Année 2011 - 2012

Regards croisés

par Christophe Chartreux, professeur de collège

 

Lisez ou relisez le billet d'humeur hebdomadaire 2010-2011 de Christophe Chartreux :  A prendre notre temps... Apprendre notre temps !

Le 1er juillet 2012

« Qu'est-ce qu'on vous aime ! »

"L'année, ma dernière année de lycée, s'achève. Les résultats du Baccalauréat seront le point final d'une étape qui m'a conduite de l'école primaire au collège et du collège au lycée. Je vais maintenant découvrir l'Université. C'est à la fois une hâte et une angoisse. La hâte de voler de mes propres ailes, d'être moins entourée, encadrée. L'angoisse aussi devant cette liberté nouvelle. Vais-je savoir la gérer sans me laisser déborder ? Toutes ces questions que se posent tous les lycéens de mon âge et auxquelles en fait ils n'apportent aucune réponse. La vie s'en charge.

Je quitte mes "années lycée". Je quitte l'adolescence. Je quitte des visages familiers. Certaines de mes amies sont avec moi depuis le collège! Je quitte des professeurs aussi. Je ne les regretterai pas tous mais tous, même les plus ennuyeux, les plus sévère, absolument tous laisseront une trace, une marque. Tous m'ont appris quelque chose et l'ensemble a "formé" la future adulte, la future étudiante. Je leur dois beaucoup. Pourtant j'en ai souvant maudit plus d'un ! Mais au bout du compte, quand on dresse le bilan, chacun avec ses qualités et ses défauts, chacun avec ses méthodes, avec son caractère, s'est dévoué pour que je réussisse. Il reste beaucoup à faire mais le chemin est bien défriché. Alors merci à eux ! Vraiment !

Malgré tout, en écrivant, je ne peux pas m'empêcher de penser aussi à mes camarades de collège qui ont disparu de la circulation. Je pense en particulier à celles et ceux qui sont arrivés en seconde, dans le même lycée d'enseignement général que moi. Ils ont redoublé leur seconde puis ont été réorientés comme on dit. Mal orientés une première; réorientés ensuite. Désorientés en fait. Bien sûr ils n'avaient pas le niveau. Mais ça fait mal de les voir partir, écartés, mis de côté. Ils sont ailleurs et tellement "ailleurs" que je ne sais pas où ils sont. Ils ont littéralement disparu! Parfois je les croise en ville. On se dit bonjour, comment tu vas, qu'est-ce que tu deviens. Et puis on s'aperçoit qu'on n'a plus rien à se dire parce que nous sommes devenus tellement différents. Presque des étrangers les uns pour les autres. Comme s'il existait plusieurs écoles comme il existe plusieurs pays, avec des frontières et des postes de douanes. Alors qu'au collège on ne se quittait pour ainsi dire jamais. Les temps changent. Comme nous changeons.

Ce que j'espère surtout dans mes années futures, mes années d'étudiantes, c'est d'enfin pouvoir avoir le temps d'approfondir. Au lycée, et déjà au collège, il faut toujours aller vite. On nous presse, on nous bouscule. On a à peine eu le temps de se passionner pour tel ou tel sujet et c'est déjà fini. Il faut enclencher la suite. Le programme ! Le programme ! Le programme ! Oui, bien sûr le programme. Mais on survole tout et on ne voit pas grand chose. Un jour, c'était cette année, j'ai repris une phrase que Monsieur Chartreux -qu'au passage je remercie pour tout et pour m'avoir permis cette expérience d'écriture sur mon vécu de lycéenne- disait souvent en cours: "Mais enfin, on n'est pas des touristes japonais faisant l'Italie, la Grèce et la France en une semaine!! Prenons le temps de nous poser !". Madame X n'a pas apprécié du tout ! Mais il fallait que ça sorte!
Voilà. Nous sommes le 1er juillet. Mes premières vacances d'été qui s'ouvrent sur l'inconnu universitaire. Une autre aventure, d'autres professeurs, d'autres méthodes, d'autres objectifs, tout un monde à découvrir. Tout un monde à construire. Mais c'est enthousiasmant !

Ah oui, j'oubliais. On critique souvent l'école, les professeurs, les chefs d'établissement. Et quand on arrive au bout et qu'on se souvient, on ne peut que remercier ces instituteurs et professeurs qui se dévouent tous les jours pour nous. On est parfois difficile mais en fait, qu'est-ce ce qu'on vous aime !"
Emma - Terminale ES
                                                 

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Il ne me semble pas utile d'ajouter quelque chose. Merci Emma pour ta collaboration à cette rubrique. Tu as été formidable !

Et, comme je le fais chaque année, merci infiniment à Philippe Meirieu de nous avoir ouvert son site Internet. Philippe Meirieu, formidable pédagogue... Celui qui tient la main, qui guide, qui propose, qui libère les énergies, qui partage, qui innove, qui expérimente, qui avance, qui fait et qui donne confiance !

Christophe Chartreux
Professeur

Le 27 mai 2012

Une méthode à fabriquer l'opinion

Dans un article signé Caroline Brizard et paru dans Le Nouvel Observateur en date du 24 mai page 84/85, intitulé "Une méthode à fabriquer des cancres", surtitré : "Enquête sur la façon dont on enseigne l'Histoire-Géo", il est question de nous convaincre, une fois de plus - après le sinistrement trop célèbre La Fabrique du Crétin de JP Brighelli - que les professeurs d'Histoire-géographie fabriquent désormais du "cancre". Tout cela par la faute d'une "méthode" dont l'article dénonce les errements. Entrer dans un sujet par l'intermédiaire d'un exemple concret, notamment au collège, serait une "démarche trop ambitieuse pour des élèves du secondaire qui ont tendance à penser que le cas particulier vaut généralité". (Claire Kepper/Secrétaire Nationale SE-UNSA).

Curieusement, cette manière de penser qu'un cas vaut généralité, cette méthode de démonstration consistant à affirmer que tel élève d'une école primaire (sans jamais citer le nom ni de l'élève, ni de l'école) ne sait pas faire la différence entre une plaine et un plateau, cette démarche consistant à mettre le lecteur "de son côté" en disant : "Mais regardez, je vous prouve que j'ai raison puisqu'UN élève d'UNE école ne parvient pas à situer les romains par rapport aux grecs"... toutes ces affirmations lues des dizaines de fois, parfois copiées-collées sans l'ombre d'une vérification, sont utilisées par celles et ceux qui voient l'Ecole comme une "fabrique de cancres". Et SEULEMENT comme une "fabrique de cancres".

Heureusement, et c'est tout le paradoxe, Caroline Brizard termine son article par ces mots :
"Pour la Première Guerre Mondiale, nous n'avons vu que la vie des poilus dans les tranchées" raconte Hugo, 16 ans, en première à Paris. Les manœuvres militaires, le jeu des alliances, le Traité de Versailles en 1919 qui porte en germe les causes de la seconde guerre mondiale? Son professeur les a à peine traités (Caroline Brizard ne nous dit pas si elle a consulté le cahier de cet élève ou si elle a AUSSI questionné le professeur...Passons). Hugo a cependant adoré ce cours. "J'ai envie d'en connaître plus sur le sujet". Au-delà des débats d'experts, où la tentation française de l'encyclopédisme rôde toujours, donner l'envie d'apprendre n'est-il pas le but premier de l'école?" Nous voilà rassurés.

Cet article, au demeurant intéressant, est l'illustration de mes interrogations récurrentes. Il existe une méconnaissance (entretenue?) caricaturale de l'Ecole, des enseignants, des élèves et des méthodes. S'il est incontestable - et les pédagogues furent les premiers à tirer les sonnettes d'alarme - que des lacunes existent, que des enseignants sont mal à l'aise avec telle ou telle méthode, que certaines préconisations officielles sont très éloignées des réalités du terrain, il n'en reste pas moins vrai que la majorité - et c'est heureux - des professeurs de collèges et lycées SAVENT parfaitement adapter leur pédagogie, dont ils sont seuls maîtres, aux directives ministérielles. Il n'a JAMAIS été IMPOSE de traîter seulement la vie des poilus dans les tranchées. Mes élèves - et leur exemple vaut bien, tout compte fait, les dizaines d'exemples non sourcés qu'on nous oblige à croire sans la moindre possibilité de vérification - savent bien des choses sur l'horreur des combats de Verdun mais savent très bien AUSSI l'importance du Traité de Versailles dont des extraits ont été lus et commentés en classe, accompagnés d'un devoir d'analyse de cartes de l' Europe en 1919. Et je pourrais décliner, preuves à l'appui, toute une série d'exemples similaires. Je suis persuadé, pour être en contact avec de très nombreux collègues, de français et d'Histoire géographie, que l'immense majorité des professeurs de ce pays fait exactement de même.

Il n'est pas question de nier les lacunes de nos élèves. Ils en ont et en auront encore. Comme je le dis parfois en provoquant un peu: "Si vous voulez éliminer les lacunes, éliminez les élèves et le problème sera réglé!". Mais il est de plus en plus insupportable, pour les collègues qui chaque jour sont au contact quotidien des élèves, de lire, sous la plume d'excellents journalistes, une suite d'affirmations très généralisantes, traduites dans l'opinion publique par: "Les élèves ne savent plus rien! Les professeurs ne suivent plus la chronologie! L'orthographe a disparu des exercices! Etc... Etc...".

Amis journalistes, n'oubliez jamais le poids de vos propos. Votre métier est difficile et admirable. Il nécessite rigueur et éthique. Mais par dessus tout, il oblige à visiter la houle des sujets que vous traitez en évitant de surfer seulement sur l'écume. L'opinion ne se fabrique pas. Elle s'éclaire...

Le 20 mai 2012

Chronique d'une polémique inutile...

Vincent Peillon doit se demander dans quel guêpier il est allé se jeter. A peine "intrônisé" Ministre de l'Education Nationale - secret de polichinelle depuis au moins un an tant il fut la cheville ouvrière de tout le projet Education du PS, rencontrant responsables syndicaux, fédérations de parents, enseignants de tous niveaux... concertation DEJA! -, le voilà sujet et objet tout à la fois d'une polémique d'une indigente stérilité dont seule la France a le secret et le Parti Socialiste la clef.

Quand Ruth Elkrief piège Ségolène Royal : Tout commence par une question anodine, mais piégeuse, de Ruth Elkrief à Ségolène Royal:(De mémoire): "A propos de la semaine de 5 jours - il faudrait d'ailleurs informer la presse qu'il s'agit de 4 jours et demi et seulement en primaire, mais passons ! - des associations de parents s'émeuvent de l'absence de concertation".

Et, sans que la responsable socialiste s'inquiête le moins du monde de savoir de quelles associations il s'agit, ni de la teneur exacte de ces "émotions" associatives parentales, elle tacle le nouveau Ministre - et ex-rival- en réaffirmant qu'une période de "concertation" est nécessaire et que la passation de pouvoir n'est pas le moment des annonces. Ajoutant - à juste titre mais Vincent Peillon n'a jamais dit le contraire - que ce serait au Premier Ministre de trancher.

Arrêtons-nous un instant pour rappeler qu'au moment où Ruth Elkrief - qui ne fait que son métier - évoque les "émotions des parents" -, AUCUNE association de parents d'élèves n'a émis le moindre communiqué officiel réclamant une concertaion et faisant le moindre reproche à Vincent Peillon qui ne fait que réaffirmer un ENGAGEMENT du candidat Hollande, répétée par le Président du même nom, martelée en réunions publiques comme en comités restreints! Mais Ségolène Royal a parlé. La polémique est lancée. Plus rien ne l'arrêtera... Sinon le temps qui passe...

A partir de cet instant, et seulement de cet instant, les associations de parents d'élèves et le principal syndicat concerné (SNUIPP) montent doucement aux créneaux et se contentent de rappeler qu'effectivement la concertation est nécessaire. Pas de quoi faire des gros titres. Pourtant, l'incendie court et Vincent Peillon devient le fautif, le gaffeur. Il serait même l'auteur du premier "couac" de la communication gouvernementale. La droite, trop heureuse d'exister à nouveau, s'empare des propos d'une Ségolène Royal piégée et déroule le tapis de l'ironie vengeresse.

Sentant le danger, Jean-Marc Ayrault assure Vincent Peillon de son soutien mais procède, selon les éléments de langage que la presse aime aussi utiliser- à un "recadrage", affirmant: (toujours de mémoire) "Il y aura bien une concertation et je trancherai pour veiller à ce que l'objectif fixé soit atteint". En clair, concertez-vous autant que vous voulez mais à l'intérieur d'un cadre très strict et, in fine, signez le retour à la "semaine de 5 jours" au bas du parchemin. Méthode qui pourrait susciter une autre polémique...

Concertation ou négociation? Les hôteliers ou les élèves?

Arrêtons-nous à nouveau un instant sur une terminologie éclairante. Il est question, toujours, de "concertation", en aucun cas de "négociation". Les mots en français ont un intérêt majeur: ils sont porteurs de sens précis. La concertation est destinée à organiser des discussions ayant pour objet d'obtenir un accord sur des objectifs pré-définis et non négociables, sinon aux marges. Marges qui ont toute leur importance mais marges seulement. Mercredi matin ou samedi matin par exemple. Et encore puisque ce choix sera laissé aux collectivités locales.

Bien évidemment, d'autres interlocuteurs s'invitent depuis la désormais fameuse question de Ruth Elkrief à Ségolène Royal, à la table de la polémique. Les derniers en date étant les représentants des professionels du tourisme. Si l'on peut comprendre leurs inquiétudes légitimes, il serait néanmoins encore plus compréhensible qu'on fît passer les intérêts de nos élèves largement avant ceux des restaurateurs-hôteliers-responsables de campings.

Car il y a, depuis le début de cette inutile polémique, un grand absent: l'élève. Très peu nombreux sont celles et ceux qui ont rappelé que notre Ecole fut la meilleure du monde mais ne l'est plus du tout, que 150 000 adolescents disparaissent du système éducatif sans l'ombre d'un diplôme (150 000...par an! Depuis 30 ans! Quand même...), que les questions essentielles de la constitution des programmes et des rythmes scolaires devaient ENFIN devenir des priorités, avant même la "semaine de 5 jours". Tout cela a semblé secondaire. Seuls importaient le "couac" de Vincent Peillon, la réponse de Ségolène Royal, l'absence de "concertation". Hallucinantes accusations quand on songe aux heures passées en amont par l'ex-futur Ministre puis à celles prévues en aval par le désormais Ministre qui consacrera une bonne partie de l'année 2012/2013 à préparer, en concertation, la rentrée scolaire "nouvelle mouture".

Une polémique aussi inutile qu'archaïque... Hélas !

Cette polémique très franco-française et qui stupéfie les collègues étrangers est enfin d'un archaïsme gigantesque. Pour ne prendre que le sujet -capital- des rythmes scolaires (incluant l'organisation des journées, de la semaine et des sacro-saintes et dogmatiques vacances d'été), le professeur Montagner fut le premier a en parler. En...1980! Depuis il ne s'est rien passé! Absolument rien! (Pour information je renvoie à cet entretien avec le Professeur Montagner. Il est "récent"... 2008...). Et il ne se passera rien si les responsables gouvernementaux nommés pour DECIDER ne passent pas outre certaines revendications sectorielles, au risque peut-être de déplaire. Ecouter, soit... Mais transformer VRAIMENT!...

Beaucoup de choses enfin ont été dites et l'ont été faussement depuis quelques jours.

  • Il est faux d'avoir dit que Vincent Peillon éviterait toute concertation.
  • Il est faux d'avoir dit que les syndicats d'enseignants et de parents étaient opposés à la "semaine de 5 jours". Même la PEEP y est favorable.
  • Il est irresponsable d'avoir réduit ce débat à un choix mercredi matin-samedi matin. Le débat recouvre d'autres priorités associées: programmes et rythmes sclaires quotidiens en particulier mais aussi la formation des futurs enseignants qui DEVRA être adaptée à des impératifs nouveaux et indispensables au redressement d'une Ecole massacrée par cinq années d'errements et par des années antérieures de tergiversations.
  • Réaffirmons, pour conclure provisoirement, la certitude suivante: dans la concertation à venir, un seul et unique objectif doit guider les réflexions. Cet objectif, c'est notre coeur de métier pous toutes et tous, enseignants, qui avons le métier au coeur : L'ELEVE!!

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Pour prolonger voir les travaux d'Hubert Montagner, docteur ès-Sciences, Professeur des Universités en retraite, ancien Directeur de Recherche à l’INSERM

H. MONTAGNER 2002 L’enfant, la vraie question de l’école, Paris, Odile Jacob

H. MONTAGNER 2006 L’arbre enfant. Une nouvelle approche de l’enfant, Paris, Odile Jacob

Articles d'Hubert Montagner

Sur les rythmes scolaires
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2008/09/040908_rythm

Sur le rapport Bentolila
http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/program

 

Le 12 mai 2012

Et maintenant ?

