Carl Rogers - 1902 -1987

Bloc-notes de Philippe Meirieu

VOS REACTIONS, COMMENTAIRES ET POINTS DE VUE...

A propos de la "Lettre ouverte à Xavier Darcos, ministre de l'Education nationale" du 27 décembre 2008

Post-scriptum d’Eveline Charmeux

Parodiant le bon La Fontaine, je pourrais m’excuser d’oser ajouter aux mots de l’interprète, tant la rigueur des mots de celui-ci, et la sagesse de l’argumentation rendent impossible l’idée qu’ils ne soient entendus par celui à qui ils s’adressent.

Aussi me permettrai-je seulement d’ajouter deux petits « post-scriptum » (les intégristes diront : « scripta ») à cette lettre de Ph. Meirieu, notamment à ce qui y est dit de l’école primaire.

Le premier concerne la question des « fondamentaux », sur lesquels est recentrée toute la réforme de ce niveau du système éducatif. Comme cela est dit dans la lettre, la question est de savoir ce qui est fondamental, mais aussi en quoi c’est fondamental. Or, s’il est vrai que lire, écrire et parler sont effectivement fondamentaux, il est tout aussi vrai que ce ne sont point des savoirs, mais des outils, qu’il faut apprendre à manipuler. Rien de commun avec l’apprentissage des savoirs théoriques. Contrairement à ceux-ci, ceux-là ne peuvent s’acquérir qu’en situation d’utilisation, ce que Ph. Meirieu rappelle excellemment avec la notion de « communication », totalement oubliée dans les nouveaux programmes.

Apprendre à manipuler des outils, cela exclut tout mécanisme : maîtriser la manipulation d’un outil, qu’il s’agisse du langage ou d’une machine, c’est savoir adapter le geste à la situation et l’apprentissage de cette adaptation est impossible avec une méthode qui reste en dehors de la diversité des situations possibles. Imposer une méthode de lecture ne saurait permettre d’apprendre à lire, et faire parler ou écrire en dehors de toute situation sociale de communication, comme y invitent les programmes, ne peut aboutir à aucune maîtrise de l’un ni de l’autre.

Le second post-scriptum porte — on peut s’en douter ! — sur la formation des enseignants. En total accord avec ce que dit Philippe Meirieu des IUFM, j’ajouterai simplement que,

  • d’une part, une formation initiale est indispensable, réellement professionnalisante, qui ne peut être donnée que par des formateurs, à la fois théoriciens de haut niveau et praticiens effectifs. Il ne s’agit point en effet de juxtaposer stages dans les classes et cours théoriques, mais d’articuler fortement ces deux faces d’une même médaille, en aidant les étudiants à théoriser les pratiques observées et à opérationnaliser dans la classe les théories apprises en cours.
  •  D’autre part, qu’une formation continuée est tout aussi indispensable : notre métier d’enseignant exige que nos pratiques soient constamment remises en question et constamment nourries des travaux de la Recherche fondamentale. Rien de ce que j’ai réussi l’an dernier n’a de chances de réussir sous la même forme cette année : les élèves ne sont pas les mêmes, les événements qu’ils connaissent sont différents et leurs savoirs sont nouveaux.
  • Si bien que pour « sauvegarder l’héritage républicain de l’Education Nationale » et  pour « que nos enfants soient vraiment instruits et formés, démocratiquement, à participer à une société démocratique », il est inutile et dangereux de préconiser des méthodes toutes faites et des manuels imposés, dont il suffirait de lire les modes d’emploi et de tourner leurs pages, comme cela se dégage des directives des programmes. En revanche, ce qui doit être favorisé en priorité, ce sont des outils pour les enseignants, des outils d’aide à la construction de la pratique d’enseignement. Proposer aux collègues, non des méthodes, mais des « discours de la méthode », où ils peuvent apprendre comment un enseignant digne de ce nom  construit sans cesse et reconstruit son travail de classe, sans jamais se contenter paresseusement d’appliquer des consignes officielles ou des exercices tout faits dans les manuels.

 Qu’il s’agisse de règles ou de conseils, le fait de les « appliquer » est un acte de  paresse, et de soumission sans intelligence. Conseils ou règles ne sont jamais à « appliquer ». Ce sont des données à utiliser pour construire son jeu ou sa pratique, en fonction des projets et des situations. Cela s’appelle « être autonome ».

Les réformes actuelles de l’école sont en train de tuer toute autonomie pour l’enseignant, et donc, à long terme, toute autonomie pour les adultes que deviendront nos élèves.

L’autonomie des individus étant une des caractéristiques de la démocratie, il n’est pas possible de défendre de telles réformes, sauf à souhaiter la disparition de celle-ci.

Comme il paraît impensable que ce souhait soit celui de nos gouvernants, ce sont donc ces réformes qu’il faut supprimer, ou plutôt, — car il est bien évident que le système a besoin d’être réformé — les remplacer par celles qui se dégagent des travaux de cinquante années de recherches scientifiques dans tous les domaines qui concernent l’école, réformes que nous réclamons vainement depuis bientôt quarante ans…


Sur la "mastérisation" de la formation des enseignants

Et si leur dessein était bien pire encore que ce que nous vivons actuellement !, par Sophie Dussud

Beaucoup approuvent la mastérisation des futurs professeurs. Un plus haut niveau universitaire de recrutement devrait permettre, sans doute, un meilleur positionnement et une plus forte reconnaissance sociale. Cela ne dit rien du degré d’atteinte des compétences professionnelles à mettre en œuvre pour accomplir, sans trop de risque de laisser les élèves les moins en phase avec l’apprentissage dans le fossé  ou de se détruire psychologiquement.

Ce que je crains, c’est d’assister, quelques mois après la prise de fonction des étudiants devenus professeurs stagiaires sans y avoir été préparés (encore moins que maintenant), à de très nombreuses démissions, à des suicides professionnels (mais aussi à de grosses dépressions et, peut-être même, pire). Il y aura aussi beaucoup plus de violences de la part d’élèves qui ne se sentiront plus suffisamment en sécurité dans une école et une classe tenue par un jeune adulte désemparé, voire angoissé, par les élèves imprévus, autrement que prévus. Les marchands de Ritaline et de Karcher verront leurs ventes exploser…

Que va-t-il se passer ?

Les politiques du gouvernement feront le constat que les universités ne savent pas former les professeurs ! Mais ils expliqueront que ce n'est pas leur mission. Leur mission est de former des étudiants pour qu’ils réussissent brillamment un diplôme (un master 2, dans le cas qui nous préoccupe). Très vite, pour limiter les dégâts, une décision sera prise, d'un "retour à une case d'avant le départ".

Le nouveau plan pour la formation des professeurs sera alors… au mieux :

- Aux universités de diplômer des étudiants au niveau M2, fins connaisseurs des disciplines de leur master (épistémologie de la discipline, connaissance actualisée, …), ayant parfois accompli un bref stage dans une structure d’enseignement ou d’éducation et initiés à la recherche documentaire.

- À l'État de mettre en place une procédure de recrutement de ses professeurs de l'enseignement public laïque et obligatoire (en nombre restreint). Ce sera le boulot des chefs d'établissements public d’enseignement du premier comme du second degré. Ils pourront utiliser les inspecteurs pour les assister.

- À l'État aussi de proposer, dans la foulée du recrutement, un premier stage d'aide à la prise de fonction de deux semaines au mois de juillet puis de deux semaines fin août et début septembre afin de « bien préparer les étudiants à devenir prof » !. Il y aura aussi beaucoup de "compagnonnage" sans que les compagnons sachent ce que l’on attend réellement d’eux. Ce sera simple d’en désigner dans le premier degré avec les PEIMF et les DEA restés sur le pas du portail des universités. Les maîtres des RASED pourront aussi faire l'affaire et les équipes de circonscription aussi. Quant au second degré, ce sera encore bien pire !

Comme j’aimerais me tromper  gravement !

Dans cinq ans, il n'y a plus d'École Publique ! MOBILISONS-NOUS !


Entre l’école des marchands et l’École des pédagogues : quelle École voulons-nous ?

(Bloc-notes du 1er juin 2008)

La réaction d'André Ouzoulias

Merci à Philippe Meirieu pour son texte clair, profond et mobilisateur. Une remarque toutefois : il me semble dommage que ce texte n'évoque pas plus explicitement la fin annoncée des IUFM. En effet, Nicolas Sarkozy croit avoir trouvé là le moyen le plus efficace d'en finir avec la pédagogie (1) et les "pédagogistes" : supprimer la formation pédagogique des maîtres. Cette annonce me paraît éclairer la politique qui est conduite depuis un an. J'aurais envie de dire, en effet, que ce qui se joue dans le champ de l'école témoigne de l'entreprise de contre-révolution générale qui a été vendue aux français sous le terme de "rupture" (2) .
Je m'explique. Le chef de l'État et les forces qui le soutiennent veulent effacer de nos frontons le triptyque "Liberté, Égalité, Fraternité", principes organisateurs auxquels la République associe les deux principes régulateurs d'Éducation (ou de prévention) et de Laïcité. Ils veulent les remplacer par le triptyque "Libre concurrence, Égalité des chances, Charité", auquel les chantres de cette contre-révolution ajoutent les principes régulateurs d'Ordre et de Religiosité :
- Ordre (répression et contention chimique) plutôt que prévention ou éducation, car une telle société produit nécessairement du désordre et une explosion de la petite délinquance (3) qui lui renvoient son exacte image, qu'elle dénie ;
- Religiosité car, selon eux, la société laïque ne doit plus chercher dans la culture ni un sens historique et éthique (l'idée d'un progrès moral et politique ne nous a apporté que la barbarie), ni la source d'une spiritualité : le curé, le pasteur, le rabbin, l'imam, voire le scientologue, ont seuls une intimité avec le sens de l'existence, l'instituteur transmettant des valeurs qui — c'est désolant pour lui mais c'est ainsi — ne sont pas autofondées.
Sur le chemin de cette contre-révolution, le principal rempart idéologique, c'est l'école publique… car celle-ci incarne la résistance d'une société qui fait vivre et transmet encore ces valeurs aux jeunes générations : égalité des esprits dans la raison, dignité humaine, grandeur du citoyen, coopération… La suppression des IUFM permet d'en finir avec ces résistances tout en se donnant une image libérale et moderne (la formation par compagnonnage est celle des professions libérales, l'Université verra son rôle augmenté, les maîtres seront mieux payés…), tout en faisant une colossale économie de postes sans conséquence politique immédiate dans l'électorat et tout en divisant le groupe social des enseignants : comme on ne pourra pas recruter tous les enseignants à BAC + 5 (niveau de l'agrégation !), car le vivier sera très insuffisant, il faudra recourir à des recrutements "par la petite porte" d'une bonne moitié des enseignants, lesquels seront sous-payés et infériorisés. Et qui s'opposera à ce que les formateurs qui assureront le compagnonnage soient recrutés parmi les maîtres qui auront "les meilleurs résultats" dans les évaluations nationales ? D'autres maîtres ? Dans deux ans, l'école que nous connaissons depuis 1882 aura disparu, la contre-révolution ultralibérale aura renversé son principal obstacle.
Je souscris totalement à l'idée qui conclut le texte : "Face à cette logique d’une extrême cohérence, il convient, plus que jamais de travailler à une alternative crédible". La question que je me pose c'est : avec qui et sous quelle forme ? Bien qu'il nous faille aussi tenir ce front de l'école et de la pédagogie, l'échec est certain si nous restons entre pédagogues ou même entre professionnels. Je ne pense pas que nous puissions séparer cette question de celle des services publics (l'égalité des droits), de l'idée de solidarité (la fraternité), de la promotion de la prévention et de la défense de la laïcité, de la renaissance de la démocratie…

(1) Comme si on pouvait en finir avec l'éducation comme problème !

