela ne se discute pas. Comment, pourtant, peut-on croire et faire croire que des statuts nés en 1950 ne méritent même pas un léger dépoussiérage  ? Loin de moi l'idée d'instruire le procès de ces syndicats-là. Ils sont indiscutablement utiles et nécessaires. Ils le seraient plus encore en acceptant de refonder les acquis quand ils ne font que maintenir des traditions anciennes, en décalage total avec les réalités présentes.

Pervertie par des absences notoires... Comment ce métier qui s'apprend peut-il satisfaire celles et ceux qui le servent avec dévouement et passion sans formation continue digne de ce nom  ? Il suffirait donc d'obtenir tel ou tel diplôme, de passer tel ou tel concours donnant accès à tel ou tel titre, pour enseigner ensuite pendant environ quarante ans, assis sur des certitudes à n'entretenir que par habitudes  ?

Pervertie par un émiettement aux nombreux visages... Emiettement des statuts, émiettement des emplois du temps, émiettement des examens et concours (La France est la championne du monde des examens!), émiettement des équipes pédagogiques qui n'ont d'équipes que le nom, émiettement des objectifs, émiettement de tout  !

Et notre Ecole, d'émancipatrice est devenue gare de triage, reproduisant année après année les différences et inégalités. Chaque classement PISA, aussi discutable soit ce classement, le dit et le confirme. On lit ces classements, on les commente quelques jours et puis on continue de faire comme si rien ne s'était passé... Qu'un Ministre ose vouloir, maladroitement ou pas, transformer même à la marge et c'est immédiatement le tollé. Surtout ne changeons rien! Ou -c'est une variante qui n'est qu'un faux nez de l'immobilisme - changeons mais "pas comme ça".

Alors on a vu apparaître les phobies scolaires. Nos élèves sont parmi les plus silencieux du monde. Ils apprennent beaucoup de choses sans savoir s'en servir. On les a leurrés avec l' "égalité des chances" quand il fallait parler de droit à l'éducation pour tous. L'infantilisation des personnels enseignants fait des ravages. Les parents les moins informés ne comprennent plus cette Ecole-là...

Oui vraiment c'est la fin de l'insouciance... Jusqu'à quand  ?

Les sites Internet des médias nationaux et réseaux sociaux, piloris du XXIème siècle...

De récentes affaires dites de "violences scolaires" ou de "harcélement scolaire" ont alimenté les médias et réseaux sociaux. A chaque fois, la chronologie des événements est la même  :

- révélation de l'affaire par la presse locale,

- reprise par Internet (Facebook et Twitter principalement),

- arrivée massive des médias nationaux et de leur artillerie lourde sur les lieux - Images, sons et entre cinq et six minutes pour la Grand-Messe du 20h,

- milliers de commentaires sur les réseaux sociaux et les sites Internet des grands médias,

- épuisement du sujet,

- clap de fin...jusqu'à la prochaine fois...

Le tout sur environ deux jours.

Alors que la violence et le harcélement scolaire, qui impliquent des enfants, des mineurs, devraient obliger chacun à la réflexion, à l'apaisement, à la discrétion, c'est tout le contraire qui se produit. En l'espace de quelques heures professeurs, administration, parents, "témoins" plus ou moins sollicités et orientés, enfants sont livrés en pâture par le biais des moyens contemporains de l'information.

Sur les réseaux dits "sociaux", le déferlement est "tsunamique".. Il est surtout d'une violence et d'une vulgarité à faire peur  ! Sans aucun recul, sans rien savoir des affaires très rapidement traîtées - et souvent mal traîtées- c'est un concours de bêtises, de généralités, d'injures, de haine. Réseaux "sociaux"  ? Mais de quelle société parle-t-on là  ? De celle dominée par l'immédiateté, le superficiel, le pathos, la dénonciation gratuite  ? Les sites Internet des médias nationaux sont-ils les piloris du XXIème siècle  ? Les commentaires ouverts ne sont-ils que prétextes à attirer les "clics" destinés au "buzz", seul moyen quand on refuse de réfléchir d'engranger les mannes publicitaires  ? Nous sommes submergés par les clics, les twitts, les buzz, les like, les com'... Autant de caractères, de mots, de phrases qui par leur vitesse de propagation ne "font plus sens". Ou plus exactement faussent tout sens. C'est encore plus dangereux.

Le parallèle semblera peut-être audacieux mais je vois dans l'émergence des groupuscules protestataires (Dindons, Bonnets rouges, Pigeons, Gilets jaunes...) la même volonté d'être celui qui hurlera plus fort, plus vite que les autres. Peu importe le nombre pourvu que le hurlement soit entendu... Les sondages et leur dictature feront le reste... Et puis on commentera les sondages. A quand un sondage sur les commentaires... Cauchemar  !

Dans quelques jours, Vincent Peillon, Ministre de l'Education Nationale, lancera une grande réflexion sur le harcélement à l'école. Excellente initiative. Hélas, je vois déjà gonfler la vague des petites phrases, des arguments médiocres, de la réflexion avortée, des articles oubliés à peine seront-ils lus. Je vois déjà le recul nécessaire noyé sous l'obligation des réactions... Dites-moi que je me trompe!...
Léonarda... Triste affaire...

Leonarda... Ce prénom restera, plus encore qu'un visage, dans les mémoires. Il restera gravé pour nous rappeler une triste séquence.

Triste, en effet, car l'expulsion d'une adolescente, quelle qu'elle soit, quelque jour que ce soit, en temps scolaire ou hors temps scolaire, est toujours un échec collectif. La France, quoi qu'on en dise, est regardée par le monde. Elle est, aujourd'hui encore, considérée comme la "mère" des libertés fondamentales, le pays de Montesquieu. Or c'est dans ce pays - un pays parmi d'autres mais observé davantage que LES autres - qu'une élève fut, un jour, extraite d'un car scolaire pour rejoindre un pays dont elle ne connassait rien.

Triste, car sa famille, son père en particulier, a utilisé une adolescente   -son enfant!  - pour parvenir à ses fins. Il a menti à tout le monde, fait mentir toute sa famille et a précipité la chute d'une jeune fille face à la caméra. Les défenseurs et les opposants pouvaient s'en donner à coeur joie. Une élève "kosovaro-italienne" interpellée, un père menteur, un ministre médiatique, l'Ecole... Bref tous les ingrédients d'un psychodrame télévisé avec, en point d'orgue, cet hallucinant dialogue à distance entre une Leonarda fusillée par les flashs des photographes et le président de la cinquième puissance mondiale fusillé par l'opinion.

Triste, car Leonarda passa, très rapidemen,t du statut de sujet à celui d'objet. Sujet d'une légitime et compréhensible inquiétude... à objet de joutes politiciennes dont l'enjeu n'était absolument plus de la faire revenir en France mais de s'offrir le scalp d'un ministre de l'Intérieur.

Triste, car Leonarda cristallisa très rapidement ce qu'il y a de pire dans l'analyse d'un fait d'actualité  : la compassion, le sentimentalisme, l'émotion... Tout cela décuplé par les réseaux sociaux déchaînés, réagissant très et trop vite, sans recul. Tous exigeaient que le Chef de l'Etat s'exprime avant les conclusions du rapport d'enquête. Ce qui eût été une faute grave  ! Mais les internautes exigeaient leur pitance quotidienne. Il fallait alimenter la machine à "Posts", à "Tweets", à "Com'"... Il fallait du pain et des jeux  !... Il fallait des larmes, des cris, des polémiques... Il fallait aller vite. Il devenait inconvenant de se taire. Il devenait incongru de réfléchir. Il devenait scandaleux de prendre du recul  !

Triste, enfin, car Leonarda, à son corps défendant, restera le révélateur de l'hypocrisie généralisée. La sanctuarisation de l'Ecole, qu'aucun texte officiel, aucun décret, aucune Loi n'officialisent clairement hélas, était exigée par toutes et tous. Pourquoi pas  ? J'y suis très favorable. MAIS cela ne doit pas servir de prétexte à jeter un voile pudique sur nos "consciences tranquilles", soudain tranquilles quand des dizaines d'enfants sont extraits de chez eux tous les jours pour être renvoyés dans d'improbables pays. Et ceci depuis des années  ! Ceci ne doit pas nous faire oublier tous ces "exclus de l'intérieur", enfants Roms déscolarisés en particulier dont tout le monde se contrefout à part quelques courageux comme le  Réseau Education Sans Frontières.

Lycéens, si demain vous descendez dans la rue, ne le faites pas à l'occasion seulement d'une poussée de fièvre ponctuelle et surdimensionnée... Ce sont des milliers de "Leonarda" qui, en ou hors temps scolaire, disparaissent chaque jour sans qu'on s'en soucie le moins du monde. La société du spectacle, du spectaculaire, vous piège. "Pas vu pas pris"...  N'attendez pas les caméras pour observer, analyser, vous engager, réclamer. Sans violence ni excès. Prenez le temps... Cela évitera qu'il vous enferme dans des prisons invisibles dont les gardiennes sont des chimères...

Refondation - Exigeons le possible... Nous obtiendrons l'impossible

La refondation de l'Ecole, voulue et annoncée par le candidat Hollande, mise en chantier par Vincent Peillon sur la base de l'Appel de Bobigny signé par la quasi totalité des intervenants de l'Ecole, doit réussir et chacun doit retrousser ses manches pour, dans une construction critique, faire en sorte que nos ELEVES ne subissent pas les conséquences tragiques de nouveaux reports dont la "Maison Educ' Nat'" a le triste secret. L'immobilisme et les réformettes ont enfermé l'Ecole dans un sanctuaire isolé du monde, replié sur lui-même, évoluant en vase clos et tournant en rond.

Pire, cette Ecole - au sens institutionnel du terme - ne reproduit plus que des inégalités, laisse 150 000 enfants sans diplômes et par an, sur le bord du chemin. Entre beaucoup d'autres lacunes. Il est urgentissime de donner aux personnels de l'enseignement, à tous les personnels, les moyens de métamorphoser un édifice fissuré. Il faut évidemment aussi, dans un même mouvement, que ces personnels aient la volonté commune de refonder l'Ecole, en mettant leurs divergences, leurs a priori, leurs habitudes entre parenthèses.

La refondation en marche est pour le moment un nouveau-né. On ne peut pas exiger de ce "bébé" qu'il se mette à marcher alors qu'il vient de naître. Prenons le par la main, accompagnons-le, conseillons-le, mais de grâce, n'exigeons pas de lui l'impossible au risque de le voir lourdement chûter pour ne plus se relever.

Pierre Frackowiack dans sa rubrique régulière chez nos amis d'Educavox, dit très justement ce qu'il conviendra d'apporter à cette inévitable refondation. Je me permets de reprendre ses recommandations pour la pleine réussite du travail gigantesque qui attend Vincent Peillon et ses équipes:

"Comme de nombreux « experts », pédagogues, sociologues, philosophes, comme Philippe Meirieu, j’attire l’attention depuis toujours sur:

  • La difficulté de refonder avec les mêmes finalités implicites, les mêmes programmes, les mêmes pratiques de management, le même climat de défiance, que celui qui sévissait sous un gouvernement ultra libéral...
  • La difficulté de réduire la fatigue des élèves si l’on accepte l’ennui et le massacre par l’évaluation...
  • La difficulté de prévoir des activités autres qu’occupationnelles ou d’exercices, en 45 minutes...
  • La difficulté de mettre en place un projet éducatif local si les finalités et les objectifs généraux ne sont pas partagés et lisibles par tous...
  • La difficulté de mobiliser les acteurs si les activités sont cloisonnées, juxtaposées, superposées dans des usines à cases administrativement contrôlées et validées, sans souci de la qualité et de la portée sociale...
  • La difficulté de concevoir et de réaliser un grand projet d’école et de société, s’il n’est pas conçu, dans la confiance, à la base plutôt qu’au sommet de la pyramide"..
J'approuve ces conseils dans leur totalité. Je demande seulement de ne pas les exiger dans l'instant, de résister à des pulsions qui transformeraient une reconstruction méthodique et patiente en bricolage précipité. On ne peut reprocher au Ministre d'aller trop vite en lui demandant d'aller encore plus vite.

Prenons, tous ensemble, cette refondation en main. Surtout pas pour en faire un Nième motif de blocage comme l'UMP souhaite le faire de manière politicienne et électoraliste! Surtout pas pour en faire un Nième motif de discorde entre tel et tel syndicat  ! La confiance ne se décrète pas! Elle se construit. Exigeons le possible... Nous obtiendrons l'impossible  !

Du politique et de l’accélération du temps...

J'observe la vie politique de mon pays, j'y participe en citoyen responsable et éduqué par des parents qui avaient foi et confiance en la Démocratie, en ses principes et valeurs, en l'action et l'engagement.
Or, depuis quelques années déjà, je m'interroge. Et si le "politique" n'avait plus prise sur la vie quotidienne  ? Plus prise car dépassé par d'autres forces. Les forces économiques, financières, les lobbies divers et variés semblent avoir pris le pas sur le politique. Le temps long dont celui-ci a nécessairement besoin est tous les jours contrebalancé par la vitesse des communications, des échanges, des décisions. Cette "accélération" qui sert de titre au splendide livre du sociologue allemand Hartmut Rosa, est voulue, organisée, amplifiée par les pouvoirs occultes des banques et autres mystérieux décideurs. Le politique tente en ce moment de "re-synchoniser" les choses par des plans de rigueur drastiques après avoir imprudemment laissé enfler une bulle spéculative mortifère. Il était temps... C'est le cas de le dire...