Le 10 mai 1981, j'avais 24 ans, je terminais un très ennuyeux service militaire de 12 mois passés à Oissel, près de Rouen, au 71ème Régiment du Génie. Le soir de l'élection de François Mitterrand, donc un dimanche où j'étais de garde, les officiers sont venus nous voir et nous ont dit - ils savaient que notre contingent était formé majoritairement d'étudiants, donc pour eux forcément tous d'abominables gauchistes - que nous allions bientôt devoir allez nous battre contre l'invasion imminente des chars soviétiques. Véridique. Il y avait, bien entendu, dans ces propos, une part de déception et de provocation. Il nous restait un mois et demi à "tirer". la "quille" était en vue et cela ne faisait qu'ajouter à notre bonheur. Ce fut mon 10 mai à moi...

Et puis il y eut donc le 6 mai 2012... 54 ans... Une joie profonde mais davantage mêlée d'inquiétude dans un monde dangereux, changeant, imprévisible, inattendu. Pour de très nombreux compatriotes, il est même intolérable.

François Hollande, cela a été dit avec justesse, ne connaîtra pas d'état de grâce. C'est peut-être ce qui peut lui arriver de mieux. Nicolas Sarkozy avait été élu en faisant naître des espoirs très tôt déçus. François Hollande est élu sans que les français espèrent beaucoup. Il ne peut donc que réussir. En tout, c'est ce que je lui souhaite et modestement j'essaierai de contribuer à cette réussite.

Une réussite qu'on espère toutes et tous pour l’École. Elle est TRES malade! Depuis des années, sur ce site et sur beaucoup d'autres, avec Philippe Meirieu et avec beaucoup d'autres, nous ne cessons de faire sonner les cornes de détresse. Les maux de l’École sont connus, diagnostiqués, par TOUS les courants pédagogiques. Je n'ai ni le temps ni la place pour y revenir ici. Il suffit de "surfer" sur le net pour relire les kilomètres de commentaires qui ont été publiés sur le sujet. L’École va mal. Les professeurs et chefs d'établissements vont mal. L'université va mal. Les élèves vont mal. Les parents vont mal. Tout est-il perdu ? Non! Évidemment non !

Mais pour espérer la réussite effective des réformes indispensables à la naissance d'une autre École, il faudra que TOUS les acteurs, à commencer par les interlocuteurs privilégiés du futur Ministre - je veux parler des syndicats - mettent un mouchoir sur des revendications parfois égoïstes et participent à la mise en place des profonds changements qui ne se feront évidemment pas en un jour mais ne se feront pas du tout si les vieux réflexes conservateurs prennent le pas sur d'autres, enfin réformateurs. Et réformateurs, non pas à la marge, mais au cœur du système: programmes, rythmes, formation, objectifs et moyens, TOUT, absolument TOUT devra être mis à plat pour ENFIN en finir avec les défauts immenses d'une École qui n'avance plus. Pire même! Une École qui creuse les inégalités et ne correspond plus à sa mission "sacrée": former des générations capables ensuite de construire un avenir meilleur!

A 24 ans, sous mon uniforme, cette nuit du 10 mai 1981, fusil en bandoulière, j'attendais les chars soviétiques de pied ferme... A 54 ans, j'attends que ma chère École donne aux enfants de ce pays tous les moyens de sourire à l'invasion des bonheurs redevenus possibles... A condition de les vouloir vraiment et d'y apporter tout notre courage. Il va en falloir...

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L’avis d'Emma

Au lycée, le lendemain de la victoire de François Hollande, il y avait les "pour" et les "contre". Et il faut dire qu'il y avait encore un certain nombre de "contre". Mais les professeurs m'ont semblé différents ce jour-là. Certains qui ne souriaient jamais nous ont dit bonjour presqu'en riant. C'était une ambiance étrange. Mais sympa! C'est tellement rare les profs qui sourient!
Certains nous ont parlé du 10 mai. Mais nous qui sommes trop jeunes, nous n'avons pas de points de comparaison. Le 10 mai 1981, ce sont des photos dans nos livres d'Histoire. Ou les récits de nos parents.
Tout le monde semble espérer, attendre quelque chose de mieux. Mais quoi? On a posé parfois la question à quelques enseignants avec lesquels on peut discuter. Ils ne savent pas vraiment mettre des mots sur ce qu'ils attendent. Ils disent tous que "ça doit être mieux qu'avant", mais comment cela doit être mieux, ça on attend encore la réponse.
En tout cas, je vais bientôt quitter le lycée. Le Bac qui approche. ma petite sœur est en 5ème. C'est pour elle maintenant que j'espère ce "mieux". Je n'ai jamais été malheureuse à l’École mais j'en connais beaucoup, vraiment beaucoup, qui ont souffert. Ils ont même disparu. Je ne les ai jamais revus.

Le 6 mai 2012

Vers des pédagogies nouvelles...

Chaque enseignant, depuis le primaire (voire parfois la maternelle) jusqu'à l'Université et aux classes préparatoires, a constaté combien il devenait difficile d'interdire aux élèves d'utiliser les outils qui sont, désormais pour une immense majorité, à leur disposition, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur des établissements scolaires. Ces outils sont ceux très facilement accessibles sur Internet et désormais sur la quasi-totalité des réseaux sociaux. Nos élèves, dès le plus jeune âge, savent les utiliser, pas toujours de manière pertinente certes, mais force est de constater que l'apparition de ces moyens a changé la donne.
Les devoirs à la maison jadis incontournables sont devenus, à la correction, objets de soupçon. Quel professeur, d'école, collège, lycée ou université n'a pas constaté que tel élève avait à coup sûr consulté son ordinateur et son "meilleur ami" prénommé "Google" ? Quel enseignant n'a jamais pesté en lisant une dissertation de tel autre dont les trois-quarts du contenu n'étaient que copié-collé ?

Or, malgré la certitude que nos élèves - comme nous-mêmes lorsque le besoin s'en fait sentir - vont consulter les sites utiles à la réalisation de leurs devoirs-maisons, nous continuons, comme si de rien n'était, à les abreuver d'exercices divers et variés, choisis avec soin, inclus dans une démarche, utiles à la compréhension d'une problématique, nécessaires à l'atteinte de l'objectif fixé. Mais voilà, une fois au CDI ou, mieux encore, à la maison, l'élève se connecte et cherche. La plupart du temps, il trouve. Quelle est alors la pertinence pédagogique du devoir que vous avez "amoureusement" concocté et dont les réponses attendues se trouvent par centaines, voire milliers d'exemplaires, sur des pages et des pages d'un moteur de recherches? Trois pistes possibles:

  • soit nous interdisons aux élèves d'utiliser les outils dont ils disposent, y compris dans l'établissement, parfois... c'est le cas dans mon collège- dans la salle même, équipée d'un ordinateur par élève. Mais comment vérifier, à part pour le naïf ayant copié-collé des passages entiers, que les réponses attendues sont le fruit d'une réflexion, d'une démarche? Certains sites disposent, il faut le savoir, de TOUS les exercices proposés par tel ou tel manuel. Cette interdiction est donc impossible. Elle est même ridicule et constituerait une régression aussi stupide que celle qui consista, il y a quelques siècles, à vouloir interdire l'utilisation de l'imprimerie.
  • soit nous décidons, non pas d'interdire TOUS les devoirs-maisons, mais d'équilibrer ceux-ci avec des devoirs en classe plus nombreux qu'avant l'utilisation des outils informatiques.
  • soit enfin - et c'est ma préférence - nous INTEGRONS l'outil informatique dans notre démarche pédagogique, non pas comme un simple moyen technologique supplémentaire permettant de faire l'appel, de remplir notre cahier de textes et de projeter quelques documents sur un tableau blanc, mais bien comme une alternative pédagogique nouvelle à part entière, PARTAGEE AVEC les élèves. Pour cela, il conviendra que les Instituts de formation des enseignants continuent de former les futurs collègues à des pratiques nouvelles par des pédagogies adaptées aux outils aujourd'hui à disposition de toutes et tous. C'était déjà le cas dans la plupart des Institutions de formation (avant leur mise en "sommeil" et non pas, comme cela a parfois été dit, leur "disparition") mais il me semble qu'on peut (qu'on doit?) aller beaucoup plus loin dans l'utilisation pédagogique des documents dématérialisés librement consultés chaque jour par des millions d'internautes.

Les enseignants et les élèves vivent une révolution. Certains collègues la contestent, la refusent, la trouvent dangereuse. Elle le sera si elle n'est pas maîtrisée. Elle abolira bien des obstacles si au contraire nous en contrôlons les avantages. A nouveaux moyens, pédagogies nouvelles. Elles sont à inventer dans une créativité, je dois le dire, extrêmement passionnante !

Le 1er mai 2012

"Le ventre d'où et sortie la bête immonde est encore fécond" (Bertold Brecht, 1946)

A l’heure où j’écris ces lignes, le nouveau Président de la République n’est pas élu. Nous sommes le 1er mai. Marine Le Pen vient de tenir son traditionnel rassemblement dédié, soi-disant, à Jeanne d’Arc. C’est aussi un 1er mai 1995 qu’un jeune marocain de 29 ans, a été assassiné par des militants d'extrême droite qui participaient à un cortège du Front National. Pour rappel… Il s’appelait Brahim Bouarram.

Quel que soit le futur Président de la République, je crains, dans les années qui viennent, une très forte poussée des idées nationalistes, celles du rejet de l’ « étrange étranger », de la division, hélas récemment encouragée par le candidat sortant, du chauvinisme maurassien, d’un repli sur soi dans une France étriquée, coupée de l’Europe. Nicolas Sarkozy a accusé à tort l’ « Homme africain de n’être pas entré dans l’Histoire ». Le Front National veut, lui, nous en faire sortir. C’est plus qu’une erreur, plus qu’une faute. C’est un « crime »…

La responsabilité du Président de la République actuel est immense. En voulant imiter l’original(e), il n’a réussi qu’à renforcer le poids du message de Marine Le Pen, habile politicienne qui a très rapidement flairé le fumet que dégage depuis quelques semaines le corps décharné de l’UMP, cette UMP qui va bientôt voir fondre sur elle ou le peu qu'ilo en restera les « corbeaux noirs » des extrémismes…

Le combat futur ne sera plus l’opposition « droite/gauche » incarnée par des républicains modérés, qui commençaient à se ressembler beaucoup. Non… Le combat futur, peut-être déjà celui qui nous attend le 6 mai dans le silence et la solitude de l’isoloir, est très différent. Les forces qui vont s’affronter sont d’une toute autre espèce. Il s’agit de titans : ici les femmes et les hommes fiers des valeurs héritées de l’Humanisme des Lumières, des combats de nos anciens, du Front Populaire, du Conseil National de la Résistance, de la décolonisation voulue par de Gaulle, de la Liberté, de l’Egalité, de la Fraternité et de la Laïcité. Fiers d’appartenir à une communauté de destins. De l’autre, des femmes et des hommes, égarés ou convaincus, mais quoi qu’il en soit, dangereux ! Dangereux au point d’amener certains à jeter un jeune marocain dans la Seine un 1er mai. Et à lui ôter la vie…

Nous, enseignants, devrons être très vigilants. Notre DEVOIR est de diffuser les contrepoisons. Nous devons remettre à l’honneur – en en cela Ségolène Royal avait raison ! - l’Education Civique, en faire une matière majeure, absolument majeure! Nous DEVONS – et là encore Ségolène Royal avait raison ! - arracher le symbole tricolore des mains du Front National. Les trois couleurs sont celles du rassemblement de la Nation toute entière, sans distinction aucune. Elles sont celles qui, de la Révolution de 1789 aux camps de concentration et d’extermination où des squelettes encore vivants ne tenaient qu’avec l’espoir de revoir le drapeau, des tranchées de 1914-1918 au « black-Blanc-Beur » de 1998, de la Résistance des Glières au drapeau de nos mairies, ont donné au monde l’exemple éclatant de la générosité, une générosité jamais démentie, même dans des crises bien pires que celle que nous connaissons aujourd’hui et qui sert de prétexte à tous les rejets quand il faudrait sonner le rassemblement général . Autour d’une seule idée : la France généreuse !

Nous, enseignants, ne devrons JAMAIS accepter ce que j’entendais encore dans la bouche même du candidat sortant. Ce dernier reprochait (RMC/BFM TV – 1er mai 2012) à demi-mot aux chefs d’établissements d’inscrire les enfants d’immigrés clandestins à l’école et de se rendre ainsi "complices" des organisateurs de "filières" d’immigration illégale. Non! Notre HONNEUR d’enseignants est d’accueillir TOUS les enfants qui nous sont confiés. TOUS! Sans en rejeter aucun ! Sans en livrer aucun! Sans distinction aucune! Quelle que soit la situation économique du pays!

Le Front National va peut-être changer de nom. Ce sera le cas aux législatives des 7 et 14 juin. Il ne changera pas de discours. Il faut donner une majorité écrasante à celui qui va diriger, je l’espère, notre pays. Ecrasante pour écraser le danger qui monte… Celui d’un extrémisme arriéré, d’une xénophobie décomplexée, d’un projet économique inapplicable ! L’Ecole doit et devra TOUJOURS faire barrage ! Les mois et années qui viennent seront décisifs...

Le 29 avril 2012

Et si nous parlions d’Ecole ?

Dans une semaine, jour pour jour, les français se rendront aux urnes. Il est temps. La campagne fut, à de rares exceptions près, médiocre. Depuis dimanche dernier et la qualification des deux finalistes, elle est souvent abjecte. Dans le droit fil d’un quinquennat dont les obsessions furent l’identité nationale, le « danger » immigré. Il fallait continuer de siphonner les voix de l’extrême droite. Sans doute eût-il fallu éviter, en fin de mandat, d’en piller les idées. Et, en même temps, de tomber tête première dans le piège, grossier pourtant, tendu par Marine Le Pen : celui de voir son « meilleur ennemi », Nicolas Sarkozy, valider par ses décisions et propositions (une par jour depuis quelques semaines ; un fait divers et une proposition de loi) tout le programme frontiste. Madame Le Pen n’a même plus à faire campagne. Elle dispose désormais d’un VRP très doué.

Pourtant, toutes les enquêtes d’opinion et, moins scientifiquement, mes conversations sur la "Toile" ou dans mon entourage familial et professionnel, démontrent que les préoccupations des électeurs de ce pays ne sont absolument pas celles que le candidat sortant a tenté et tentera jusqu’au bout d’imposer afin d’éviter de débattre d’un lourd bilan et d’un très léger programme. La crise (annoncée depuis 2006 par de très nombreux économistes et non pas, comme tente le sortant de nous le faire croire, tombée spontanément du ciel), la dette, l’emploi, les délocalisations, l’écologie, le pouvoir d’achat, l’école étaient les thèmes qui arrivaient et arrivent toujours en tête de toutes les consultations. L’Ecole est même le second sujet d’intérêt, après l’emploi, des français. Hélas, la presse, si elle n’a pas complètement occulté le sujet, a néanmoins préféré le sensationnel, les petites phrases, les scandales possibles ou avérés, la viande halal, le menu de cantines scolaires ou les horaires de piscines lilloises. Depuis avant-hier, comble de la vulgarité et de l’inutile, un « retour de DSK » dont tout le monde se contrefiche. Elle a suivi. Elle a peu provoqué. Elle s’est enfermée dans ce que Jacques Rancière appelle la « passion d’en haut », collant au plus près des obsessions du candidat-Président : « Les Etats qui ont démontré leur incapacité à lutter contre les effets déstabilisants de la libre circulation des capitaux, prennent comme objet spécifique de contrôle de cette autre circulation (celle des personnes) et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants ».

Mais l’Ecole… On en a peu parlé… Sauf pour stigmatiser, à droite, ceux qui la servent : les professeurs. Ces fonctionnaires fainéants - dans la bouche de certains, c’est devenu un pléonasme - qu’il faut éradiquer comme on éradique les parasites, ces enseignants qui osent encore préférer la culture au culte de la finance triomphante. Enfin, plus tellement triomphante… L’Ecole, repaire de gauchistes, pourvoyeuse de grévistes permanents, nid de syndicalistes politisés… Voilà comment, par « souci » de division, on a affaibli l’un des piliers majeurs de notre République. Sans parler des atteintes à la laïcité (Relire le discours de Latran si le cœur vous en dit).

A l’Ecole, sujet majeur, on a préféré la xénophobie, défaut majeur. L’Histoire jugera. Elle a, ce me semble, déjà jugé. Mais, afin d’être certain de ne pas nous laisser emprisonner dans la « xénophobie d’en-haut », je dis ici que je voterai pour François Hollande, avec conviction, confiance et attention. J’appelle à en faire autant…

Le 15 avril 2012

L'école malade de la compétition...

Tout devient compétition. Pas une émission de télévision, ces émissions dites de divertissement où le rire et l'émotion sont convoqués sans possibilité d'y échapper (*), sans la mise en concurrence des participants. Très récemment a paru le désormais traditionnel, incontournable et redouté "classement des lycées". Classement que je trouve, par ailleurs, absurde, quasiment falsificateur. Mais là n'est pas le sujet de ce billet.