(2) On trouve une présentation pleinement assumée de ce plan dans un article de Denis Kessler, ex n° 2 du MEDEF, publié par le magazine Challenges du 4/10/2007, sous le titre : "ADIEU 1945, RACCROCHONS NOTRE PAYS AU MONDE !" En voici le texte :
"Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s’y emploie.
Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d’importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme…
A y regarder de plus près, on constate qu’il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !
A l’époque se forge un pacte politique entre les gaullistes et les communistes. Ce programme est un compromis qui a permis aux premiers que la France ne devienne pas une démocratie populaire, et aux seconds d’obtenir des avancées - toujours qualifiées d’«historiques» - et de cristalliser dans des codes ou des statuts des positions politiques acquises.
Ce compromis, forgé à une période très chaude et particulière de notre histoire contemporaine (où les chars russes étaient à deux étapes du Tour de France, comme aurait dit le Général), se traduit par la création des caisses de Sécurité sociale, le statut de la fonction publique, l’importance du secteur public productif et la consécration des grandes entreprises françaises qui viennent d’être nationalisées, le conventionnement du marché du travail, la représentativité syndicale, les régimes complémentaires de retraite, etc.
Cette «architecture» singulière a tenu tant bien que mal pendant plus d’un demi-siècle. Elle a même été renforcée en 1981, à contresens de l’histoire, par le programme commun. Pourtant, elle est à l’évidence complètement dépassée, inefficace, datée. Elle ne permet plus à notre pays de s’adapter aux nouvelles exigences économiques, sociales, internationales. Elle se traduit par un décrochage de notre nation par rapport à pratiquement tous ses partenaires.
Le problème de notre pays est qu’il sanctifie ses institutions, qu’il leur donne une vocation éternelle, qu’il les « tabouise » en quelque sorte. Si bien que lorsqu’elles existent, quiconque essaie de les réformer apparaît comme animé d’une intention diabolique. Et nombreux sont ceux qui s’érigent en gardien des temples sacrés, qui en tirent leur légitimité et leur position économique, sociale et politique. Et ceux qui s’attaquent à ces institutions d’après guerre apparaissent sacrilèges.
Il aura fallu attendre la chute du mur de Berlin, la quasi-disparition du parti communiste, la relégation de la CGT dans quelques places fortes, l’essoufflement asthmatique du Parti socialiste comme conditions nécessaires pour que l’on puisse envisager l’aggiornamento qui s’annonce.
Mais cela ne suffisait pas. Il fallait aussi que le débat interne au sein du monde gaulliste soit tranché, et que ceux qui croyaient pouvoir continuer à rafistoler sans cesse un modèle usé, devenu inadapté, laissent place à une nouvelle génération d’entrepreneurs politiques et sociaux. Désavouer les pères fondateurs n’est pas un problème qu’en psychanalyse."


(3) On ne parle jamais de la grande délinquance "légale". Dans l'affaire Kirviel, j'ai toujours été étonné par la façon dont les médias ont réagi : ils se sont seulement demandés si oui on non J. Kirviel avait commis des fautes ou était un fraudeur, s'il avait des complices, quelle était sa personnalité, etc. Mais le vrai scandale n'est-il pas qu'un courtier d'une des 5 ou 6 plus grandes banques françaises puisse jouer, en toute légalité, en trois mois, le presque équivalent du budget de l'éducation nationale (= 58 milliards d'euros) sur les marchés boursiers européens ? Combien de milliards d'euros la Société Générale peut-elle mobiliser ainsi chaque trimestre, à travers les opérations de l'ensemble de ses courtiers, dans la spéculation boursière ou monétaire ? Et combien les autres banques ? Et pour quels effets : empêchent-ils ou favorisent-ils le saccage de la Terre, le licenciement de milliers de salariés, la précarisation des milliers d'autres, le dumping social, la course au moins d'impôts, l'appauvrissement des États, la casse des services publics, l'explosion des prix du foncier et de l'immobilier qui met à la rue des milliers de sans logis (explosion alimentée par le retrait de l'État du logement social et la subvention massive à l'accession à la propriété, ouvrant ainsi aux banques l'énorme marché du crédit immobilier)…
Il faudrait pouvoir affirmer, sans avoir à s'excuser de dire la même chose que Besancenot ou le PCF, que le problème n'est pas la mauvaise gestion de la Société Générale et le remplacement de Daniel Bouton, son PDG, mais la gestion normale, légale et quotidienne de la finance privée et son remplacement par un autre système.

La réaction de Dominique Sénore

A la question posée, je réponds sans ambigüité aucune que c'est l’École des pédagogues que je veux voir se développer, en ce 21ème siècle débutant !
Je rencontre des pédagogues dans les écoles, soit au cours des visites effectuées auprès des stagiaires de l'IUFM dans lequel je travaille. Il s'agit là de pédagogues en devenir qui, pour enseigner en pédagogues, cherchent des solutions aux problème professionnels qu'ils rencontrent, avec les élèves qui leur sont confiés, le temps d'un stage en responsabilité. Ils me disent souvent, au cours des entretiens qui préparent les visites et ensuite au cours de ceux qui leur succèdent, la difficulté qu'ils ont à faire admettre, parfois, leur point de vue, au titulaire de la classe. Rien n'est suffisamment mis en place pour que ces deux là, le stagiaire et le titulaire, puissent vraiment travailler et bâtir ensemble un projet pédagogique en commun. Et le remplacé dit souvent son inquiétude de devoir laisser "sa " classe à un débutant (un peu comme s'il craignait d'être jugé, lui qui ne se considère ni comme compagnon ni comme formateur). J'en rencontre aussi quelques uns, ceux qui osent participer au prix de l'innovation éducative par exemple - La ligue de l'enseignement -, et proposer ainsi à un jury leur pratique dont ils pensent qu'elle défend "une École qui promeuve l’inventivité pédagogique au service de tous les élèves. Une École qui promette à ceux qui s’y investisse, quelles que soient leurs origines, des satisfactions intellectuelles de haut niveau. Une École ambitieuse. Une École pour la République et la démocratie". Ces derniers ne sont pas nombreux, pas aussi nombreux, en tous les cas que le juré que je suis espère. Je ne sais pas pourquoi les professeurs qui œuvrent pour que chacun de leurs élèves atteigne son pôle d'excellence sont si timides et réticents à montrer ce qu'ils font. Ce que je sais, en revanche, c'est qu'il n'existe aucune instance de valorisation des pratiques pédagogiques des enseignants. les inspectrices et les inspecteurs ne le font pas ou alors très rarement et quand l'un de leur rapport reconnait la valeur d'une pratique, la lecture de celui-ci n'est généralement pas partagée...
Le site de Philippe Meirieu participe heureusement à la diffusion des idées et des pratiques de ces pédagogues, qu'ils soient en devenir ou expérimentés. Sans doute serait il nécessaire de les inciter davantage encore à envoyer des témoignages et descriptions d'actions pédagogiques ayant bien fonctionné pour que, de cette mutualisation, chacune et chacun puisse faire son miel, et lutter effacement contre l'école des marchands.

Dominique Sénore
pédagogue, formateur
IUFM/Université Claude Bernard Lyon 1


A propos du rapport Attali : "Attali le nouvel Attila?", par Ostiane Mathon, enseignante en école primaire depuis 17 ans en France et à l’étranger, auteur d’un texte à paraître Votre enfant c’est mon élève …et réciproquement, actuellement en exercice en classe de CM1dans le XVIIIè arrondissement de Paris.

Pour accéder au blog d'Ostiane Mathon : BLEU PRIMAIRE

Au sujet du rapport Attali  ou comment transformer l’école en une plate-forme économico-financière pour relancer la croissance de la nation, fabriquer des élèves-rouages au service de l’économie de marché et former des enseignants-Frankenstein aux commandes d’une super structure hyper robotisée. Et l’éducation dans tout cela ? Pardon de poser cette question, je dois être hors sujet ou complètement has been

Un catalogue de « yaka » bien formulés par une troupe d’experts et voilà le petit monde politique en ébullition. La solution Attali vient de paraître. Tous à vos postes et au garde à vous. Pas de questions, juste des réponses. Il est vrai, les questions, ça dérangent ; elles invitent à la réflexion ; et la société a besoin d’immédiateté. Tellement plus  tranquillisant. L’instantané anabolisant, les 365 remèdes pour guérir la France, c'est-à-dire le monde, que dis-je la planète ; c’est simple, un par jour pendant un an, fallait y penser. Vivement 2009 !

Non, monsieur Attali, je ne veux pas du meilleur des mondes, je veux juste un monde meilleur.  Pour moi, l’école primaire doit en être le reflet. Là, plus que partout ailleurs, l’enfant doit être préservé de nos rivalités d’adultes, de nos peurs de consommateurs frustrés, de nos angoisses de parents licenciés, de nos égo surdimensionnés assoiffés de pouvoir . Là, plus que partout ailleurs, l’ouverture, l’entraide, l’accès à la culture, l’accueil de la différence, le droit au temps d’apprendre doivent être les moteurs essentiels de nos comportements et de nos attitudes.

Former des citoyens capables de dire non, cela vous fait-il peur à ce point ?

Le parcours d’un élève de nos jours ressemble déjà davantage à la course au meilleur CV qu’à l’élaboration progressive de sa construction humaine. Mais cela ne vous suffit toujours pas. La société va de plus en plus mal nous dit-on, alors fabriquons les prototypes humanoïdes de demain capables de résoudre les maux dont nous souffrons. Et ce, dès la maternelle. Les esprits sont tellement plus malléables lorsqu’ils sortent du ventre de leur mère. Surtout, ne perdons pas de temps, le temps, c’est de l’argent !

L’école donc, comme laboratoire pour la mise en service de nos « futurs enfants sauveurs du monde malade ». Première étape : le formatage de l’élève objet.  Il saura lire les rapports annuels des grandes entreprises, calculer les algorithmes boursiers et traduire en dix langues les ondes martiennes venues de Jupiter via des sondes super soniques. La science de demain, si si, il faut anticiper !

En réalité, Messieurs les experts, votre rapport est la preuve vivante de la grande difficulté de notre société à trouver une cohésion philosophique qui l’emporterait sur les crises économiques. Ces dernières ont  entraîné sans nul doute le retour de la précarité et l’émergence de la défiance vis-à-vis des institutions. La première d’entre elle, l’école est le premier lieu de cette rupture sociologique. Chacun voudrait y réaliser ses rêves, chacun y place ses attentes propres. Mais tous ces « chacun » ne parviennent plus à s’unifier autour de valeurs communes, capables de fédérer les différences. Alors en guise de valeurs, on statue sur des objectifs, on cible des résultats.

L’individu, pour l’autre individu est devenu sinon une menace, au moins un adversaire. La notion d’effort s’est transformée en idée de compétitivité, celle de mérite, en efficacité et enfin la réussite scolaire puis financière incarnent désormais la récompense extrême, le but  final, l’objectif suprême. Et par-dessus tout le reste, nous demandons à nos enfants de protéger nos acquis d’adultes, de prendre la revanche sur les terrains que nous n’avons pas su ou pu exploiter nous-mêmes. Et nous  implorons, nous exhortons, nous supplions l’école d’en être la première marche. Nous l’idolâtrons si elle y parvient, et blasphémons si elle échoue.

Mais la gloire n’attend nos élèves à la sortie d’aucune de nos écoles. Ils auront toute une vie, leur vie, pour y parvenir. Il n’est pas question ici de l’éloge de la paresse,  juste de replacer le mérite et la réussite à un niveau moralement accessible et de détourner la valeur du travail de la seule valeur chiffrée, calculée sur un potentiel salaire à venir, induit par tel cursus scolaire. Nous ne sommes qu’en primaire ! Nos enfants n’ont qu’entre deux et dix ans ! Laissons-les construire leurs rêves !

Et puis, redescendez sur terre et venez voir un peu ce que nous faisons en classe. Lorsqu’en maternelle, Céléna joue à la marchande, c’est de l’économie! Lorsqu’en mathématiques les élèves de CE1 calculent les recettes de la vente de gâteaux pour leur sortie de fin d’année, c’est de l’économie ! Lorsqu’en histoire, les enfants de CM1 apprennent que nos ancêtres les Gaulois ont commencé le commerce avec les pays voisins, c’est de l’économie! Lorsqu’en éducation civique, les parents des CM2 viennent présenter leurs métiers, c’est de l’économie! Oui, tout cela se fait déjà depuis de longues années. Je vous invite à le constater vous-même. L’école primaire n’est pas si déconnectée de la réalité que vous semblez le croire ! Que voulez-vous donc de plus ? Former (et rémunérer) des enseignants super savants qui enseigneraient en plus de tout le reste, les notions de commerce extérieur, d’économie parallèle , ou de réglementation des fraudes en entreprise ?  Comment gagner cinq milliards en travaillant moins ? Perspective alléchante !