Cette "accélération" que le politique tente d'enrayer désormais touche jusqu'à notre environnement. Les ressources naturelles s'épuisent beaucoup plus rapidement que la vitale reproduction des écosystèmes. Le pire étant à venir si l'on n'y met pas un terme, je veux parler de l' "accélération de l'atmosphère", le réchauffement de la planète n'étant rien d'autre qu'une accélération du mouvement des molécules qui la composent. C'est hallucinant... Le danger étant évidemment plus grand encore quand le politique semble dépassé par toutes ces "accélérations".  Car il en de multiples !

Je souhaite, et beaucoup avec moi, que le politique s'appuie enfin davantage sur les structures associatives. Elles pourraient, à condition de leur en fournir les moyens, participer efficacement à ce mouvement, cette fois de décélération. Les citoyens comme le politique ont besoin de retrouver le temps de la réflexion, du recul, de la délibération, des propositions, des choix réfléchis. Il ne s'agit pas d'abattre la finance. Il ne s'agit pas de nier l'économie. Il ne s'agit pas, comme le caricaturent les contradicteurs, de revenir à la chandelle et au troc. C'est beaucoup plus simple que cela: il s'agit de revenir à la Démocratie politique, seul et unique moyen d'obtenir les consensus nécessaires à la construction raisonnée, non pas du monde présent, immédiat, mais du monde à venir! J'ai trouvé utile, à ce sujet, la proposition du Président de la République de nous projeter vers 2025... Espérons que cette idée ne restera pas qu'une idée... Une de plus…

La Raison doit l'emporter... C'est l'avenir de nos enfants qui est en jeu... C'est l'avenir de nos démocraties pluralistes qui n'en peuvent plus de n'avoir même plus le temps de ralentir… Au risque de les voir s’écraser contre les murs des « marchands d’illusions »….

Consulter les enseignants  ? Soit, mais en connaissance de cause...

La refondation de l'Ecole a, depuis un an, fait couler beaucoup d'encre. Un sujet, un seul, a surtout préoccupé les médias, les syndicats, les parents, les enseignants : les rythmes scolaires...

Soyez rassurés  ! Je n'en parlerai pas ici  ! Tout ou presque a été dit, écrit.

La rentrée 2013 s'est déroulée dans de bonnes conditions et dans un climat apaisé. C'est un bon point à mettre au crédit de Vincent Peillon. Rappelons-nous des rentrées du quinquennat précédent. Il n'était souvent question que de suppressions de postes et de "gestion de flux"! Rien néanmoins n'est acquis. Il faudra tout mettre en oeuvre pour accompagner la refondation, observer ses résultats et dresser un bilan d'étape en juin 2015 lorsque toutes les écoles de France auront adopté les nouveaux rythmes. Il faudra savoir corriger très rapidement les erreurs inévitables. Il faudra qu'elle se poursuive au collège, au lycée, partout  !

Malgré cette rentrée apaisée, nombreux sont encore les collègues appelant une "consultation générale des professeurs", un "Grenelle de l'Education". Pourquoi pas. Je voudrais néanmoins attirer l'attention des uns et des autres sur la fragilité, voire l'inefficacité, d'un tel processus. Oui, consulter la "base" est un noble projet. Mais notre "maison-école", chacun en a conscience, est un immeuble constitué d'étages nombreux. De la maternelle au lycée, à l'intérieur de l'école primaire, à l'intérieur du collège, à l'intérieur DES lycées, les professeurs travaillent sous des statuts différents. Sans parler des personnels de direction, sans parler des "basses" et "hautes" sphères des corps d'inspection. Un kaleidoscope d'intérêts particuliers. Une mosaïque dont les petites pierres de couleur sont le plus souvent en désordre et ne dessinent en aucun cas une figure homogène.

Celles et ceux qui, très sincèrement et légitimement, souhaitent une consultation massive, générale du monde de l'Education en croyant que la "maison" toute entière pourrait en tirer bénéfice risquent d'être déçus. Car, je le crains, cette consultation ne fera que reflêter les disparités, les divergences internes et les conflits d'intérêts particuliers, j'ose le dire, les corporatismes  !

Les professeurs d'école, les professeurs de collèges, les certifiés, les agrégés, les professeurs de lycées d'enseignement général, les professeurs de lycées techniques, de lycées professionnels, les psychologues scolaires, les infirmiers et infirmières scolaires, les personnels techniques, les inspecteurs, les syndicats représentatifs, les fédérations de parents d'élèves, les lobbies divers et variés, toutes et tous défendront LEUR vision de l'Ecole. Les convergences seront rarissimes! Et, au bout du compte, il faudra toujours que le politique décide en évitant de vouloir faire plaisir à tout le monde, "meilleur" moyen de ne faire plaisir à personne  !

Je crois bien davantage à la redéfinition, qui devrait sous peu être entreprise, du métier d'enseigant, des statuts, de la formation, des programmes, du contenu des savoirs à partager, de la formation continue (grande oubliée pour le moment), du temps de présence (eh oui...), des cycles à redessiner... Je crois bien davantage, même si les résistance seront fortes, à la redéfinition des méthodes d'évaluation des enseignants. Le corps de l'Inspection doit lui aussi faire des efforts! Faire sa révolution! L'infantilisation a assez duré  ! C'est un autre débat mais un débat de plus! Notre ami Pierre Frackowiak en parle mieux que moi !

Je crois davantage à la prise en main des outils qui nous sont proposés pour en faire le meilleur usage et dire à nos dirigeants, dans une "coopéaration", une "responsablité partagée", une"co-construction", ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je lance donc ce modeste avertissement: oui à toutes les consultations désirées mais sans l'illusion de croire que de ces consultations et tours de tables sortira LA solution...
La démocratie participative atteint très vite ses propres limites.
L'informatique à l'Ecole  ? Mille fois oui, mais...

A partir de la question posée par Bernard Stiegler (voir vidéo), des réponses qu'il apporte et après avoir passé deux mois à lire, écouter ce qui pouvait s'écrire et se dire au sujet de l' "informatique à l'Ecole" (pour faire court), je voudrais revenir sur ce qui semble aujourd'hui faire consensus  : la nécessité, voire l'obligation injonctive, d'utiliser les outils informatiques de la maternelle aux Grandes Ecoles.

Je suis absolument persuadé qu'on n'échappe pas au progrès. Plus exactement qu'il serait irresponsable de le fuir au risque de "figer l'Histoire". J'ai toujours, et moi avec beaucoup d'autres, été favorable à l'introduction massive de l'informatique à l'Ecole. Ma propre salle de classe dispose (en collège) de Tableau blanc interactif et d'ordinateurs. J'utilise à titre personnel tous les outils informatiques actuels. Ils ne me sont ni étrangers, ni "antipathiques".

Néanmoins, j'ai constaté en lisant certains propos sur les réseaux sociaux (Twitter et Facebook notamment), en lisant des commentaires sur divers sites pédagogiques, en parcourant très attentivement les comptes-rendus de l'Université d'été Ludovia (e-éducation), que l'Informatique à l'Ecole était souvent, voire toujours, présentée comme LA solution à de multiples problèmes, allant de la maïtrise de l'écriture à la réalisation de thèses de Doctorat en passant par la fin des erreurs d'orthographes ou de mathématiques. Je caricature à peine. L'Informatique "pédagogique" semblait pallier toutes les difficultés. Elle devenait idéale, sans failles, technique, logique, imparable, indispensable et SEUL moyen de transformer un élève faible en bon élève (je l'ai lu), SEUL moyen pour faire d'un professeur fatigué un professeur heureux et efficace dans des salles de classes constellées d'écrans multiples. Les logiciels y étaient décrits, tous, comme de merveilleux outils quasi dotés de pouvoirs magiques. Tout cela semblant être immédiatement à la portée du premier venu, sans apprentissage, sans formation, sans questionnement didactique. Mettez en route les ordinateurs, les machines feront le reste...

Or, chacun sait, les enseignants les premiers, que si les outils informatiques, quels qu'ils soient, sont et seront indispensables à l'avenir, leur apprentissage pour des applications pédagogiques doit être une obligation absolue dans le contenu de la formation des futurs professeurs. Il faut dire et redire que l'utilisation d'un TBI (Tableau blanc interactif), de tel ou tel logiciel, de l'ordinateur en classe ne sont pas des gadgets, gages de réussite systématique. Chaque utilisation de ces outils doit impérativement répondre à une nécessité pédagogique, faire l'objet d'une maîtrise de la part du Professeur, avoir été préparée en amont pour un objectif précis et limité en aval. A la lecture de tout ce que j'ai pu découvrir ici et là, il me semble -  mais j'espère m'inquiéter pour rien  !  - que beaucoup se bercent d'illusions et induisent les collègues en erreur.

Les outils informatiques, que j'utilise, que je trouve merveilleux par la richesse des possibilités infinies - "infini" qui est d'ailleurs souvent aussi un handicap pour l'utilisateur- qu'ils offrent ne remplacent rien. Ils ne sont qu'un MOYEN supplémentaire mis à la disposition des enseignants et des élèves.

N'oublions pas l'Humain. Rien n'est plus beau que le silence d'une salle de classe quand le professeur saisit un livre, choisit un passage au hasard et obtient un "Ouahhh c'était trop bien M'sieur!" avant, pourquoi pas et si la leçon du jour s'y prête, de projeter un tableau de Vermeer ou une sculpture de Camille Claudel sur le beau Tableau Blanc flambant neuf trônant comme trônait jadis le globe terrestre sur l'armoire du Maître...

Le 20 août 2013 : L'Ecole doit s'arrêter sur le silencieux

"D'une rive à l'autre"... "D'un jour à l'autre"... "D'un chapitre à l'autre"... "D'une seconde à l'autre"... Autant de lieux et de moments qui nous font passer d'un état à un autre... Cette transformation liée à un "passage", nous la voyons, l'analysons, l'assimilons avant d'autres passages, d'autres changements...
Mais, nous ne voyons pas l'essentiel. C'est à dire le "à"... Ce moment qui sépare deux lieux, deux instants, deux êtres, deux états. Ce "à", c'est le pont qui relie deux rives mais dont l'utilité principale est ailleurs  : permettre aux êtres des deux rives de se rencontrer en son milieu.

Dans toutes transformations, dans tous passages, il y a ce lieu, ce moment, ce temps, invisible, inaudible, imperceptible, véritable trou noir ou silence entre deux notes d'une symphonie dont on attend la suite quand il faudrait goûter le moment où il semble ne rien se passer quand au contraire c'est LA que tout se passe. 
"Nous regardons le changement mais nous ne l'apercevons pas" disait Bergson.

La politique n'échappe pas au "non aperçu" des bouleversements successifs que les commentateurs les plus savants analysent avec justesse. Pourtant, l'Histoire a souvent démontré à quel point leurs travaux étaient contredits par le réel. Pourquoi  ? Parce que toujours ils oublient d'aller se perdre dans les "trous noirs" qui séparent les "moments" de l'Histoire. Dans le "D'un jour à l'autre", il y a le jour et l'autre, mais il y a le "à" qu'ils mettent de côté provoquant l'erreur dans l'interprétation. Ils suppriment les silences d'une sonate de Bach. Alors le paradoxe devient ahurissant, car supprimant le silence, on n'entend ni ne comprend plus rien!
L'Ecole, elle aussi, doit s'arrêter sur le "silencieux" (plutôt que l'invisible) qui existe entre deux exercices, entre deux réflexions, entre deux cours, entre deux classes. Cet "entre-deux" constitué de moments indépendants de nous comme de nos élèves, c'est la cristallisation ou la décristallisation, parfois la non-cristallisation, des constructions pédagogiques patiemment échafaudées mais inutiles si l'on ne sait pas prendre le temps d' "entendre les silences". Ces "silences", ces séparations, ces écarts, ces discontinuités qui, si on les oublie, si on n'en tient pas compte, nous feront découvrir, sans qu'on s'en soit aperçu, que le changement a eu lieu, en bien ou en mal. Et nous ne serons alors que les répliques muettes du personnage de Proust revoyant un camarade perdu de vue depuis des années et disant: "...il avait gardé bien des choses d'autrefois. Pourtant je ne pouvais comprendre que ce fût lui". (Le Temps Retrouvé). Proust ne dit pas qu'il ne le reconnait pas. Il dit bien qu'il ne peut COMPRENDRE que ce camarade était le même sans l'être, à jamais, tout à fait.
De la jeunesse à l'âge adulte... Tout s'est passé dans le "à", dans le "trou noir", dans le "silence"... 

Il est donc essentiel, AVANT d'obtenir le "J'ai compris" ou le "Je n'ai pas compris", et de s'en contenter, de prendre le temps d'analyser l'échancrure qui, non pas sépare, mais RELIE les moments de nos explications, de nos exercices et interrogations. C'est l'exploration de nos "trous noirs" qui permettra à nos élèves comme à nous-mêmes de prévenir les échecs, d'en comprendre les mécanismes et évitera à tous de s' étonner d'être passés d'une page "A" l'autre sans avoir pris le temps d'analyser et de comprendre ce que fut ce "A"...

Le 17 août 2013 : "Je n'ai jamais entendu un élève me dire qu'il rêvait d'écrire comme Molière..."