Ce qui amène aujourd'hui ma réflexion est la relecture récente d'un article paru dans Le Monde du 19 janvier 2010, écrit par Alain Cadix, ancien Président de la Conférence des Grandes Ecoles,  et malicieusement intitulé :  "L'ascenseur social ne démarre pas au 15ème étage". Il évoquait, je cite, "un réel et préoccupant déséquilibre social". Mais l'Université française - car Alain Cadix parlait des Grandes Ecoles - n'est pas en reste. En théorie non sélective, rappelons néanmoins qu'elle effectue un tri social après la licence. 18% des étudiants en master et 12% en doctorat sont enfants d'employés et d'ouvriers alors que ces mêmes catégories sont sur-représentées en BTS, IUT et autres formations comptables.

Dans ce système, scolaire puis universitaire, "malheur aux vaincus" ! Vaincus vite ignorés, oubliés puis éliminés. En effet, contrairement aux pays nordiques où tout est mis en oeuvre pour élever le niveau de l'ENSEMBLE des élèves et des étudiants, la France sélectionne les meilleurs qui SEULS atteignent les "sommets".

La compétition organisée par les plus hautes autorités de l'Etat commence tôt. Entre la maternelle et le CM2, l'écart est par exemple de 16,4 points sur 100 en mathématiques entre les enfants d'ouvriers et ceux de cadres supérieurs (de 14 points sur 100 en français). Le retard pris, dès le "coup de pistolet", est, en général, impossible à combler. Cherche-t-on seulement à le faire?

Mais la plus grande perversion du système tient moins à la compétition elle-même que par ce qu'elle engendre en amont. En effet, le diplôme étant en France un sésame incontournable et un marqueur social fort, les familles mettent en lace des stratégies, parfois dès la maternelle (!), permettant de maintenir puis d'augmeneter les potentialités de leurs enfants. Ces parents sont dans leur immense majorité sur-diplômés, financièrement à l'abri du besoin et très au fait des moyens à employer à l'intérieur du système scolaire pour en éviter les pièges.

Tout cela est bien connu. Ce qui l'est moins - ou en tout cas moins dit - et que je souhaite "dénoncer" aujourd'hui, c'est que la modernisation indispensable de nos méthodes d'enseignement, la transformation radicale de nos lieux d'enseignement (l'architecture scolaire est un sujet encore trop peu étudié), la transformation nécessaire des programmes, bref une vraie "révolution scolaire" passant d'abord par une "révolution des attitudes", tout cela a hélas souvent été freiné par le monde enseignant lui-même. Déçu par de nombreuses "réformettes" incohérentes, nombreux sont ceux qui ont prêté une oreille attentive aux déclinologues et ont choisi les voies d'un conservatisme prudent mais poussiéreux, s'enfermant dans une nostalgie fantasmée de l'école d'hier. Pour ceux-là, la compétition est un "confort" qui leur permet de croire qu'en éliminant, si possible encore plus tôt qu'aujourd'hui les élèves en difficultés nous parviendrons à construire une "société des meilleurs" par les meilleurs et pour les meilleurs.

Erreur gravissime de jugement. Car dans toutes compétitions, il ne peut y avoir d'excellents "premiers" qu'à la condition que ceux-ci soient poussés par d'excellents seconds, troisièmes, quatrièmes et ainsi jusqu'au dernier... C'est Eddy Merckx (eh oui...), immense cycliste belge, qui avait coûtume de dire ceci aux jeunes coureurs lui annonçant fièrement leurs victoires : "Dis-moi plutôt qui étaient les coureurs classés derrière toi. Je te dirai après seulement si tu as gagné une grande course. Un grand vainqueur c'est celui qui bat de grands coureurs". A vouloir trop éliminer, à éliminer D'ABORD, c'est l'ensemble de l'édifice scolaire qu'on fragilise dangereusement... Y compris les "meilleurs"...

*Je conseille à ce sujet la lecture du dernier ouvrage de François L'Yvonne, Homo Comicus ou l'intégrisme de la rigolade, Ed Mille et Une nuits, Paris 2012.

 

Le 8 avril 2012

Enseignants, chers collègues... qu'avons-nous raté ?

La campagne présidentielle entre dans la dernière ligne droite avant le premier tour. Dans quinze jours, nous saurons qui sont les deux "finalistes" en lice pour occuper la fonction de Président de la République. Et, pendant ces deux dernières semaines, nous allons continuer d'être noyés, ensevelis sous une avalanche de chiffres et pourcentages prédictifs, dominés par ceux des incontournables sondages.

Deux chiffres, deux chiffres seulement, retiennent depuis quelques semaines mon attention et avivent mes angoisses, provoquent un questionnement. Le chiffre de l'abstention annoncée (32% !) avec, parmi ces potentiels abstentionnistes, un nombre de jeunes très conséquent. Et une autre étude annonçant que Marine Le Pen ferait le plein des voix chez les 18-22 ans... Alors, même si les études sondagières sont à considérer pour ce qu'elles sont, il est indéniable que la jeunesse de ce pays est "au mieux" complêtement démotivée, au pire attirée par les extrêmes, notamment l'extrême droite.

Et je me pose cette question : comment cette génération de 18-22 ans, et en élargissant à 18-30 ans pour les abstentionnistes, COMMENT ces jeunes passés par l'Ecole, passés devant des professeurs véhiculant d'autres valeurs que celles déversées par le Front National, peuvent-ils aujourd'hui tendre une oreille attentive à un discours de haine ? En clair, qu'avons-nous raté?

Je ne saurais mieux répondre à cette interrogation que ne l'a fait Nathalie Mons dans un éditorial remarquable du Café Pédagogique à lire et à relire. Elle y expose clairement les dérives et travers d'une Ecole certes transformée, mais SI MAL transformée qu'elle en est devenue monstrueuse.

Plus modestement, et comme praticien depuis trente ans dans un collège rural, je dirai ceci : les gouvernants et Ministres qui ont occupé le bureau de la Rue de Grenelle n'ont, dans leur quasi totalité, pas compris qu'un ascenseur social en panne - et qu'on ne fait rien pour réparer - offre à ceux qui en sont prisonniers des occasions multiples de TOUT tenter pour échapper au piège. Dans ce "TOUT", il y a les extrêmes populistes prompts à récupérer les égarés, les oubliés, les ghettoïsés, les délaissés. Tous ceux qui, à défaut de se glisser dans le moule préfabriqué - mais pas pour eux - de la "machine-école", iront se vautrer innocemment dans la démagogie du Front National ou resteront au fond de leur lit les 22 avril et 6 mai.

Les locataires de la Rue de Grenelle, et je le dis sans esprit de provocation, nos syndicats aussi parfois, ont laissé l'Ecole au milieu d'un gué balayé, submergé par les "valeurs" marchandes. N'avez-vous jamais été choqué de constater que le premier reportage des télévisions françaises présentant la rentrée scolaire soit tourné dans une grande surface ? Car, le premier geste de la rentrée scolaire est devenu d'abord un geste d'achat, concession faite - une de plus - à la société de consommation, de mauvaise consommation, de gaspillage dans la plupart des cas. Jamais je n'ai entendu un Ministre ou un responsable syndical pester contre ces habitudes.

L'Ecole a cédé. Oh j'entends, bien sûr, d'ici les déclinologues et brighellistes entonner leurs antiennes ! Je ne vais pas ici les énumérer. On ne les connait que trop et elles se trompent souvent de cibles, toujours de méthodes. L'Ecole a cédé, non pas aux pédagogues (bien au contraire hélas !), non pas à un quelconque oubli de l'apprentissage des valeurs républicaines, non pas non plus à un "modernisme" qui l'obligerait à regretter l'encre, les pleins et déliés ou la blouse grise. Non. L'Ecole a fait le choix de l'immobilisme plutôt que celui la résistance active qu'il aurait fallu opposer - que certains opposent contre vents et marées - au diktat des évaluations à outrance, au diktat de l'empilement de réformettes indigestes, mal choisies, mal mises en place. Aux diktat de la vitesse et du "trop plein", car il faut toujours en faire plus, plus vite et avec moins*. Toujours remplir nos jeunes cervelles. Du moins remplir celles qui acceptent les grandes quantités... Au diktat de la lâcheté alors que la vérité obligeait à reconnaître que nos programmes scolaires sont à refonder, à relier. Au diktat d'une pensée unique consistant à nous arc-bouter sur l'illusion que notre Ecole française était la meilleure du monde. Au diktat des tenants d'un système transformant la nécessaire SELECTION en une sélection sociale depuis la maternelle jusqu'à l'Université. Le regretté Richard Descoings aurait pu témoigner encore des difficultés qu'il éprouva à faire admettre au Conseil d'Administration de Sciences-Po qu'ouvrir la prestigieuse maison de la rue Saint Guillaume aux élèves de ZEP fut un chemin de Croix. En France, l'élitisme est une vertu. Hélas, on n'en regarde que ceux qui en bénéficient. Plus rarement ceux qui échouent, qui échouent très tôt, qui échouent en maternelle et qui échouent toute leur vie. Dès le plus jeune âge en France, on fait en sorte que certains soient en échec dès l'aube de leur "métier d'élève". Les futurs désespérés sont très bien formés en France...

Et ce sont ces cohortes d'abandonnés d'un système qui ne veut pas se réformer ou se réforme mal qui iront demain - dans quinze jours - glisser dans l'urne un bulletin Front National. Oh par par amour immodéré des thèses du parti de Marine Le Pen. Mais plutôt par dépit. Par dégoût. Par fatalisme. Pour dire qu'ils ne leur restent que ça. Pour se "venger" peut-être. Et tous ceux aussi qui n'iront pas voter du tout, écoeurés, découragés... Jusqu'à quand allons-nous "rater" nos élèves?... Après la catastrophe, il sera trop tard pour nous. Mais plus encore pour eux !

*J'apprends au moment où j'écris ces lignes que le candidat Nicolas Sarkozy proposerait aux lycées de faire passer le code de la route. Le type même de gadget électoraliste, isolé. Où est la cohérence d'un vrai projet ?

Le 1er avril 2012

Education : nous n'abdiquerons jamais !

Les enjeux éducatifs sont considérables et il n’est pas question de développer ici un discours angélique : 17% d’une classe d’âge sortent du système éducatif sans diplôme ni qualification (Consulter le Centre d' Etudes et de Recherches sur les Qualifications : www.cereq.fr ) soit environ 130 000 jeunes chaque année. Le rapport de la Cour des Comptes de juin 2010 pointait déjà des données inquiétantes : à l’âge de 15/17 ans, des sources convergentes indiquent que 21% des élèves – situés par conséquent à la fin de la scolarité obligatoire – ont de grandes difficultés dans la lecture et ne maîtrisent pas les compétences de base en Français. Pour les mathématiques, certains chiffres sont alarmants : en fin de troisième, 73% des élèves ne maîtrisent pas le programme. Enfin, dans des domaines comme l’histoire-géographie-éducation civique - où l’on pourrait penser que les différences de niveau entre élèves sont moins fortes - les constats répétés de la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère de l’Éducation Nationale) interpellent. Les évaluations-bilans, réalisées tous les 6 ans sur les compétences dans ces disciplines, révèlent qu’un peu plus d’un quart seulement des élèves manifeste des compétences dépassant les niveaux simples de repérage et de reproduction en ce qui concerne les capacités à se situer dans le temps et l’espace et à penser un phénomène à plusieurs échelles. Pour des disciplines dont l’ambition (pour tous, rappelons-le) est de « comprendre le monde, s’y situer et y agir en citoyens responsables », le constat est inquiétant. À défaut de fabriquer des élites, l’École républicaine aurait même du mal à contribuer à la construction de citoyens avisés ?

Plus grave, mais sans doute plus constructif : le rapport de la Cour des Comptes précédemment cité juge sans complaisance l’efficacité de notre système éducatif. La question de savoir si, dans le processus de démocratisation/massification, il y a eu réduction des inégalités ou pas, est tranchée. Ce ne sont pas les compétences générales qui diminuent - le « niveau » qui baisserait en somme - mais bien le fait que les écarts ne cessent de se creuser entre une petite partie d’élèves toujours plus performants et un nombre grandissant d’élèves en difficultés, voire en très grandes difficultés. Même si les enfants des classes populaires ont bénéficié de l’extraordinaire développement de l’enseignement secondaire entre 1985 et 1995, force est de noter que, sur les enfants d’ouvriers entrés en sixième en 1995, 18% sont sortis de l’enseignement secondaire sans aucun diplôme et 8% avec le seul brevet des collèges (voir les travaux de Jean-Pierre Terrail sur les enfants issus du monde ouvrier in Destins ouvriers - La fin d'une classe ?, PUF, Paris, 1992 ; ainsi que cet entretien intitulé : L'inégalité scolaire n'est pas une fatalité).

Une société courageuse, sûre des valeurs qu’elle défend, ne doit pas faire l’impasse sur une analyse rigoureuse du bilan de son École. Sans flagellation inutile, pour pouvoir regarder l’avenir avec lucidité. Oui, François Dubet a raison : tous ceux – et nous en faisons partie – qui se sont battus dans les trente dernières années pour donner le meilleur de ce que nous pensions pertinent pour nos élèves, tous ceux qui se sont engagés dans un processus de remise en cause des pratiques enseignantes, tous ceux qui ont proposé, innové, réfléchi, assumé au quotidien les réformes ou les ouvertures pédagogiques, milité pour une autre École ne doivent pas baisser les bras. Gardons intacte notre volonté de toujours remettre l’ouvrage sur le métier et n'abdiquons jamais quand il s’agit de l’Éducation.

Le 25 mars 2012

La culture oubliée

Le Salon du Livre a fermé ses portes il y a quelques jours. En cinq ans, le Président de la République n'a jamais daigné s'y rendre. En 2009, l'Elysée a délégué une secrétaire d'Etat à la prospective et au développement de l'économie numérique, Madame Nathalie Kosciusko-Morizet, appelée, depuis, à d'autres fonctions. Ce n'est là qu'un épisode parmi d'autres, épisodes illustrés par l'ironie, les foucades, les attaques parfois, du Chef de l'Etat à l'encontre de la culture. Si l'Etat n'a évidemment pas à "superviser" le "culturel", il doit néanmoins tout mettre en oeuvre pour favoriser, sur tout le territoire, les initiatives permettant aux français - aux plus jeunes d'entre eux en particulier - d'avoir accès à des mondes qu'ils ignorent parfois toute leur vie.

Tout le quinquennat de Nicolas Sarkozy, en la matière, aura été marqué par son aversion affirmée et affichée pour La Princesse de Clèves. Pour rappel, voici les propos exacts, au mot près, tenus le 23 février 2006 devant des militants et cadres de l'UMP : "L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger (sic) les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle ! En tout cas, je l'ai lu il y a tellement longtemps qu'il y a de fortes chances que j'aie raté l'examen !". Et le parterre UMPiste de pouffer, pour certains de s'esclaffer, en approuvant, complices du chef...
Devenu Président, Nicolas Sarkozy continuera de poursuivre - mais pas de ses assiduités - la pauvre Princesse de Clèves en la moquant le 4 avril 2008 à Bercy.

Tout cela aurait pu passer pour anecdotique à mettre au compte d'un énervement passager. Mais la parole du Chef de l'Etat, quel qu'il soit, n'est jamais anecdotique. Par le biais d'une permanente fausse connivence avec le peuple - "Je suis le candidat du peuple!" -, par l'utilisation d'un langage à la syntaxe fautive et d'un vocabulaire frôlant la vulgarité, le Chef de l'Etat n'a, en fait, exprimé que mépris contre ceux qui, privés souvent d'outils, de lieux, d'objets culturels, en sont particulièrement avides. Nicolas Sarkozy, pendant cinq ans, n'a eu du peuple qu'une image faussée. Pour lui, en caricaturant à peine, les auditeurs de France Culture, les habitués des centres culturels, des musées, des bibliothèques, ne sont, ne peuvent être, QUE des bourgeois lettrés, forcément de gauche et donc, des adversaires potentiels. Quel mépris pour ces millions de français modestes ! Quelle ignorance du désir de savoirs que les français affichent pourtant lorsqu'ils choisissent très nombreux de regarder tel documentaire, telle évocation historique à la télévision. Ces émissions font des scores d'audience absolument remarquables. Seuls le Président et ses dociles conseillers semblent vouloir l'ignorer. J'invite tous ceux-là à s'installer dans la salle de projection de l'Elysée et à regarder attentivement le film remarquable d'Abdellatif Kechiche, intitulé L'Esquive. Réalisé en 2004, il eut un succès incontestable dans TOUTES les couches de la population. Il montrait le bonheur offert à des jeunes de "quartiers" qui interprêtaient, tenez-vous bien Monsieur le candidat, Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux!