Allons, Monsieur Attali, je vous ai connu mieux avisé. Ne transformons pas l’existence de nos enfants en un affrontement qui désignera un vainqueur et un perdant. L’existence le leur rappellera bien assez tôt. Ne cautionnons pas cette idée d’une école assimilée à un secteur économique dont la fonction première serait de produire des stéréotypes prêts à poser, prêts à gagner, prêts à jeter

Et la réussite, parlons-en, quelle réussite ? Celle que nous calculons en nombre d’actions ? Celle de nos  fantasmes d’adultes que nous projetons sur un avenir qui nous échappe et dont nous nous délestons sur nos enfants ? Alors pour nous rassurer ou peut-être pour nous permettre de perdurer socialement encore un peu au travers de leurs brillants itinéraires, nous les interrogeons, les sondons tels des inquisiteurs. « Quel sera ton lendemain ? Il faut travailler dur pour gagner son pain. On n’a rien sans rien. Cette année est décisive si tu veux rentrer dans une bonne école. Pense à ton dossier. Pense à l’avenir. Pense, pense, pense. Dossier, dossier, dossier, avenir, avenir, avenir….» Est-ce une litanie anesthésiante, une prophétie paralysante, une injonction débilitante ?

La compétition demeure, à mes yeux un artifice pédagogique, certes efficace, utile et nécessaire dans certains cas, mais qui ne doit jamais se transformer en une fin en soi. Elle conduit à une image iconoclaste du monde scolaire qui n’est ni saine, ni réelle, ni digne. L’éducation est le fruit d’une longue quête. Elle s’acquiert dans la durée, la patience. Elle se construit dans l’exigence et la bienveillance. En la matière, messieurs les experts, il n’existe aucune formule magique capable de transformer les élèves en super héros comme on fabriquerait un objet sur mesure. Et c’est tant mieux !  

De grâce, laissons à l’enfant le temps de vivre, de rêver, de grandir. Laissons au temps la possibilité de construire les savoirs de l’élève. Laissons à l’enseignant en primaire une chance de les initier durablement aux principes fondamentaux. Laissons au collège et au lycée la découverte de nouveaux horizons, de nouvelles perspectives. Laissons aux parents l’espoir de participer eux-mêmes à l’instruction de leurs enfants.

A chaque âge ses délices. L’école maternelle et élémentaire ne peut et ne doit tout faire. Elle n’est qu’une étape vers la connaissance, ne brûlons pas les suivantes, ne sautons pas les marches ! Qui veut voyager loin ménage sa monture


A propos de la suppression de l'école le samedi matin et de l'article de Sylvain Grandserre du 19 janvier sur le FORUM, la réaction de Laurent Carle : "A l’école du supermarché!"

Bravo ! Ce papier vient judicieusement compléter celui de Hubert Montagner.

Je parierais que, malheureusement, 80% des parents et des enseignants apprécieront ce "cadeau" (empoisonné) et approuveront ce raccourcissement de la semaine scolaire.

Moins d'état, moins de service public, moins d'école, moins d'éducatif, plus de pub et de télé anesthésiante, plus de show-biz, plus de temps à déambuler dans les allées d'hypermarché, les yeux exorbités, la gueule ouverte, le ventre avide de "nouveau" et de "promo", les oreilles emplies de cette "musique" qui fait penser avec ses pieds, n'est-ce pas la situation rêvée pour les politiciens qui aiment le pouvoir et veulent y rester... et pour le "commerce" ? D'accord, l'école publique actuelle est plutôt réactionnaire, moins institution de formation pour tous que centre de sélection et de promotion individuelle des enfants de profs et de cadres et séminaire de formation des enseignants à l’ancienne. Comme les réactionnaires la trouvent encore trop " populaire " ils en " dénoncent les dérives pédagogiques ". " Si on écoutait les pédagogues, elle ne serait plus le lieu de sélection de l’élite, non par la faute à Voltaire, le révolutionnaire, mais par la faute à Rousseau le pédago. " On aimerait que l’école républicaine, pour se rapprocher des idéaux révolutionnaires de 1789, soit plus sociale, plus égalitaire, plus fraternelle. Trop sélective pour être aussi pédagogique, donc peu éducative, peu émancipatrice, elle reste pourtant le seul lieu qui pourrait le devenir.

La "grande surface", associée à la télépublicité, est et sera toujours un lieu d'aliénation. Plus souvent les enfants et leurs familles seront les proies des tentateurs de la consommation à tout prix, moins souvent enfants et adultes penseront politiquement. Du temps de Hugo l'éteignoir était le service religieux dominical, aujourd'hui il est cathodique quotidien. Saint Théeffun, priez pour nous ! Une autre façon de privatiser partiellement le service d'éducation par privation en douce et en douceur, sans provoquer les manifs de profs ! C'est indolore. Il faut bien que l'école se "modernise" ! La société du tout économique a besoin d’enfants consommateurs, non d’enfants citoyens. Quoi de plus formateur à la consommation que l’école du supermarché ?

Avant la lutte finale, c'est la manipulation originelle. Victor, reviens !


"Attention au danger de s'endormir au volant, surtout dans le brouillard", réaction de Sylvain Grandserre au bloc-notes du 1er septembre

L'analyse proposée par Philippe Meirieu doit servir de feu anti-brouillard pour traverser, à défaut de la dissiper, la purée de pois dans laquelle s'effectue cette rentrée scolaire. D'autant que ces cinq points correspondent à des réalités facilement observables sur lesquelles on peut revenir.

1/ Il est absolument stupéfiant d'entendre X. Darcos dire qu'avec 11 000 postes en moins, il y aura la même qualité d'enseignement. Ou alors, c’est l’aveu d’une incompétence dans la gestion des ressources humaines. Imagine-t-on un entraîneur de football affirmer que pour lui jouer à 10 ne pose aucun problème ? Cette déclaration déstabilisatrice sape terriblement la légitimité des professeurs tant il est insultant pour eux de s'entendre dire la veille de la rentrée quelque chose comme : "Avec ou sans vous, c'est pareil !". A 88 %, les Français sont pourtant satisfaits de leur école, au grand désespoir de certains ! Même avec des moyens à la hauteur de nos nouvelles exigences, tous les problèmes ne seraient pas réglés. Mais sans ce minimum, d'autres difficultés s'annoncent. Rappelons-le : l’état supprime un poste d'enseignant tous les deux élèves en moins (secondaire) mais ne crée qu'un poste supplémentaire pour cinquante élèves de plus (primaire) ! Les recrutements sur liste complémentaire continuent, les réseaux d’aide aux enfants en difficulté (RASED) sont généralement incomplets, on manque de place d’accueil pour des enfants relevant de CLIS (classe d’intégration scolaire), ici et là on trouve des classes où les effectifs dépassent les trente élèves, mais à part ça, nous serions « surdotés »… A l'heure où sont recommandées des formes de travail plus souples, adaptées, individualisées en même temps qu'est mis à jour le rôle crucial de l'école  maternelle (rapport du HCE), est-il encore acceptable d'entasser par trente des enfants de 3 à 5 ans ?

 2/ Notre système adopte, plus ou moins consciemment, le modèle de l'établissement privé sous contrat dont Philippe Meirieu recense quelques particularités perceptibles. Mais étrangement, il semble plus difficile de mettre en évidence celles de l'institution publique. C'est peut-être ça aussi notre faiblesse, d'être si peu lisibles notamment dans la symbolique. Pourtant le service public d'éducation ne démérite pas, lui qui scolarise l'immense majorité des enfants modestes, étrangers non-francophones ou souffrant de handicaps. Lui qui se maintient dans des quartiers où, dit-on, la police n'entre plus. Mais indiscutablement, il y a une perte d’identité qui doit nous interroger.

3/ S'agissant des structures scolaires, on sait le malentendu qui peut exister autour du terme d'autonomie. Cela se traduit parfois, pour une institution comme pour un enfant, par des formes d'abandon... Ainsi, la fin de la carte scolaire est-elle un vrai changement de responsabilité. Dans l'idéal précédent, l'État avait la responsabilité (pas toujours assumée) d'assurer l'équité sur tout le territoire en offrant des établissements a priori de même qualité. Aujourd'hui, c'est aux parents de trouver ce qu'il y aurait de mieux pour leurs enfants, avec comme sous-entendu qu'il y aurait des établissements à éviter quand d'autres seraient implicitement recommandés. C'est une vraie rupture du contrat républicain puisqu'elle introduit une forme radicale de marchandisation, les projets pédagogiques ayant même pour rôle d'après le ministre, de stimuler cette mise en concurrence.

4/ A supposer que l'on soit entre gens honnêtes et sincères, la fracture décrite entre pédagogues et anti-pédagogues semble aussi subtile qu'exacte. Cette logique du préalable, qui ne s'arrête jamais et repousse toujours à plus tard l’entrée dans le vrai, est effectivement distincte de celle des simultanéités qui prend le risque de la complexité. Etrangement, c’est toujours au nom de l’aide aux enfants en difficulté que l'on rejette l'un ou l'autre de ces dispositifs. Dans la logique des préalables, il faut que l'enfant ait intégré intimement le projet d'être élève pour supporter une telle aridité. Mais cette intention, tout comme l'appétit de connaissance, se construit souvent différemment selon les milieux d'origine. Pour autant, en finalisant davantage le travail, la logique des simultanéités est accusée d'embrouiller les élèves en n'employant pas systématiquement des progressions allant du plus simple (pour qui ?) au plus complexe (pour quand ?). Bref, les deux démarches sont révélatrices de nos conceptions du savoir, de l'apprentissage et des élèves. D'ailleurs, si elle n'était que technique, jamais cette querelle n'aurait été si violente. "Préalabilistes" contre "simultanéistes", ça nous change !

5/ L'analyse de l'alternative entre contention et éducation est un signal d'alarme. Le pire n'est jamais sûr... mais il est toujours possible. On l'a déjà dit : en matière de sécurité, on n'a jamais fait mieux que l'éducation ! Mais plus que jamais nous sommes à l'heure des choix. Et l'on sait que la neutralité aussi en est un, souvent regrettable. Quand on annonce la fin du collège unique sans que cela provoque davantage de vagues, c’est vraiment que le débat des idées et des principes est à marée basse, à la grande joie de tous les marchands de sable, rois de l’hypnose cathodique. Et l’on sait le danger de s’endormir au volant de nos responsabilités, surtout dans le brouillard.


Mettre en place un faisceau de mesures et de stratégies pour faire face aux empilements d'insécurités affectives, réaction d'Hubert Montagner au bloc-notes du 1er septembre