Il y a un an, ce devait être en 2012 ou 2011, j'ai pu obtenir des places gratuites pour des rencontres sportives de haut niveau (football en majorité) et à peu près un même nombre de "pass" donnant droit à la visite gratuite de Musées parisiens et rouennais, dont Le Louvre et Orsay. Le total de ces places et entrées avoisinait la trentaine, une quinzaine pour les matchs et l'autre quinzaine pour les musées. Je décidai donc évidemment d'en faire profiter mes élèves de quatrième. Pourquoi ceux-là  ? J'avoue avoir oublié mais là n'est pas l'essentiel.

Je savais que les places "sportives" auraient plus de succès que les places "artistiques". Ce fut le cas puisque seuls deux élèves choisirent des entrées au Louvre et Orsay quand tous les autres, filles et garçons, se jetèrent comme des morts de faim sur les entrées au stade. Je dus procéder à un tirage au sort et je fis, ce jour-là, beaucoup de mécontents.

Cette anecdote démontre, et Pierre Bourdieu l'a dit il y a fort longtemps, que plus l'offre est importante, plus elle crée et accroit les inégalités. Car elle n'est pas préparée en amont. Nos élèves - les miens issus d'un milieu rural dans un contexte social majoritairement "en difficultés" - sont souvent très au fait de la "chose sportive", notamment le football que tous et de plus en plus, toutes, ont pratiqué dès le plus jeune âge et le pratiquent fort longtemps après leurs études. Ils en comprennent les règles, connaissent leurs "stars" bien mieux que leurs leçons, s'identifient à un Lionel Messi ou Christian Gourcuff. Ils saisissent très vite, car on le leur a appris, les enjeux financiers de ce sport. "Sponsor" et "mercato" n'ont aucun secret pour eux. A l'école, au collège, au lycée, cet apprentissage se poursuit. Certains rêvent même de marcher sur les traces de leurs "artistes" favoris. Ils portent souvent le maillot de leur équipe favorite, Barcelone et Marseille tenant le haut de l'affiche. Ils tapissent les murs de leurs chambres de posters. Ils reproduisent les gestes de leurs "Dieux".

Je n'ai JAMAIS entendu aucun élève me dire qu'il rêvait de devenir Van Gogh ou Monet, François Villon ou René Char, Mozart ou Bach, Emile Zola ou Albert Camus  ! Je n'ai JAMAIS entendu aucun élève me dire qu'il avait le poster de Le Clézio ou de Niki de Saint Phalle au dessus de son lit  ! Je n'ai JAMAIS entendu un élève me dire qu'il rêvait d'écrire comme Molière ou Sartre  ! Et cela s'explique très aisément  ! Nos élèves, malgré tous les efforts remarquables des collègues professeurs d'école, puis de nos collègues professeurs d'arts plastiques en collège, n'ont que très peu l'occasion de pénétrer les grandes "arènes de l'art" sauf, évidemment, ceux dont les parents ont des habitudes culturelles qu'ils transmettent à leurs enfants. En milieu rural, une sortie dans un Musée nécessite un déplacement, souvent coûteux, mobilisant des personnels, le tout alourdi par des obligations "paperassières" certes obligatoires mais freinant souvent les meilleures volontés. Et l'offre artistique, de plus en plus grande quoi qu'on en dise, ne fait alors que creuser les inégalités existantes puisque cette offre n'intéresse souvent que les élèves DEJA acquis aux règles de l'art. Education artistique qui, au passage, s'arrête dans sa phase obligatoire, au collège.

Il est absolument obligatoire de réduire cette inégalité. Dès la maternelle et jusqu'au dernier jour des études, qu'elles soient courtes ou longues. Un tableau, une oeuvre musicale, un film, une sculpture, un roman, un monument, bref une oeuvre d'art, ce sont un peu des "matchs de football". Il y a des règles, des enjeux, des "stars". Il suffit de les connaître pour pouvoir les apprécier. Souvent nos élèves rêvent de vivre la vie de tel ou tel sportif, ils rêvent d'une autre vie. Sans le savoir ils sont amateurs d'art. Car à quoi sert l'oeuvre d'art sinon à nous faire vivre d'autres vies que les nôtres, fut-ce quelques secondes? Reste à leur permettre d'en avoir les moyens... Et que ces moyens soient offerts à toutes et à tous! 

Le 9 août 2013 : Vive la rentrée !

Les grandes surfaces ont mis en ligne des tonnes et des tonnes de "fournitures scolaires". La rentrée, c'est maintenant, c'est toujours  ! Pas seulement les grandes enseignes mais aussi une myriade de sites Internet dégoulinant de produits tous plus colorés et attirants les uns que les autres. Beaucoup d'une inutilité absolue !

La rentrée scolaire correspond à l'humeur du temps  : elle est marchande. A tous les sens du terme. Il faut marcher, marcher le long des gondoles, pas vénitiennes pour deux sous, mais organisées scientifiquement pour que les cerveaux des parents et rejetons soient sollicités en permanence et ne fonctionnent qu'en obéissant à des pulsions, celles de l'achat! Il n'est pas "utile" d'acheter. Non  ! Il est "obligatoire" de répondre à une exigence calendaire, celle de la rentrée. Et à la rentrée, on DOIT acheter, on DOIT fournir, on DOIT respecter la mode du moment, lui être dévouée, lui consacrer du temps, être docile et supporter les exigences de son enfant...

Est-il coupable  ? Evidemment pas. Son cerveau, comme celui des parents, a été préparé en amont. La famille déambule munie d'une liste pré-établie. A la télévision, à la radio on a matraqué les esprits dès le 1er août. Chaque marque redouble d'inventivité pour, non pas répondre à vos attentes, mais les créer  ! Enfants et parents, vous êtes innocents dans un monde coupable  ! Coupable d'avoir transformé ce moment, la rentrée scolaire, en vaste marché. Il est regrettable, pour le moins, de constater que le premeir geste d'un écolier, d'un collégien, est un geste d'achat, un geste commercial, un acte marchand. Je n'ai rien contre le commerce. Il est nécessaire. En revanche, lorsqu'il se substitue à la réflexion et, de fait, n'a plus rien de "scolaire", lorsque l'Ecole devient la cible des publicitaires, des supermarchés et n'est plus qu'un coeur (de cible) à mettre en rayon, alors je m'interroge...

L'enfant et l'adolescent sont, dès le premier jour de la rentrée, sommés de comparer les fournitures achetés fin août, parfois bien avant. Pendant les premiers jours, nous (enseignants) n'avons pas des élèves assis devant nous, mais une ribambelles de filles et garçons "sandwichs" arborant les couleurs de leurs marques favorites. Faut-il s'en inquiéter  ? Dans l'immédiat, je ne le pense pas. Très vite, les élèves redeviennent des élèves et, que le stylo ou la trousse soeint de telle ou telle marque, ils redeviennent des stylos et des trousses. L'élève accomplit son "métier d'élève" et oublie qu'il fut d'abord un consommateur bien dressé. Mais le "dressage" et ses effets s'inscrivent peu à peu dans la mémoire. Plus tard, l'adolescent devenu adulte, puis parent, ne manquera pas de faire pousser à ses enfants les mini-charriots que les communicants des supermarchés ont inventés afin d'habituer très tôt, dès cinq ou six ans, les chères têtes blondes et brunes à REMPLIR, à ACHETER, à CONSOMMER jusqu'à l'inutile  !  Surtout l'inutile  ! Rien de plus utile que l'inutile  ! Il faut en permanence le remplacer...

Vive la rentrée!... Surtout pour les marchands...

P.S.: Parents, sachez que soixante-dix à quatre-vingt pour cent du contenu des cartables de vos enfants ne serviront à rien, ou à très peu...

Le 20 juillet 2013 : "J'appelle les enseignants, les artistes, les parents..."

Il y eut la société du spectacle... Il y eut la société de consommation... Il y a aujourd'hui, en plus des deux premières qui sont loin d'avoir disparu, la société de la bêtise et de la médiocrité.

J'observe, depuis quelques semaines, ce qui est proposé aux auditeurs et aux téléspectateurs en "zappant", en "surfant" sur les chaines de radio et de télévision dites "grand public", celles qui font de l'audience. C'est pire qu'affligeant  ! C'est la déconstruction méthodique, scientifique, préméditée de l'intelligence. La culture, l'art, le "beau" ont disparu laissant place au vulgaire, au médiocre, au bâclé, à l'éphémère, au "toujours plus vite". C'est à l'installation à peine dissimulée d'une dictature à laquelle j'assiste. La dictature du "tout économique", dictature du gain facile, dictature de la bêtise érigée en modèle, en "exemple". Dans cet univers hallucinant, quelques îlots résistent courageusement. A condition d'être un "couche très tard". L'exigeant, la qualité semblent réservés aux insomniaques ou à celles et ceux n'ayant pas à régler leur réveil sur six heures trente.

Nous, professeurs, avons le DEVOIR impérieux et urgent, dès la rentrée, de mener ensemble un combat titanesque. Ce combat doit, avec l'aide des parents, des associations, des mouvements pédagogiques et d'éducation populaire, avec l'aide du monde des arts et du spectacle, avec l'aide ne nos ministres de tutelle (Education Nationale et Culture. Je considère le Ministère de la Culture comme un Ministère de "tutelle") permettre à nos élèves, aux générations actuelles, de déconstruire cet Enfer qui réserve quelques parts de cerveaux disponibles à Coca-Cola.

J'appelle toutes celles et tous ceux qui ne supportent plus ce monde sans art, ce monde sans "beau", ce monde inculte et acculturé dans lequel on enferme les plus modestes à dire NON  ! J'appelle les artistes de ce pays, quel que soit leur domaine, à se dresser et à combattre. L'art est une arme. L'art doit être une arme. L'art dot redevenir une arme! Aidez-nous, nous enseignants qui chaque jour constatons les ravages de la peste bêtifiante, à mettre hors d'état de nuire ces marchands de médiocrité  ! J'appelle nos Ministres de l'Education et de la Culture à tout mettre en œuvre pour que l'éducation artistique soit le pilier de la reconquête. Le projet "Education artistique pour tous" doit être soutenu, réalisé! Hélas, j'apprends en écrivant ces lignes que certaines régions ne financeront plus les options culturelles des lycées. C'est une erreur. Une faute  !

J'appelle chaque enseignant, de la maternelle à l'université et aux Grandes Ecoles, à entreprendre, dès la rentrée scolaire puis universitaire, tout ce qu'il est possible de mettre en place pour  faire de l'Art plus qu'une "matière" mais bel et bien le "général en chef" d'une armée montant à l'assaut des "univers imbéciles". Pour les abattre  ! J'appelle chaque collègue à défendre l' Histoire des Arts en collège! A développer, à améliorer cet outil.

J'appelle chacun d'entre nous ainsi que les parents d'élèves à EXIGER que l'art plastique et la musique soient considérés à égalité avec le français ou les mathématiques. Un dix-huit sur vingt en musique DOIT "valoir" un dix-huit en mathématiques! Voire plus...

Je ne suis pas alarmiste. Ni naïf. Je suis horrifié de constater à quel point ce monde fait fausse route, entraîné par une idéologie au service de quelques-uns, toujours les mêmes: ceux qui inscrivent leurs enfants dans des institutions privées, en France ou à l'étranger. Institutions dans lesquelles l'art est particulièrement mis en avant! Evidemment, eux ont compris mais se protègent dans l'entre-soi.

C'est ENSEMBLE que nous parviendrons à passer du simple constat à un combat dont nous sortirons gagnants... Pour nos enfants... Pour nos élèves... Pour un demain qui soit beau... Allez, on y va!... Relayez cet appel... Seul, je ne suis rien  !

Le 1er juillet 2013 : De la culture avant toute chose!...

Il y avait jadis, sur France Inter, une émission intitulée "De la musique avant toute chose".

Sans verser dans une nostagie troujours trompeuse, ce temps-là semble s'être perdu dans un autre  : celui de la vitesse et de la bêtise triomphante dominée toutes deux par un maître aux dents longues: le marché, ce marché organisateur de ce que Tzvetan Todorov a appelé "le nouveau désordre mondial". De la musique avant toute chose, nous sommes passés, sans nous en rendre compte tant la perversité du "système" est grande, à "de la bêtise avant toute chose".

Je ne définirai pas ici ce concept de "bêtise" triomphante. Bernard Stiegler l'a fait avant et mieux que moi. Philippe Meirieu, Denis Kambouchner et, encore, Bernard Stiegler en parlent  fort bien dans L'Ecole, le numérique et la société qui vient paru aux éditions Mille et une nuits (vous pouvez aussi écouter leur entretien à ce sujet ICI).

En revanche il me semble nécessaire de dire que l' Ecole, au sens le plus large et institutionnel du terme, a un rôle capital à jouer pour contrer les effets ravageurs de cette "bêtise" installée chaque soir sur nos écrans. Je dis "chaque soir" car nos élèves ont encore la chance de ne pas être scotchés devant la télévision durant la journée, passant d'émissions d'une rare stupidité à des feuiletons profondément, n'ayons pas peur des mots, débiles. A moins bien entendu de "zapper" vers des chaînes dites "culturelles" mais, autre perversion organisée sciemment, destinées aux initiés. La culture, les arts, aujourd'hui en France, ne sont pas partagés. Ils sont "réservés". L'Ecole donc, au-delà de l'Histoire des Arts qu'il faut maintenir et renforcer par tous les moyens, de la maternelle à la terminale, dans toutes les filières, doit être un fer de lance, une "base avancée" du développement, de la vulgarisation DES cultures, DES arts, de TOUS les arts. Je suis aujourd'hui -et depuis fort longtemps- persuadé que les dicatures qui nous écrasent, qui s'installent dans nos "parts de cerveau disponible", dictatures de la bêtise et du marché, seront combattues par la possibilité offerte à toutes et tous d'entrer dans les "mondes réservés", de les investir et d'y investir.