En ne se rendant jamais au Salon du Livre, en faisant de la culture un objet de moquerie, d'ironie, Nicolas Sarkozy a néanmoins dévoilé sa vision de la jeunesse. Pour lui, l'étude, la curiosité, les savoirs sont quantité négligeable. Il y a plus important. Le "jeune" doit être, le plus rapidement possible, UTILE à la société. Il doit être rentable, "bankable". Peut-être s'est-il inspiré, mais mal inspiré, de Tocqueville parlant des américains dans son De la démocratie en Amérique : "Les américains ne peuvent (...) donner à la culture générale de l'intelligence que les premières années de la vie: à quinze ans, ils entrent dans une carrière; ainsi, leur éducation finit le plus souvent à l'époque où la nôtre commence". (Bibliothèque de La Pleiade, page 57)
Comment déjà le candidat aimait-il qu'on le surnomme en 2007, peut-être encore aujourd'hui?... Ah oui! "Sarko... l'américain"!...


Cliquer ici pour un extrait du film d'Abdellatif Kechiche

Le 18 mars 2012

La notion d'équipe pédagogique au coeur du système d'enseignement

En plus du droit à la formation initiale et continuée, la pédagogie au quotidien devrait prendre, aurait dû prendre depuis très longtemps, appui sur un travail en équipe, qui ferait l’objet d’un accompagnement, en particulier dans les zones sensibles, mais pas seulement. Ce travail en EQUIPE pédagogique existe bel et bien dans quelques établissements. Hélas trop rares encore malgré la reconnaissance institutionnelle des effets de ce travail en équipe sur l'ambiance régnant dans l'établissement et les résultats des élèves.

Il faut oser le dire : les personnels éducatifs ne savent pas travailler en équipe. Leur métier, dans un quasi face à face avec des élèves, ne les y incite pas. Le système éducatif français, à la logique descendante, favorise la soumission aux normes ou l’esprit rebelle ; peu, la recherche de solutions par l’échange et le consensus. Les questions matérielles ne sont pas négligeables : des emplois du temps différents et l’absence de lieux appropriés ne sont guère propices à des échanges porteurs. Est-il acceptable que le conseil de classe trimestriel (en collège/lycée) soit LA SEULE occasion de voir l'équipe pédagogique -pas toujours au complet d'ailleurs- d'une même classe réunie autour d'une table? Il faut également oser le dire : la question des différences de statuts entre enseignants peut être un obstacle à certaines collaborations. Ce sont des choses connues, qui font partie des non-dits et qui demeurent – même si elles s’estompent avec les nouvelles générations de professeurs issues des IUFM - et même si chacun s’en défend. (1)
 
Il faut l’affirmer : la violence scolaire n’interpelle pas suffisamment les équipes pédagogiques. Tous les travaux sur les violences scolaires montrent le rôle essentiel de l’équipe, de la cohésion du groupe d’adultes et de la cohérence des discours tenus aux jeunes à l’École et sur l’École. Et pourtant, la violence est un problème dont il est difficile de s’emparer en tant qu’enseignant, car il s’agit le plus souvent d’une remise en question fondamentale du statut que l’enseignant s’est assigné à lui-même. Oser parler de la violence scolaire c’est remettre en question ses certitudes ou supposées telles.
 
Il faut le revendiquer : un accompagnement des équipes n’est pas aveu de faiblesse. Prôner le travail en équipe et revendiquer des formations, du soutien dans ce domaine est souvent pris comme l’aveu d’une incompétence. Il s’agit au contraire d’une dimension de la profession… qui n’est apprise nulle part. L’institution fait comme s’il s’agissait d’une compétence « naturelle » (contrairement à ce qui existe en entreprise). Une équipe, surtout si elle a en charge des enfants (mais c’est également vrai dans le monde du soin), cela se construit.
Il est donc particulièrement important de veiller et favoriser :
- des équipes stables, co-construisant, avec tous les acteurs des règles de fonctionnement largement explicités aux élèves ;
- des équipes soudées et proches des élèves ;
- des équipes motivées car parties prenantes du projet de l’établissement ;
- des équipes fonctionnant sur « l’autorité expliquée », sans concession mais juste.
- des équipes fortement impliquées dans les projets artistiques, sportifs, environnementaux et culturels des élèves, leur suivi scolaire personnalisé et la participation à la gestion, par contrat personnel des élèves en difficulté ou en situation de décrochage.

Afin de renforcer l'implication des équipes, de la faciliter, il conviendra d'éviter le « parachutage » des professeurs débutants dans des endroits où ils n’ont aucun lien et qu'ils veulent quitter au plus vite pour pouvoir repartir "chez eux". Ceci aurait pour effet de construire solidement la pérennité des équipes pédagogiques, condition absolument nécessaire pour un travail efficace sur la durée.

Quant à l’accompagnement lui-même, il peut revêtir des formes multiples. Aider à la gestion des groupes. Favoriser la mise en œuvre de pratiques innovantes : celles liées aux nouvelles technologies ; aux Éducations à… l’environnement, la citoyenneté, qui sont, par définition, pluridisciplinaires ; celles permettant des activités d’exploration du tissu économique environnant (découvrir une exploitation agricole ou un chantier en construction en compagnie de professionnels par exemple). Améliorer la mise en pratique de projets éducatifs (à partir de la mise en place de crédits pédagogiques) en relation étroite avec les lieux de culture : musées, écomusées, théâtres, cinémas, centres culturels… Le monde associatif, les travailleurs sociaux, le monde professionnel ainsi que la société civile doivent pouvoir contribuer à retisser du lien et montrer, par la preuve, la cohésion d’ensemble du monde des adultes face aux jeunes : nous le réaffirmons, l’Éducation est l’affaire de tous. La mobilisation d’équipes enseignantes, identifiées par les élèves autour de projets en prise sur le monde environnant, peut être un gage supplémentaire de la mobilisation des élèves et de leur prise en compte du « sens » que doivent avoir les apprentissages.
                                                      
(1) Certains jeunes lecteurs auront sans doute du mal à imaginer que, dans les années 80 dans certains lycées, les agrégés ne mangeaient pas à la même table que les certifiés. Anecdote savoureuse, située immédiatement après la victoire de la gauche en 1981 : dans un collège de région parisienne, qui recevait toute une brochette d’inspecteurs supposés porter la rénovation, le principal avait fait réaliser des cartons de présentation de ses enseignants de 3 couleurs différentes. Objectif ? Permettre la « visualisation immédiate » des PEGC, des certifiés, des agrégés lors de leur prise de parole !

 

Le 4 mars 2012

Refonder la légitimité du « métier » enseignant

Un malaise profond et insidieux atteint aujourd’hui le corps enseignant. Si l’aggravation des conditions de travail - souvent mise en avant - est loin d’être négligeable, les débats permanents dont s’empare la société civile à son encontre sont un élément de fragilisation essentiel qui brouille l’image de la mission des enseignants. Celle-ci devrait être, au contraire, clarifiée et renforcée aujourd’hui.

En effet, opposer de façon rhétorique « instruction » et « éducation », faire croire que les savoirs sont porteurs intrinsèquement de leur « transmission » et que l’érudition du maître suffit à assurer des apprentissages efficaces, considérer comme antinomiques les aspects savants et pédagogiques du métier enseignant sont des propos d’un autre temps, voire irresponsables. D’ailleurs, souvent, ce ne sont pas ceux qui les tiennent qui assument au quotidien ce métier. Soyons clairs : c’est bien la société et sa représentation politique qui choisissent les savoirs « à enseigner » en fonction de finalités culturelles, sociétales, sociales et politiques.

Les objets de savoirs à transmettre incorporent nécessairement des valeurs qu’ils sont censés représenter. Les disciplines scolaires ont leur propre logique, culturelle et civique. Avec les tensions inhérentes à cette double nature : pour ne citer qu’un exemple, l’histoire-géographie-éducation civique doit aider à construire en même temps l’esprit critique du futur citoyen actif dans la cité ET un patrimoine culturel commun, socle d’un sentiment d’appartenance à l’Union européenne, par exemple. La lecture des textes officiels est à cet égard très signifiante. Enfin, sur un plan purement cognitif, les outils intellectuels dont disposent les élèves se construisent selon une genèse beaucoup plus longue qu’on ne le pense souvent et varient considérablement d’un élève à un autre. Enseigner est un métier qui s’apprend.

Pour construire cette autre École du XXIème siècle, il convient par conséquent de renvoyer dos-à-dos « républicains » et « pédagogues » ; de refuser les débats réducteurs ; de tracer une troisième voie : celle d’une École offrant à chacun, quelle que soit son origine, une véritable éducation populaire alliant les fondamentaux essentiels, l’héritage culturel classique, aux savoirs nécessaires dans le monde de demain.

Seule la clarté de ce message politique courageux peut refonder la légitimité des enseignants à assumer sereinement leur mission intellectuelle, éthique et civique.

Le 28 février 2012

France, qu'as-tu fait de ta culture audiovisuelle ?

Une fois n'est pas coutume, commençons par laisser parler Emma, mon ancienne élève au collège, aujourd'hui en terminale. Elle nous propose une réflexion portant sur la télévision et ses programmes :

«La télévision ? La plupart des gens de ma génération la regarde très peu en fait. On n'y trouve pas ce qu'on cherche. Les programmes sont faits pour détendre paraît-il. Mais « détendre », pour les grandes chaînes, cela semble vouloir dire abrutir. Nos professeurs nous disent souvent que la télévision rend stupide. Moi je ne crois pas. Elle prend les téléspectateurs pour des abrutis alors qu'ils ne le sont pas. Ce n'est pas parce qu'on est ouvrier ou qu'on n'a pas son bac qu'on doit obligatoirement regarder des émissions de télé-réalité ou des jeux qui poussent à acheter. Mon père est ouvrier et les émissions qu'il préfère sont celles qui lui apprennent des choses. D'ailleurs je crois que les émissions culturelles qui passent parfois à des heures normales (20h45) font d'excellents scores d'audience. Cela prouve bien que s'adresser à l'intelligence des gens, c'est les respecter. Alors ils n'hésitent pas et ils regardent. La télévision aujourd'hui, quand je la regarde c'est que je n'ai vraiment rien trouvé de mieux à faire. Et puis on a Internet. Bien sûr il existe des chaînes culturelles mais on est habitué à regarder TF1, France 2, etc... Et ces chaînes-là, franchement, à part très tard le soir, elles ont oublié la culture ».

Avec des mots simples, Emma dénonce l'un des grands échecs du quinquennat qui s'achève. Une absence totale de volonté culturelle par le biais de la télévision. Le volontarisme, pourtant marque de fabrique brevetée du candidat Sarkozy, s'est arrêté en 2007. L' « assassinat » de La Princesse de Clèves, une image volontairement très « bling-bling » et symbole du triomphe de la superficialité, des attitudes et propos - « Casse-toi pauv'con ! » - ont achevé de donner aux cinq années élyséennes un parfum de misère culturelle. Si l'on ajoute à tout cela le fait du Prince voulant contrôler les chaînes publiques en nommant les Présidents, on aura compris que la politique culturelle de Nicolas Sarkozy s'est toujours limitée au volet politique en oubliant celui de la culture.

La télévision française - je parle ici des chaînes publiques - doit être une source de divertissement sans oublier sa mission d'éducation. Je me souviens d'un temps où il m'arrivait de conseiller à mes élèves tel ou tel programme, à 20h30, sur « la une » ou « la deux ». Tout cela est terminé depuis longtemps. Ou de manière rarissime. Comme très récemment avec « Toussaint Louverture » qui a attiré plus de trois millions et demi de téléspectateurs (chiffre CSA).

Je souhaite que la gauche, si elle parvient au pouvoir, prenne toutes les initiatives nécessaires pour permettre aux chaînes publiques de retrouver leurs ambitions, culturelle et éducative, perdues en cinq années d'errements. La diffusion la plus large de la culture doit redevenir une mission de service public. Ce qui permettrait à Emma de regarder à nouveau la télévision...

Pour le meilleur et non plus pour le pire...

 


Le 12 février 2012

Des normands chez les Inuits

Deux de mes collègues, aidés par quelques autres, partent bientôt pour le village d'Umiujaq au Nunavik (Canada-Québec). Une quinzaine d'adolescents de cette froide région ont effectué un séjour en Seine-Maritime, département d'implantation de l'établissement à l'initiative du projet. Une douzaine d'élèves français s'envoleront dans quelques semaines pour traverser l'Atlantique puis s'élanceront vers le Grand Nord lors d'un second vol. Ce voyage-échange s'inscrit dans le cadre d'une initiation - très poussée - au développement durable. Mais bien évidemment, il sera question aussi de géographie, d'histoire, de mathématiques, de toutes les disciplines qui font qu'avant de traiter les matières les unes après les autres nous n'oubliions pas que l'essentiel de notre métier, c'est d'abord - et peut-être exclusivement - de « faire l'école ». C'est à dire d'illustrer ce que Philippe Meirieu rappelle dans son dernier livre d'entretien avec Luc Cédelle*: Avant d'être professeur de mathématiques, de français ou de Sciences et vie de la terre, nous sommes TOUS des professeurs d'Ecole.
Ce voyage va également s'inscrire, par le hasard malheureux d'une déclaration d'un Ministre, dans le cadre d'une double découverte : celle d'une civilisation ET celle d'une culture. « Civilisation » et « culture » maladroitement, (ou adroitement) mélangées et confondues par ce même Ministre. L'opportunisme politique, il est vrai, fait peu de cas de la vérité et de la rigueur scientifiques.

En tout cas, et j'en suis persuadé, nos élèves comme ceux d'Umiujaq auront compris, eux, que « civilisations » et « cultures » sont des champs de réflexion tellement vastes qu'il est inopportun, pour ne pas dire complètement stupide, de vouloir les utiliser à des fins si trivialement politiciennes.

Je souhaite, à nos élèves, à mes collègues si fortement impliquées et qui on du soulever des montagnes pour toucher au but, à nos élèves d'Umiujaq, à nos collègues canadiens-quebecois un formidable et fructueux moment d'échange. Il sera « civilisationnel », « culturel » mais il sera avant tout HUMAIN, tout simplement HUMAIN. Chacun d'entre eux pourra vérifier, si besoin est, qu'il n'existe pas de « civilisations qui valent mieux que d'autres ». La communauté des hommes, à condition qu'elle mette en œuvre tous les moyens de rencontre, d'échanges et de partages, n'a que faire de ces classements et jugements de « valeurs ».
Pour cette raison, je suis très heureux d'avoir apporté mon trop modeste concours à l'entreprise de mes collègues.

Une civilisation ne vaut pas mieux ni plus qu'une autre. Elles se valent toutes, individuellement si je puis dire, par ce qu'elles sont. Charnellement, cultuellement, culturellement, historiquement... Le peuple Inuit, en ces domaines, apprendra beaucoup à nos jeunes normands...
Bon voyage !...

*Un pédagogue dans la cité, Philippe Meirieu - Conversation avec Luc Cédelle, Editions Desclée de Brouwer

Le 5 février 2012

Une nécessité : refonder la légitimité du « métier » d’enseignant... Pourquoi pas une « troisième voie » ?

Un malaise profond et insidieux atteint aujourd’hui le corps enseignant. Si l’aggravation des conditions de travail - souvent mise en avant - est loin d’être négligeable, peut expliquer beaucoup de choses, les débats permanents dont s’empare la société civile à son encontre sont un élément de fragilisation essentiel qui brouille l’image de la mission des enseignants qui devrait être au contraire clarifiée et renforcée aujourd’hui.

En effet, opposer de façon rhétorique « instruction » et « éducation » ; faire croire que les savoirs sont porteurs intrinsèquement de leur « transmission » et que l’érudition du maître suffit à assurer des apprentissages efficaces ; considérer comme antinomiques les aspects savants et pédagogiques du métier enseignant sont des propos d’un autre temps, voire irresponsables. D’ailleurs, souvent, ce ne sont pas ceux qui les tiennent qui assument au quotidien ce métier. Soyons clairs : c’est bien la société et sa représentation politique qui choisissent les savoirs à enseigner en fonction de finalités culturelles, sociétales, sociales… et politiques. Les objets de savoirs à transmettre incorporent nécessairement des valeurs qu’ils sont censés représenter. Les disciplines scolaires ont leur propre logique, culturelle et civique, avec les tensions inhérentes à cette double nature. Pour ne citer qu’un exemple, l’histoire-géographie-éducation civique doit aider à construire en même temps l’esprit critique du futur citoyen actif dans la cité, et, un patrimoine culturel commun, socle d’un sentiment d’appartenance à la France et… à l’Union européenne. Enfin, sur un plan purement cognitif, les outils intellectuels dont disposent les élèves se construisent selon une genèse beaucoup plus longue qu’on ne le pense souvent et varient considérablement d’un élève à un autre. Enseigner est un métier qui s’apprend, certes. Mais la société des citoyens doit aussi faire confiance à son École.