Je partage complètement ton analyse sur les cinq niveaux de problèmes au sujet de la rentrée scolaire. Cependant, je regrette que tu n’aies pas développé davantage le cinquième point “La manière de faire face aux problèmes que nous rencontrons”. Comme j’ai essayé de le montrer dans mon dernier livre “L’arbre enfant” à travers le développement des jeunes enfants, l’excitation et la turbulence comportementale (souvent qualifiées “d’hyperactivité”), les actes et conduites d’agression, la violence, les conduites autocentrées, d’évitement et de fuite, les comportements “étranges”, de même que le manque d’attention et de concentration, sont étroitement liés à l’empilement des insécurités affectives, c’est-à-dire au sentiment renforcé au fil du temps d’être abandonné, délaissé, et finalement en danger. Les “sources” sont multiples (la vie intérieure de chaque enfant nourrie par son développement, son vécu et son imaginaire, les parents et la famille, le groupe de pairs, l’école et l’environnement social). Tant qu’on n’aura pas abordé clairement cette question majeure, et tant qu’on n’aura pas imaginé un faisceau de mesures et de stratégies pour faire face aux empilements d’insécurité affective, l’école restera avec ses problèmes et risque même de se dégrader, surtout au détriment des élèves en difficulté. C’est pourquoi, j’ai proposé pour la petite enfance des “Maisons de la petite enfance” dans lesquelles on puisse agir à la fois
- sur la vie intérieure et le développement de chaque enfant dans la liberté, l’autonomie progressive, l’alliance du corps, du geste, de la relation sociale et de la pensée dans toutes les dimensions de l’espace ;
- sur les parents et la famille (sans les inquiéter et les culpabiliser, mais en les responsabilisant) ;
- sur les interactions avec les pairs ;
- sur l’organisation et le fonctionnement des structures d’accueil et d’éducation ;
- sur l’écosystème (l’environnement écologique et social).
Les problèmes sont similaires ou analogues pour les enfants plus âgés, en particulier à l’école, au collège et au lycée, même si, bien évidemment, les niveaux de complexité sont très différents : les enfants élèves ne peuvent libérer leurs processus cognitifs et leurs ressources intellectuelles pour comprendre et apprendre que s’ils parviennent peu ou prou à s’installer dans la sécurité affective, en tout cas à relativiser et dépasser l’insécurité affective et les peurs qui les minent. Pour cela, il est nécessaire que les établissements scolaires se penchent sur les processus et phénomènes qui génèrent et entretiennent l’insécurité affective et les peurs, c’est-à-dire :
- mettre en oeuvre des stratégies d’accueil apaisantes et rassurantes pour les enfants et leur famille ;
- créer les conditions pour que les enfants “insécures” puissent nouer des relations accordées et au moins un attachement “sécure” au sein de l’établissement ;
- modifier l’organisation de la journée pour mieux respecter “le rythme de développement”, les rythmes biopsychologiques dont dépendent la vigilance, l’attention, la fatigue ... et les “rythmes d’apprentissage”. Il me paraît incompréhensible qu’on ne se rende pas compte ou qu’on ne puisse admettre que beaucoup d’enfants sont fatigués, voire épuisés, et ainsi non motivés ou démotivés, en “désamour” pour l’école ... parce que leur rythme veille-sommeil est perturbé et la durée de leur sommeil insuffisante, parce que la journée scolaire est trop longue (en FRANCE, elle est la plus longue du monde : six heures de temps contraint à l’école primaire), parce que, au cours de la journée, leurs plages de non vigilance (de décrochage part rapport au message pédagogique et plus généralement par rapport à l’environnement) et de vigilance (nécessaire à la mobilisation de l’attention, à la concentration, à la réceptivité et à la disponibilité) ne sont pas respectées, etc.
- nouer des alliances entre le corps, le geste, la relation sociale et la pensée dans des espaces à trois dimensions et des environnements qui permettent aux élèves de se réaliser dans toutes leurs dimensions d’enfant ou d’adolescent (que fait-on pour améliorer la cour d’école, les lieux placés sous la responsablité des élèves, les lieux récréatifs, les lieux de culture choisie, les lieux d’exploration de l’espace et de sports, etc. ?).
Ce sont les enfants en difficulté scolaire qui cumulent l’insécurité affective et les peurs, la non vigilance, les faibles capacités d’attention, de concentration et de réceptivité, la non disponibilité et la fatigue. Il est illusoire de penser que le soutien organisé après le temps scolaire à 17h.00-18h.00 puisse être efficace quelles que soient les compétences et les qualités humaines des personnes qui essayent d’aider les enfants à se réaliser comme élèves. La plupart des enfants en grande difficulté sont alors trop insécurisés, fatigués et démotivés pour pouvoir capter et traiter les messages, explications, exercices ... qui leur sont proposés (imposés!).
Plus généralement, il faut mettre à plat les différents freins et obstacles qui empêchent les enfants et les adolescents de comprendre et d’apprendre.


Replacer les valeurs républicaines sous le contrôle de la nation, réaction de Jean-François Laurent au bloc-notes du 1er septembre

"L'état se désengage"

Je souhaiterais qu'il s'engage autrement. Son engagement actuel ainsi que celui de ses prédécesseurs ne me convient pas. Les réponses actuelles sont trop simplistes. Il me semble qu'une rupture de fond est nécessaire pour un autre engagement sur les valeurs républicaines notamment. On ne peut pas conserver ce système centralisateur à outrance. La question est de conserver une unité, une justice, une justesse sans épouser la lourdeur de fonctionnement qui tue toute initiative du terrain.

"Le modèle du privé"

D'accord pour le dérapage vers un passéisme dangereux ainsi qu'une politique d'un verni "catho" détestable : sélection plus grande, retour de la transmission d'une religiosité, affichage d'une pseudo ouverture vers les plus friables… alors que les cadres et structures, sur le diocèse de Lyon que je connais l'illustrent : Fin d'un directeur diocésain adjoint chargé du premier degré, reste une adjoint à la pastorale, (significatif) recrutement de cadres "tendance traditionalisme" dans la lignée de Benoît XVI, de l'archevêque de Lyon qui sous des airs d'ouverture et de modernisme est très traditionnel dans ses pensées. Il a beau courir le marathon, il met une main de fer sur l'enseignement catholique. Pour illustrer, en début d'année et de réunion de tous les chefs d'établissements depuis deux ans, une prière est proposée et reprise par l'ensemble des participants…. Je vous joins une lettre que j'avais envoyée à "La Vie"…. Et qui a été censurée pour ne retrouver qu'un paragraphe dans le courrier des lecteurs.

Ces dernières années, la tendance était à ce que le privé épouse les contraintes et lourdeurs du public sur demande insistante de l'académie et non une réflexion commune pour un service meilleur.

Il s'agit bien de replacer les valeurs républicaines en priorité sous contrôle de la Nation.

Il faudrait un mixte : responsabilisation plus grande des chefs d'établissement, place du projet, liberté d'embauche y compris des profs qui viendraient en fonction d'un projet et non de X ou Y priorités ou passe droit, intégration des tous les établissements dans un système qui favorise la mixité sociale. Comment faire ? Je ne sais pas.

Quand j'étais directeur, je "crevais" de ne pas pouvoir engager les enseignants qui partageaient les mêmes valeurs sur l'éducation. J'aime votre idée d'un cahier des charges républicain, public et privé compris.

Au-delà de tout ce que vous avez développé et auquel j'adhère, la rupture entre pédagogues et anti-pédagogues se situe aussi sur la place de l'enfant dans la Vie. Sont-ils des moitiés d'Hommes qu'il faut donc "remplir" et façonner à l'identique du façonneur ou des Hommes en devenir qu'on accompagne pour qu'ils créent eux-mêmes leur propre évolution ?

J'aime l'idée de la contention face à l'éducation.


Maturation ou décomposition ? réaction de Bertrand Gaufryau au bloc-notes du 1er septembre

L’analyse proposée par Philippe Meirieu semble judicieuse à plus d’un titre. Les cinq têtes de chapitres qu’il nous propose afin de s’interroger sur cette nouvelle rentrée visent à un questionnement par le haut concernant, outre les questions d’éducation, le projet de société vers lequel nous nous dirigeons, tel que proposé par le Président de la République. La tension sociale, qu’illustre parfaitement la réaction de Gérard Aschiéri (FSU), mais aussi d’associations de parents d’élèves concerne les annonces pour la rentrée….2008 ! La suppression ou plutôt le non renouvellement de plus de 11.000 postes d’enseignants peut se regarder sous deux angles différents : comme l’indique Xavier Darcos, cela ne se traduirait globalement que par une réduction de 0,6% des effectifs, soit selon l’exemple du Ministre, de 100 à 99 personnes assurant un service devant les élèves. Et c’est avec ce type de démarche caricaturale que l’on passe d’une démarche politique à une annonce populiste ! Qui peut-être contre ce type « d’optimisation » des moyens ? Comment ne pourrait-on faire fonctionner une structure d’une taille de 100 personnes avec 99 ? A ceci près que nous parlons de l’école et que travailler avec des classes de CAP de 16 ou 20 élèves n’est pas identique. L’accompagnement des élèves nécessite du temps, de l’accompagnement, des dédoublements, une offre éducative diversifiée…Alors nous sommes entrain de passer d’une logique d’obligation de moyens à celle de résultats ! Mais comment exiger des résultats avec des moyens rogné au fil du temps ? Le Ministre nous parle alors de liberté pédagogique, qu’il substitue à la notion de moyen ! Mais quelle liberté pédagogique avec moins de moyens chaque année ? Les tensions sociales seront d’autant plus importantes dans les mois à venir que l’on aura substitué une démarche populiste à un vrai débat  sur l’école, celle que nous souhaitons ! Va-t-on vers un nouveau modèle, calqué sur celui de l’enseignement privé sous contrat ? Là encore, les caricatures font reculer le débat au lieu de l’enrichir. L’enseignement public offre des expériences remarquables et présente des réussites qui peuvent rendre fier chacun des efforts des personnels, des résultats des jeunes et d’un système que d’autres pays nous envient. Il en est de même pour les établissements privés sous contrat où mixité sociale, résultats et innovations pédagogiques constituent les moteurs de projets d’établissements de qualité…L’en jeu est trop important pour laisser les choses se faire, en catimini, sans débat. Car de débat, point ! Le temps médiatique l’emportant sur le temps de la réflexion et des choix constitue une victoire de la « médiocratie » sur la démocratie. Car chacun des deux modèles a sa propre culture et on ne peut changer notre modèle par décret. Qu’en est-il alors du pilotage du système ? Autonomie ne signifie pas laisser-faire ! La mise en place d’un pilotage national par cahier des charges fondant des objectifs déclinés au niveau régional permettrait d’allier déconcentration et décentralisation, de manière harmonieuse et permettant la création de plates-formes de compétences, de mutualisation des moyens. La véritable autonomie pourrait ainsi trouver une voie originale, sans remettre en cause les fondamentaux de notre modèle républicain. Enfin, demeure sans fin le débat sur le cœur de nos métiers, à savoir la pédagogie. Transmission des savoirs, effort, regard porté sur le jeune accueilli sont autant de thèmes qui nous renvoient à des représentations sur l’école que nous portons et le regard sur la personne. Mais c’est avant tout le choix de l’éducation pour faire face à la société de marché qui nous envahit davantage chaque jour tous les espaces qui se présentent à elle. Choisir le temps et sa maîtrise plutôt que l’immédiateté, la culture plutôt que la peopolisation. Mais c’est aussi ce qu’il y a de plus délicat aujourd’hui : une société qui vit le « happy slapping » comme élément constitutif de ce que nous nommons « modernité », qui combat contre la violence seulement par des moyens de coercition, est-elle dans un processus de maturation ou de décomposition ? Seul un juste équilibre peut nous permettre de vivre cette rentrée par le haut.


Le tiers exclu : entre sirènes et surveillants, par Laurent Carle

Réactions aux textes de Philippe Meirieu : Contre le « management », refaire de la politique : la contention ou l’éducation ? et de Sylvain Grandserre : Faire la paix, avoir la loi

Il semble que pour se draper de vertu le nouveau pouvoir n'a pas besoin de marier l'autoritarisme moral au libéralisme économique. L'hypocrisie morale est candidate au mariage sous le voile blanc de la démagogie. En France les lois sont faites pour les autres ! Sur la route pour les conducteurs qui roulent devant moi, dans le quartier pour mes voisins, en classe pour mes élèves ! A la Chambre ou au café, la réflexion politique sur l'école pose comme définitivement résolus la question éducative et le statut de l'écolier. Le débat, d'où le sort de l'écolier est systématiquement exclu, se tient entre le pouvoir, les organisations de parents et les corporations d'enseignants. Il concerne les contenus et le financement. Pour l’efficacité du système, la balle est lancée dans le camp de ceux, les autres, qui ne se pressent pas de faire ce qu’ils devraient : exiger sans mollir que les élèves soient plus « studieux ». Selon leur idéologie d'appartenance, les extrémistes envisagent soit de nouvelles révolutions de pavés, soit un nouveau tour de vis dans l'ordre moral. Par les deux bords, le travailleur de l'enseignement est doté d'une élévation d'esprit qui le tient à respectable distance des contingences triviales quotidiennes.