N'est-il pas scandaleux, dramatique, que quatre-vingt pour cent des élèves d'un collège rural - le mien, mais pas que le mien - n'aient jamais mis les pieds plus d'une fois, en troisième, dans un musée, dans un théâtre, dans une salle de concert? Ne parlons pas de galeries de peinture! L'une de mes élèves a cru que j'évoquais la galerie marchande du supermarché voisin! N'est-il pas tragique que des élèves de collège n'aient pas accès à l'Art sauf une heure par semaine grace à nos collègues professeurs d'Arts plastiques et de musique qui font tout ce qui est dans leur pouvoir, avec passion, mais dont la parole "compte" si peu lors des conseils de classe? N'est-il pas signifiant de constater avec tristesse que de nombreux collègues souhaitent la disparition pure et simple de l'Histoire des Arts au collège? Si tel était le cas, ce serait alors laisser porte grande ouverte à la "misère symbolique", dernière marche avant la misère tout court, dont les victimes sont toujours les mêmes enfants, des mêmes catégories sociales, écrasés par la bêtise médiaticopolitique.

L'Ecole doit être rempart et fer de lance  : rempart contre les assauts d'un libéralisme d'une perversité extrême et fer de lance d'une conquète à venir, celle d'une "Education artistique vivante"! Nous, enseignants, quel que soit notre "niveau", quelle que soit la matière enseignée, DEVONS être les "Hussards noirs" d'une nouvelle culture républicaine à diffuser par tous les moyens imaginables, y compris les plus contemporains (Internet).

Redonnons la parole à l'intelligence partagée! Redonnons la parole à l'Art! Travaillons main dans la main avec les artistes!

Une révolution à venir...

A lire absolument: Education artistique: l'échec n'est pas permis par Le collectif pour l'éducation artistique
Le 24 mars 2013 : N'ayons pas peur des réseaux sociaux...

Il y a quelques jours une collègue m'interpelle  : "Christophe, est-il exact que tu aies donné ton adresse mail à tous tes élèves?". A ma réponse affirmative cette collègue, jeune, a écarquillé de grands yeux et a eu cette réflexion : "Eh bien toi tu n'as pas peur! Moi je ne ferai jamais une chose pareille! Tu vas te faire agresser!". Cette peur exprimée je l'ai très souvent entendue. Elle est la manifestation d'une accumulation d'incompréhensions, d'ignorances, de fantasmes et de réalités.

Les relations professeurs-élèves doivent respecter des limites convenables. C'est une évidence nécessaire afin d'éviter tous les débordements possibles, afin de faire prendre conscience aux pré-adolescents et adolescents qui sont avec nous quelles sont ces limites, jusqu'où on peut aller et ne pas aller.

Cette "pédagogie des limites" -j'en ai conscience - n'est pas possible partout. Il existe des établissements où peut-être il convient d'être plus prudents que dans d'autres. Il est certainement plus judicieux de ne pas dévoiler son Email ou l'adresse de sa page Facebook à des élèves qui, deux jours après la rentrée, envoient leurs professeurs "se faire enc...."! Ces débordements inacceptables se produisent aussi, sous des formes moins directes, plus feutrées, dans d'excellents établissements. Au lycée Condorcet de Limay par exemple ou, plus prestigieux encore, au lycée Lakanal de Sceaux*.

Tout, je crois, s'apprend. La peur n'a jamais évité le danger. Bien au contraire elle l'attire!

Je donne mes coordonnées personnelles à mes élèves depuis plusieurs années. Les objectifs pédagogiques de cette démarche sont expliqués dès la première semaine de la rentrée. Les limites sont posées. A ce jour, je n'ai JAMAIS rencontré le moindre problème. Alors que des collègues qui ne donnent et ne donneront jamais leurs coordonnées en ont connus. Et de très sérieux !

Nos élèves, il faut avoir cela à l'esprit, sont nés avec des ordinateurs, des adresses Email, des pages Facebook et, de plus en plus, des comptes Twitter. Nous ne pouvons pas ignorer ce "fait sociétal" majeur. Au risque, si nous l'ignorons ou si nous en avons peur, de nous couper des réalités quotidiennes de nos élèves. Il ne s'agit pas de banaliser, de gadgétiser ("faire d'jeun") l'échange de coordonnées ou d'adresses de comptes sociaux. Il s'agit de faire comprendre aux élèves que nous aussi, enseignants, sommes entrés dans le XXIème siècle, que nous en maîtrisons les outils et que nous pouvons les utiliser à des fins pédagogiques utiles, pratiques, respectueuses de la vie des uns et des autres. Lorsque j'étais enfant, ma grand-mère paternelle m'interdisait absolument d'accéder à un petit salon, toujours fermé. Elle y entreposait des souvenirs de mon grand-père, son mari, mort jeune dans les tranchées de la Grande Guerre. Bien évidemment, cette interdiction n'encourageait que mes désirs de visite au salon secret  !

En cachant, en NOUS cachant, nous ne provoquons que la curiosité, parfois malsaine, de nos élèves. Le dialogue professeurs-élèves, nécessaire, ne peut plus se contenter d'échanges rapides à la fin d'un cours, de conversations dans le brouhaha d'un préau. Nous disposons d'outils extraordinaires, rapides, pratiques. Ne pas s'en servir, ne pas apprendre aux élèves à les utiliser de manière intelligente et respectueuse des vies privées de chacun, c'est - les nombreux exemples récents en sont la preuve - ouvrir la porte des incompréhensions réciproques.

Bien évidemment, les excès, les débordements, les injures à l'encontre d'enseignants existeront toujours. Mais elles seront beaucoup plus rares si nous montrons et démontrons à nos élèves que nous n'avons pas PEUR de l'échange, qu'il soit verbal dans un couloir ou "informatique" par le biais d'un mail ou d'un réseau social. Tout s'apprend. Seules l'ignorance et la peur engendrent la violence.

* http://www.20minutes.fr/societe/1124285-20130323-trois-eleves-exclues-lycee-apres-avoir-insulte-prof-twitter

Le 10 mars 2013 : De la manière de débattre...

L'Ecole, au sens large du terme, a toujours exacerbé les passions. C'est une bonne chose. Notre Ecole est d'abord celle de la République, c'est à dire celle des citoyens, de la Nation toute entière. Elle appartient à toutes et à tous. Elle est l'avenir des générations qui s'y succèdent. Elle est un objet du débat public.

Cette passion est aujourd'hui "en exercice" à propos de la refondation voulue par un candidat, décrite dans un programme, validée par une élection, appliquée par un Ministre. Objet de débats enflammés, les "pour" et les "contre" fourbissant leurs arguments. Ils sont désormais connus et les positions semblent relativement établies. En résumé et de manière très caricaturale sans doute, tout le monde est favorable à des changements profonds et urgents mais tout le monde veut "sa" manière d'appliquer, "son" rythme, "ses" priorités. Aucune ligne claire ne semble se dégager. Sauf une peut-être, à mes yeux la plus dangereuse: vouloir immédiatement la perfection. Meilleur moyen de passer à côté de la réussite...

Les combats actuels, violents parfois - on a vu ce qui s'est passé à Paris lors de réunions très houleuses et fort peu exemplaires d'un débat serein - sont contradictoires. Non pas seulement entre les différents "camps" mais aussi dans la manière de mener des luttes,exemplaires du fonctionnement démocratique et, en même temps, de dysfonctionnements dans la manière d'exercer la critique.

Alors que des centaines d'articles ont déjà été écrits, que des dizaines d'émissions radios ont été diffusées, que tous les acteurs institutionnels de l'Ecole ont publié déclarations et réflexions, toutes, quels que soient les auteurs, très intéressantes et riches de propositions, le "terrain" ne suit pas le même exemple. Les réunions organisées dans les territoires provoquent plus de hurlements et de chahut indignes d'enseignants si prompts à réclamer le silence dans leurs classes que de discussions posées, riches de propositions. Les images des réunions organisées à Paris, les quelques réunions auxquelles j'ai pu assister récemment sont néfastes. Et improductives.

Rien n'est pire qu'un débat au cours duquel personne ne s'écoute. Au cours duquel les uns ou les autres récitent des catéchismes syndicaux en oubliant l'essentiel: la refondation (qui au passage comporte 25 points dont un seul concernant les rythmes) et l'élève!

Lors de la dernière réunion à laquelle j'ai participé, le mot "élève"  n'était que fort peu entendu, voire jamais. En revanche volaient des noms d'oiseaux, et des bras d'honneur ou des majeurs brandis "virilement" ponctuaient tristement une "concertation" qui ne signifiait plus rien et n'apportait aucune proposition.

J'appelle chacune et chacun à se reprendre. Je remercie les quelques rares responsables nationaux qui ont toujours su conserver une dignité dans le propos et un recul nécessaire à la réflexion. J'espère que l'année qui vient, capitale, sera celle de la "construction critique"...

J'espère... Pour nos élèves  !

Le 10 février 2013 : "Moi m'sieur je me réveille tous les matins à 5h15..."

Voici la réponse que m'a donnée, il y a quelques jours, un élève de 5ème à la question de savoir à quelle heure se préparaient mes élèves le matin pour partir au collège... Sept autres entendaient la sonnerie à 6h30, onze à 6h45 et les cinq derniers, les chanceux, à 7h. Je laisserai de coté les horaires de retour dans ce collège rural de 400 gamins.

Il ne s'agit pas d'un sondage. Ce questionnaire et les réponses obtenues n'ont aucune valeur scientifique. Néanmoins cet élève n'est pas unique en France. Je le sais... Ils existent, doivent être performants de 8h à 16h, parfois 17. Encore heureux que leur semaine s'étale sur quatre jours et demi offrant la possibilité de terminer plus tôt ou de commencer, deux fois par semaine, à 9h. Ces deux fois-là, mon élève - nous l'appellerons Antoine - peut faire la grasse matinée jusqu'à 6h! Le paradis!...

Sans verser dans un pathos qui pourrait, à juste titre, m'être reproché, il serait irresponsable de nier ces réalités qui perdurent depuis des décennies dans les collèges. Sans parler de l'organisation des journées! Celui qui n'a pas VECU un emploi du temps d'élève de classe de 4ème option "européenne" ne sait pas à quel "enfer" il a échappé.

Bien entendu, beaucoup d'élèves - et de parents de ces mêmes élèves - sont très satisfaits d'un tel système. Ces enfants réussissent  ; les résultats sont excellents; la fatigue est amortie par des notes oscillant entre 15 et 20.  Tout va très bien dans le meilleur des mondes... Ils sont faits pour le système puisque le système a été construit pour eux...

Mais, tout en félicitant ces brillants enfants, il ne peut nous échapper que d'autres, beaucoup d'autres, accumulent fatigue ET résultats médiocres, voire catastrophiques. Souvent depuis le CP. Ceux-là glisseront doucement vers la sortie du système pour rejoindre les cohortes de décrocheurs ou d'abandonnés sans l'ombre d'un diplôme. Ils disparaissent... On ne les voit plus... Et tout continue d'aller très bien dans ce meilleur des mondes... Les invisibles ne dérangent pas... C'est toujours ça de gagné...

En cet an 1 de la refondation, j'appelle de mes vœux une révolution scolaire à la hauteur des enjeux. Celle-qui a commencé en primaire est, sans l'ombre d'un doute, encore timide, frileuse, prudente. Elle a le mérite incontestable d'avoir ouvert la réflexion. Oh, bien entendu, les revendications des uns ne rejoignent pas toujours les aspirations des autres. Des blocages, des siècles d'habitudes, un zeste de réflexes corporatistes (Mais si!...), un peu de mauvaise foi dans tous les camps, une information mal gérée et une désinformation rampante ont transformé le consensus de décembre 2012 en champ de bataille dès janvier 2013. Pourquoi pas  ? Le champ de bataille est aussi celui du champ démocratique. Le débat, même vif, doit avoir lieu.

Cette "révolution copernicienne" du collège et DES lycées permettra à des milliers d' "Antoine" de se réveiller plus tard, pour travailler dans des établissements plus accueillants. Elle devra casser, au sens propre du terme, des grilles d'emplois du temps absurdes et -au risque de la polémique- s'il faut que l'enseignant que je suis doive rester plus longtemps sur son lieu de travail mais pour exercer de manière plus détendue et plus efficace pour chacun, alors je serai un "révolutionnaire"! Elle devra réécrire tous les programmes, refonder tout l'édifice de l'orientation et engager une formation des enseignants en conformité avec les exigences du XXIème siècle.

Alors et alors seulement, les "Antoine" à venir ne me diront plus jamais  : "Moi m'sieur je me réveille tous les matins à 5h15..."

Le 3 février 2013 : La concertation oui... Mais pourquoi et comment ?

Certains appellent de leurs voeux une consultation de la base. Quelques syndicats appellent à la grève le 12 février dans le primaire. Pour rappel, lors du passage à la semaine de quatre jours en 2008, décidé sans aucune concertation, je n'ai pas souvenir de colères syndicales ni de défilés dans les rues. Je conseille à ce sujet la lecture de cet article qui raffraîchit sainement les mémoires  : "Un passage indolore à la semaine de quatre jours".