Pour construire cette autre École du XXIème siècle, il convient par conséquent de mettre autour d'une même table (faisons un rêve...) « républicains » et « pédagogues », de refuser les débats réducteurs, de tracer une troisième voie : celle d’une École offrant à chacun, quelle que soit son origine, une véritable éducation populaire alliant les fondamentaux essentiels, l’héritage culturel, aux savoirs nécessaires pour le monde de demain. Seule la clarté de ce message politique courageux peut refonder la légitimité des enseignants à assumer sereinement leur mission intellectuelle, éthique et civique.

Le 29 janvier 2012

Quand les jeunes font peur aux adultes...

Les « jeunes », les « d'jeuns », « être jeune », la « jeune génération », les « jeunes d'aujourd'hui », « des » jeunes... Autant d'expressions pour désigner cette catégorie rangée dans une tranche d'âge plus ou moins précise. Car en effet quand commence-t-on à être jeune et quand cessons-nous de l'avoir été ? Question très ancienne mais à laquelle on commence seulement à répondre. La psychiatrie de l'adolescence ne s'est développée qu'il y a quelques années. La première étude française sur l'un des comportements à risques attachés à la jeunesse (addiction aux drogues illicites) date de 1983. Il faudra attendre 1993 pour étudier les résultats de la toute première étude nationale (échantillon de 12 000 individus âgés de 11 à 19 ans) portant sur un ensemble de comportements: consommation de tabac, alcool, drogues illicites, suicides et tentatives de suicides, dépressions, troubles des conduites alimentaires, violences.

Depuis les années 2000, la « population jeune » est étudiée de très près. Aujourd'hui, tout ce qu'on ne percevait pas avant mais qui existait déjà, tout cela est connu, porté à l'attention des médias, du public, de l'opinion. Et, évidemment, comme si tout cela était nouveau. Or la nouveauté réside plus dans le fait d'examiner la jeunesse que dans la soi-disant « découverte » de comportements à risques qui se multiplieraient ou apparaitraient ex nihilo. La violence (hors violences à caractère sexuel) ou les viols, mis sous la lumière des études depuis 1993 ne démontrent pas que ces violences sont apparues en 1993. C'est pourtant l'un des messages qui est resté dans les esprits, surligné par deux expressions populaires bien connues à chaque fois que l'actualité s'empare d'une affaire de cette sorte: « Ah là là, c'est de pire en pire ! » ou bien « C'était quand même mieux avant ».

La violence (en général) chez les jeunes n'est pas née en 1993. Mais des éléments de violence, propres ceux-là à notre époque, ont évolué. Par exemple la précocité des auteurs de faits de violence. Précocité à mettre évidemment, au risque de commettre une erreur digne d'un étudiant débutant ses études de sociologie, en parallèle avec un autre fait: la précocité est un fait observable en tout. Tout est aujourd'hui plus précoce. Pourquoi pas la violence? Concernant la consommation de drogues illicites, et plus particulièrement le cannabis, la progression en nombre de consommateurs a été spectaculaire. Pour autant, il convient de dire aussi que cette consommation de cannabis ne progresse plus. Que si la consommation a été si facile, c'est que les autorités n'ont pris en compte le phénomène que très tard. Que la production, les transferts et la vente de cannabis sont quasi exclusivement le fait d'adultes.

La consommation excessive d'alcool (avec la mode des « binge drinking ») est un autre phénomène. Mais il n'est pas propre aux adolescents. Les cas de comas éthyliques sont beaucoup plus fréquents chez les + de 25 ans que chez les ados. Hélas, la télévision vous proposera plus facilement les images, certes affligeantes, de jeunes filles et garçons écroulés au petit matin dans leur vomi après une « rave party », que celles d'adultes exactement dans le même état. L'image du jeune en 2010 est celle d'un individu qui fait peur aux adultes. Elle est très dévalorisée et avec elle bien évidemment celle de leurs parents montrés du doigt. Ils sont loin pourtant d'être les seuls responsables.

Notre génération, je parle ici des 40-55 ans et plus, a voulu que les enfants soient conscients de tout très vite. On a simplement oublié qu'il s'agissait d'enfants et que ceux-ci avaient besoin d'accompagnement permanent, de protection. A la maison comme à l'école. A force de pousser nos jeunes à « faire tout très tôt, très vite, très bien », on a négligé les conséquences, c'est à dire les risques. Ces risques qui explosent en actes au collège, ce lieu charnière délaissé depuis des années par tous les gouvernements, sauf pour le définir comme étant seulement celui de l'acquisition des connaissances. C'est là un très dangereux déni de réalité! Un(e) collégien(ne) est souvent en souffrance avec pour conséquence l'échec de sa scolarité. Ne pas vouloir le voir est une faute. Mais cela fait partie de l'utilisation politique qui est faite de la jeunesse, qui est faite aussi de certains faits choisis pour en cacher d'autres. Les « jeux » dangereux (jeu du foulard entre autres) ont fait 13 victimes sur un an. Les médias et les politiques ont énormément communiqué sur le sujet. Parle-t-on avec la même acuité des 500 jeunes qui se suicident chaque année en France ? Non. Mais voilà, les « jeux » à risques accusent la jeunesse elle-même quand les suicides accusent aussi les adultes. Les boucs-émissaires les plus faciles sont ces jeunes, parfois aussi leurs mères, lesquelles, on l'oublie trop souvent, sont de plus en plus nombreuses à travailler - ce qui est un progrès - et donc, passent moins de temps avec leurs enfants - ce qui est une régression.

Une autre régression réside dans le refus manifesté par les classes préparatoires de voir des études menées en leur sein sur le stress scolaire. Une de ces études devait être menée en 1990. Elle n'a jamais abouti. Manque d'argent et surtout aucune adhésion des grandes écoles pour mener ce travail à son terme. En revanche, étudier les classes de ZEP et les milieux pauvres ne pose aucun problème. Mais oser poser l'éventualité d'un lien entre stress scolaire et grandes écoles ou affirmer, preuves à l'appui, qu'il existe une corrélation entre stress scolaire et enseignement général (beaucoup plus qu'en enseignement professionnel), tout cela reste tabou en France.

En Europe, notre pays est un cas à part. Il est dans la moyenne en ce qui concerne les consommations de tabac et d'alcool, mais en tête pour celle du cannabis et des médicaments à caractère psychoactif. Il convient en même temps de signaler que nous sommes le seul pays d'Europe à considérer que fumer dix joints et plus en un mois est une «consommation régulière». C'est le même critère que pour l'alcool. Or dans tous les autres pays européens, on différencie les critères selon qu'un individu consomme un produit licite et/ou un produit illicite. Quant à la consommation de médicaments, la France est championne toutes catégories d'âge. On en parle peu, la puissance du pouvoir médical étant sans doute en cause.

Au XXIème siècle, et la France de Nicolas Sarkozy est, à ce titre, « exemplaire », la jeunesse souffre du regard négatif qu'on porte sur elle. Du regard négatif porté aussi sur celles et ceux qui cherchent à comprendre, à expliquer telle ou telle conduite dans leur contexte, sans juger, à mettre sur un même plan compréhension ET sanction. Or, pour beaucoup de responsables politiques, vouloir expliquer, c'est être laxiste et prôner le «laisser faire». Ce qui permet de plus facilement faire admettre à l'opinion que seules des politiques répressives peuvent être efficaces. On est, en caricaturant à peine, passé du dialogue nécessaire aux caméras vidéos et portiques d'entrée. Or tous les pays qui ont expérimenté ces méthodes de répression en ont constaté l'inefficacité totale.

Mais qu'on y prenne garde... A force de vouloir toujours démontrer que seuls les jeunes en général (et parfois leurs familles), que seuls les jeunes des milieux en difficultés financières, que seuls les jeunes en milieux urbains ont des problèmes et/ou en sont responsables, on passe à coté d' autres responsabilités, au moins partagées: celle de la société civile et celle des politiques.

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Le regard d'Emma

J'ai très souvent remarqué qu'un jeune, fille ou garçon, entre 15 et 18 ans, inquiétait ses parents, ses profs, les amis des parents, les collègues des profs. Un bon nombre d'entre eux en tout cas. Il y a toujours des exceptions. On les inquiète. Ils ne parviennent pas à comprendre qu'on puisse vouloir ne pas tout dire, tout montrer, tout prouver. Ils ont peur de nos « jardins secrets », veulent les contrôler. Comme si eux-mêmes n'avaient jamais été jeunes avant nous. Ceci étant dit, il est quand même vrai de dire que de plus en plus de jeunes dépassent les limites, sortent du cadre. Moi qui sors pas mal en soirées, je vois des « gamines » ou « gamins » de 15 ans se déchirer à l'alcool. Beaucoup plus que les joints -ça c'était nos parents- l'alcool fait des ravages.
En fait les adultes ont peur de nous mais aussi ont peur pour nous. C'est compréhensible. Je pense même qu'ils ont plus peur pour nous que de nous. Quant aux professeurs, qui sont ceux qui devraient nous connaître le mieux, après nos parents, ils ne savent pas, pour la plupart, nous parler. Nous écouter aussi. On n'échange jusqu'au collège. Après, au lycée, la grande majorité des profs ne veut pas nous parler. Ils n'ont jamais le temps. Alors que nous, élèves, attendons justement qu'ils nous apportent à la fois les savoirs mais aussi la compréhension.
La peur vient peut-être de là. On n'échange plus. Il faut finir les programmes. Il faut préparer le Bac pour que le lycée soit bien classé (on nous a dit ça avant-hier : toutes les terminales réunies devant le proviseur! A croire que le Bac il faut l'avoir d'abord pour l'image du lycée et ensuite seulement pour nous !).
On aurait tous moins peur les uns des autres en prenant le temps de se connaître. Mais voilà, il faut toujours aller vite !

Le 22 janvier 2012

Apprendre tout au long de la vie scolaire : un droit et des devoirs...

Affirmer qu’apprendre tout au long de la vie scolaire est un droit entraîne, de la part des pouvoirs publics, des engagements forts.

- Engagement à mettre en place un " Service National de la Petite Enfance ": l’enfant serait accompagné dans sa découverte du langage (et de la langue française), dans sa découverte du « vivre ensemble », deux fondements de la citoyenneté débutante. Il pourrait, quand c’est possible et particulièrement dans les premiers mois de sa scolarité, être accompagné de ses parents dans cet apprentissage.

- Engagement à reprendre et appliquer le principe des cycles à l’école primaire. Une évaluation précise des acquis de cette réforme ambitieuse, de ses blocages devra être faite. Des réajustements seraient à envisager.

- Engagement à mettre tout en œuvre pour une mise en place des pédagogies différenciées. Leur promotion, depuis le milieu des années quatre-vingts, pour rendre plus efficace l’enseignement-apprentissage dans des classes devenues parfois très hétérogènes, n’a pas été suivie d’une réelle généralisation. Si des approches différenciées ont fini par infiltrer les pratiques, elles sont trop souvent le fait d’enseignants « innovants » en raison du surcoût de travail demandé, des problèmes liés à l’évaluation, des effectifs parfois pléthoriques. La restructuration des établissements en « unités éducatives » devraient, notamment en réduisant les effectifs pour certaines activités, en permettre la généralisation... Un mémorandum des pratiques innovantes et de leur efficacité devrait faire l’objet d’une évaluation globale. Des moyens devraient être mis en place, au plan national et local (niveaux départementaux et régionaux) pour favoriser la diffusion des pratiques pédagogiques innovantes : mutualisation grâce à la mise en réseau internet des établissements ; journées d’études ; presse professionnelle spécialisée (ce qui n’existe pas dans notre métier contrairement à d’autres, les revues étant le plus souvent l’œuvre d’associations militantes).

- Engagement à offrir à tous les élèves la possibilité de capitaliser des acquis afin d’éviter les redoublements inefficaces.

- Engagement à supprimer tous les critères d’âge et à systématiser la « scolarisation par récurrence ».

L’École deviendra alors une « maison d’éducation » ouverte sur tous les apprentissages destinés à un public diversifié. Pour le moment, nous en sommes très loin. L'institution se contentant de gérer l'ingérable et de faire reposer le poids des problèmes engendrés par des décennies d'immobilisme sur les épaules des enseignants. Pire même, le quinquennat qui s'achève a rendu ces derniers responsables des difficultés alors que les professeurs tentent, tant bien que mal, d'appliquer des directives contradictoires, souvent inutiles et en tout cas en décalage total avec les réalités du terrain.

Le 15 janvier 2012

A propos de « programmes »...

A cent jours du premier tour de l'élection présidentielle, il est beaucoup question de programmes. A l'Ecole aussi, les programmes sont nos feuilles de route. Celles des élèves aussi. Alors à tous les candidats, je voudrais dire ceci :

Une réflexion devra être progressivement menée autour de la notion de discipline scolaire et derrière elle, la question des « programmes ». Deux pistes pourraient être explorées.

  • D’une part, scinder les programmes traditionnels en « unités » présentant une cohérence soit de contenu, soit de compétence (démarche proche de la mise en œuvre des « unités de valeurs » à l’Université au début des années soixante-dix).
  • D’autre part, la piste plus ambitieuse proposée, entre autres mais particulièrement, par Edgar Morin consistant à articuler les enseignements des disciplines autour de grandes questions que se pose tout être humain : l’identité terrienne, la condition humaine, qu’est-ce que comprendre un phénomène, comment se construit le savoir, etc. ? Rappelons qu’en mars 1998, au moment de la consultation nationale « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », Edgar Morin avait proposé au Ministère de l’Éducation nationale l’organisation de journées thématiques qui ont regroupé plus d’une soixantaine d’enseignants et de chercheurs de renom. L’idée de départ – qu’Edgar Morin défend inlassablement – était de prouver qu’une autre façon de considérer les savoirs et leur enseignement était possible. Les réalités et problématiques du monde d’aujourd’hui sont multidimensionnelles et complexes. Or leur enseignement se fait à partir de disciplines compartimentées, elles-mêmes souvent fragmentées en spécialités disjointes : l’élève étant supposé opérer de lui-même des liens, des articulations. Or, le défi est au contraire de permettre à chaque humain d’accéder à cette culture complexe en proposant une cohérence d’ensemble.

Les disciplines ne sont pas un objectif en soi, elles sont des outils intellectuels pour penser le Monde. Le savoir (dispensé par l’École) doit répondre aux questions essentielles de la conscience humaine : qui sommes-nous, d’où venons-nous, où sommes-nous, comment fonctionne le monde, comment évolue-t-il ? Comme le souligne Edgar Morin, ces journées avait pour objet de relever un défi : « favoriser l’émergence de nouvelles humanités à partir des deux polarités complémentaires et non antagonistes, la culture scientifique et la culture humaniste » ; permettre ainsi à chaque humain « de se reconnaître humain et de reconnaître en autrui un être humain complexe ; de devenir apte à se situer dans son monde, sur la terre, dans son histoire, dans sa société ». (Le défi du XXIe siècle. Relier les connaissances, p. 15). Treize ans après, l’analyse garde toute sa pertinence ; pourtant treize ans après, l’École est inchangée. L’élève subit un enseignement toujours aussi fragmenté et une journée de collégien ressemble à un inventaire à la Prévert : calcul algébrique, étude du devoir argumenté, exercices de flûte - aujourd'hui de chant choral-, dialogue en anglais… se succèdent au gré des emplois du temps. Qu’a « construit » ce collégien au terme de sa journée ? La question lui est-elle d’ailleurs posée ? Parfois, j'en ai connu plus d'un, il se la pose. Peut-être serait-il temps d'enfin lui répondre...

Placer la question du sens au cœur de la rénovation à mener est une urgence. On se doute des réticences (pour ne pas dire plus) que cela engendrerait : j'ai déjà dit sur ce site, sur mon blog, en d'autres occasions diverses, – pour la simple inscription des matières dans les perspectives du Socle commun – combien les « territoires disciplinaires » résistent. C’est un processus de longue haleine qu’il conviendrait d’initier : refonder cette École du XXIème siècle ne peut s’envisager que sur une dizaine d’années, et donc obtenir l’adhésion du corps social pour que les alternances politiques ne viennent pas altérer le processus. Ce que la Finlande a su et surtout VOULU faire.

Pourtant, dans les deux cas, les bénéfices d’une telle révolution scolaire seraient considérables. Il s’agirait de permettre à l’élève d’être dans une spirale positive de construction des savoirs :

  • l’élève peut continuer d’avancer dans les matières où il réussit sans s’ennuyer à refaire la même chose là où il échoue. En cas de difficultés, l’élève va à son rythme ;

  • cela « remixe » les groupes et oblige à tisser des liens plus nombreux avec d’autres d’âges très différents.

Entre autres avantages dont j'aurai l'occasion de reparler ici

Bonne année 2012 à toutes celles et ceux qui prennent le temps de me lire ici.

Le 7 janvier 2012

A repenser de fond en comble...

Les savoirs enseignés et les outils intellectuels indispensables à les appréhender sont à repenser de fond en comble et doivent faire l’objet d’une réflexion collective. Ces questions doivent être au cœur d’un débat de la société toute entière, dépassant les clivages partisans. Non, il ne doit pas y avoir un « discours de gauche sur les savoirs », mais la volonté partagée de « régénérer une culture humaniste laïque » permettant « d’armer intellectuellement les adolescents pour affronter le XXIème siècle » (Morin, 1998).