Pourtant, ayant observé que l'adulte contemporain (l'enseignant syndiqué en est) est, plus que l'écolier, consommateur boulimique de satisfactions factices proposées pas la pub, la bagnole et le gadget électronique, je me trouve entraîné à affranchir mon propos. En effet, vu sous l’angle « komsomologique », l'enseignant ne reste pas sur la touche dans le domaine de la consommation individuelle de masse. Le système économique a besoin de millions d'individus achetant le même produit chacun pour soi, le consommant chacun chez soi dans son pavillon à crédit. Ni les écoliers, ni les enseignants n'y échappent (1).L'enfant d'aujourd'hui grandit parmi ces "modèles" et s'y identifie, hélas ! En famille, dans la rue et dans les centres commerciaux, la carte privilège Auchan qui permet de "tout acheter", en classe le discours moral et hypocrite qui exalte le travail laborieux, douloureux même (un bon apprentissage "doit" faire souffrir), l'effort, l'ascèse ! Là dehors la facilité, ici dedans pour la centième fois sur ses devoirs il lui est recommandé de remettre l'ouvrage. Les conseils de classe et d'école retentissent à perpétuité de ces exhortations au "travail". Si la faiblesse enfantine et infantile est exposée en permanence à la tentation consumériste, la vocation moraliste menace la fragilité magistrale (2). En réunion, les velléités pédagogiques de la majorité des participants sont solubles dans le café du commerce. Les instructions fantaisistes d’un ministre font moins d’obstacle à la modernisation de l’école que la contamination du virus conservateur qui guette tout esprit adulte plongé dans un bain scolaire. Le désir d’apprendre trouve rarement sa pitance dans le cours magistral. Cet écartèlement entre injonctions et tentations, entre prescription et persuasion déclenche chez l'enfant le sentiment d'avoir affaire à des adultes inconstants, versatiles, contradictoires ou stupides. Des adultes qui ne prêchent pas par l'exemple. Sont-ce des enfants qui roulent bourrés, camés, à fond la caisse, au mépris de leurs semblables ? Nonobstant, les Tartuffe, les fondamentalistes intégristes sans barbe, sous la bannière de Finkielkraut, brandissant la bible, réclament hypocritement plus d'injonctions, plus de prescriptions, plus de sévérité. Leurs imprécations oratoires ne changent rien, mais culpabilisent et désespèrent les perdants de la compétition scolaire, prélude à la concurrence "libérale". Si la hauteur de leurs réclamations et de leurs réquisitoires les élèvent guère en vertu, du moins les font-elles passer pour gardiens courageux de la culture et de l'éthique. En outre, le double lien qui en procède conduit l'écolier à l'indécision chronique. L'apprentissage implicite qu'impose cette "modernité" est savoir tricher avec les règles et louvoyer sans cesse entre des situations dont les normes se contredisent et oblige à porter un masque différent en fonction du contexte. Il serait souhaitable que les professeurs ne calquent pas leurs conduites sociales sur la foule anonyme et leurs attitudes professionnelles sur les saints pères de l'église. A moins de les infantiliser en ne leur accordant qu'un statut d'enfant, la nation est en droit d'attendre d'eux plus de majorité politique, plus d'autonomie intellectuelle, plus d'éthique, plus de démocratie, plus de conscience professionnelle que d'un mortel ordinaire. Leur métier est devenu difficile parce qu'ils s'obstinent à vouloir le mariage de la carpe et du lapin, à goûter le soufre de l'alcool en vente libre et tremper les lèvres dans le vin béni de la sacristie. Qui remet en question ses pratiques héritées de la tradition qui poussent à l'abus didactique quotidien ? Qui s'interdit les méthodes "pédagogiques" qui fonctionnent au bénéfice du corps enseignant et de sa mythologie féodale, au détriment de l'usager de l'école ? Qui se donne pour projet d'éduquer à la construction en commun des savoirs, à la solidarité, à la citoyenneté, au respect des autres plutôt que de gaver l’oie à l'entonnoir du devoir solitaire avec des contenus "à savoir pour réussir les examens" ? Les mesures budgétisées prises par les successifs gouvernements sont versées au compte des avantages acquis quand elles améliorent graduellement la vie des adultes dans l’école et sont détournées, voire oubliées avant d’être connues, quand elles améliorent la vie des enfants (livret d’évaluation des compétences, organisation par cycles pédagogiques, travaux personnels encadrés, soutien par groupes de besoin, heure de vie de classe…). Toute réforme aboutit invariablement à l’effet « plus de la même chose », c’est-à-dire ne change rien.

Les écoliers sont invités à respecter des procédures, des règles et des normes décidées et mises en œuvre à leur insu. En France, être écolier et mineur c’est occuper une place minime en droit et en statut, c’est être un travailleur migrant frontalier qui transite quatre fois par jour entre l’austérité relationnelle, fausse rigueur morale, et la foire commerciale, marchande de joies factices. Dans la rue le piège de la dernière nouveauté commerciale, de la pub à la mode, à l’école l’injonction de suivre une doctrine scolastique d’avant le siècle des Lumières. Si beaucoup d’adultes se soumettent de bon gré à la subordination commerciale indolore, peu d’entre eux accepteraient d’obtempérer à l’ordre scolaire, à commencer par les maîtres d’école. Ce qui, dedans, est « bon pour les enfants » ne l’est pas pour les adultes. Une plus forte dose de travaux stimule et élève le niveau des premiers, déprime les seconds (3). Acheteur convoité et séduit en boutique, absorbeur obligé et culpabilisé en classe, l’enfant est dénié en tant que sujet, mais  « bien pris en charge »  comme objet. Séduit dehors, suspect dedans, sujet jamais. Si sa bonne volonté n’est pas au rendez-vous du projet commercial ou didactique, son guide a le choix entre la ruse et le chantage pour obtenir la conduite et le résultat attendus. Pourtant, la finalité d’une école émancipatrice et libératrice serait d’éduquer l’enfant d’abord à l’esprit critique qui permet de se soustraire à l’emprise de la publicité des marchands ensuite à l’autonomie qui délivre de l’usage quotidien de l’automobile comme moyen de déplacement de proximité et du recours au clerc expert pour décider de ses choix fondamentaux. La défense de droits scolaires qui feraient de l’écolier un citoyen de son école et de son quartier, purement théoriques pour le moment, mobilise peu les organisations. Une fois le personnel, les murs et le mobilier obtenus, le sort des jeunes scolarisés et leurs conditions d’apprentissage à l’école ne sont pas au programme des associations, des partis et des syndicats, ni des élus de l’assemblée nationale qui font confiance aux professionnels. S’en remettre à eux ressemble plus à une démission de la nation qu’à une confiance sans limites dans le professionnalisme des enseignants. Cette confiance acquise par simple désistement leur crée dépendance et obligation de loyauté envers l’institution qui a reconnu leurs mérites et leur assure sécurité d'emploi. Elle fait obstacle à l’obligation de service à l’égard des élèves dont les intérêts du moment ou à venir ne sont pas forcément concordants avec une institution conservatrice. Dans la conduite d’une classe, la légende raconte que placer l’enfant au centre brise des tabous, heurte des croyances et stoppe la carrière du maître. Gare au « pédagogiste » qui ne respecte par le droit coutumier, la Tradition !

Quand ils ne sont pas les produits d'un dressage - les méthodes de lecture y participent, hélas - la connaissance est bouleversement, l'apprentissage est révolution, la parole subversion de l'ordre établi, l'éducation processus d'autonomisation pointé vers le futur. L'enfant est l'avenir de l'homme. Il n'est ni son présent, ni son passé. A quoi lui servirait d'entrer dans l'histoire des hommes, dans la ronde du monde, s'il ne lui est pas permis de construire son devenir propre ? Veut-on que la terre tourne à l'envers, veut-on un monde « meilleur des mondes » ? Pour que l'école ne devienne ni un musée de l'éducation occupé à maintenir les traditions, ni un instrument d'ajournement de l'accession des générations montantes, de limitation des ambitions des classes populaires et, finalement, un atelier antisocial, l'institution ne devrait confier ses élèves qu'aux adultes majeurs qui ont conscience claire de cette impérieuse nécessité éducative.

 

(1) Curieusement, la règle du chacun pour soi, chez soi, était inscrite dans le code de bonne conduite scolaire bien avant l’entrée dans l’ère de la consommation. L’individualisme, fondement idéologique de l’élite méritocratique, prétend, mince paradoxe, forger une collectivité nationale par la compétition individuelle.

(2) Injonction paradoxale : "Travaille ! C’est pour toi que tu travailles."

(3) Plus d’heures de cours, plus de pages noircies garantiraient à l’écolier, au collégien, au lycéen une ascension lente mais certaine sur la montagne des idées et de la connaissance tandis que l’augmentation du temps de service du personnel entraînerait irrémédiablement une baisse générale du niveau et aggraverait l’échec des élèves les plus faibles.


Faire la paix, avoir la loi, par Sylvain Grandserre

Pour le bonheur supposé des uns et le malheur vraisemblable des autres, on peut constater avec Philippe MEIRIEU qu'à l'issue des récentes élections présidentielles « la majorité des Français a voulu faire l’expérience d’une alliance assumée entre le libéralisme économique et l’autoritarisme moral ».

Ce choix interpelle d’autant plus nombre d'enseignants que les conséquences ainsi produites parasitent directement l’accomplissement des missions éducatives. En effet, le libéralisme économique, en plus des injustices qu'il fomente immanquablement du fait même de son fonctionnement concurrentiel exacerbé, engendre de nouveaux rapports à l’Ecole. La voici plus que jamais  perçue comme un lieu de capitalisation rentable, d’application de stratégies de distinction et de sélection, espace de concurrence d’où l’on espère s’extraire par le haut et surtout en tête du peloton. Dans le même temps, les structures familiales, déjà fortement frappées par les divorces, s'adaptent dans la souffrance. A ceux qui bénéficient d’un emploi, les horaires à rallonge, le bureau éloigné, les heures supplémentaires, le travail le dimanche, le stress  des embouteillages quand ce n’est pas le harcèlement moral. Aux autres, que l’on cache négligemment sous la carpette de statistiques approximatives, le chômage, le RMI, le travail au noir, les petits boulots à la sauvette et un sentiment profondément destructeur  d'inutilité.

Cette situation limite grandement les chances de rencontrer des familles réunies, des communautés apaisées, des parents disponibles. Dans le même temps, l’explosion de l'accès aux nouvelles technologies, qui fait de nous des êtres qui peuvent plus qu'ils ne savent (Alain), permet la satisfaction immédiate des désirs mais repose la question des limites, de l’interdit et de la frustration. La société marchande propose à l’infini une instantanéité de jouissances avec pour mot d’ordre le « tout, tout de suite »auquel répond le leitmotiv consumériste : « je veux, j'exige, j'aurai » : les déplacements, les communications, les distractions, les achats, les livraisons. Dans ce contexte parfois cauchemardesque, certains enfants se réveillent tout puissants, vivant chaque règle de régulation comme une atteinte à leur liberté.  

Ainsi, à l’heure parfois tardive où se retrouvent parents fatigués et enfants aguichés, il est plus facile d’être le papa qui autorise que le père qui interdit, moins culpabilisant d’être la maman qui permet que la mère qui limite, un comble pour des « cadres ».  La paix familiale s’achète à coup d’autorisations discutables et de transactions dignes du bakchich. A dix ans, tel enfant obtient la télévision dans sa chambre, trois esquimaux en dessert ou le droit de sortir après souper. Ce collégien a su négocier, en échange d'un bon bulletin scolaire qu’il n’aura peut-être même pas, un téléphone portable puis le scooter. C’est le troc faussement pacificateur à base de jeux électroniques, de consoles et d’avantages en tous genres tels qu’incite à en obtenir la propagande publicitaire à mille bouches. Et nous voilà avec des adultes qui, dans le respect de la logique en vigueur, obtiennent momentanément la paix mais sans jamais avoir la loi.

Dans le même temps, les inégalités et injustices provoquées par le libéralisme économique s’accompagnent forcément de désordres et de violences. Du coup, on y adjoint un autoritarisme moral  qui, lui,  veut avoir la loi sans jamais faire la paix. Que l’on songe à l’affaire du « Kärcher » ou à celle de la « racaille ». Que l'on repense à toutes ces accusations à l'emporte-pièce contre ces gens en trop que seraient les fonctionnaires, les étrangers, les malades qui abusent, les chômeurs « assistés » et autres Français qui se lèvent tard. Ces  recours incantatoires à un nouvel ordre moral ont provoqué par endroit un climat de guerre civile au point d'imposer l'état d'urgence il n'y a pas si longtemps.

Dans cette tourmente déstabilisatrice, ce funambule qu'est l’éducateur conserve la double ambition de s’appuyer sur la loi pour obtenir la paix mais aussi de faire la paix pour construire la loi. Il n’essaie pas de corrompre ses élèves dans un laisser-faire aléatoire qui entérinerait leurs caprices du moment. Il se refuse tout autant à imposer son autorité uniquement par la puissance que lui confère son statut. Il sait qu'un apprentissage emprunte d'autres voies que l'assouvissement instantané. Pour apprendre, l'enfant comme tout humain passera par des phases de tâtonnement, d'ajustements, d'essais et d'erreurs immuables et incontournables. Mais l’éducateur constate chaque jour la difficulté à faire la classe, à faire de l'école (P. Meirieu), à instituer ce qui autrefois paraissait faussement naturel parce qu’implicite et communément partagé.