Des "Etats Généraux" avec cahiers de doléances, des réunions "participatives"  ? Pourquoi pas évidemment ! Comme si la base avait été privée du droit à l'expression. Ce qui, comme chacun sait pertinemment, est faux. (Mensonge entretenu et relayé par un collectif auto-proclamé représentatif des Professeurs d'écoles, les "Dindons", bien à l'abri d'un anonymat pour le moins gênant et qu'à ma grande surprise les médias n'ont jamais cherché à percer à jour.)

Pour avoir pratiqué la "démocratie participative", je peux affirmer ici que ce magnifique outil est néanmoins à manier sans illusions excessives. Car au final, c'est toujours le mieux informé, le plus "grande gueule", le groupe le mieux structuré, qui emporte la décision. La "concertation", si elle est octroyée d' en-haut - ce que réclament, ce qu'implorent quelques syndicats et groupes de pression  - aboutit TOUJOURS à des décisions prises en-haut, par le "haut" pour le "bas".  Elle offre l'illusion d'une participation, l'illusion d'avoir pu décider, le "bonheur" d'être considéré.

Il serait bien plus efficace de nous emparer des propositions actuelles pour les expérimenter, les moduler, les travailler, en faire un vaste "laboratoire". Les résultats en seront évalués et, à la lumière de ces évaluations, des améliorations successives pourraient être apportées. Non pas par des mouvements d'humeur, non pas par des condamnation a priori, mais par la pratique dans nos classes des outils qui nous sont offerts. Cela éviterait en outre les procès en corporatisme.

Les appels au report en 2014 ne sont, en fait, que des moyens d'enterrer la réforme Peillon. Ajoutés à la désinformation, on ne s'y prendrait pas autrement pour édifier une statue en hommage au "perdant-perdant". Car faire "perdre" le Ministre de l'Education et son projet, c'est faire perdre l'Ecole, ses enseignants et ses élèves  ! Des perdants partout  !

Alors OUI à la concertation mais pas en croyant ou en faisant croire qu'il suffira de demander l'avis de chacun pour, comme par miracle, parvenir à un illusoire consensus. Consensus qui n'est pas forcément un idéal. Je crois bien davantage à la variété des pédagogies, l'Ecole n'étant pas un bloc monolithique. C'est pas la multiplication des applications du projet Peillon, c'est en le confrontant aux réalités de terrain, en le rendant librement opérationnel que s'enclenchera alors enfin le processus de la refondation! La refondation ne se décide pas seulement. Elle doit vivre au quotidien aussi et surtout  ! 

Comme je l'ai déjà affirmé souvent, le projet Peillon est une base de construction, une re-fondation au sens propre du terme. Il est imparfait, ne va pas assez loin ou trop loin selon les points de vue, a été mal présenté ? Peut-être... Sans doute même.

Pourtant et malgré ses défauts, à cause de ses  défauts, il convient de nous (Enseignants / Parents / Elus / Associations) saisir au  plus vite de ce travail initial afin d' élever des murs solides.  
Pour le moment trop d'actions sont menées qui ne  font que fragiliser une opportunité extraordinaire! 

Le 27 janvier 2013 : Le risque d'un rendez-vous manqué...

Un éditorial du Monde (1) et un entretien avec le pédopsychiatre Marcel Rufo (2) publié par le quotidien La Provence (2) ont déclenché de multiples réactions outragées de la part de représentants syndicaux et d'enseignants touchés par ces accusations de « corporatisme ».

D'autres, dont les propos sont ont été rapportés dans la rubrique « Médiateur » du Monde (dimanche 27/01, page 16) se félicitent au contraire de voir enfin brisé un tabou quasi ancestral d'une institution réputée pour être à la fois intouchable et irréformable.

Mon propos n'est pas de relancer un débat que Le Monde a eu le courage -  le seul fait de devoir employer le mot « courage » démontre à quel point le sujet est un « interdit » absolu  - de poser en termes peut-être violents mais à mon avis nécessaires pour faire enfin bouger un édifice fermé à double tour dans des habitudes, des blocages, des non-dits », des fausses illusions, des certitudes ancrées, un « irréformisme » quasi pathologique. D'où l'image d'un syndicalisme de blocage, image peut-être exagérée, voire fausse, mais dont les contours sont entretenus par leurs responsables eux-mêmes. S'en rendent-ils seulement compte ? Je crains que non... Et du déni à l'erreur persévérante, il n'y a qu'un pas.

Le débat qui anime les réseaux sociaux est à ce titre symptomatique d'une dérive du militantisme. Il ne porte QUE sur les « rythmes scolaires ». Or ce sujet ne compte que pour 1/25ème du projet de Vincent Peillon. J'invite vivement toutes et tous à consulter le texte dans son entier. Il forme un ensemble, certes imparfait, certes ne correspondant pas toujours aux attentes si nombreuses et si diverses des uns et des autres, mais un ensemble dont il est absurde de séparer les termes.

Je me pose alors la question suivante : pourquoi CE thème de la semaine de quatre jours et demi a-t-il occulté TOUS les autres, au moins aussi importants si ce n'est plus ? Je me contenterai de la réponse donnée par Maryline Baumard dans Le Monde du dimanche 27 janvier, page 16 : « Nous concevons tout à fait que le retour à quatre jours et demi d'enseignement peut être lu comme la fin d'un droit acquis, mais si c'est le cas, qu'on le dise comme cela. Offrir une demi-journée de plus aux enfants ne changera sans doute pas grand-chose pour les CSP+. En revanche, si on desserre l'étau de ces quatre journées très lourdes, la culture, le sport ou l'aide qu'un enfant défavorisé pourra trouver à l'école seront autant d'occasions de rencontres que la vie ne lui offrirait sans doute pas ailleurs. Ce sera peut-être une porte d'entrée dans les savoirs ».

Oui, la manière de traiter cette question des quatre jours et demi, question qui agite surtout le microcosme parisien -microcosme dans lequel le statut des collègues du primaire est très différent de celui des collègues de province. C'est là un autre tabou- a engendré et engendrera des incompréhensions majeures auprès des collègues TRES nombreux qui se battent pour une application du « projet Peillon » au plus vite. Il est assez surprenant, au passage, que les collègues favorables au texte qui sera très bientôt adopté ne soient pas davantage écoutés. Mais peut-être ne se font-ils pas suffisamment entendre...

Plus graves ont été et sont encore les accusations portées contre le Ministre affirmant que la concertation n'avait pas eu lieu. C'est faux. Le Secrétaire général du SNUIPP, syndicat le plus représenté en maternelle/primaire, l' a lui-même confirmé :

« Durant la concertation menée cet été, c’était le sujet le  moins consensuel sur  le primaire. Plus précisément, il y avait un  quasi-consensus sur la nécessité  d’abandonner les quatre jours, mais dès que  l’on parlait de la mise en place  des quatre jours et demi cela devenait  compliqué. » (3)

Enfin, divers collectifs ont entretenu et continuent d'entretenir une réflexion fondée sur l'opposition systématique -  c'est leur droit  - mais illustrée par un argumentaire extrêmement flou, pour ne pas dire erroné. C'est beaucoup moins acceptable. Des débats centrés sur un seul thème (les « rythmes), une lecture mensongère de l'historique du travail mené en amont du projet de décret, des oppositions systématiques permettant les accusations de « corporatisme », tout cela a transformé un consensus général en brouhaha incompréhensible noyant l'essentiel dans l'accessoire, le futile, le combat d'arrière-garde.

S'il n'est évidemment pas interdit de critiquer cette refondation que TOUS s'accordent à estimer nécessaire, il est en revanche absolument gravissime et irresponsable de s'y opposer en utilisant des arguments qui le plus souvent ne correspondent pas à l'urgence de la situation de nos élèves.

Si certains voulaient une fois de plus empêcher le rendez-vous de l'Ecole avec son Histoire, Histoire dans laquelle elle est enfermée depuis des décennies, ils ne s'y prendraient pas autrement. A quelle fin ?...

1. http://www.profencampagne.com/article-l-ecole-ou-le-triomphe-du-corporatisme-114626855.html

2. http://www.profencampagne.com/article-marcel-rufo-je-suis-sidere-par-la-reaction-des-enseignants-114696411.html

3. http://www.liberation.fr/societe/2013/01/24/quel-interet-si-c-est-de-la-garderie-a-partir-de-15-h-30_876598 

Le 20 janvier 2013 : Refondation de l'école : les « rythmes scolaires » ? Un écran de fumée très bien entretenu...

Les réseaux sociaux - principalement Twitter, mais la quasi totalité des autres -, les grands médias nationaux -radios/télévisions/presse papier et Internet -, les salles des maîtres et, beaucoup moins, celles des professeurs bruissent du glouglou récurrent, savamment entretenu par, ici quelques syndicats, là quelques groupes de pression. Ces gloussements entretiennent une idée fausse qui, à force d'être répétée, prend l'apparence du vrai dans les esprits du citoyen « lambda », peu au fait des luttes intestines, parfois violentes, qui font le « charme » de la corporation enseignante. Cette idée fausse est contenue dans un discours présentant la refondation en cours comme reposant uniquement sur la réforme des « rythmes scolaires ».

Or, à la lecture attentive et objective des différentes interventions du Ministre de l'Education Nationale et de celles et ceux en charge de porter cette refondation sur les fonts baptismaux, il est évident qu'il s'agit d'un travail beaucoup plus complexe et complet que celui présenté en général. Certes, cette refondation est loin de correspondre à celle que chacun d'entre nous a rêvée. Car il existe, dans ce pays, autant d'écoles idéales que d'enseignants. Nous avons toutes et tous, de la maternelle à l'Université, NOS projets, NOS idées, NOS propositions, NOTRE école. Et nous avons tous, chacun dans nos domaines respectifs de compétences et de pratiques, l'assurance d'avoir raison. Je n'échappe pas à ce travers.
Philippe Meirieu a, bien mieux que je ne saurais le faire, brillamment défini ce que pourrait être la refondation, à quelles conditions elle trouverait toute son efficacité. C'est ici :
http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2012/09/10092012Article634828568857530588.aspx
Et là :
http://www.meirieu.com/nouveautesblocnotes_dernier.htm
Si les « rythmes », qu'avec Claire Leconte je préfère appeler « Aménagement du temps de l'enfant », sont emblématiques de la refondation (emblématiques car ils touchent l'école, les parents et les communes) il est dangereux, voire malhonnête, d' utiliser l'emblème pour se contenter de contrer une réforme sans rien proposer en retour, de limiter ce qui se passe aujourd'hui à ce seul et unique thème.

J'attends donc et j'espère que tous ensemble, dans un esprit de construction d'une autre école en souvenir des élèves sacrifiés depuis des décennies (150 000  par an sortent du système sans l'ombre d'un diplôme), nous puissions évoquer, débattre et mettre en lumière la totalité des sujets traités par et dans cette refondation. En désordre et sans hiérarchiser car chaque sujet intervient dans le sujet voisin :

  • l'orientation (vaste chantier!),
  • la formation et la création des  ESPE,
  • les créations de postes,
  • la transformation de l'image de  l'enseignant, si abîmée ces dernières années,
  • la maternelle et la scolarisation des moins de 3 ans,
  • l'apprentissage précoce (dès le  CP) d'une langue vivante,
  • l'introduction de la morale laïque,
  • l'école numérique (ou  « numérique pour tous »),
  • les classes passerelles,
  • la transition CM2/6ème,
  • les programmes…

Et bien d'autres thèmes CONTENUS dans les travaux en cours mais occultés par l'écran de fumés des « rythmes ». Celles et ceux qui, par calcul ou par réel intérêt, concentrent leurs critiques et leurs assauts contre la refondation de l’école, évoquant une « vraie » réforme qu'ils n'obtiendraient pas, sans jamais illustrer ce « vraie » du moindre début de commencement de propositions concrètes, font fausse route, se trompent et nous trompent !

La refondation voulue par une majorité des français - le projet actuel était, dans ses grandes lignes, contenu dans le programme du candidat Hollande - repose sur de multiples piliers. Ils sont en construction. Saper les fondations serait prendre une bien lourde responsabilité devant les parents, les professeurs, les élèves.
Avec cette refondation, incomplète et balbutiante, nous ne sommes pas assurés du succès. Mais sans cette refondation, nous sommes assurés d'une chose : l'échec permanent et dramatique de milliers d'enfants. Etes-vous prêts à prendre ce risque ?

Le 13 janvier 2013 : A mes élèves homosexuels...

Aujourd'hui, 13 janvier 2013, a lieu une manifestation réunissant les opposants au "mariage pour tous". Je ne m'éterniserai pas sur les motivations des organisateurs -  que je ne confonds pas avec les femmes et hommes qui défileront ce dimanche  - qui ne sont que trop évidentes. Cette journée restera pour moi une journée homophobe. Les déclarations de certains, la lecture de slogans sur les pancartes brandies à bout de bras le démontrent aisément.

C'est aux adolescents, nos élèves, auxquels je pense en écrivant ces lignes. Aux adolescents, filles et garçons, qui sentent confusément ou de manière absolument certaine qu'ils sont et seront homosexuels. A quoi peuvent penser ces jeunes filles et garçons en voyant et en écoutant des milliers de Français, avec, parmi eux peut-être, des parents qui ignorent tout de la sexualité de leurs propres enfants, défiler en hurlant leur opposition, pour beaucoup leur haine, au mariage pour tous, mais d'abord à l'homosexualité, cette "déviance", cette "inversion", cette "atteinte intolérable à l'ordre naturel de l'humanité"  ? Ne sont-ils pas, ces jeunes homosexuels, en droit d'avoir tout simplement peur face à ce déferlement d'intolérance  ?