Il ne s’agit pas ici d’un discours incantatoire, mais de choses que nous vivons les uns et les autres (et nos enfants) au quotidien. Un citoyen voulant comprendre son environnement, y agir en conscience et de manière responsable, est confronté à des savoirs plus complexes que par le passé. Les débats sur le réchauffement planétaire, les modèles de développement durable, les questions éthiques posées par les progrès de la médecine, la pertinence de telle ou telle technologie face à des choix écologiques, les problèmes posés par l’économie et la finance, les problématiques institutionnelles ou administratives, les questions de droit … autant de questions qui intéressent le citoyen mais nécessitent des outils intellectuels et des connaissances plus élaborés que par le passé. Nous ne sommes plus dans une conception additive de la connaissance, où il suffirait, à partir de savoirs de « base », d’accumuler jusqu’à l’encyclopédisme. D’ailleurs, ceux qui revendiquent une telle position (dans les débats contre les pédagogues en particulier), oublient – tellement ils ont intégré culturellement ces processus culturels – qu’ils manipulent des compétences de l’ordre d’un méta-savoir, un savoir sur le savoir qui leur permet sans problème de faire des liens, d’abstraire, de penser en surplomb ce qu’ils disent n’être simplement que des savoirs faciles à engranger. Si aujourd’hui, les choses étaient si simples, cela se saurait.

Si cet enjeu (ce défi) n’est pas pris à bras le corps par l’École, afin de donner au plus grand nombre des clés de compréhension, une nouvelle fracture sociale va se développer, celle qui séparera ceux qui ont accès à la complexité et ceux qui en sont exclus. On le voit, il ne s’agit plus ici d’une simple question de l’accès à la culture ; mais de la capacité à s’emparer intellectuellement des problèmes du monde dans lequel nous vivons. Cette fracture est d’autant plus grave qu’elle sera (est déjà ?) « actée » politiquement. Il est de plus en plus fréquent d’entendre des hommes politiques, dans des interviews, indiquer que répondre de manière détaillée serait trop « technique », trop compliqué… pour l’auditeur ou le lecteur. Sous-entendu : le citoyen n’a pas les moyens de comprendre des mécanismes complexes : qu’il se contente de donner quitus sur des aspects généraux ; ensuite, les personnes compétentes feront le reste ! De telles positions sont indécentes car elles remettent en cause profondément le fonctionnement démocratique. D’ailleurs, n’est-ce pas également ce qui peut paraître irritant quand, dans des blogs, l’on lit avec stupéfaction des citoyens déverser des torrents de jugements à l’emporte pièce sur le mode « ya qu’à… », « il suffit de… » sur des questions qui mériteraient des débats approfondis ? Ces citoyens ne sont pas plus bêtes que les autres ; mais ils reflètent bien, de mon point de vue, la conséquence qu’il y a à réserver les choses compliquées (et sérieuses) à des « experts ».

Ainsi, l’École est au cœur de ce nouveau défi de la Connaissance afin de réconcilier ses ambitions pour les générations futures avec la réalité de la classe. Un simple exemple permettra de constater qu’il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur les enseignants mais d’inciter à une réflexion collective sur des pratiques devenues de tels habitus scolaires qu’ils ne suscitent plus guère de réflexion. Dans une discipline scolaire comme l’histoire-géographie, les finalités que poursuivent les enseignants, telles qu’elles apparaissent dans toutes les recherches didactiques, dans les évaluations de la DEPP (Image de la discipline et pratiques d’enseignement en histoire, géographie et éducation civique au collège, mars 2007), sont très ambitieuses : former des citoyens responsables, exercer l’esprit critique, comprendre le monde. Pédagogiquement – et contrairement à ce qui est dit ça et là – ces mêmes enseignants disent être attentifs à mettre leurs élèves en activité, pour maintenir l’attention et la motivation et favoriser les apprentissages. Mais, les observations faites en classe dans le cadre de plusieurs recherches INRP montrent que sont valorisées, le plus souvent, des activités de « basse tension intellectuelle ». La métaphore peut faire sourire ; elle est pourtant claire. Colorier une carte, retrouver dans le titre d’un document un mot attendu par l’enseignant, l’échelle, reproduire sur son cahier le schéma fait par l’enseignant pour appuyer le raisonnement du cours, peuvent être autant d’activités effectuées… en pensant à autre chose ! Quel est l’investissement authentique de l’élève ? Quel enjeu y a-t-il pour lui, réellement ? En quoi cela lui pose-t-il une vraie question, un problème à résoudre ? Comme le dit Philippe Perrenoud, l’élève peut se contenter de faire son « métier d’élève ». En revanche, faire argumenter ces mêmes élèves – à partir de documents variés – sur le tracé d’une autoroute ; proposer et confronter des points de vue sur des solutions différentes, prenant en compte des contraintes géologiques, l’existence d’un patrimoine culturel (un site gaulois ?), des coûts différents, la répartition de la population, des perspectives européennes… est autrement plus mobilisateur. L’élève – considéré alors comme un futur citoyen en herbe – peut très bien comprendre les enjeux pour peu que les documents soient mis à sa portée. Tout à coup, décoder la légende d’une carte fait sens puisqu’il faut y retrouver une information qui deviendra argument. S’apercevoir que le dossier proposé ne permet pas de répondre à toutes les questions, devient un véritable entraînement à l’esprit critique, au-delà de tout formalisme scolaire. La critique vient à l’esprit parce qu’une question émerge à laquelle l’élève ne peut répondre en l’état

On le voit, ces situations problématiques (on parle en mathématiques et en sciences de « situations problèmes »), ambitieuses, transposables à toutes les disciplines scolaires et expérimentées par certains pédagogues depuis… près de 30 ans, créent de la « tension intellectuelle », obligent à l’apprentissage et favorisent une posture responsable. Or que nous disent les mêmes recherches et évaluations énoncées plus haut du côté des élèves ? Sur les 3000 élèves questionnés par la DEPP en 2007, 86,9% considèrent que la classe d’histoire est « le lieu où l’on apprend à étudier des dates importantes » et 85,8% estiment qu’en géographie on étudie des « pays ». Les élèves ont donc finalement intériorisé le modèle dominant de l’enseignement français qui fait une large place au discours du maître et assez peu à de réelles situations d’apprentissage comme c’est le cas dans de nombreux pays européens.

(Cette réflexion m'est inspirée par les lectures d'ouvrages de Philippe Meirieu, Edgar Morin, Philippe Perrenoud)

Le 21 décembre 2011

La recherche pédagogique et didactique : un parent pauvre...

La recherche pédagogique et didactique souffre en France d’une absence de diffusion et de vulgarisation intelligente. Les revues disciplinaires spécialisées restent le plus souvent confidentielles. La documentation pour la classe est considérée comme incombant aux enseignants qui investissent à titre privé dans du matériel pédagogique (heureusement aidés désormais par les richesses trouvées sur internet ou par des outils de plus en plus performants à condition que ces même performances soient maîtrisées par l'enseignant ET par les élèves). Les revues généralistes « pédagogiques » sont rares et reflet d’un certain militantisme, ce dernier terme n'étant pas un « gros mot », bien au contraire. Ainsi, Les Cahiers Pédagogiques – dont la qualité est unanimement reconnue - sont la revue du CRAP (Cercle de Recherche et d’Action Pédagogique), mouvement pédagogique dans la mouvance du courant de l’Éducation nouvelle, et dont la devise est : changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école !

L’État et les collectivités territoriales – selon leur niveau de compétence – doivent contribuer désormais et de façon ambitieuse à ce que chaque établissement soit le bénéficiaire d’une large diffusion des outils professionnels nécessaires à un enseignement de qualité (ouvrages, revues, CD Rom, accès à internet et toutes les autres innovations à venir tant ces innovations sont nombreuses). Ce propos peut surprendre tous ceux qui bénéficient déjà d’un environnement professionnel riche. Il faut se méfier de l’effet métropole et de la vision induite par les établissements urbains (voire même centre-ville). À côté de beaucoup d’acteurs qui pourraient trouver ce propos évident, combien y a-t-il de petites communes, d’établissements sans marge de manœuvre financière, qui ne peuvent se permettre d’offrir de telles possibilités à leur personnel, parfois débutant. D’ailleurs, puisque les collectivités territoriales gèrent pour partie l’école (commune), le collège (département) et le lycée (Région) pourquoi ne pas imaginer que l’État finance la diffusion de données professionnelles plus globales ? Pourquoi ne pas imaginer que les sites académiques en ligne, s’ouvrent davantage aux enseignants en permettant des débats, des propositions originales au lieu de  rester – avec un bonheur bien inégal – « la » parole institutionnelle descendante de ce qu’il convient de faire en classe ?

Le 12 décembre 2011

Aux enfants sans écoles...

Lors du dernier G20 de Cannes, les 3 et 4 novembre, l’Éducation était à l'ordre du jour. Si si ! Vous pouvez vérifier. L' Education à l'ordre du jour du G20 ! Devait-on s'en réjouir ? Bien évidemment ! Hélas la joie fut de courte durée...

En effet, en étudiant les divers documents publics, l’Éducation fut un sujet d'abord - et même exclusivement - traité sous l'angle économique. On y abordait la formation professionnelle mais sous un angle très précis : faire en sorte que les masses salariales potentielles s'adaptent docilement aux défis du XXI ème siècle, aux défis définis par les membres du G20... C'est à dire pas forcément les « bons »... L’Éducation comme un droit égal pour tous les habitants de cette planète, l’Éducation comme le creuset de l'apprentissage du sens critique, l’Éducation comme outil social et non, seulement, économique, tous ces aspects-là, fondamentaux, n'ont pas été abordés lors du G20 de Cannes.

Pourtant quel chantier ! Quels merveilleux combats à mener ! Quelles dépenses utiles à engager ! Pour ces millions de jeunes filles privées d'école … Pour ces millions d'enfants de tous âges ballottés au gré des conflits, des guerres entre états ou tribales et qui ferment les portes des écoles... Pour ces enfants du Darfour et de toutes les zones frappées par les famines...

Mais voilà... Sans doute sous prétexte de crise -je ne la nie pas mais elle a souvent bon dos- des programmes promis ont été réduits comme peau de chagrin. Par exemple, il avait été question de doter le programme Fast Track (http://www.afd.fr/lang/fr/home/projets_afd/education/pid/1371) d'une somme conséquente de 15 milliards. La somme obtenue au final fut de...1,7 milliard. L’Éducation, c'est le message laissé par cet effondrement des subventions, n'est en aucun cas une priorité pour les « maîtres du monde »...

En 2012, un Nième G20 se tiendra au Mexique. Il se dit que ce pays est très au fait des problèmes liés à l’Éducation, à ses enjeux... Acceptons-en l'augure et espérons... Il ne reste que ça aux enfants sans écoles...

Le 5 décembre 2011

Manoeuvres électorales

Les grandes manœuvres électorales ont commencé. Déjà. Le quinquennat raccourcit beaucoup les temps de la réflexion. Il permet à certains de donner toute la mesure de leur agitation. On agite, on promet... On réalise très peu. Jamais je n'avais entendu les mots « concertation », « Grenelle de ceci ou de cela », « tour de table », « remise à plat », « consultation » prononcés avec une telle fréquence. A entendre les candidats à la présidentielle, l'année 2012/2013 - parlons en année scolaire - sera celle des rencontres entre les représentants du futur gouvernement et ceux des syndicats, des associations, fédérations, confédérations, bref de tout ce que le pays compte en «représentants» de ceci ou cela.Tant mieux évidemment. Une démocratie digne de ce nom, souvent donneuse de leçons concernant la France, ne peut s'interdire le débat.

Il en est un qui a secoué le monde de l’Éducation et qui a suscité de très vifs échanges dans les salles de professeurs. Je fais allusion à l'initiative prise par Luc Chatel d'annoncer que l'évaluation des enseignants serait désormais de la seule responsabilité des chefs d'établissements. Ceci s'accompagnant d'un très net ralentissement dans l'avancement des carrières, notamment chez les professeurs débutants. La promesse de commencer à 2000 euros dans le métier n'a pas calmé l'incendie. L'initiative du Ministre de l’Éducation Nationale a eu pourtant un mérite : celui de provoquer l'indispensable réflexion au sujet de l'évaluation. Pour rappel aux non initiés qui passent ici, en primaire c'est un Inspecteur de l’Éducation Nationale (IEN) qui note les professeurs d'école, dans le secondaire, la notation est partagée: les Inspecteurs Pédagogiques Régionaux-Inspecteurs d'Académie (IPR-IA), à la suite d'une visite de deux heures (une heure de cours/une heure d'entretien) établissent un rapport et proposent une note qui entre pour 60% dans la valeur globale. 40% de cette même note sont à l'appréciation du chef d'établissement, Principal ou Proviseur.

Depuis des années, depuis que j'enseigne - bientôt trente ans - j'entends tous les collègues se plaindre du déroulement de l’Inspection : « injuste », « bâclée », « inutile » et surtout, « infantilisant ». Tout ceci est vrai, dans des proportions variables évidemment. J'ai connu des IPR-IA qui ne m'ont pas laissé un grand souvenir, d'autres qui furent de véritables pédagogues et qui m'ont beaucoup apporté. Dans des inspections dont je suis sorti « enrichi ». Je les remercie.

Mais revenons au débat. L'inspection « nouvelle mouture » proposée par Luc Chatel a engendré immédiatement des soupçons : comment? Le Principal va noter seul? Mais alors c'est la porte ouverte au « lèche-bottisme », les équipes pédagogiques vont exploser, tout le monde va se méfier de tout le monde, etc... Et puis l'avancement dans la carrière va être ralenti ! C'est intolérable ! Bien entendu, ces inquiétudes sont légitimes. Comme est légitime la crainte devant les mots « autonomie des établissements », pire encore, leur « mise en concurrence » (qui existe déjà de manière à peine cachée). Mais à s’inquiéter toujours, à condamner a priori sous prétexte que tout ce qui vient d'en haut, a fortiori de l' « autre camp » (la droite), est forcément dangereux, on risque de ne réformer jamais. Le monde de l'école, je le dis souvent, est très conservateur alors qu'il devrait être le premier à expérimenter, à renouveler, à surprendre, à proposer, à inventer, à découvrir et à faire découvrir. Ce que nous faisons, souvent individuellement, dans nos classes, tous les jours. Mais que nous refusons collectivement. Quelle ne fut pas ma surprise d'entendre des collègues, de lire sur les forums, la défense quasi unanime de l'Inspection hier infantilisante, tout à coup parée de vertus insoupçonnées !

2012-2013 devrait être l'année des concertations et autres tables rondes, ovale ou carrées... J'espère qu'elle sera celle du courage de dire les choses et d'engager les changements indispensables à la refondation de l’École. Les projets des deux « grands » partis en lice sont hélas d'une prudence bien peu engageante...

Le 27 novembre 2011

L'Ecole consommatoire

Question : l’École, au sens restreint du collège et du lycée, n'est-elle pas devenue le reflet de nos égoïsmes, d'une société qui privilégie l' "avoir" à l' "être", d'un monde qui a adopté une règle pour l'imposer au plus grand nombre, celle de l'accélération des satisfactions de nos pulsions, notamment nos pulsions "consommatoires" ?

Tentative de réponse : observons un élève, disons de quatrième d'un collège rural. Observons-le un mardi - mais ce pourrait être un lundi, ou un jeudi - de huit heure à dix-sept heure. Il entre au collège et retrouve la cour animée par quatre-cents pré-adolescents qui s'occupent. Ils s'occupent jusqu'à la sonnerie qui les fait se mettre en rang, par groupe de vingt-cinq en moyenne. Chaque classe, plus ou moins calmement, attend, dans un "couloir" numéroté, dessiné au sol, le professeur qui ne tarde pas à arriver. Quelques "bonjour Madame ou Monsieur" et c'est l'ascension vers les salles de cours. Le silence se fait à l'extérieur. Petit à petit. Place aux savoirs...

Notre élève - appelons-le Pierre - s'installe à sa place. C'est la même depuis la sixième. Il a cette habitude. D'autres pas. Comme tous ses camarades de la classe, comme tous les camarades de toutes les classes, il sort ses affaires. Puis il attend. Selon le professeur ou la matière, il sera silencieux, bavard, attentif, participatif, ennuyé, triste, hilare. Mais il devra, chaque cinquante-cinq minutes, avoir compris ce qui lui aura été déversé. Chaque cinquante-cinq minutes. Pas soixante-trois ni trente-cinq. Non. Quelqu'un, un jour, on a oublié son nom, l'a-t-on seulement connu, a décidé que les enfants de France devaient écouter, répondre, écrire, comprendre au terme de toutes les cinquante-cinq minutes qui rythment la journée de l'enfant/collégien. Je ne connais aucun autre lieu, dans le monde connu, qui divise le temps de cette manière. C'est unique.