Mais qu'y peut-on ? Rien si on cherche des excuses, beaucoup si l'on cherche des solutions ! Parce que chacun a ses raisons, on peut entrer dans une empathie paralysante et stérile. Mais il est urgent d'agir face à la dégradation des ambiances de classe où il faut baisser la tension pour avoir l'attention (P. Meirieu), parfois immobiliser l'élève pour mieux mobiliser ses connaissances (D. Hameline)  tout en donnant du sens à ce non-sens qu'est pour beaucoup l'exigence de la norme scolaire (P. Perrenoud). Or tout remède magistral en éducation passe par une action convergente et simultanée des acteurs. Aux enseignants de rompre leur isolement pour être plus que jamais des colonnes vertébrales souples et solides qui font le choix de la coopération contre la concurrence, celui de l'efficacité à long terme contre une trompeuse rentabilité à court terme, celui encore du labeur de l’apprentissage durable contre la tentation d’un savoir factice ; aux parents de garantir une éducation respectueuse des besoins élémentaires (affection, sécurité,  responsabilisation, écoute, valorisation, alimentation, santé, repos) ; aux institutions d’assurer des conditions de travail dignes du XXIe siècle (ressources documentaires, espaces adaptés, matériel informatique, personnel compétent et en nombre) ; aux syndicats de renouer le dialogue avec une frange de la corporation qui ne croit plus en ses valeurs ni aux vertus du collectif et se laisse tenter par des solutions fallacieuses ; aux politiques de ne pas surfer sur une vague de mécontentement naît du mauvais vent qu'ils font souffler eux-mêmes en faisant passer pour une tempête dévastatrice le bol d'air frais de mai 68...

Certes, contre toutes les formes d’insécurité – professionnelle, physique, sociale, intellectuelle – rien ne vaut l’éducation. Mais sans notre engagement commun, l’éducation ne vaudra plus que son offre de mise à prix. Nous avons la chance de ne plus avoir le choix !


"Au jeu de la droitisation, le meilleur a gagné", par Alain  Berestetsky

Quelques remarques amicales sur le dernier chapitre du texte de ton site intitulé “Bienvenu en 1967”.

En effet, autant je partage ton analyse sur la première partie de ce texte, autant celle relative à l’analyse du comportement de la candidate présidente me semble être victime d’un léger effet d’opacité, « d’embrumement » un tantinet partisan, pour être plus précis. Oui, la tournée nationale de Ségolène Royale s’est appuyée, pour autant que je puisse l’apprécier, sur”une démarche de concertation approfondie “ mais cela n’a servi avant tout que de toile de fond médiatique pour sa campagne. J’en retiens pour preuve le fait qu’à aucun moment ces concertations approfondies n’ont servi de références lors de son face à face avec “comment s’appelle-t-il donc déjà?”. Du coup toute cette agitation « concertative » n’est apparue que comme un effet de style (ce qui est banal) et pas comme une nouvelle façon de faire de la politique (ce qui eut été le but). Il aurait fallu rendre compte publiquement et largement de l’état d’avancement de ces concertations, le face à face en était l’occasion. À aucun moment S.Royal n’a proposé aux Français une vision claire et simple de la société vers laquelle elle leur proposait d’aller. « Comment s ‘appelle-t-il donc déjà ? » l’a fait lui en permanence, avec duplicité et mensonges certes, mais clairement et simplement. Même si cela nous gène de le reconnaître, il a d’une certaine manière proposé un espace d’utopie, espace ouvert sur des options nauséabondes que je rejette avec force, mais espace explicite aux options claires et facilement compréhensibles par tous. Par ailleurs, dans une France qui se droitise indéniablement de plus en plus, le PS s’est insensiblement droitisé lui aussi et Ségolène Royal incarne le phénomène. Au jeu de cette droitisation, le meilleur à gagné.

Comme tu le sais, je ne suis avant tout qu’un vieux marxiste (bougon ajoutent certains).De ce point de vue, j’ai vaguement le sentiment que toute l’énergie et la réflexion mise en place à gauche et particulièrement au PS, n’ont pas été structurées, pas analysées. On a géré tout cela comme une rencontre sportive mais la politique n’est pas une course de côte, et à ce jeu strictement sportif, les idées les plus simplistes sont beaucoup plus compétitives !

Le combat politique a besoin de fondamentaux et de ligne de perspective, après on peut ajouter toute une série d’harmoniques colorées au tableau mais, sans les règles de base, l’œuvre ne tient pas. Et c’est précisément là qu’est pour moi le problème, les fondamentaux et les lignes de perspective ne sont plus clairs, ni chez Ségolène en particulier, ni au PS dans son ensemble (le reste de la gauche, quant à lui, tente de vendre une collection de vieux tableaux avec plus ou moins de brio). D’une certaine façon, celui qui a le mieux respecté ces règles de base de la construction du tableau politique est Besancenot. Il a même tellement bien fait, qu’il est arrivé à faire croire à la plupart d’entre nous, quelque soit par ailleurs leur vote, que sa peinture, toute empreinte de réalisme post soviétique, était de l’art moderne.

Tout ceci reste néanmoins des questions de positionnement tactique pour des partis et des candidats qui devraient au moins apprendre les règles de base du jeu électoral. Jeu toujours un peu suspect et particulièrement lorsqu’il s’agit des élections présidentielles qui restent une grande escroquerie démocratique. Pour nous, simples mortels et électeurs de base, qui essayons de vivre la politique debout, les deux questions principales me semblent être:

  • Que nous faut-il abandonner dans notre ancienne manière de percevoir le monde ?
  • Que devons-nous construire comme nouvelle ligne d’horizon politique possible ?

Après, selon les circonstances et les limites fixées par un jeu politicien que nous ne maîtrisons pas, nous pourrons selon le temps et l’espace, signer des pétitions diverses et voter dans le cadre de stratégies complexes. Nous pourrons même sans perdre notre boussole politique et si l’histoire l’exige, faire parfois des alliances étranges avec la droite dite sincère.

Pour conclure, comme cela ne t’a pas échappé, depuis quelques temps, le monde s’est révélé comme définitivement complexe, si nous voulons l’affronter sans qu’il nous rende à proprement parler totalement fou, il nous faut d’urgence revenir  à la dialectique.

PS : Tu excuseras, j‘en suis certain, le ton un peu docte et solennel de ce courrier lié aux circonstances.


Vive la joie à l'école !, par Paul Recoursé

Je crains que la guerre-éclair contre toutes les transformations progressistes de l'école depuis 68 ne produise des ravages sur fond de choc électoral. Mais,  l'école, même sous Pétain ne s'est jamais tout à fait abandonnée à la collaboration. Donc, forts de nos expériences, de nos acquis en science  de l'éducation, en didactique et autres savoirs disciplinaires, de nos  pensées, de nos déterminations, il nous faut trouver des voies de résistance. Il n'est pas concevable de laisser le champ libre aux acteurs de  la Restauration. Commençons par troubler leur  ravissement du moment : ces Incroyables et ces Merveilleuses devront  déchanter bien vite et d'autant plus vite que nous parviendrons à leur  opposer des réalités incontournables (enseigner et apprendre ne se réduisent  pas à inculquer et subir). Ils veulent formater des assis, nous voulons que  se forment des levés, debouts, en marche. Nos jeunes collègues formés  professionnellement dans les IUFM sont beaucoup mieux dotés que nous autres  conformés dans les Ecoles Normales ou CPR. Rencontrons-les, rassemblons-les  dans les syndicats, les mouvements pédagogiques, des colloques, des  festivals s'il le faut !
Vive la joie à l'école comme dit le vieux  Snyders.


Allons enfants de 68 !, par Maëliss Rousseau

Je n’appartiens pas à la génération de 68, mais à celle de ses enfants... Mes révoltes, et celles de ma génération doivent plus à la peur de l’avenir qu’à la contestation d’un ordre établi. Ces révoltes ont parfois été taxée de conservatisme. Peut-être avons-nous un peu trop intériorisé que nos seules perspectives étaient la défense des acquis, et non plus la conquête ? Nous avons des  excuses. Nous sommes plus fragiles économiquement que nos parents au même âge…  Mais nous sommes  aussi plus libres qu’eux. Une liberté acquise. Une liberté qui a moins besoin de transgresser pour se savoir exister. Cela, nous le devons aux combats de nos parents pour l’égalité des sexes, pour d’autres rapports entre les générations, pour plus d’égalité et de respect dans le travail… Tous ces combats fédérés en un printemps plus bruyant et plus joyeux que les autres. Les acquis sociaux des générations précédentes s’effritent peu à peu, mais la liberté nous reste intacte. Sans elle, aucune conquête n’est possible. Bien averti, c’est à elle que le nouveau président de la république promet de s’attaquer. Si M. Sarkozy, aussi soutenu par les plus de 65 ans que rejeté par les moins de 25, met en œuvre son programme, ce n’est pas à un troisième tour dans la rue qu’il s’expose, mais bel et bien à un nouveau Mai 68. Les actes préélectoraux n’incitent pas à l’optimisme : mépris de la jeunesse, menaces sur les intellectuels, main basse sur les organes d’information, remise en cause du droit syndical… La liste est très longue ! La neutralisation systématique de tous les contre-pouvoirs ne peut mener qu’à une insurrection d’ampleur.  Nous sommes en 2007, mais nous sommes en France. La jeunesse, quelle que soit l’époque, conserve certaines caractéristiques sur lesquelles on peut compter. En particulier, les jeunes de toutes générations ont su prouver que  l’angoisse ne les conduit pas à l’apathie, mais à la révolte.


Zéro pointé, Gilles de Robien..., par Marie Lavin

J’ai pris connaissance avec effroi du contenu de l’interview de Gilles de Robien sur RMC le 2 mai, en réalité une tentative désespérée pour justifier des propos insupportables tenus le 29 avril à Bercy par Nicolas Sarkozy. J’ai été très choquée d’entendre celui-ci affirmer froidement que depuis mai 68 on ne notait plus les élèves en France ! Entrée à l’Ecole Normale Supérieure en 1964, j’ai été nommée comme professeur agrégée en 1969 et j'ai poursuivi ma carrière à l’Education nationale (professeur, formatrice d’enseignants, inspectrice d’académie/ inspectrice pédagogique régionale, directrice d’un service rectoral) jusqu’en septembre 2006, j’ai ainsi eu à visiter pour raisons professionnelles des centaines d’établissements scolaires, ce qui me permet d’affirmer que j’ai une certaine connaissance du système éducatif français. J’affirme, moi, que je n’ai jamais vu un établissement où la notation ait été supprimée. J’en ai connu quelques-uns, entre 1969 et 1972, où l’échelle des notes avait été réduite (de 0 à 5) mais très vite sont revenus les demi et les quarts de points et finalement la notation de zéro à vingt a partout repris son cours. J’ai même souvent déploré que notre enseignement ne favorise pas une culture de l’évaluation où les notes ne seraient pas le seul élément permettant d’évaluer les compétences et les capacités d’un enfant ou d’un adolescent. J’ai vu des élèves s’angoisser pour leur moyenne, d’autres calculer comment ils pouvaient doser leurs efforts de façon à atteindre cette moyenne sans trop se fatiguer, j'ai vu des enseignants refaire des contrôles parce que la moyenne de leurs élèves était trop faible, j’ai vu,  je crois, tous les cas de figure possibles, du pire (la note comme moyen de faire de la discipline, le zéro collectif) au meilleur (la possibilité de refaire son devoir en tenant compte des appréciations du professeur pour améliorer sa note), j’ai assisté à d’innombrables conseils de classe où, hélas, les moyennes de moyennes étaient souvent l’élément essentiel pour décider de l’avenir de jeunes gens,  et je peux affirmer que la notation est reine dans notre système éducatif.