J'ai eu, j'ai et j'aurai des élèves homosexuels. D'éducation traditionnellement catholique, baptisé, communié et confirmé, je peux concevoir les interrogations, les doutes, les interpellations légitimes. Je ne peux, en revanche, accepter les appels à l'ostracisation, à la stigmatisation, au rejet, à l'isolement, à l'enfermement dans des caricatures abominables amenant certains à comparer les homosexuels à des singes.

Alors, pour mes élèves homosexuels, je veux me battre afin que leur droit à l'égalité de choix - celui de se marier ou pas civilement, celui d'adopter ou pas - leur soit reconnu comme il l'est déjà dans de nombreux pays très catholiques comme l'Espagne et le Portugal. Je pense à ces centaines, peut-être ces milliers de filles et garçons moqués, insultés, traîtés de PD, de tapettes, de fiottes, de gouines, de goudous, de lopettes, d'invertis, de tarlouzeqs. Le corpus dans ce domaine est d'une "richesse" infinie. Au XXIème siècle le triangle rose a disparu. Les mots sont restés. La honte aussi.

Pour mes élèves homosexuels, je me battrai afin que soit effacée cette honte qui n'a pas lieu d'être. Je me battrai au nom de traditions familiales chrétiennes -  mais oui  - qui m'ont permis d'être d'abord à l'écoute, d'être d'abord dans le partage, d'être d'abord dans l'amour des autres et du prochain, quelle que soit son orientation sexuelle.

Pour mes élèves homosexuels, je défendrai et appelle à défendre la dignité à laquelle ils ont droit.

Pour tous mes élèves enfin, je me battrai pour construire une société civile tendant le plus possible vers l'égalité et vers la compréhension des uns entre les autres, hétérosexuels et homosexuels, dont le point commun est d'AIMER  !

Le 6 janvier 2013 : "La refondation? C'est quoi?"

"La refondation de l'école ? Ouais, j'ai lu quelques trucs mais bon, ça ne concerne que l'école primaire"... "Jamais entendu parler!"..."Oh arrête avec ça... On mange!"

J'en ai entendu bien d'autres au sujet de cette refondation qui, malgré sa lenteur et ses imperfections, est pourtant en marche. Personne n'en parle sur le terrain et dans les établissements - je parle ici en particulier des collèges et lycées - l'air de la continuité domine partout  :

  • Recteurs, IPR-IA, DASEN, IEN semblent ravis de ne pas avoir d'instructions contraires, dépensent toute leur énergie à maintenir ce qu'ils ont imposé durant cinq ans voire à le renforcer.
  • Les nouveaux vieux programmes de 2008, l'aide individualisée, le pilotage ultralibéral par les résultats apparents, l'animation pédagogique substitut de la Formation Continue... tout se passe comme s'il ne s'était rien passé en mai et juin 2012.
  • La rumeur dit même que les évaluations seront maintenues! Il est vrai qu'elles sont tellement intelligentes que l'on ne pourrait pas s'en passer. Comment pourrait-on travailler sans elles, disent les pilotes!

La refondation est quand même en marche... Une marche lente... Silencieuse... Quelques-uns, il est vrai, tentent de ruer dans les brancards. Ici des blogueurs, là un mouvement dit des "dindons" (dont je ne partage aucune des revendications mais qui a au moins le courage et la volonté de s'emparer du sujet), ailleurs les syndicats et acteurs gouvernementaux engagés dans un traditionnel rapport de force  : "tu me donnes ça et je te rends ça"... Tristement pitoyable! Quelques initiatives individuelles remarquables aident heureusement à rester éveillé. Merci à des Pierre Frackowiak et à Claude Lelièvre (entre autres) de nous maintenir éveillés.

Je crois en la réelle volonté de Vincent Peillon. Il veut changer l'école. Mais il est retardé par trois obstacles, d'importance égale :

- Il doit d'abord réparer les dégâts de cinq années de sarkozysme. Ces cinq années furent une catastrophe dont l'Histoire nous permettra plus tard d'en vérifier les effets sur l'Ecole.

- Il doit ensuite lutter contre le désintérêt, le découragement, le poids des habitudes, l' « entre-soi », bref tout ces miasmes qui envahissent les salles des maîtres et des professeurs depuis des années.

- Il doit, enfin, composer avec des forces en présence absolument titanesques et qui, au fil des décennies, ont pris le pouvoir. Ou, plus exactement, se le sont partagé. Les diverses Inspections Générales, les lobbies institutionnels, les syndicats, les maisons d'édition, le syndicat du tourisme... Auxquels sont venus se greffer les élus des territoires, les associations de parents et j'en passe. Tous absolument nécessaires et interlocuteurs incontournables mais qui, tous, défendent leur pré-carré en privilégiant le plus souvent l'adulte au détriment de l'élève. Le débat démocratique est riche d'interlocuteurs de haut niveau. Il est néanmoins très dommage que ces interlocuteurs se contentent de ralentir une refondation que les mêmes s'accordaient à trouver urgente il y a moins d'un an.

Et puis ce silence... Notamment dans les collèges... Le « maillon faible »... Pire que du silence : un désintérêt profond. Du moment qu'on ne touche ni au statut, ni aux calendriers des vacances, ni au sacro-saint triptyque « un prof-une matière-une heure », tout le monde semble se satisfaire, en ronchonnant parfois et pour entretenir le mythe du prof jamais content, de l'existant...

Alors je le dis et le redirai encore : collègues (et quand je dis « collègues », je m'adresse à TOUS les personnels travaillant dans et pour l’Éducation, élèves compris!), emparons-nous de la refondation, exigeons des réunions d'information, organisons-les s'il le faut de manière « sauvage », devenons forces de propositions ! Enthousiasmons-nous ! Ne nous laissons pas gagner par l'immobilisme.

Après, il sera trop tard... Pour des milliers d'élèves, il y a longtemps que c'est trop tard... Jusqu'à quand ?

Le 19 décembre 2012 :  Notre Ecole ? Un circuit fermé...

Le débat actuel qui agite l’institution Ecole est centré sur les rythmes scolaires. Il s'agit évidemment d'un sujet essentiel, d'une problématique capitale. Hélas, quelques uns, le collectif dit des « dindons » par exemple, mais aussi certains syndicats très représentatifs, ont choisi ce cheval de bataille pour unique monture. Il s'agit là d'une erreur. Peut-être d'une stratégie.

L'Ecole - au sens large - vit en circuit fermé. Un circuit fermé à double tour sur l'entre-soi. Une fois les orientations de l'Education Nationale définies par le Parlement sont-elles actées, l' Ecole vit sa vie. A part.

- Un établissement scolaire sur trois n'a pas mis en place le Comité d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC). C'est pourtant une loi. Personne ne se soucie qu'elle soit si mal respectée. Deux établissements sur trois ne forment pas les délégués d'élèves. Personne ne s'en inquiète

- D'après l'Inspection Générale, dans un établissement sur deux, l'accueil des parents se fait de manière très désinvolte.

- Dans de très nombreux établissements le règlement n'est pas élaboré collectivement ni présenté et expliqué aux élèves.

- La recherche documentaire n'est que très peu travaillée et les professeurs-documentalistes, bien peu reconnus, doivent batailler ferme pour collaborer avec les autres professeurs.

En revanche, la SEULE question qui soit réellement débattue et vérifiée c'est que tout élève de sixième a bien quatre heures de mathématiques dans son emploi du temps.

(Ces données sont empruntées à Philippe Meirieu in Un pédagogue dans la cité ; entretien avec Luc Cédelle, page 272, ed. Desclée de Brouwer).

C'est donc dans ce circuit fermé, ce vase clos, cet entre-soi que le sujet des rythmes scolaires occupe la quasi totalité des discussions dans les salles des maîtres de nos écoles primaires. En même temps, les autres thèmes auxquels le projet de refondation s'attaque ne sont pas ou si peu abordés.

On peut - on doit ! - critiquer l'avant projet proposé par Vincent Peillon. Pas assez de ceci... Trop de cela... Pas assez rapide... Trop lent... Tout peut être débattu. Mais voilà, tout ne l'est pas. Seuls les rythmes semblent « faire sujet ».

Pourtant, ne s'en prendre ou ne louer qu'eux est une erreur fondamentale. Il est impossible de vouloir refonder l'école sans RELIER ensemble toutes les problématiques : depuis les rythmes jusqu'à l'architecture scolaire en passant par la formation et les programmes. Entre autres... Il est dangereux de laisser ce débat sur la refondation entre les seules mains des enseignants et de leurs représentants. Il faut urgemment l'ouvrir aux monde associatif, culturel, aux professionnels et bénévoles des mouvements d' Education populaire, aux entreprises. Je veux bien que l’École soit un sanctuaire. Mais un sanctuaire ouvert !

Manifestement les débats actuels ne prennent pas le chemin de l'ouverture d'esprit. D'un naturel enthousiaste et optimiste je crois en la possibilité historique d'une véritable refondation. Refondation qui permettra à l'Ecole d'entrer et de faire entrer ses élèves dans le XXIème siècle balbutiant.

Il serait suicidaire de vouloir freiner en permanence toute velléité de changement sous prétexte que telle ou telle proposition viendrait bousculer des années, parfois des siècles, d'habitudes qui, c'est leur point le plus commun, ont toujours favorisé les adultes en se souciant assez peu des enfants dont on exige pourtant toujours plus de « performances »...

Le 16 décembre 2012 : Zéro de conduite...

Assistant à la projection du chef-d'oeuvre de François Truffaut, Les quatre-cents coups, réalisé alors qu'il n'avait que vingt-neuf ans, observant d'un œil amusé le regard porté par le réalisateur de L'Enfant Sauvage sur l'école des années cinquante, je ne pus m'empêcher d'établir un parallèle avec un autre réalisateur, très antérieur mais du même âge : Jean Vigo et son seul film connu, Zéro de conduite (1930). Mort à vingt-neuf ans, l'anarchiste poète du cinéma français y montrait, entre autres, un internat de jeunes garçons qui, un soir, décident de « prendre le pouvoir » dans un remake symbolique d'une prise de la Bastille improvisée dirigé par un maître d'internat dépassé par les événements au cours d'une mémorable bataille de polochons terminée au milieu des plumes et des chemises de nuit blanches, chemise de nuit qu'un des élèves soulève un dixième de seconde, dévoilant sa virilité adolescente, ce qui valut à Zéro de conduite d'être censuré jusqu'en 1949... ce qui interdit à Jean Vigo, disparu très tôt, de voir son film enfin en salles.

Outre le fait que ces metteurs en scène ont su et voulu dépeindre une jeunesse  "réelle" et non idéalisée comme celle que le cinéma français a repris la mauvaise habitude de nous vendre (à part les exceptions notables de Doillon, Kiarostami et Laurent Cantet, évidemment, avec son magnifique Entre les murs, Palme d'or à Cannes), outre le fait que l'école des Truffaut et Vigo n'était en aucun cas l'illustration exemplaire du trop fameux et mensonger « C'était mieux avant », j'établissais au cours de la projection un parallèle, peut-être audacieux, avec ce qu'avaient su faire les metteurs en scène de la nouvelle vague -rompre avec les habitudes d'un cinéma lissé, en ordre, aux mains des scénaristes, avec des comédiens-marionnettes et des sujets convenus dans des décors artificiels - et ce que nous, enseignants au sens large du terme, ne savons pas (ou ne voulons pas) faire, c'est à dire, dans une nouvelle vague éducative, renverser la table, rompre avec les mauvaises manières, proposer et imposer d'autres pistes, utiliser ce qu'il y a de meilleur dans l'existant (Truffaut racontait des histoires de manière très « classique ») sans craindre la nouveauté ou ce qu'on appelle « nouveauté » mais qui est parfois fort ancien.

Nous disposons pourtant, depuis des années, des travaux de nos Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette de l’Éducation. Hélas les résistances sont restées fortes, y compris à l'intérieur de notre institution. Nous n'avons pas su lire nos Cahiers du Cinéma à nous, cette Bible qui fit avancer le cinéma français, le dépoussiéra, lui fit obtenir des lettres de noblesse auprès des plus grands metteurs en scène étrangers (il faut relire les entretiens Truffaut-Hitchkok, monument d'intelligence créatrice et fondatrice). Notre école est restée trop souvent celle des prudences et des habitudes, des convenances et du politiquement très correct. Nous voyons notre école à la manière d'un Gérard Jugnot quand il conviendrait de la considérer comme un Jacques Doillon ou, mieux encore, un Jean Vigo...

« Dites M'sieur, c'est quand la nouvelle vague ? » Si Jean Vigo revenait parmi nous, j'en suis persuadé, il nous mettrait Zéro de conduite...

Le 12 décembre : N'oublions jamais les leçons de l'histoire - Hommage à René Camille

Internet.... La transparence... Un outil symbole de la démocratie... Des outils à la portée de toutes et tous... La connaissance universelle mise à portée des professeurs, élèves et étudiants... Bien d'autres avantages mis en lumière chaque jour... Et pourtant... Et pourtant Internet peut être AUSSI une diabolique invention quand elle est diaboliquement utilisée.

Tous les gouvernements, démocratiques ou dictatoriaux, utilisent de plus en plus les milliards de messages déposés, notamment sur les réseaux sociaux, pour tester, sonder et, disons-le, surveiller l'opinion. Chaque ministère, dans quasiment tous les pays du monde, a sa « cellule de veille ». Une journée commence toujours par un tour d'horizon des « Twitter » et autres « Facebook ». Le Pic Data fonctionne à plein.