Pierre et tous les "Pierre" de France, toutes les "Inès" et "Gaëlle" aussi, vont accumuler des séances tout au long de l'année scolaire, parfois sans la moindre souffrance, se glissant avec délectation dans le gant de velours ou de fer de la discipline nécessaire imposée par le professeur. D'autres subiront ces mêmes moments comme ceux de la torture inquisitoriale.

Cette école-là est celle de la consommation. Un très grand nombre d'enfants -je l'ai observé souvent- viennent consommer du cours. Il y a les acheteurs brillants, qui sélectionnent les produits, comprennent les consignes/étiquettes, savent tirer profit des conseils du "vendeur", utilisent les outils mis à leur disposition avec un talent extraordinaire. Il y a ceux qui semblent perdus dans les allées du "magasin", apeurés par l'accumulation de l'offre, par l'incompréhension des directives. On les reconnaît de deux manières ceux-là : ils sont surexcités ou étrangement silencieux et passifs.

Pierre est un consommateur averti. Ses parents ont été et sont restés au courant des secrets de fabrication du "magasin-école". Ils l'aident, chaque soir, le conseillent, le rassurent, l'encouragent, le récompensent. C'est bien.

Et puis il y a les autres qui sortent du "magasin", un jour. Ils en sont même "sortis" depuis fort longtemps. Mais pour eux, on maintient les mêmes règles. Qu'ils ne les comprennent pas n'a qu'une importance relative. L'essentiel n'étant-il pas de consommer, consommer, consommer toutes les cinquante-cinq minutes. En cas d'indigestion, voyez ailleurs !

Mais trêve de métaphore...

L'école en France doit se remettre en question et c'est urgentissime. Elle doit passer d'un monde à l'autre. Car à force de s'incruster dans la consommation forcée des savoirs, elle va manquer -et faire manquer à des générations- le monde qui commence. Celui d'un ralentissement nécessaire, d'une pause, d'un autre rythme, à commencer par les rythmes scolaires.

Qu'on mette fin, vite, aux sonneries agressives scandant des journées découpées en tranches toujours égales...

Une égalité de façade qui cache bien des inégalités dangereuses...

Christophe Chartreux

Note: Consommatoire, se dit du comportement instinctif déclenché par la conjonction d'un ensemble de stimulus spécifiques et qui sert de conclusion à un comportement appétitif. (Il constitue pour K. Lorenz l'essence même des comportements instinctifs.)
Dictionnaire Larousse

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Le regard 'Emma

     En lisant votre texte je m'aperçois que nous sommes tellement habitués à ces rythmes qu'on ne sait plus qu'ils existent. Je veux dire que les habitudes deviennent invisibles. Quand par exemple on nous annonce un changement d'emploi du temps pour telle ou telle raison, on se sent presque mal. On change nos repères quotidiens.

En même temps, je me demande si nous ne devenons pas des poissons dans un petit bocal de verre. A tourner en rond, tout le temps, dans le même sens. Et à heure fixe on vient nous nourrir.

Je crois aussi que des habitudes, il en faut. Mais pas celles-là. Celles de ces journées qui se ressemblent toutes en fait. On aimerait, parfois on en parle entre nous, avoir le temps de discuter avec nos professeurs. Leur parler de leur matière mais aussi de ce qui passe autour de nous, dans le monde. Mais eux non plus n'ont pas le temps. Ils sont dans le bocal aussi. Et puis on les voit partir et ils partent vite! Ils sont rares ceux qui s'attardent alors qu'ils ont terminé leur "service" comme ils disent.

Un jour vous nous aviez parlé des "rituels nécessaires". Je m'en souviens encore. Et parmi les "rituels" dont je me souviens, il y avait le fait de se sourire. Simplement se sourire quand vous arriviez dans le couloir ou dans la cour. C'était vachement important de commencer la journée ou l'heure par un sourire. Puisque vous avez ma sœur en cours, je sais que ce rituel là, vous l'avez gardé.

Emma

 

Le 20 novembre 2011

Les rideaux de fumée...

La semaine qui s'achève a permis au gouvernement en général, au Ministre de l’Éducation Nationale en particulier, de mettre le feu au microcosme scolaire par l'intermédiaire de deux «annonces» :
− la pertinence du « retour » de l'uniforme pour les élèves (François Fillon),
− une nouvelle méthode d'évaluation du corps enseignant confiée - pour faire court - aux seuls chefs d'établissements (pour le secondaire en tout cas ; les Inspecteurs de l’Éducation Nationale ou IEN continuant de noter les professeurs des écoles dans le primaire).
Ces deux annonces, à quelques mois de l'échéance politique majeure dans notre pays, ont enflammé les médias. Ont enflammé les discussions dans les salles des professeurs. Ont enflammé les discussions au sein des syndicats.

Dans le même temps, dans l'autre camp, le candidat socialiste à la Présidence de la République, poursuit sa campagne. Hier, à Strasbourg, il s'adressait à la jeunesse. Il a rappelé sa promesse de 60 000 postes d'enseignants - ou, plus exactement, 60 000 postes d'adultes exerçant dans le monde de l'éducation- avec un chiffrage de la mesure toujours aussi délicat à établir. Peut-être cela surprendra-t-il mais tout cela me navre... Car est-il question d’École ?

« Uniforme », « évaluation des enseignants » et « toujours plus de moyens » ne sont-ils pas plutôt ces sujets, récurrents (ah l'uniforme qui serait gage d'égalité, comme dans le bon vieux temps...où l'on ne portait pas partout, loin s'en faut, d'uniformes! Il suffit de regarder les photos anciennes ou gravures... Ah donnez-nous plus de professeurs, toujours plus et comme par enchantement notre école deviendra exemplaire... Pas si simple évidemment!) qui cachent, volontairement, les questions auxquelles on ne veut pas se frotter?
Les rideaux de fumée derrière lesquels on pourrait voir, avec un minimum de courage, de lucidité, de sens des responsabilités, les dossiers brûlants mais tristement fermés, écartés toujours, de l'égal accès aux savoirs, de la marchandisation des connaissances dont bénéficient les enfants des parents les plus privilégiés. Le chiffre d'affaires des «boites à bac», pour ne parler que de ce niveau mais on en trouve désormais aussi pour TOUS les niveaux scolaires, du primaire à l'Université, est en augmentation constante. Le marché de l' «angoisse éducative» est une entreprise qui ne connaît pas la crise... Le dossier, aussi, - c'est mon dada actuel - de l'architecture scolaire dont bien peu s'inquiètent alors que, sans être l'essentiel, doit s'inscrire dans une réflexion d' ENSEMBLE.

Manifestement, à l'UMP comme au PS, on a choisi des débats polémiques ou électoralement «bankable». Une vision parcellaire... On privilégie les provocations comme ce projet d'évaluation par les seuls chefs d'établissement du secondaire, dans une stratégie qu'on connaît hélas trop bien et qui consiste à opposer les personnels entre eux. Cela a d'ailleurs commencé. Il suffisait cette semaine de «surfer» sur le net et de lire les forums, les articles, les sites spécialisés. Chacun défendait son pré carré avec des chefs d'établissements très méchants et carriéristes et des professeurs très gentils et toujours victimes; ou l'inverse évidemment.
Mais il n'était plus DU TOUT question d’École... L’École et ses dossiers essentiels avaient disparu derrière les rideaux de fumée...


Le 6 novembre 2011

Nous fabriquerons les laisses et les colliers...

Quatre mots... Quatre petits mots qui forment curieusement "couples": Lire/Élire... Lecteur/Électeur
Lire... La lecture... Ce "miracle" qui permet chaque année à des millions d'enfants de revenir à la maison en démontrant à leurs parents émerveillés que ça y est, ils savent LIRE! Et ils lisent tout ! A haute voix dans la voiture qui les emmène au supermarché... Les affiches publicitaires... Les emballages... Les bandes dessinées qu'ils peuvent désormais choisir tout seuls... Comme des "grands" ! La première des émancipations... Le premier envol vers la liberté... Car la lecture permet de prendre possession de l'avenir... Le bon lecteur sera capable de discernement. Le lecteur fragile devra s'en remettre aux autres. Ou pire, ne saura jamais choisir...

Lire... Élire... Lecteur... Électeur... Aucune discontinuité entre ces quatre mots... Bien au contraire ! Pourtant, nos gouvernants, que nous avons choisis (une majorité en tout cas), se rendent-ils compte qu'ils défont les liens tissés patiemment par les institutrices, instituteurs, professeurs d'écoles, professeurs, liens tissés entre le livre et l'enfant ? Car lire c'est la découverte du B-A-BA, certes, mais pas seulement! C'est d'abord et avant tout l'ouverture des portes vers le livre, vers tous les supports de lecture contemporains, y compris évidemment et heureusement Internet ! Or nos Ministres successifs ont décidé de sacrifier (si si !) des moyens qui permettaient, même si tout n'a jamais été parfait (et ne le sera jamais!), aux enfants de ce pays d'accéder aux livres, aux rêves, à l'apprentissage du choix, au CHOIX. Tout Ministre de l’Éducation Nationale à venir DEVRAIT s'engager, par écrit, par des actes, à appuyer son projet sur une "politique des lectures". Au pluriel! Car tout est à lire... Du livre à l’œuvre d'art en passant par un programme politique...

Alors seulement, le "politique" œuvrera de manière utile. Il donnera aux citoyens les clefs de la "maison démocratie". Le lecteur élira en conscience... N'oublions jamais : le non-lecteur, il y en a encore trop, est un "non-citoyen". Il est hors-jeu, hors-champ. On ne le voit plus... On ne l'entend plus... C'est un mort-vivant... L'enfant "mal-lisant" est une pauvre victime soumise aux sarcasmes de ses petits camarades... Il s'en souviendra toute sa vie !

Qu'on y prenne garde... Réduire les champs d'action de l’Éducation, c'est fermer une à une les portes de la maison-démocratie. C'est ré-ouvrir celles de l'obscurantisme.
C'est PARCE QUE nous lisons, PARCE QUE que nous serons de plus en plus nombreux à lire que nous offrirons une société plus accueillante aux enfants de demain... Dans le cas contraire, nous fabriquerons les laisses et les colliers qui laisseront des marques de sang aux cous des enfants à venir, provoqués par le mépris que nous aurons affiché à l'encontre de l'apprentissage de la lecture.

Le 30 octobre 2011

Lettre à une amie...

Chère Hélène,

Je reviens rapidement - quand j'emploie cet adverbe, je suis toujours long... - sur ce que tu m'as dit hier au sujet de l'exposition de la fondation Cartier . Des propos très justes et corroborés par d'autres amis qui m'ont dit plus ou moins la même chose.
Comme je te l'ai dit, ma vision est faussée puisque j'étais un visiteur privilégié. Comme quoi les privilèges déforment la vision du réel... Voltaire et Diderot avaient raison, une fois encore...
Ce matin vers 7h (dimanche ou pas, je me lève tôt. Virginie étant une lève-tard, je croise mon chat, animal silencieux qui procure cette impression d'isolement renforcée par l'immensité du jardin dévoilant son jaunissement progressif. Je déteste l'automne. Et Noêl qui arrive. Ce n'est pas ma période favorite... pour diverses raisons...) j'écoutais France Info et un journaliste allemand (de Die Welt je crois) parlait de l'exposition Cartier en en disant tout le bien qu'il en pensait. C'était, à l'entendre une merveille d'intelligence, un exemple d'originalité, à voir absolument ! Ce qui ne correspond pas aux propos rapportés par toi et d'autres... Même si les critiques des uns et des autres sont feutrées...

Je crois que cette exposition souffre d'un défaut très actuel, mais aussi très parisien. Elle est "à la mode".
Mais pas n'importe quelle mode. Celle d'un boboïsme enfermé dans deux ou trois arrondissements de la capitale, boboïsme que je connais par coeur et qui donne, à la longue, la nausée. Editeurs, écrivains, femmes du monde, mais beaucoup plus du demi-monde, artistes en vue mais qui ne voient rien, ne montrent rien... En revanche ils sont vus et se montrent ! Bref un condensé d'ennui... Et de médiocrité. Je ne crois pas en la qualité imposée de l'artiste qu'on dit "maudit" mais l'artiste qui s'impose sans qu'aucune qualité ne soit le support de son Art (majuscule superflue...) m'indiffère. Et celui-là, je le maudis !

Tous ces gens vont d'expositions en premières de théâtre (Ils disent "théäääääätre" eux...), tous frais payés évidemment (j'en ai profité et en profite encore !Aveu !). Une coupe de Champagne à la main, alors que l'art s'apprécie sans artifices, ils s'extasient. C'est la norme. C'est le "rendu" à une invitation. Donnant-donnant... Infect ! Rideau !

L'exposition "mathématiques" chez Cartier - Cartier quand même - souffre de ce travers: la mode. Souffre aussi du regard porté: je n'ai pas lu ni entendu une seule critique négative (sinon la tienne mais toi... Tu es lucide... Scientifiquement lucide...). Et ça c'est suspect ! J'ai d'ailleurs été piégé puisque j'ai participé au concert de louanges... Naïf parfois...

Tout artiste - mais c'est valable pour tout être humain - qui ne reçoit que des félicitations devrait se méfier. Beaucoup ! Les éloges, les satisfecit, les admirations surlignées ne font pas avancer. Elles maintiennent sur place, en l'état... Les critiques dures, les attaques, les injures même parfois font progresser, offrent une opposition à renverser. Je ne supporte plus ces "artistes" que l'on couvre tellement de fleurs qu'ils s'effondrent dès la première pierre... Ils ont l'illusion d'être géniaux, ils le croient même - summum de la médiocrité ! - et d'expositions en "premières", ils se prennent pour Rameau mais n'en sont que les neveux... Relire Diderot leur serait profitable... Ils seraient moins avides de gloire -et d'argent- pour eux-mêmes et bien plus pour leur art...

Pour conclure, cette exposition reste de qualité, j'en suis persuadé. Hélas l'air du temps et un parisianisme que je fréquente pourtant, les yeux ouverts, lui nuisent et l'emprisonnent dans cette "boboïsation pseudo-artistique" qui me nâvre de plus en plus.

Je t'avais dit que je serai long... Gagné ! Mais j'aime t'écrire... Et j'ai la faiblesse prétentieuse de croire que tu aimes me lire...

Je t'embrasse... Il pleut... C'est très beau!...

Le 28 octobre 2011

Des Lumières à l’Élève...

Les vacances, souvent reprochées - et de plus en plus, par temps de crise économique et financière - aux enseignants, permettent néanmoins, au-delà du repos, de prendre du recul. Ce recul que les événements qui s'accumulent par dessus nos têtes écrasent, empêchent. A force d'être « le nez dans le guidon », ceux qui, de temps à autre, négligent de relever la tête risquent la chute...

Cette chute, si elle se généralisait à l'ensemble du corps enseignant, pourrait nous ramener en des temps obscurs, antérieurs aux Lumières d'un Rousseau pour ne parler que de l'auteur d' Émile ou de l’Éducation. Or, à bien observer, l'Esprit même des Lumières de la Révolution, de la République, des Droits de l'Homme et du Citoyen, de la Démocratie, plus tard de la Laïcité, cet esprit-là subit, depuis 2007, les assauts de plus en plus violents et qui risquent, à l'approche de l'échéance présidentielle, de l'être plus encore. La chute en fait n'a-t-elle pas DEJA eu lieu ?

L’école publique est certes toujours républicaine et laïque. Mais, du roman des Lumières - car c'est un roman - à nos salles de classes, il devrait y avoir un pont enjambant les siècles, un pont où se rencontraient Voltaire et nos élèves. Hélas la France de 2011 ne lit plus les Philosophes et n'aiment plus ses Lumières ! Pourtant il serait bon de les lire et les relire encore. Ils n'ont été ni remplacés ni surpassés. L'époque que nous vivons est aussi mutante que les années 1760-1790. Car il ne s'agit pas de « crise » mais bien de « mutations » : technologique, écologique, politique.

Pour la seule institution qu'est l’École, il serait nécessaire, vital même, de la réconcilier avec son passé révolutionnaire tout en l'arrimant à la locomotive du progrès. Hélas, en citant Spinoza, « elle persévère dans son être », refusant obstinément tout changement véritable et se contentant de cataplasmes successifs sur des blessures sanglantes. Avec la complicité souvent de ceux qu'on attendrait pourtant à la pointe de la révolte, à l'origine des métamorphoses.

Nos élèves attendent les Lumières de demain. Mais elles tardent. Alors appuyons-nous sur celles, universelles, d'hier. Elle «valent» encore...

Des Lumières à nos élèves... Ce serait une belle rencontre !


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Le regard d'Emma

J'ai découvert la Philosophie en quatrième, justement avec les Lumières puisque c'est au programme en Histoire. Et cette année, en terminale, je fais de la philosophie. J'adore ! Je me suis mise à dévorer Voltaire. Ensuite j'attaque Montesquieu. Notre professeur nous l'a fait découvrir par sa biographie. Un aventurier, jouisseur, génial et courageux. Un homme qui s'engage. Il n'y a plus beaucoup d' écrivains engagés comme ces philosophes-là qui risquaient leur vie pour plus de liberté. En plus ils étaient plutôt privilégiés. Ils pouvaient tranquillement rester dans l'ombre. Ils ont choisi la lumière du risque. Sans jeux de mots !