Il serait sans intérêt de relever toutes les contrevérités énoncées par Gilles de Robien en quelques minutes pour étayer la thèse sarkosyste selon laquelle la responsabilité de tous les problèmes rencontrés par L’Ecole en 2007 incomberait à mai 68. Notons simplement qu’il s’est montré capable d’affirmer le plus sérieusement du monde que « la méthode globale c’est les résidus de mai 68 ! » alors que cette méthode était déjà contestée dans les années cinquante et qu’elle est abandonnée depuis belle lurette. Signalons à Gilles de Robien le texte suivant : « Il faut dans toute période difficile trouver un bouc émissaire. La Méthode Globale est aujourd'hui responsable de tous les maux dont souffre l'École. Si les enfants lisent moins bien qu'autrefois, c'est la faute à la Méthode Globale. S'ils manquent d'attention et de concentration dans leurs devoirs, s'ils font trop de fautes dans leurs dictées ou dans leurs lettres, c'est évidemment la méthode globale qui en est la cause…Qu'on revienne donc à la bonne règle préalable du B-A BA et aux exercices méthodiques ; qu'on enseigne les bases avant d'aborder le tout, et l'éducation refleurira. L'État sera sauvé.» Il date, ce texte écrit par Freinet, de 1959 ! Relevons aussi la manière nuancée dont M. de Robien, ministre, parle des IUFM (nées en 1989, 21 ans après les évènements de mai!), selon lui « imprégnés de pédagogisme qu’on traîne depuis mai 68 ». Le « pédagogisme » voilà l’ennemi ! Cette catégorie fourre-tout qui fleure bon la nostalgie réactionnaire et vise à stigmatiser la recherche en didactique et en pédagogie est donc, selon Gilles de Robien, une création de mai 68 ! A la trappe Fénelon, Durkheim, Montessori, Freinet et tant d’autres, c’est en mai 68, entre deux barricades probablement, que se sont élaborées les funestes méthodes qui ont fait tant de mal à l’enseignement : pédagogie différenciée, travail de groupe, pédagogie de projet... L’occasion est alors trop belle, pour ne pas chercher un bouc émissaire, en voilà un tout trouvé, Philippe Meirieu. Celui que les tenants du passéisme rétrograde et du statu quo tiennent pour dangereux, s’est en effet déclaré, comme nombre de citoyens, choqué par les récents propos de Nicolas Sarkozy contre mai 68, haro donc sur Meirieu, que, dans la foulée, Gilles de Robien menace même d’un procès…. Et pourtant, quand on écoute Sarkozy et Robien tonner contre mai 68, qu’entend-on sinon cette vieille antienne de juin 40 : « l’esprit de jouissance l’a emporté sur l’esprit de sacrifice » ? Oui, c’est bien le Maréchal que, de façon subliminale, on entend derrière Bercy.


Pour un Projet éducatif au cœur de la République ! Une réponse aux propos d’un futur ex-Ministre de l’éducation… , par Bertrand Gaufryau

« Il faut liquider l’héritage de mai 68 qui nous a fait perdre 20 ou 30 ans de repères entre les droits et les devoirs »… ou bien « Le pédagogisme ne permet pas aux enfants d’apprendre »… et encore « Je me demande s’il n’y a pas diffamation et lieu de le faire condamner par des juges puisqu’on est dans un Etat de droit. » Que de propos démesurés dans une démocratie que l’on pouvait penser de retour, avec une participation record au premier tour de cette élection présidentielle ! Que de propos blessants de la part de responsables politiques en charge de hautes fonctions dans l’Etat. Et qui plus est de la part d’un Ministre, en l’occurrence celui de l’éducation nationale, dont on aurait pu espérer qu’il traduise dans ses actes et paroles les valeurs de l’école républicaine : celles de la mesure, du respect, de la dignité. Quel crime de lèse majesté avait commis Philippe Meirieu pour mériter une telle volée de bois vert ?

Dire, comme l’a fait avec justesse et tout le recul nécessaire Philippe Meirieu que 1968 est la première année où tous les élèves de 16 ans ont été scolarisés dans les écoles de la République était-il un crime ? Peut-être s’insurger contre ce progrès formidable de notre société en mettant en exergue les mesures visant à revenir sur cette avancée par la mise en place de l’apprentissage junior dès 14 ans pour les jeunes les plus en difficultés scolaires et souvent au cœur de familles en proie à des difficultés sociales était-il devenu indécent ? Cela relevait-t-il de la diffamation ? S’insurger avec conviction de la mise en cause systématique de l’école de la République par une idéologie libérale pernicieuse qui a envahi notre quotidien est-il à ce poit insupportable ? C’est avec une très grande justesse que Philippe Meirieu a mis au contraire en lumière les liens entre la démocratie et le vivre ensemble qui doit se construire à l’école. La démocratie nécessite une plus grande exigence de vérité, de compétence afin que cette autorité soit la pierre angulaire d’une école qui donne du sens à ce projet collectif. Alors, lorsque Philippe Meirieu insiste sur « l’exigence d’accompagner chaque année vers la réussite», il défend avec force l’idée d’une école qui se fonde sur le meilleur de ce qu’ont apporté Jules Ferry, les mouvements d’éducation populaire, les temps de la fin des années 60 qui ont mis en avant la démocratisation du système éducatif, en vue de mettre fin à un système fondé sur les discriminations sociales.

Philippe Meirieu a choisi de défendre avec talent, courage et conviction une école démocratique, exigeante, en totale opposition avec cette pensée traditionnelle d’une « droite dure », fondée sur une idéologie libérale par essence violente et à l’opposé de notre tradition républicaine.  Il a le mérite de clarifier le débat et de mettre a nu au vu et su de tous la réalité du programme du candidat conservateur : intellectuellement malhonnête dans l’analyse et excessif et destructeur dans ses propositions. Qu’une voix d’une telle clairvoyance et qualité se soit élevée avec vigueur pour défendre l’héritage républicain de notre école ne peut que nous rendre fier. Il revient à chacune et chacun, pour qui les valeurs d’un projet d’une école démocratique a un sens d’en prendre le relais sans concession car nous ne pouvons nous satisfaire d’un projet populiste, fondée sur les injustices et discriminations sociales.


Devoir Citoyen, par Bertrand Gaufryau

Lors de son meeting de Bercy, Nicolas Sarkozy a fait des évènements de 1968 le cœur d’un discours porteur de revanche et de haine, à la fois désolant et dangereux. Faisant l'apologie d'un âge d'or d'une école qui n'a jamais existé que dans l'esprit d'une idéologie conservatrice et "pétainiste", il veut faire croire qu'un retour à cette école est possible... L'apprentissage à 14 ans avec un recul de la scolarité obligatoire, un abandon de la formation à la citoyenneté et la mise à l'écart des plus fragiles sont au coeur d'un programme qui met non l'autorité fondée sur la compétence au coeur de l'action, mais l'autoritarisme en exergue. C’est l'abandon d’une école démocratique, ouverte à tous, quel que soit son milieu d’appartenance sociale, son origine géographique, ethnique.

Mais cette « croisade » anti 68, c’est aussi une remise en cause de nombreuses avancées, conquêtes sociétales, sociales, culturelles et du "vivre ensemble", de la démocratie. Par ailleurs, Mai 68 est le début d’une décentralisation qui permettra à la vie politique d’être rénovée. Ce mouvement, d’ailleurs, ne s’arrêtera pas et sera amplifié. C’est aussi le développement de la démocratie dans l’entreprise avec une liberté syndicale qui peut enfin s’exprimer sans entrave et faire des salariés des contre-pouvoirs face aux abus du monde patronal. 1968, c’est aussi, et peut-être avant tout, un mouvement de libération des femmes et la possibilité, après 1946 et le droit de vote accordé, d’une maîtrise de leur destin. C’est aussi l’évolution vers une société fondée sur le multiculturalisme, la liberté de conscience et de pensée, le recul de toutes formes de censures. Mais c’est aussi une profonde révolution des fondamentaux de notre société, une bouffée d’oxygène offrant à chacune et chacun la possibilité de se sentir partie prenante d’une République en construction, partie prenante d’un projet de société collectif. Alors, si tous les excès des mouvements d’ampleur doivent être regardés avec prudence, on ne peut réduire celui du printemps de 1968 à de simples slogans, sous peine de faire, pour ses pourfendeurs, preuve de malhonnêteté intellectuelle. Comment par la suite demander à ne pas être caricaturé ? Décidément, le projet de Nicolas Sarkozy est dangereux et potentiellement porteur d’une société attisant les peurs et antagonismes. C'est un projet à proprement parler réactionnaire que nous devons combattre de toutes nos forces.


- De l'amour et des limites, par Catherine Garnier, psychanalyste

Votre article sur l’école face à la barbarie consommatrice a retenu toute mon attention, même si le mot barbarie me semble un peu fort. Etant psychanalyste, je ne peux qu’adhérer à votre vision de la toute puissance infantile qu’il nous faut traquer toute la vie et que nos patients viennent traiter dans leur psychothérapie.

Un individu qui veut tout, tout de suite et ne peut différer sa satisfaction, c’est la définition même du psychopathe. Mais qui le sait ? Nous vivons dans une culture de la toxicomanie où ce qui est important, c’est le plaisir non différé et « très fort ». On a oublié les vertus de l’attente, de l’effort, de la modération. La frustration est considérée comme un drame alors même qu’elle nous structure. L’origine de ces dysfonctionnements de pensée est multiple. On a même parlé de la pensée mal comprise de F. Dolto. Mais, soyons sérieux, la consommation comme dogme y est pour beaucoup, ainsi que vous le montrez. Et la société du zapping introduite par l’électronique également.

Alors comment faire pour que les enfants grandissent et se cultivent harmonieusement ? Peut-être rappeler à ceux qui les éduquent et d’abord à leurs parents qu’il leur faut de l’amour et des limites, qu’ils ne sont pas des adultes en réduction mais des adultes en devenir et qu’en leur donnant trop tôt tous les choix, on en fait des capricieux. Sans doute faut-il aussi que parents et enseignants se parlent et aillent dans le même sens pour le plus grand bien des enfants qui se sentent ainsi cadrés et donc investis. Oui, le soutien à la parentalité est une priorité politique et ce n’est pas humiliant de se faire aider, pas plus pour les parents que pour les enseignants. Quant à revenir aux vieilles méthodes, c’est ridicule et impossible. Il n’est que d’observer un enfant utiliser un ordinateur à toute vitesse pour voir qu’il faut appliquer d’autres méthodes pédagogiques pour intéresser les enfants. J’ajoute que les enfants acceptent très bien l’autorité de la part des adultes qui les respectent et les investissent et sont eux-mêmes respectables.

Je vous apporte donc tout mon soutien dans votre noble combat.


- "Le caprice mondialisé" et la fonction paternelle en éducation, par Gwenael Le Guevel

Je suis professeur des écoles spécialisé (T6) en SEGPA et, après observation de mes élèves et de leurs familles, j'ai pu constater que, bien souvent, mes élèves ne sont entourés que de femmes depuis leur plus jeune âge. En effet, on sait que les femmes s'occupent beaucoup plus des nourrissons, puis des enfants, que la garde des enfants est attribuée à la mère en cas de séparation dans plus de trois quarts des cas, que les classes maternelles (tiens? « maternelles »...) et primaires sont tenues, la plupart du temps, par des femmes (à part le CM2 peut-être...), que les psychologues scolaires, assistantes sociales, infirmières et autres médecins scolaires ne sont que des femmes et que, lorsqu'un gamin "dérape" et se retrouve face à la justice, les juges pour enfants et autres magistrats spécialisés sont essentiellement... des femmes.

Alors, même si, dans la classe, je m'efforce de dire ce que je fais et de faire ce que je dis ou que les institutions que sont le permis à points et les conseils de classe, permettent de différer et de sortir de relations duelles enfermantes, le fait que je sois un homme n'ajoute t‚il pas quelque chose de plus? J'avoue que je suis tenté de penser que les institutions suffisent mais mon petit doigt me dit que... quand même... peut-être...

A quand l'école paternelle? Ou plutôt, à quand l‚école humaine, finalement. Comment un garçon se construit-il sans "modèle" ou référent masculin autre que ceux que la télé lui renvoie (qui sont finalement les seuls modèles proposés pour certains, à part leurs copains d'école) ? Comment une fille se construit-elle sans modèle identificatoire?

Vous parliez récemment de caprices et de toute-puissance.Les enseignants ne doivent-ils pas assurer de plus en plus cette fonction du père qui consiste à frustrer l'enfant, à le dé-fusionner d'avec sa mère pour qu’il puisse entrer dans le désir ? Quand une mère est en fusion avec son enfant, elle le comble et elle l’empêche donc d’envisager qu’on puisse vivre mieux ou aussi bien ailleurs, non?

La peur d'apprendre peut venir de peurs archaïques non maîtrisées (Serge Boimare) mais, lorsque aucune figure paternelle n'est présente, ne sommes-nous pas condamnés au rafistolage ? Ou pire, au mercurochrome sur jambe de bois ? Cela peut-il suffire ? (Résilience ?) L'orthographe, le respect desrègles en général, ne posent-ils pas problèmes parce que la confrontation à une règle extérieure à soi n'est pas possible si je suis enfermé dans une relation qui m'interdit d'"aller voir ailleurs" ? Il me semble que ce sujet est d'autant plus difficile à aborder avec les collègues que ceux-ci sont souvent eux-mêmes concernés par des séparations problématiques dans leur vie privée.