Quelques très grandes sociétés françaises, ayant pignon sur rue, ont participé de très près à la livraison de systèmes informatiques permettant de pister les opposants au régime de Khadafi, de Ben Ali, de bien d'autres... Internet - au sens large du terme - a souvent été le complice quasi déclaré des pires dictateurs.

Mais n'oublions jamais qu'avant Internet, il y eut un ancêtre : la mécanographie. Un système de cartes perforées qui permit la mise en place d'un outil fort utile : le numéro de Sécurité Sociale utilisant le 1 pour un homme et le 2 pour une femme. Système que les Pays-bas, quelques années avant la seconde guerre mondiale, ont généralisé en y ajoutant quelques précisions , ce pays n'étant pas laïc à l'époque : 3 pour les hommes juifs, 4 pour les femmes juives, 5 pour les hommes tziganes, 6 pour les femmes tziganes. Lorsque les troupes nazies ont déferlé sur le plat pays, les services zélés de l'administration hitlérienne n'ont eu que quelques jours de travail à effectuer pour, s'étant saisi de toutes les cartes perforées, établir un recensement de la population batave. Puis d'en extraire les noms, prénoms, adresses et autres renseignements... La déportation vers les camps de la mort n'en fut que plus rapide et aisée... Le tatouage que recevaient sur le bras les Juifs à Auschwitz correspondait d'ailleurs à leur numéro d'identification dans le systèm emécanographique...

Je profite de l'occasion qui m'est offerte pour rendre ici hommage ici à un résistant oublié, René Carmille, Directeur du service national de statistiques en France qui refusa de livrer les fichiers mécanographiques aux nazis, sabota ceux qu'il fut contraint de donner, ce qui le conduisit à Dachau où il mourut en 1944.

Les inventions ont de la mémoire... Et quand cette mémoire tombe en de mauvaises mains...

Le 6 décembre 2012 : Silence , on refonde !

Je suis frappé et déçu par le silence qui entoure la refondation de l'école .Je parle ici du silence dans les salles des maîtres et de professeurs.

Bien entendu, je le rappelle souvent, mon expérience de terrain n'a aucune valeur scientifique. Il est impossible d'en tirer des conclusions « analytiques » poussées sur le phénomène, si phénomène il y a. Néanmoins plusieurs signaux me permettent d'affirmer, sans me tromper beaucoup, que la refondation de l'école n'est pas un sujet de conversation très répandue dans le « milieu » enseignant. Oh bien sûr, il y a les passionnés bloggueurs, twitteurs et autres «  facebookeurs  » qui se retrouvent entre eux sur les réseaux sociaux. Les débats y sont riches et vifs.

Mais sur le terrain, une fois les ordinateurs éteints, dans les écoles, collèges et lycées, tout semble s'arrêter. J'ai à plusieurs reprises tenté de lancer la discussion dans mon collège.Echec total. Ma compagne, directrice d'école, a fait de même.Echec partagé ! Pire même et difficile à croire: certains collègues n'avaient à ce jour strictement rien lu sur le sujet ! D'autres, certes très rares, n'ont toujours pas entendu parler de la refondation. J’ose croire que ces derniers le font exprès...

Très actif sur Twitter, j'ai tenté l'expérience suivante. Fort de mes 1990 abonnés -followers en langue Twitter-, ce qui n'est pas si mal parait-il pour un quasi anonyme, abonnés composés à 70% d'enseignants, j'ai posé cette question :

« Qui parmi les enseignants parle vraiment et régulièrement de la refondation de l'école dans son établissement ? » J'ai reçu...5 réponses dont deux négatives.

Je ne sais plus que penser. J'avoue mon impuissance, ma tristesse. Je rêvais -je rêve encore- de voir une multitude d'enseignants s'emparer de cette « refondation », de l'accompagner, de l'alimenter par des propositions, de la critiquer car la critique est nécessaire, de la prendre en main, de se l'approprier, d'imaginer des tables rondes, des forums, d'imposer une ou des journées banalisées à nos hiérarchies respectives. Certaines déclarations de Vincent Peillon nous incitaient à le faire. Force est de constater qu'il n'en est rien. Chacun vit son « entre-soi », attend les directives d' en-haut.

Le monde enseignant semble à l'image du monde, le grand, le global. Il est gagné par l'abattement, la résignation, l' « aquoibonisme » chanté par Gainsbourg et Birkin, la certitude ancrée qu'il n'y a pas d'issue. Même le doute a disparu... Nombreux sont nos collègues qui ont cédé, vaincus et écrasés par des années d'habitudes. Je les appelle à relever la tête, à relever les manches ! La refondation mourra ou connaîtra une naissance difficile si le bruit de nos voix ne couvre pas l'assourdissant silence !

Le 1er décembre 2012 : Quand des éclats de rire viennent écraser l'éthique enseignante...

L'histoire que je vais raconter s'est déroulée un vendredi 30 novembre dans un collège de France, à 15h, lors de la récréation.

Les élèves de troisième doivent -et c'est une excellente chose- suivre un stage d'une semaine en milieu professionnel puis, à l'issue de ce dernier, remettre un rapport de stage à leur professeur principal. Déjà en début de journée, mon attention avait été attirée par un document très en évidence déposé sur une table basse ou d'habitude rien n’apparaît. J'y avais jeté un coup d' œil rapide. Il s'agissait du rapport de stage d'un élève depuis très longtemps en très grandes difficultés. Beaucoup d'erreurs d'orthographe, une syntaxe plus qu'approximative. Mais un document fort bien présenté, illustré de photographies prises par le stagiaire, dans le garage automobile qui l'accueillait. On sentait au premier coup d’œil qu'il s'était appliqué. Et j'avais remis ce document, sans doute oublié par un collègue, où je l'avais trouvé.

A la récréation de 15h, nous étions une dizaine d'enseignants parlant de tout et de rien quand une collègue s'empara du dossier toujours sur cette table et, voyant le nom de l'auteur, eut cette phrase : « Oh ça doit être beau ! » Et, à la demande d'un des professeurs assis autour de cette table, elle le lut à haute voix. ENTIEREMENT !

Chaque erreur, et il y en avait beaucoup c'est vrai, fut l'occasion de rires, d'éclats de rire. Tout le monde riait. Sauf moi. Je n'entendais plus la lecture. Les rires explosaient comme des bombes déchiquetant cet élève. Il fut haché menu. Je ne voyais plus mes collègues. J'étais sidéré par ces bouches rigolardes. Je ne fixais que ces bouches. Un peu comme dans ces films des années 50 où l'on surlignait la joie par des gros plans de visages écartelés...

Et puis le fin de la lecture a rétabli le silence. La sonnerie a retenti. Ah la bonne partie de rigolade ! Jamais je n'ai été aussi mal à l'aise de toute ma carrière. Jamais ! Et j'avais mal, autant pour cet élève qui ne saura jamais ce qui s'est passé que pour cette profession. Même si - j'insiste - cette petite histoire n'est qu'un témoignage particulier qui ne peut avoir de valeur générale.

Néanmoins je suis persuadé que ces manières d'être existent encore trop souvent dans les salles de professeurs de collèges et lycées. Cette certitude d'avoir toujours raison puisque, détenteurs du savoir et celui-ci venant d'en-haut, certains enseignants se croient encore autorisés à juger hautainement ce qu'il conviendrait d'analyser avec humilité. Et savoir faire !... Se croient encore autorisés à écraser de leur savoir quand il conviendrait de le partager...

Mais voilà, l'éthique est trop souvent oubliée au profit de certitudes qui sont autant de fausses pistes. Espérons que cette expérience ne se reproduira pas. Peut-être aurais-je du intervenir... Il est des moments où la fatigue me gagne. Mais cela ne dure pas... La preuve ! Ah j'oubliais... L'élève en question sera un jour mécanicien automobile. C'est sa passion. Il fera un excellent mécanicien, je n'en doute pas un instant. Peut-être l'un des professeurs-rieurs ira-t-il lui confier son véhicule... Il aura bien besoin de celui qu'il a, un jour, moqué sans retenue...

Le 26 novembre 2012 : Propos sur les violences de ces derniers jours...

Le psychodrame, la tragi-comédie, appelons cela comme bon nous semble, qui ont remplacé l'exercice politique "normal" à l'UMP sont symptomatiques d'une époque. Tout comme les violences qui ont entâché la très controversée manifestation de Civitas, ce groupuscule "catholique"  intégriste. Bien entendu les provocations des "Femen" étaient peut-être d'un goût douteux, mais y répondre par la violence était justement ce que ce mouvement  de femmes recherchait. Civitas a donc ajouté la violence à la naïveté et la naïveté à la bêtise.

Violence des propos, des moyens employés (la tricherie) d'un coté... Violences physiques et agressions de l'autre... Des violences pratiquées au grand jour, relayées par les télévisions et radios, "tweetés" et "retweetés" en direct, Twitter étant devenu, depuis quelques mois, une sorte de "télévision" sans écran, mais où tout se dit, se voit, s'entend dans une débauche hallucinante de perles génialissimes et d'âneries affligeantes. Des violences pratiquées par des adultes, pour la plupart d'entre eux des dames et messieurs très sérieux, sortant de nos meilleures Grandes Ecoles, toujours exemplaires, très donneurs de leçons.

Des leçons que, justement,tous, intégristes et politiciens de tous les bords, n'ont cessé et ne cesseront de donner à l'Ecole, coupable, absolument coupable, de laisser se développer, d'entretenir même - de créer pourquoi pas ? - le terreau de la violence. A les écouter - ces dames et messieurs bien mis, caricatures d'élus de province du XIXème siècle - les professeurs ne tiendraient plus leurs classes, seraient d'un laxisme ahurissant, toléreraient l'intolérable, capituleraient devant la moindre difficulté, accepteraient bavardages, chahut, tricheries et bagarres générales ! L'Ecole en France serait à feu et à sang !

Eh bien, mesdames et messieurs les politiques, mesdames et messieurs les intégristes "relecteurs" des Evangiles sans les avoir seulement à peine compris,  je voudrais vous dire ceci : "Laissez les enseignants enseigner, proposer, entreprendre, réfléchir et parfois réussir. Plus souvent même que les modes laisseraient à supposer... Car voyez-vous, dans la salle de classe, face à 20, 30 ou parfois même 40 élèves, on ne triche pas. On ne peut pas tricher ! La violence que vous pratiquez devant la France abasourdie est bien plus grave que l'insulte, le crachat ou le coup de poing entre deux élèves. Ces violences-là sont évidemment intolérables et ne sont pas tolérées. Alors que "chez vous", politiques et intégristes, elle est un moyen, un outil, une méthode. Que vous ne prenez même pas la peine d'habiller au moins du vêtement de la retenue ou de la pudeur. Et c'est terrifiant! Car prenez garde... Un peuple abasourdi se donne TOUJOURS à celles et ceux qui sauront le mieux et le plus longtemps possible (2017) dissimuler leurs défauts. Et, dans ce domaine le Front National est passé maître !"

Le 7 novembre 2012 : Rendez nous Epicure !

Le pays des Lumières, la France, est celui qui, en même temps et paradoxalement, a le plus haï le XVIIIème siècle. Ce siècle qui enfanta Sade, Casanova et Choderlos de Laclos... Excusez du peu ! Puis vinrent les siècles suivants... Aujourd'hui triomphent partout, à la télévision, à la radio, dans les réseaux sociaux, le moralisme, le puritanisme, la pudibonderie. Ni Sade (l'un des plus grands écrivains de langue française de tous les temps), ni Casanova, ni Laclos ne sont véritablement étudiés. On le fait en catimini, à reculons, avec force précautions d'usage. On les "réhabilite" ! Suprême offense !

De la même manière, tout débat concernant le mariage pour tous, la dépénalisation du cannabis, le mariage des prètres catholiques, la prostitution, le sexisme dans la publicité, est abordé du bout du pied trempé dans l'eau du bain. Avec la prudence des pudiques... Le XXIème siècle commençant est celui, pour l'instant, du consensus recherché à tout prix. On nous oblige à préférer Platon pour oublier Epicure. Il faut des passions douces, des propos mesurés, des avancées timides, des décisions consensuelles. Un peu comme si le monde était une de ces salles de classes dans laquelle l'élève créatif est considéré comme le diable en personne alors que le silencieux serait le modèle à suivre... L'ennui offert à l'admiration... Triste époque !

Oh, elle comporte bien quelques écarts : la télé-réalité, un scandale par-ci, un clash par-là... On fait "buzzer" quelques jours, parfois quelques heures... Mais même ces écarts, ces scandales, ces clash, ces "buzz" font partie d'un brouhaha encadré, contrôlé, vite récupéré par les médias qui les digèrent à longueur de commentaires. Et puis on passe à autre chose...

On oublie aunsi que nous sommes les enfants des Lumières... Mais nous n'éclairons plus grand-chose. On accepte avec une facilité déconcertante, honteuse, l'extradition d'une militante basque, française, Aurore Martin, coupable d'avoir participé - tremblez braves gens ! - à des réunions d'un parti politique autorisé en France mais interdit en Espagne (Batasuna). D'autant plus honteuse que cette extradition fut "couverte" - a minima - par un Ministre dit de gauche, fils de réfugié catalan... La mémoire raccourcit quand on est au pouvoir...