On devrait faire de la philosophie plus tôt je trouve. Dès la quatrième, ou même dès la sixième. Avec de vrais profs de philo évidemment. Je crois que ça serait très utile pour tous mais surtout pour des élèves qui ne savent plus très bien pourquoi ils sont là. La philosophie, ça ouvre l'esprit et ça permet de mieux voir, de mieux regarder. Tout est plus clair.

Encore la lumière quoi! Et nous, les élèves, nous avons besoin de beaucoup de lumières parce qu'on en a parfois marre d'avancer les yeux bandés. « Travaille et tais-toi ! »... Et bien non, pas seulement ! Alors de la Philo, de la lumière et du bonheur !

Le 16 octobre 2011

Deux morts évitables...

Deux faits, très différents l'un de l'autre, ont touché ces derniers jours toute la communauté enseignante, toute la communauté scolaire. Une collègue s'immole par le feu, dans l'enceinte de l'établissement, sous le regard d'élèves présents. Elle décède quelques heures plus tard... Un collègue agresse et tue une jeune fonctionnaire de police.

Ces deux faits divers tragiques - deux morts ! des vies brisées - n'appellent de ma part aucun commentaire. Je crains trop les emballements médiatiques pour verser dans le même travers. Je ne peux que m'associer à l'émotion suscitée par les conséquences de tels actes. En revanche, ces deux faits divers m'amènent à poser des questions. Des questions que je me pose à chaque fois qu'un(e) collègue me parle de ses soucis avec telle classe, parfois de ses problèmes personnels, extérieurs à l'Ecole. Je fais ce que je peux... Je ne suis pas psychologue. Et puis je retrouve mes élèves, ma classe. Et même si ma porte est toujours grande ouverte, je laisse ce collègue avec quelques mots, quelques conseils... Les jours passent et j'oublie... Jusqu'au jour où...
Jusqu'au jour où celle-là décède de ses atroces brûlures... Jusqu'au jour où celui-là tranchera en deux une jeune policière à l'aide d'un sabre de samouraï.

Alors j'ai envie d’huiler ! Comment peut-on laisser des êtres humains sans secours autre qu'un vague traitement médical, sans véritable suivi ? Comment peut-on laisser un être humain en souffrance visible face à des élèves qu'il est manifestement incapable de maîtriser autrement que par des discours d'une étrangeté connue ? Comment peut-on ne pas entendre les appels au secours de dizaines (centaines ? milliers ?) de professeurs qui chaque jour souffrent d'aller en classe, d'aller faire classe car ils ne veulent plus, ne savent plus, ne peuvent plus ? Comment, au XXIème siècle, peut-on promettre (campagne électorale oblige) des infirmières scolaires dans les établissements (ce qui est une excellente chose évidemment !) en oubliant totalement de promettre aussi une vraie médecine du travail dans l’Éducation Nationale pour celles et ceux qui la servent? Et pas seulement ces "cellules" académiques aussi froides et impersonnelles que le numéro de téléphone que vous aurez d'ailleurs bien du mal à trouver. Et une fois trouvé, encore faudra-t-il que quelqu'un daigne vous répondre. Pitoyable ! Comment peut-on laisser, devant des élèves, des enfants, ces professeurs tellement en souffrance qu'ils en arrivent à dire n'importe quoi, pendant des années (!), sans que PERSONNE, à part peut-être les élèves justement -ils sont en première ligne- s'inquiètent de la mauvaise santé mentale de l'adulte qui est face à eux ?

Comment peut-on ignorer, par le silence d'une machine impersonnelle, oublieuse de l'humain (et de plus en plus !), uniquement focalisée sur les chiffres, la gestion, tout ce qui fait qu'un enseignant c'est d'abord un être vivant capable de surmonter bien des difficultés mais soumis aussi à des émotions, des chocs, des accidents de la vie.

Comme tout le monde me direz-vous... Oui, comme tout le monde... Mais tout le monde n'a pas, chaque jour, la responsabilité de 25 à 35 jeunes filles et garçons qu'il faut mener d'un début à une fin d'heure vers le savoir. Mais tout le monde n'a pas, en cas de malheur, de souffrances morales, le silence pour seul interlocuteur. Mais tout le monde n'est pas enseignant, tout simplement! Ce métier a des spécificités qui ne sont pas reconnues. Encore moins depuis qu'on nous transforme en gestionnaires, en calculatrices.
Et du silence on glisse alors vers le repli sur soi, puis dans le pire des cas la dépression sous des formes diverses. Mais avec toujours l'obligation de remplir sa mission. Et si celle-ci est mal remplie, voire pas remplie du tout, qu'à cela ne tienne : il y a un enseignant face aux élèves. Tout le monde est satisfait n'est-ce pas ?
Jusqu'au jour où des élèves hurlent dans une cour de lycée car un professeur est en train de brûler vif !
Jusqu'au jour où un enseignant, malade depuis longtemps, tue sauvagement une pauvre fonctionnaire de police qui n'a rien compris à ce qui lui arrivait ! Combien faudra-t-il de suicides et d'actes violents pour que les mesures indispensables soient enfin décidées, actées et mises en place ? A combien est fixé le quota ?

Le 2 octobre 2011

De la souffrance des enseignants...

Depuis des années, de nombreux livres, articles et émissions ont été consacrés au sujet, il est courant d'entendre la souffrance des enseignants... Il conviendrait de parler des souffrances car elles sont nombreuses. Peut-être même y en a-t-il autant que d'enseignants, chacun héritant de sa douleur, la partageant ou pas, l'assumant ou pas, la vivant plus ou moins mal selon le caractère de chacun et le degré de souffrance infligée.
Tous les enseignants, un jour ou l'autre, souffrent, ont souffert ou souffriront. Depuis l'incivilité de tel élève qui détruit votre cours puis votre moral, jusqu'aux violences verbales et physiques heureusement plus rares mais qui existent. Tout cela n'est pas né avec les pamphlets vengeurs des Brighelli, Polony, Le Bris et autre Fanny Capel. Ils n'ont rien découvert, se contentant d'appuyer des dogmes idéologiques sur des « exemples » souvent invérifiables, uniques et, plus grave, ne proposant aucune solution efficace autre qu'un retour en arrière « du temps béni où c'était mieux avant ». Passons...

Il reste néanmoins ces souffrances... Elles sont là... Dès la grille du collège ou du lycée franchie... Comme une boule dans le creux de l'estomac qui vous dirait tout bas : « N'y va pas »... Je pense souvent à ces collègues, moi qui ai la chance, le privilège de n'avoir quasiment jamais été confronté à ces inquiétudes quotidiennes, à ces sueurs froides, à ces insomnies. Je pense souvent à eux et plus encore depuis ce funeste mois de mai 2007. Oh bien entendu, il serait trop facile de faire porter le chapeau des drames individuels à un seul homme. Le Président de la République et son gouvernement ont appliqué la politique annoncé dès 2006. Ils n'ont surpris personne.

Pour autant, depuis quatre ans, la situation des enseignants s'est particulièrement dégradée. Je ne parle pas ici de leurs conditions de salaires. Je pointe du doigt leurs conditions de travail au jour le jour.
Avec moins, on leur demande plus; la formation a disparu; la ghettoïsation des quartiers n'a pas été combattue, bien au contraire,entraînant la ghettoïsation des établissements scolaires; en fin de mandat, on nous annonce des réflexions sur les rythmes scolaires (il est temps!); les chefs d’établissements du secondaire sont incités à agir en DRH et à faire du chiffre; les expérimentations pédagogiques restent à l'abri des regards même quand elles donnent d'excellents résultats; on n'a pas travaillé une seule seconde sur un dossier qui me semble loin d'être anecdotique: l'architecture des bâtiments scolaires; le système des nominations pour les jeunes professeurs est resté le même, c'est à dire une aberration absolue consistant à décourager le plus vite possible des enseignants enthousiastes et idéalistes en les «balançant» face à des élèves en souffrance et faisant souffrir... C'est souvent un « jeu de miroir »...

J'espère que les années qui viennent permettront d'atténuer les effets de ces souffrances. Souffrances qui touchent tous les personnels, mais aussi comme je viens de le dire, les élèves et leurs parents.


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Le regard d'Emma, terminale ES

« On voit tout de suite un professeur qui est mal dans sa peau. Et le problème c'est que dans les petites classes ou encore en seconde, on profite de cette faille. On l'agrandit même. Par par méchanceté mais juste par bêtise gratuite. En première et en terminale, il y a le Bac alors on laisse ces professeurs-là tranquilles et ils nous fichent la paix mais qu'est-ce qu'on s'ennuie !
Les professeurs qu'on respecte, ce sont souvent les anciens, ceux qui savent faire leur métier, qui montrent qu'ils l'aiment et qu'ils veulent nous faire réussir. Même s'ils sont autoritaires, on sent qu'ils ont de l'expérience et qu'ils sont là pour nous, pas pour eux. Ceux-là on peut leur parler. Les plus jeunes ont peur et sont indécis. Soit ils veulent nous «casser» d'entrée, soit ils veulent être copains. Et ça ne fonctionne pas.
En fait, je pense que c'est une erreur grave d'avoir supprimé la formation des enseignants. Comme dit ma mère, enseignante aussi, "c'est quand même dingue que le seul métier qu'on n'ait pas besoin d'apprendre soit celui de professeur, alors que c'est ce métier-là qui exige des autres qu'ils apprennent" . C'est une absurdité. »

 

Le 24 septembre 2011

Les notes...

Je relisais récemment ce qu'Eric Maurin écrivait à propos des notes : "L'objectif de l'école primaire n'est pas de repérer une élite mais d'amener le plus grand nmbre à savoir lire, compter, écrire et s'exprimer correctement. La pratique de la notation, et notamment l'avalanche de notes et de classements est contre-productive. On peut très bien évaluer les apprentissages sans recourir aux notes, pour le plus grand profit des enfants".

Avant lui déjà, mais on l'a oublié ou caché, Léon Bourgeois dès 1890 ou, plus près de nous, Edgar Faure - pourtant pas un "révolutionnaire" - tous deux anciens Ministres de l'Instruction Publique puis de l'Education Nationale, ont instruit le procès de la notation à outrance : "Les travaux scolaires les plus formateurs sont ceux où la préoccupation de la note s'efface" affirmait une circulaire d'Edgar Faure en 1960.

Les mentalités évoluent très lentement dans le microcosme des professeurs, d'Ecole ou du secondaire. Dans l'établissement qui est le mien pourtant, avec le soutien de nos hiérarchies (ce qui est une véritable et heureuse surprise!), nous avons mis en place une expérimentation de "classes sans notes". Uniquement des sixièmes pour le moment et uniquement en Histoire-géographie-Education civique. Commençons modestement... Car il s'agit de convaincre, non pas les élèves, mais les collègues et surtout les parents affolés à l'idée que leurs enfants pourraient ne plus ramener à la maison les notes et les carnets de notes qu'eux-mêmes devaient faire signer à papa et maman... L'Ecole est hélas trop souvent la reproduction d'habitudes. Quand elles sont mauvaises, c'est dramatique!

Dans le cas qui est le mien, après presque trente ans de pratique dans un collège rural de quatre cents élèves, après trente ans de notation car j'ai moi aussi évidemment noté, j'en suis arrivé à la conclusion suivante : pendant toutes ces années, j'ai classé et sélectionné. J'ai participé, j'ai collaboré à une vaste entreprise d'orientations balisées dès le CP. DES LE CP! J'ai participé et collaboré à la construction d'esprits pré-fabriqués, parfois fort bien pré-fabriqués mais souvent aussi complêtement déconnectés dès qu'il s'agissait de "penser par soi-même", de construire une réflexion originale, de répondre à une question "hors programme", de se comporter en "enfant libre". J'ai participé et collaboré à la fabrication de marionnettes dont, pour les plus faibles, on coupait les ficelles avant même que la scolarité obligatoire nous permette de le faire. J'ai participé et collaboré à la mise en place d'un climat scolaire pesant, angoissant.

Comme je regrette aujourd'hui cette attitude...

Oh ! Bien entendu, la suppression de la notation chiffrée ne permettra pas, à elle seule, de faire de notre Ecole le joyau qu'elle devrait être, qu'elle peut être grâce à ses personnels qui accomplissent chaque jour des petits miracles, chacun avec ses méthodes. Mais ne plus noter par les chiffres -ces chiffres qui envahissent notre quotidien- permettrait, j'en suis intimement, viscéralement persuadé, une vraie réflexion sur notre modèle (?) éducatif. Tant que nous refuserons, par lâcheté, par habitude, par conformisme de nous interroger sur notre coeur de métier, rien ne sera possible, rien ne changera, absolument rien...

Or il faut TOUT transformer ! C'est une urgence !

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Le regard d' Emma, Terminale ES

"Etre notée, depuis toujours en fait, est devenue une habitude. On n'en souffre pas quand on est "bonne élève". Mais je me souviens de copines et copains qui tremblaient de peur à chaque contrôle. Et puis avec le temps et les mauvaises notes, ils n'avaient même plus peur. Ils étaient découragés.
Le problème de la note c'est aussi qu'on ne lit plus vraiment les appréciations, sauf si on a entre 8 et 11, histoire d'aller négocier quelques points de plus auprès du professeur en fin de cours. Tout le monde le fait. parfois ça marche. On a"gagné" un point. Ca rassure et on a l'impression d'avoir pris le dessus sur celui ou celle qui a le pouvoir.
En terminale, avec le Bac à la fin de l'année - depuis un mois, j'ai entendu mes profs me parler du Bac au moins vingt fois ! Tous les jours ! - je ne pourrais pas me passer de notes chiffrées puisque je vais être notée comme ça au Bac. Et puis ça n'arrête pas. En à peine trente jours, j'ai déja une quinzaine de notes. Et j'ai déja des copains et copines complêtement cassés.
Pour eux ça va être très difficile !"

(Pour des raisons de discrétion, le prénom a été changé)

Préambule : une année pas comme les autres...


L'année scolaire qui s'ouvre n'a pas commencé comme les autres et ne se terminera pas comme les autres...
Chaque année est différente certes. Mais celle-ci plus que toute autre.

Elle a commencé dans l'établissement qui est le mien depuis vingt-huit ou vingt-neuf ans - quand on aime on ne compte pas - par l'accueil de onze élèves Inuits et de leurs trois accompagnateurs/professeurs. J'en reparlerai. Mais cette ouverture au monde qui sera développée par un voyage de quatorze de nos élèves dans le grand nord arctique canadien a permis à tous les collègues d'entamer cette rentrée par une rencontre avec d'autres humains. J'emploie le terme "humain" car, face à ces enfants et adolescents, j'ai partagé la part HUMAINE de notre profession, celle dont on nous dit parfois qu'elle serait secondaire, les savoirs devant passer avant tout, l'instruction devant primer l'éducation. Vieux débat qui me semblait très éloigné des préoccupations de ces enfants-là, privés de ces biens de consommation qui entravent notre jeunesse par leur excessive présence dans les cartables et sur les tables de classe. Privés en effet de presque tout, sans être néanmoins ignorants des soubresauts du monde, nos amis Inuits avaient sur le visage, quasiment en permanence, quelque chose qui manque à nos élèves: le sourire... Jamais je n'avais vu d'enfants aussi heureux d'aller en classe. Oh bien sûr, ce n'était pas "les cours comme chez eux" (pour reprendre l'expression de l'une d'entre eux), mais ajoutait-elle, "il faut être heureux d'apprendre pour apprendre"...

Cette phrase résonnera longtemps à mes oreilles. Il faut être heureux d'apprendre pour apprendre... Oui vraiment, ce fut une rencontre d'humains dans une Humanité qui a tendance à se perdre...

Et puis cette année sera électorale. Je m'interdis bien entendu, sur le site de mon ami Philippe Meirieu, de faire preuve du moindre prosélytisme politique. Je m'amuserai ou me désolerai devant la "comédie des puissants"... Quels qu'ils soient... Sans méchanceté...

Enfin, une fois tous les quinze jours ou trois semaines, selon ses disponibilités, une de mes anciennes élèves aujourd'hui en Terminale, interviendra pour ponctuer l'année des épisodes de son vécu de lycéenne. Par strict souci de discrétion, il ne sera jamais fait mention ni de son établissement, encore moins de ses enseignants.
J'espère apporter aux lecteurs de ce site un moment de "vie réelle" comme l'appelle magnifiquement Jean-Claude Guillebaud, cette "vie réelle" qui nous échappe souvent pour des espaces virtuels anonymes et sans âme...

Une année HUMAINE... C'est ce que je souhaite à tous mes collègues, qu'ils partagent ou pas les convictions ici défendues et proposées.

Merci évidemment à Philippe Meirieu de m'accueillir pour la quatrième année sur son site.