Enfin, il me semble que vous parlez, parfois, de l'importance d'un tiers éducatif, complément des espaces familiaux et scolaires, espèce de "bulle de liberté" nécessaire à l'émergence d'une pensée plus personnelle, ce dont je suis intimement persuadé, mais, souvent, le tiers scolaire est bien seul (le tiers solitaire...). Je ne suis pas fatigué (pas encore ?) par le fait qu'on demande beaucoup à l'école parce que j'ai choisi la spécialisation, que cela me passionne et qu'en SEGPA on n’a pas vraiment le choix, mais le sentiment d'être Don Quichotte peut produire différentes réactions selon les moments : on est flatté ("comment faîtes-vous pour tenir ?", "Moi je ne pourrais pas...", les petites réussites de tous les jours avec ces élèves sont valorisantes) ou on est découragé.

Sur un sujet proche et en contrepoint, voir la chronique "Vous repasserez..."


- "Quand les experts se font prescripteurs", par Pascal Ourghanlian, enseignant spécialisé, référent pour la scolarisation des élèves handicapés

Que certains enfants souffrent de troubles spécifiques des apprentissages, c’est-à-dire: 1) d’une « modification pathologique des activités de l’organisme ou du comportement (physique ou mental) de l’être vivant », 2) « qui a son caractère en ses lois propres, ne [pouvant] se rattacher à autre chose ou en dépendre », 3) et qui induit des « modifications durables du comportement grâce à des expériences répétées » (Le Petit Robert 2006). Pourquoi pas ? Même si cette définition basique de l’apprentissage me semble bien loin de ce qui s’observe d’un enfant en train d’apprendre…

Enseignant spécialisé, je suis la scolarité d’enfants, ordinairement intelligents, sans empêchement majeur de la pensée ni trouble psychologique flagrant, bien installés dans la relation et de milieu socio-culturel tout venant, qui ne parviennent pas à apprendre. L’idée même de TSA ne m’est donc ni étrangère ni ne m’apparaît inopérante.

Ce qui me soucie dans l’expertise de l’Inserm dont Philippe Meirieu fait la critique de la manière la plus apaisée et la plus constructive possible, c’est sa potentialité hégémonique. En ces temps confus où la démocratie vacille, il me paraît dangereux, pour le moins inopportun, qu’un savoir, fut-il précautionneux, s’arroge la possibilité de dire le Vrai et d’être prescripteur dans des domaines qui ne sont pas de son champ de compétence.

Or, l’avis de l’Inserm n’est ni précautionneux, ni respectueux des domaines autres que le sien propre. Il pose comme transférables, sans autre forme de procès, des recherches essentiellement menées dans le monde anglo-saxon, sur une langue, fort belle au demeurant, mais fort éloignée de la nôtre, tant du point de vue du système phonologique que des structures syntaxiques profondes. Et il prétend pouvoir transférer ex abrupto ces mêmes recherches du champ des neurosciences, de balisage extrêmement fluctuant, à celui de la pédagogie, aux contours tout aussi vagues mais bien différents : alors que celle-ci, par nécessité éthique, prend en compte l’humain dans sa globalité, celles-là, par choix technologique, travaillent sur le vivant pris séquence par séquence.

Pire ! Il oublie la prémisse de toute réflexion qui se prétend scientifique, naguère soulignée par Gaston Bachelard : seule la possibilité de vérifier une hypothèse et de procéder à sa rectification est le gage d’une pensée qui se met au service de l’homme et ne l’asservit pas.

Le débat sur la prise en compte des difficultés spécifiques d’apprentissage de la langue écrite et du nombre est ancien. Quelque confiance que l’on ait dans les progrès de la science, si des avancées directement utilisables dans la conduite de la classe étaient avérées, je doute fort que les enseignants les eussent ignorées. Bon an mal an, même si des progrès sont certes encore à accomplir, il me semble que les problèmes de la lecture et du calcul sont leur fond de commerce quotidien et qu’ils inventent, qu’ils bricolent aurait dit Claude Lévi-Strauss, des réponses souvent bien adaptées aux besoins de leurs élèves.

Ce dont je peux témoigner, par contre, c’est que les troubles graves que sont les dysphasies et les dyspraxies sont fort méconnus, donc sous-estimés, donc peu pris en compte - et que les experts de l’Inserm ont choisi de les écarter de leur expertise. Ce qui est pour le moins… troublant, s’agissant de difficultés qui entravent la relation à l’autre et au monde de manière bien plus lourde à porter. Et qui interroge sur l’objectif réel poursuivi par les experts de l’Inserm. D’autant que leur avis ne peut pas ne pas trouver d’échos auprès de parents en souffrance, en attente du cachet-miracle qui va soigner leur enfant, et d’enseignants inquiets de mal faire et qui cherchent à se rassurer en renvoyant à d’autres, plus savants, la prise en compte de difficultés qui les mettent en difficulté.

Médicalisons, médicalisons, il en restera toujours quelque chose. Mais quand les enfants au comportement troublé, quand les enfants à la lecture troublée, quand les enfants au calcul troublé seront les adultes qui nous accompagneront dans nos vieillesses, il ne faudra pas s’étonner qu’ils le fassent à la manière dont ma grand-mère le faisait avec mon grand-père : « Tu as pris ton cachet ? ».

La tendresse en moins…


- "2007 : Si on écoutait aussi ceux qui n'ont pas le droit de vote ?", par Maëliss Rousseau

Ils sont plus sages qu'on ne le dit, les jeunes. 68% des 16-25 ans (selon un sondage commandé par Phosphore) sont contre le droit de vote à seize ans. Pourtant, à seize ans, on a le droit de se marier, d'avorter sans autorisation parentale, de commencer à conduire, d'adhérer à un parti politique, on a aussi le droit de travailler à temps plein en ne touchant que 80 % du SMIC. Le droit de vote, les 16-18 ans n'en veulent pas parce qu'ils ont une haute idée de la politique et qu'ils se disent, pour une grande part, encore indéfinis dans ce domaine. Mais même si c'est pour le refuser, c'est un débat qui revient périodiquement chez les lycéens, depuis leurs blogs jusqu'à leurs organisations syndicales. Il ne s'agira pas, dans ce petit texte, de juger si c'est une bonne ou une mauvaise idée. En revanche, il me semble que la récurrence de cette revendication devrait nous interpeller. Peut-être ne se sentent-ils pas très écoutés, les jeunes ? Pour la politique, c'est entendu, si on les écoute lorsqu'ils protestent ponctuellement, ils sont prêts à nous laisser trancher pour eux des questions qui leur paraissent encore lointaines. Mais il est un terrain sur lequel ils doivent avoir voix au chapitre : c'est celui de leurs études, c'est-à-dire le terrain sur lequel se jouent leur présent et leur avenir. Ce combat-là a encore de beaux jours devant lui. Certes, les droits lycéens et la démocratie lycéenne ont   fait des progrès depuis une vingtaine d'années grâce à quelques décisions ministérielles méritoires et grâce à la bonne volonté de chefs d'établissements encore trop peu nombreux. Mais l'immense majorité des lycéens ne voit dans la citoyenneté lycéenne qu'un écran de fumé destiné à les piéger en les associant à des décisions qu'ils réprouvent. Ils sont plus sages qu'on ne le dit, les jeunes. Ils voient bien   que dans ces conseils, on parle de tout, sauf de ce qui les intéresse : la pédagogie. Car si la pédagogie n'a plus bonne presse chez les profs, elle est au premier rang des revendications lycéennes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire le texte d'orientation de l'UNL, première organisation lycéenne : http://unlyceens.jexiste.fr/ . Et que demandent-ils sur le terrain de la pédagogie ? Ils opposent à une « évaluation-sanction » une « évaluation participative ». Contre une pédagogie de « l'ingurgitation », ils proposent une pédagogie du projet et contre l'ennui au lycée, ils proposent que l'on travaille vraiment en classe. Ils sont plus sages qu'on ne le dit, les jeunes.


- le 30 décembre 2006 : "Paroles, paroles, paroles... ", par Sylvain Grandserre, maître d'école

Bien souvent, celui qui enseigne est, tel un apprenti télépathe, dans l'illusion de la transmission de pensée. Mais comme cela ne marche pas sur des sujets non consentants - pour ne pas dire complices - il lui faut avoir recours à tout un tas d'artifices coercitifs pour maintenir l'attention et l'ordre. "Tu vas m'écouter petit imbécile !"... "Mais j' m'en balance de c'que vous racontez...".

Il faut dire que tout le monde s'essaie à cette pratique spontanée et ancestrale si utile pour diffuser une information. Ce qui est grave n'est nullement de communiquer ainsi, mais de croire que ce soit la façon d'apprendre et de développer la pensée chez l'humain. A moins, bien sûr, de lui céder la place d'orateur ! Mais, dans une classe où on écoute beaucoup, on parle peu, sauf pour bavarder. Pourtant, qu'une classe visite un musée, un monument ou un centre-ville, et c'est parti pour une bonne heure d'écoute ! On peut en arriver à déclarer : "Non, ne posez pas de questions sinon je n'aurai pas fini le programme !". Le président a quelque chose à nous dire ? Silence, on écoute... mais tout le monde s'en moque.

Pourtant, des fois "ça marche", parce que ces propos viennent en retour d'une réflexion, en réponse à des interrogations. "Ça marche" quand ce que l'on va recevoir par ce biais apaise une tension, redonne un équilibre ou une structure à notre explication, comble un manque. Il arrive même dans ce dernier cas que ce soit l'ignorance qui devienne insupportable ! "Dites-moi la vérité, je veux savoir !". On a ainsi vu des élèves, réputés pour leur détestation de la lecture, se jeter sur la missive d'un correspondant ou dans une recherche documentaire en vue d'un exposé. Des classes turbulentes offrent un silence solennel pour accueillir le témoignage d'un rescapé. La lecture à voix haute d'une lettre venue d'un autre continent peut captiver mieux que la dernière console électronique. Le récit, même approximatif,   d'un mythe grec fait encore aujourd'hui s'écarquiller les yeux !

De l'extérieur, on serait tenté de croire que toutes ces situations d'oralisation se valent. Mais cette nuance de la nécessité est fondamentale. Elle fait que nous restons assis ou au contraire nous levons pour quitter la salle... quand on a le droit de le faire ! Il ne s'agit pas de se soumettre aux caprices de futurs sauvageons nombrilistes mais de se demander quel sens cela a pour eux. Pour eux tous ! C'est la différence entre s'agenouiller et s'accroupir : l'un est un renoncement, l'autre une adaptation pour voir les choses autrement, à un autre niveau. A nous "enseignants" (?) de créer les conditions qui mettent en évidence la nécessité d'apprendre. Pas seulement par la conviction (on y arrive parfois tel le harangueur) mais par la situation.

Ainsi, si le premier réflexe du professeur est de croire à cette force exhaustive des mots, pouvoir réel mais qui ne peut être utilisé qu'en sachant que ce n'est pas exactement ce que nous aurons enseigné qui sera appris (c'est autre chose, et notamment ce qui nous échappe), il faut rester optimiste quant à l'accueil que peuvent recevoir d'autres façons de travailler, de mettre en jeu l'élève. Car c'est l'ignorance des possibles, de leur nature et de leurs effets, qui rend parfois conservateur. Je dis cela parce que même dans de fortes périodes de crispation, je n'ai jamais eu d'accueil négatif de mes pratiques. Les situations de création et d'expression ont pu rassurer les parents soucieux avant tout du bon épanouissement de leur enfant. Ceux attachés avant tout au labeur et à l'ordre trouvent peut-être leur compte dans le plan de travail, la lecture suivie ou le code de la classe.

Par contre, plus que la moyenne sans doute - mais c'était le prix à payer - j'ai expliqué (ça répondait à une demande !), communiqué, accueilli, écouté. D'autres ont eu moins de chance et leur ouverture (de classe et d'esprit) n'a pas toujours permis d'endiguer le flot dévastateur de l'incompréhension. Mais le vrai risque aurait été de ne pas essayer. Est-ce plus difficile aujourd'hui qu'hier ? Pas sûr.

Alors, puisqu'en cette année électorale, une partie de l'avenir de l'École sera entre les mains des candidats, rappelons qu'en classe comme en politique, faire preuve de pédagogie ce n'est pas tant parler que d'agir.