Rendez-nous Sade, Casanova et Laclos... Rendez-nous Epicure ! Rendez-nous la volonté de l'insurrection, le goût du combat, l'amour de la contradiction, la passion des interdits... L'appétit des choses simples plus que l'envie du pouvoir... Rendez-nous la liberté... Celle qui heurte... Celle qui dérange... Celle qui provoque... Celle pour des enfants qui, demain, refuseront d'appartenir à ces troupeaux de moutons à peine pensants, clonés, indifférents, obéissants... Oui rendez-nous la liberté...

Le 27 octobre 2012 : Des conséquences de toutes les pauvretés en milieu rural...

Depuis trente-six ans dans le même collège rural en Pays de Caux (Seine-Maritime, quelque part entre Rouen et Dieppe, sur les bords de la vallée de la Scie), je suis bien placé pour observer les ravages provoqués par les pauvretés de toutes sortes, pauvretés alourdies par le fait qu'elles naissent et se développent en milieu rural :
- pauvreté financière
- pauvreté intellectuelle
- pauvreté des ambitions. (Comment être ambitieux quand il y a si peu à ambitionner)
- pauvreté des situations familiales (Mères isolées ; divorces difficiles)
- pauvreté des moyens de divertissements (A peine 10% des enfants du collège partent en vacances)... etc...

J’utiliserai le mot « pauvre » dans sa signification la plus large tout au long de ma réflexion... On parle souvent des difficultés des enfants des cités. Beaucoup moins souvent de celles des élèves en milieu rural. Elles sont certes d'un autre ordre mais mériteraient une attention plus soutenue. J'en reparlerai un jour...

Ce tableau très noir n'est évidemment pas le seul. Il existe un tableau blanc. Avec des élèves et des familles heureuses. Mais la croissance des « grandes misères » doit nous inquiéter. Leur gravité et leur durée également. Tout enseignant ne peut ignorer, lorsqu'il est dans sa classe, qu'il a face à lui des élèves évidemment, mais toutes et tous porteurs d'un vécu social, bagage léger pour certains, extraordinairement lourd pour d'autres. Aucun professeur ne peut ignorer cela sous peine de passer à coté d'une réalité qui vit pourtant chaque jour sous ses yeux et que les « enfants/pré-adolescents » ne cherchent même plus à cacher.
Sans verser dans la compassion, il est néanmoins criant d'évidence que lorsqu'on est pauvre, quelle que soit cette pauvreté qui n'est pas circonscrite à la misère financière (on peut être riche et « pauvre »...), l'effort demandé à l'élève pour s'élever est souvent surhumain. Contrairement à des idées reçues et véhiculées par confort ou par lâcheté, l’École est certes un havre de paix, de transmissions de savoirs et de savoirs-faire, mais elle n'est pas, par je-ne-sais quel enchantement, dispensée des malheurs qui frappent celles et ceux dont nous partageons les journées.

Il nous faut donc repenser la pauvreté, repenser nos manières d'y répondre, cette pauvreté aux mille visages qui frappe des filles et des garçons auxquels on demande l'excellence sans se soucier parfois des obstacles invisibles, cachés, tus dans un lourd silence qui rendent l'objectif absolument inaccessible. Alors ils deviennent des « mauvais élèves ». Et s'ils étaient déjà en difficultés, c'est la double peine qui les attend au sortir des conseils de classe : pauvres chez eux et pauvres en classe, pauvres partout.

Pourtant - et je me pose souvent la question - le « mauvais élève » n'est-il pas tout simplement un bon élève laissé à lui-même, depuis la maternelle ? Les seules explications culturelles à la pauvreté sont très éloignées de la réalité. Très insuffisantes en tout cas. Si seulement on pouvait comprendre vite, très vite et très tôt, que beaucoup de « mauvais » élèves le seraient moins si l'institution les aidait, ainsi que leurs parents, à prendre les bonnes décisions, à faire les bons choix, à saisir les bonnes opportunités, à s'engager dans la bonne orientation.

Hélas, ces bonnes décisions, ces bons choix, ces bonnes opportunités, ces bonnes orientations semblent encore trop souvent réservés à ceux qui ont échappé - et heureusement pour eux ! - aux pauvretés accablantes, qu'elles soient sociales, morales, intellectuelles ou toutes à la fois !

Le 12 octobre 2012 : Réponse à Mara Goyet (1)

VOIR LE TEXTE DE MARA GOYET : http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/10/07/a-l-ecole-des-bureaucrates_1771224_3232.html

 

Chère Mara Goyet, chère collègue,

Vous avez pris le temps de confier vos réflexions sur l'Ecole au journal Le Monde, en date du 7/8 octobre, page 17. Le titre, choisi par le rédaction je suppose, en est : "A l'école des bureaucrates". J'ai lu cet article. Plusieurs fois. Je me contenterai d'en commenter les points qui m'ont semblé devoir l'être car le poids de votre parole étant médiatiquement important, il est indispensable d'éclairer le lecteur souvent aveuglé par les projecteurs.
Votre thèse, pour faire court, est la suivante : trop de bureaucratie, trop de "gadgets" pseudo-contemporains tueraient la "Culture" dans nos écoles, dans nos collèges, dans nos lycées. Quant à l'enseignant, le "bon" dites-vous ironiquement, il serait "celui qui fait des diagrammes, des progressions, remplit des fiches, se lance dans le tout-numérique, remplit des cases, fait des synthèses, connaît les protocoles, obéit aux chefs".

Je vous rassure immédiatement : cet enseignant-là n'existe pas. Décrit ainsi en tout cas, il est une caricature et j'ose espérer que c'est ce que vous avez souhaité. L'immense majorité des enseignants de ce pays ne passe pas son temps à faire des diagrammes, à remplir des fiches, à se lancer dans le tout-numérique. Il ne connaît pas, loin de là, tous les protocoles et s'en porte fort bien. Il obéit aux chefs jusqu'au moment où il entre dans sa classe, lieu où il est libre de sa pédagogie. Cette obéissance est toute relative en primaire où, comme vous le savez, malgré des instructions officielles très anciennes, qui "interdisent" (les guillemets s'imposent car un flou artistique a toujours entouré cette directive)  les devoirs écrits à la maison, on continue allègrement d'en accabler les élèves, dès le CP. L'école primaire étant considérée à tort comme un petit collège, ce dernier comme un petit lycée (d'enseignement général bien entendu !) et ce lycée devant préparer aux études universitaires. Certes le "bon" enseignant construit des progressions. Heureusement pour lui et pour ses élèves. Je suis d'ailleurs persuadé que vous construisez vos cours en respectant des progressions. Et vous avez raison !

Poursuivant dans la caricature, et afin d'illustrer votre thèse, vous vous en prenez vertement à l'évaluation par compétences. Vous omettez - volontairement ? - de préciser que cet outil n'a pas supprimé les évaluations traditionnelles par la notation chiffrée. En collège, les équipes enseignantes continuent de passer bien plus de temps lors des conseils de classe à commenter les moyennes que les compétences. C'est d'ailleurs parfois fort dommage pour un nombre non négligeable d'élèves que vous préférez manifestement négliger. Je vous rejoins en revanche lorsque vous pointez du doigt le "Livret de compétences" en primaire, ce dernier étant effectivement une usine à gaz que le Ministre de l'Education Nationale a, d'ores et déjà, simplifié. Ce que vous vous gardez de rappeler. Un oubli sans doute... Vous deviez être distraite par le relevé des compétences que vous avez soigneusement sélectionnées pour en faire une autre caricature, amusante certes, mais hors-sujet le plus souvent. Je ne vous ferai donc pas perdre votre temps en relevant les exagérations érigées en vérité générale lorsque vous évoquez Rihanna ou Joey Starr. J'ai ri puisque c'est risible.

Emportée par le courant de votre démonstration, vous ne pouvez vous empêcher, j'allais ajouter "évidemment" tant c'était attendu, de dézinguer le projet de l'introduction de la "morale laïque" à l'école. Ce que vous appelez "surpat' morale" ou "maximes vintage" prouve à l'évidence que vous n'avez pas lu les déclarations de Vincent Peillon et, plus grave, que vous n'avez jamais ouvert un seul ouvrage de Ferdinand Buisson. Je vous engage à le faire au plus vite. Cette saine lecture vous fera passer à jamais toute envie de vous déhancher au rythme de maximes vintage.

Enfin, et alors que vous vous faites mine de renvoyer dos-à-dos pédagogues et républicains, vous avez cette phrase, étonnante, surprenante et, permettez-moi, à tomber par terre, quand on la sait écrite par une spécialiste d'Histoire : "Quand les élèves de la IIIe République entraient en 6e, ils étaient équipés d'un bagage intellectuel qui leur permettait d'intégrer directement ce qu'on allait leur enseigner et qu'ils réutiliseraient ne varietur tout au long de leur existence". Cette soudaine révérence à la IIIème et à son école révèle le fond de votre pensée. Hélas fondée sur une analyse beaucoup trop rapide. Je me permets respectueusement de vous rappeler que cette période vit des milliers d'enfants ne jamais intégrer la 6ème dont vous parlez. Le "bagage intellectuel" était, par ailleurs, assez mince et destiné à des élèves dont le destin était tracé, balisé, sociologiquement déterminé. Quant aux autres, extrêmement nombreux et dont vous ne dites pas mot, leur "bagage" à eux était "idéal" au sens rimbaldien du terme.

Si les objectifs que vous poursuivez sont ceux d'un retour à un passé fantasmé, si vous pensez que les nouvelles technologies sont "gadgets et compagnie", si vous soutenez que la "morale" n'a rien à faire dans l'Ecole, si vous estimez que la "Culture" déclinera fatalement parce qu'un Ministre aura tenté de transformer les outils de transmission sans attaquer jamais l'héritage, si vous persévérez dans la caricature sans jamais donner le moindre commencement de début de propositions, je crains que votre discours, respectable, glisse très rapidement vers l'inutile.

(1) Membre du Conseil d'analyse de la société, Mara Goyet enseigne l'histoire-géographie à Paris après dix ans passés dans un collège en zone d'éducation prioritaire à Saint-Ouen. Elle a écrit, aux éditions Flammarion, Tombeau pour le collège (2008), Femmes à rénover (2011) et Collège brutal (138 pages, 12 €)

Le 23 septembre 2012 : Islam : que d'âneries entendues !

Bien plus que les musulmans, l'Islam, voire même l'islamisme, il est un poison violent qui tue les relations entre les communautés musulmanes et les autres : celui de l'ignorance. Cette ignorance de la culture arabe - et plus largement l'ignorance des cultures autres que celles considérées comme universelles, c'est à dire les cultures européennes et nord-américaines - est particulièrement visible dans les programmes scolaires français. Certes, le programme d'Histoire de cinquième consacre trois heures à la naissance de l'Islam. Ce qui est peu sur l'ensemble d'une scolarité de collège (quatre ans).

Il y a pire. En effet, l'Europe, terre de la Révolution française, des Droits de l'Homme et du Citoyen, terre de laïcité -notamment et primordialement la France- a toujours considéré ses "valeurs" comme universelles. Les exporter, fut-ce par la force, a longtemps servi de doxa intellectuelle. Nous ETIONS (sommes encore?) la civilisation.

Au nom de cette "supériorité éclairante" héritière de l'Europe dite des Lumières et dont il n'est pas question de contester les évidents apports, nos programmes scolaires ont, en toute bonne foi, privilégié Rabelais, Ronsard, Molière, Balzac, Flaubert, Hugo, Camus, Shakespeare, Goethe, Dante. En musique, nous écoutons et faisons découvrir Mozart, Bach, Beethoven, Vivaldi et tant d'autres. Je pourrais citer les philosophes, les romanciers contemporains. Les peintres évidemment...

Mais prenez la peine d'ouvrir les manuels de littérature de nos collégiens et lycéens. Prenez le temps de consulter les auteurs étudiés dans Universités de Lettres. Où donc sont passés les grands poètes soufis, les musiciens arabes et arabo-andalous, les philosophes.... Où sont les textes merveilleux de l'Inde ancienne, chefs-d’œuvre absolus, du Mahâbhârata ? Pourquoi nos élèves n'approchent-ils jamais ces auteurs-là, pour nombre d'entre eux, aussi importants par leur talent et leur message qu'un Montesquieu ou qu'un Verdi ?
Il serait temps d'ouvrir les esprits à l'universel et non continuer de commettre l'erreur de croire que l'Universel serait la chasse-gardée de quelques-uns.

Il serait temps de briser le mur de l'ignorance qui sépare les hommes. Combien d'âneries ai-je pu entendre ces derniers jours, après la diffusion d'un film d'une rare stupidité, fabriqué par des crétins, sur l'Islam et les musulmans (Ou plus exactement sur ce que ces crétins n'en ont pas compris). Quelle tristesse, quel drame de constater que le monde arabe est encore une fois circonscrit à une religion quand il est surtout cultures, musiques, poèmes, chants, danses, peintures, orfèvreries, architectures, philosophies, théâtres, cinémas... Rendez vous, comme je l'ai ici conseillé, au Louvre, Département des arts de l'Islam... Vous verrez... Vous VERREZ!

Alors, si un jour le Ministre de l’Éducation Nationale, philosophe de formation, pouvait faire entrer dans nos programmes scolaires toutes les richesses des "mondes lointains" aujourd'hui si proches, il ferait une action dont la portée serait bien plus grande que toute autre. Il aura contribué à partager, de part et d'autre mers et océans, les trésors de nos cultures respectives qui, loin de s'opposer, se complètent souvent, s'enrichissant les unes les autres... A travers les siècles...